Théorème de la progression arithmétique

Théorème de la progression arithmétique
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Johann Peter Gustav Lejeune Dirichlet, auteur du théorème

En mathématiques, et plus particulièrement en théorie des nombres, le théorème de la progression arithmétique, dû au mathématicien allemand Gustav Lejeune-Dirichlet, s'énonce de la façon suivante :

« Pour tous les entiers naturels non nuls n et m premiers entre eux, il existe une infinité de nombres premiers de la forme n + a m, où a est un entier positif. »

ce qui est équivalent à l'énoncé suivant :

« Pour tous les entiers non nuls n et m premiers entre eux, il existe une infinité de nombres premiers dans la classe de n modulo m. »

Ce théorème utilise à la fois les résultats de l'arithmétique modulaire et ceux de la théorie analytique des nombres.

Sommaire

Signification du théorème

Ce théorème généralise le théorème d'Euclide d'après lequel il existe une infinité de nombres premiers. Il indique que si l'on construit un tableau comme le suivant, alors certaines lignes possèderont au plus un nombre premier, (indiqué en rouge sur la figure) et il sera, s'il existe, toujours en première colonne. Cette configuration se présente ici pour les lignes commençant par 3, 6 et 9. Les autres contiendront toujours un nombre infini de nombres premiers (ici de premier élément 1, 2, 4, 5, 7 et 8).

Les lignes contenant au plus un nombre premier sont celles dont la première valeur contient un diviseur commun avec le nombre dans la dernière ligne et première colonne.

On peut aller plus loin. La répartition statistique est presque la même dans chaque ligne. Et plus la ligne est longue, plus les répartitions statistiques se ressemblent, pour devenir exactement les mêmes. Vu sous cet angle, les nombres premiers sont remarquablement bien ordonnés. Ce résultat est démontré par le théorème de densité de Chebotarev, une généralisation du travail de Dirichlet. Dans l'exemple cité, les lignes commençant avec un entier premier avec 9 en contiennent entre 8 et 5, soit une variation inférieure à 40%. En revanche, si le tableau est prolongé jusqu'à la valeur 1 000, alors le nombre de nombres premiers dans les lignes en contenant une infinité ne varie plus que de 26 à 29, soit une variation de moins de 10%.

Une autre analyse est réalisée sur l'apparition du premier nombre premier dans une ligne ; elle est l'objet du Théorème de Linnik.

 1  10  19  28  37  46  55  64  73  82  91  100  109  118  127  136  145
 2  11  20  29  38  47  56  65  74  83  92  101  110  119  128  137  146
 3  12  21  30  39  48  57  66  75  84  93  102  111  120  129  138  147
 4  13  22  31  40  49  58  67  76  85  94  103  112  121  130  139  148
 5  14  23  32  41  50  59  68  77  86  95  104  113  122  131  140  149
 6  15  24  33  42  51  60  69  78  87  96  105  114  123  132  141  150
 7  16  25  34  43  52  61  70  79  88  97  106  115  124  133  142  151
 8  17  26  35  44  53  62  71  80  89  98  107  116  125  134  143  152
 9  18  27  36  45  54  63  72  81  90  99  108  117  126  135  144  153

Histoire

Préhistoire

L'intérêt pour les nombres premiers est ancien et omniprésent dans l'histoire des mathématiques. Euclide (vers -325- vers -265) y consacre le chapitre VII de son livre les éléments. On peut aussi citer les travaux de Sun Zi écrit vers l'an 300 établissant une première version[1] du théorème des restes chinois et surtout Qin Jiushao (1202 - 1261) qui en développe une version[2] suffisamment sophistiquée pour dépasser le niveau européen du XVIIIe siècle. On peut citer George Sarton qui le considère comme l'un des plus grands mathématiciens de tous les temps[3].

Le XVIIe siècle est celui où les mathématiques européennes, et particulièrement françaises se réapproprient le savoir de l'antiquité et l'apport de la civilisation arabe. En 1621 Claude-Gaspard Bachet de Méziriac (1581 - 1638) traduit le livre de Diophante d'Alexandrie (env. 200/214 - env. 284/298) intitulé Arithmetica en latin. Pierre de Fermat (1601 - 1665) l'annote[4].

Vers une formalisation

Leonhard Euler (1707 - 1783) résout plusieurs équations diophantiennes laissées ouvertes par le siècle précédent. On peut citer ses travaux sur le théorème des deux carrés de Fermat[5] ou sa résolution du grand théorème de Fermat pour le cas ou n est égal à trois, après un premier échec[6]. Dans ce domaine, s'il se montre particulièrement adroit en résolvant pour la première fois des problèmes ouverts depuis parfois plus d'un siècle, il n'est néanmoins pas novateur. Les outils utilisés sont ceux de l'antiquité pour l'arithmétique et les techniques algébriques de son temps.

En 1735, à la suite d'une étude pour la résolution du problème de Mengoli, Euler étudie[7] des produits infinis. Deux ans plus tard, il démontre une étrange formule[8] maintenant nommée produit eulérien. Cette formule relie par exemple un produit infini de nombres premiers avec la surface d'un cercle. Son écriture en série est celle de la fonction ζ de Riemann. Elle offre de plus la première information statistique sur la distribution des nombres premiers.

