- Gouvernement royal d'union nationale du Kampuchéa
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Le Gouvernement royal d'union nationale du Kampuchéa (GRUNK), également appelé Gouvernement royal d'union nationale du Cambodge ou Gouvernement royal d'union nationale cambodgienne (GRUNC) était un gouvernement en exil animé par le prince Norodom Sihanouk, ancien chef d'État du Royaume du Cambodge, renversé en mars 1970. Basé à Pékin, le GRUNK revendiquait la souveraineté sur le Cambodge, alors plongé en pleine guerre civile. Il était représenté dans le pays par la guérilla du Front uni national du Kampuchéa, qui comprenait les Khmers rouges. En avril 1975, les Khmers rouges prirent la capitale, mettant un terme à la guerre civile, mais le GRUNK n'exerça ensuite qu'un pouvoir purement fictif et disparut l'année suivante lors de la démission de Norodom Sihanouk et de son premier ministre.
Historique
Au cours des années 1950 et 1960, le prince Norodom Sihanouk, dirigeant politique du Royaume du Cambodge, mène une politique neutraliste dans le cadre de la guerre froide. La neutralité du Cambodge, membre du Mouvement des non-alignés, est cependant de plus en plus difficile à tenir dans le contexte de la guerre du Viêt Nam, Sihanouk étant de surcroît rétif à l'alignement sur les États-Unis. Au milieu de la décennie, les relations diplomatiques avec les États-Unis sont rompues, et le Cambodge se rapproche de la République populaire de Chine et du Nord Viêt Nam, Sihanouk espérant préserver son régime alors que la victoire des communistes en Asie du Sud-Est lui semble inéluctable. En 1969, préoccupé par les conséquences des agissements du Viêt Cong au Cambodge et par l'insurrection des Khmers rouges, Sihanouk tente de se rapprocher à nouveau des occidentaux, et rappelle au poste de premier ministre le pro-américain Lon Nol. Mais l'extrême tension politique au Cambodge ne lui laisse pas le temps d'infléchir sa politique : le 18 mars 1970, alors que Sihanouk est en voyage à l'étranger pour tenter d'obtenir que l'URSS et la Chine appellent les communistes vietnamiens et cambodgiens à la modération, le vice-premier ministre Sisowath Sirik Matak et Lon Nol réunissent les parlementaires, qui votent à l'unanimité la destitution du prince.
Norodom Sihanouk se trouve à l'aéroport de Moscou, sur le point de partir pour Pékin, quand il apprend son renversement. D'abord incertain, il a des entretiens avec le premier ministre chinois Zhou Enlai et l'ambassadeur de France Etienne Manac'h, envisageant dans un premier temps de se retirer en France dans sa villa de Mougins. Il prend finalement la décision de ne pas renoncer et, dans un message diffusé par Radio Pékin, dénonce les auteurs du coup d'État et annonce son intention de lutter pour la « justice »[1].
Le premier ministre nord-vietnamien, Phạm Văn Đồng, se rend à Pékin et propose à Norodom Sihanouk de coopérer avec les Khmers rouges. Il rencontre également Pol Pot, qui se trouve lui aussi à Pékin. Le 23 mars, Sihanouk se décide et annonce la constitution d'un mouvement politique, le Front uni national du Kampuchéa (FUNK), s'adressant à ses compatriotes en leur demandant de prendre les armes contre le gouvernement de Lon Nol. Les forces armées du FUNK seront placées sous l'autorité du Gouvernement royal d'union nationale du Kampuchéa. L'« appel du 23 mars » de Sihanouk a été, à son insu, légèrement retouché par Pol Pot. Zhou Enlai prévoit une rencontre entre Sihanouk et Pol Pot mais, le 26 mars, ce dernier se contente de faire transmettre au prince un message de soutien prétendument signé par Khieu Samphân, Hou Yuon et Hu Nim, les chefs officiels du mouvement khmer rouge, et censément envoyé depuis une base de résistance située au Cambodge[2].
Les 24 et 25 avril, Sihanouk est l'invité de Zhou Enlai à une conférence tenue à Canton, où il déclare prendre la tête de la « lutte des peuples indochinois contre l'impérialisme américain ». Le 5 mai, à l'incitation des Chinois, le GRUNK est officiellement constitué[3]. Les Chinois sont, par ailleurs, les seuls durant l'année 1970 à entretenir des contacts directs avec les dirigeants du Parti communiste du Kampuchéa présents sur le territoire du Cambodge[4]. Au sein du gouvernement d'union nationale, Sihanouk occupe le poste de « chef d'État », et Penn Nouth, l'un de ses fidèles, six fois premier ministre du Royaume du Cambodge, celui de chef du gouvernement. Le GRUNK compte vingt-deux ministres et vice-ministres, parmi lesquels se mêlent sihanoukistes et khmers rouges. Khieu Samphân est nommé vice-premier ministre, ministre de la défense et chef des forces armées, Hu Nim ministre de l'information et Hou Yuon ministre de l'intérieur. Les trois responsables khmers rouges étant présents non en Chine mais au Cambodge même, le GRUNK refuse de se présenter comme un gouvernement en exil[5].
Le GRUNK a pour siège le Youyi binguan (Hôtel de l'amitié), un complexe de bureaux et de logements situé au Nord-Ouest de Pékin. Sihanouk lui-même loge dans l'ancienne légation de Pékin, dans le quartier gouvernemental, et mène grand train aux frais de l'État chinois. Le gouvernement est reconnu d'emblée, outre la Chine, par la Corée du Nord, Cuba, le Nord Viêt Nam et plusieurs États du tiers-monde[6]. L'URSS le reconnaît en octobre 1970, tout en maintenant sa représentation diplomatique à Phnom Penh, puis le reconnaît comme seul représentant du Cambodge en octobre 1973[7]. A la fin de 1975, 62 pays ont reconnu le GRUNK[8].
Outre les Khmers rouges, le GRUNK est représenté au sein du FUNK par les Khmer rumdo et un ensemble de groupes de maquisards issus des populations Khmer Loeu[9]. Tout en menant des activités sur le front diplomatique, Sihanouk lui-même et son équipe demeurent isolés de la réalité du terrain durant la guerre civile cambodgienne : le « chef de l'État » ne reçoit que des rares messages, signés par Khieu Samphân au nom de la « faction intérieure ». En 1971, Ieng Sary arrive à Pékin comme « représentant spécial de l'Intérieur », chargé d'assurer un lien avec les Chinois et les Nord-vietnamiens. Les relations entre lui et Sihanouk sont rapidement détestables : le prince, qui estime que le représentant khmer rouge est là pour le surveiller, prend plaisir à l'humilier. En mars 1973, alors que les combats se poursuivent au Cambodge malgré la signature des accords de paix de Paris, Ieng Sary accompagne Norodom Sihanouk et son épouse Monique dans un voyage sur la piste Hô Chi Minh : le chef du GRUNK visite les zones sous contrôle khmer rouge, réalisant ainsi un coup de propagande. Il est néanmoins tenu à l'écart de la population[10].
Les forces armées du FUNK et, essentiellement, des Khmers rouges, gagnent du terrain face à celles de la République khmère et, le 17 avril 1975, Phnom Penh est prise. Dans les premiers mois de leur pouvoir, les Khmers rouges ne forment pas de véritable gouvernement. Officiellement, le GRUNK dirige le Cambodge, mais Norodom Sihanouk et Penn Nouth se trouvent toujours à Pékin : l'équipe gouvernementale existe essentiellement sur le papier. Sont nommés vice-premiers ministres Vorn Vet (économie), Ieng Sary (affaires étrangères) et Son Sen (défense) mais le processus de composition du gouvernement s'enlise, du fait de l'incertitude sur le statut de Sihanouk. Sihanouk ne revient au Cambodge que le 9 septembre, en compagnie de son épouse et de Penn Nouth, pour un bref séjour durant lequel il ne semble pas avoir pris conscience de la réalité de la situation. Il effectue ensuite une tournée diplomatique internationale, et prend la parole à l'ONU en faisant l'éloge du nouveau pouvoir[11]. Le 9 octobre, un début d'équipe gouvernementale est constitué, avec Khieu Samphân comme « responsable du Front et du gouvernement royal »[12].
Au cours de l'année 1975, les dirigeants khmers rouges commencent à omettre de citer l'adjectif « royal » dans le nom du gouvernement, et n'informent pas Sihanouk de la rédaction en cours d'une constitution[13]. En novembre, tout le personnel du GRUNK est rappelé au Cambodge : la plupart disparaissent ensuite au cours des purges khmères rouges. Le 31 décembre, Sihanouk revient définitivement au Cambodge, et réalise cette fois l'ampleur des ravages effectués au Cambodge par les Khmers rouges. Privé de tout pouvoir, virtuellement prisonnier, il préside le 5 janvier 1976 le conseil des ministres qui promulgue officiellement la constitution du nouveau régime, le Kampuchéa démocratique. Se décidant à ne plus fournir de caution aux Khmers rouges, Sihanouk remet sa démission le 10 mars mais celle-ci est refusée le temps que les membres du parlement soient élus, puis finalement acceptée et rendue publique le 2 avril[14]. Le 6 avril, Penn Nouth remet à son tour sa démission, mettant un terme à l'existence du GRUNK[15]. Le FUNK cesse également d'exister. Sihanouk et Penn Nouth sont par la suite maintenus en détention jusqu'en 1979, date à laquelle les Khmers rouges sont chassés du pouvoir par l'invasion vietnamienne du Cambodge.
En 1982, les Khmers rouges forment avec Sihanouk une nouvelle coalition contre le régime pro-vietnamien, sous le nom de Gouvernement de coalition du Kampuchéa démocratique. Cette alliance dure jusqu'aux accords de Paris de 1991, qui constituent la première étape du processus de paix et de la transition démocratique au Cambodge.
Voir aussi
- Histoire du Cambodge
- Khmers rouges
- Guerre civile cambodgienne (1967-1975)
- Royaume du Cambodge (1953-1970)
- République khmère
- Kampuchéa démocratique
- Crimes du régime khmer rouge
Notes et références
- Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 256-257
- Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 257-259
- François Ponchaud, Une brève histoire du Cambodge, Siloë, 2007, pages 65-66
- Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, page 260
- Wim Swann, 21st century Cambodia: view and vision, Global Vision Publishing House , 2009, page 244
- Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, page 261
- Ros Chantrabot, La République khmère: 1970-1975, L'Harmattan, 1991, page 205
- Raoul Marc Jennar, Les clés du Cambodge, Maisonneuve et Larose, 1995, page 75
- Wim Swann, 21st century Cambodia: view and vision, Global Vision Publishing House , 2009, page 162
- Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 310-314
- Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 393-394, 426-427
- Ben Kiernan, Le génocide au Cambodge, Gallimard, 1998, pages 121-122
- Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, page 428
- Philip Short, Pol Pot : anatomie d'un cauchemar, Denoël, 2007, pages 429-432
- Raoul Marc Jennar, Les clés du Cambodge, Maisonneuve et Larose, 1995, page 78
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