En 1795, Adrien-Marie Legendre (1752 - 1833) conjecture le théorème de l'article, sans pouvoir le démontrer[9].

En 1801, Carl Friedrich Gauss (1777 - 1855) publie ses célèbres Disquisitiones arithmeticae[10]. Il offre les bases d'une théorie algébrique des nombres, que l'on appelle arithmétique modulaire. Son livre analyse les propriétés des modules Z/nZ et pour démontrer la loi de réciprocité quadratique développe un cas particulier de caractère d'un groupe fini, celui des modules si p est un nombre premier.

Apports de Dirichlet

En 1837 Dirichlet démontre une première version[11] du théorème de l'article, en supposant que n est premier. Il démontre l'année suivante le cas où n n'est pas premier et en 1841 généralise la démonstration aux entiers de Gauss.

La démonstration est d'un intérêt considérable en arithmétique. Elle relie la nouvelle théorie de Gauss aux idées, apparemment si éloignées, d'Euler. Il enrichit de plus chacune des deux branches.

L'apport algébrique pour la théorie des nombres consiste essentiellement dans le développement de l'analyse harmonique. Dirichlet a travaillé[12] sur les découvertes de Joseph Fourier (1768 - 1830). Pour la démonstration de son théorème il utilise les mêmes méthodes, cette fois pour un groupe abélien fini. C. G. J. Jacobi (1804 - 1851) dit de lui : En appliquant les séries de Fourier à la théorie des nombres, Dirichlet a récemment trouvé des résultats atteignant les sommets de la perspicacité humaine[13]. La théorie des caractères d'un groupe fini pour le cas abélien est pratiquement complète.

Son apport en analyse est non moins innovateur. À chaque caractère, il associe un produit infini analogue à celui d'Euler. Il montre l'équivalence de ces produits à des séries, maintenant nommé série L de Dirichlet dont un cas particulier est la fonction ζ de Riemann. L'essentiel de la démonstration consiste alors à déterminer si l'unité est oui ou non une racine de ces séries. On reconnait là, l'analogie profonde avec l'hypothèse de Riemann. Cet article marque la naissance d'une nouvelle branche des mathématiques : la théorie analytique des nombres avec ses outils fondamentaux : les produits eulériens, ou les séries L de Dirichlet et son intime relation avec l'arithmétique modulaire.

Démonstration

Ici, n désigne un nombre strictement positif et m une classe du groupe des unités de l'anneau Z/nZ. L'objectif est de montrer que m contient une infinité de nombres premiers. P désigne l'ensemble des nombres premiers, S le demi-plan complexe dont tous les éléments ont une partie réelle est strictement supérieure à 1 et s un nombre complexe élément de S. Si c désigne un complexe, c* désigne son conjugué.

Le groupe des unités de Z/nZ est désigné par la lettre U, un caractère de Dirichlet par le symbole χ et le groupe des caractères \scriptstyle \widehat U .

La fonction ω (s,u)

Article détaillé : Caractère de Dirichlet.

L'objectif est de définir une fonction ω, définie dans SxU dont le comportement détermine le cardinal de l'ensemble des nombres premiers inclus dans m.

  • La fonction ω, de SxU dans l'ensemble des nombres complexes et définie par la formule suivante est absolument convergente sur son domaine de définition.
\forall u \in \mathbb U, \quad \omega (s,u) = \sum_{p \in \mathcal P \ p^k \in u}\sum_{k=1}^{+\infty} \frac 1{k(p^k)^s}
  • Si m ne contient qu'un nombre fini de nombres premiers alors ω possède une limite en (1, m).

Une fois cette proposition établie, il suffit de montrer que la fonction diverge en un pour démontrer le théorème.

Délocalisation des nombres premiers

La difficulté réside dans le fait que la sommation n'est réalisée que sur les nombres premiers inclus dans m. Euler fournit bien une mesure des nombres premiers, mais elle couvre intégralement Z.

Cependant, la fonction ω dépend d'un paramètre u élément d'un groupe abélien fini. Or un tel groupe possède une analyse harmonique puissante, les fonctions trigonométriques sont remplacées par les caractères et l'on dispose d'une transformée de Fourier et du théorème de Plancherel, il permet de délocaliser l'ensemble des nombres premiers :

  • La fonction ω est égale à l'expression suivante sur son domaine de définition :
Erreur math (La conversion en PNG a échoué ; vérifiez l’installation de latex et dvipng (ou dvips + gs + convert)): \forall s \in S, \quad \forall u \in \mathbb U, \quad \omega (s,u) = \frac 1{\varphi (n)}\sum_{\chi \in \widehat \mathbb U} \chi(u)^* \; \log \Bigg( \prod_{p \in \mathcal P} \Big(1 -\frac {\chi(p)}{p^s}\Big)^{-1} \Bigg)

La démonstration est donnée dans le paragraphe Produit eulérien de l'article Caractère de Dirichlet.

Produit eulérien

Article détaillé : Produit eulérien.

L'expression contient un produit eulérien, il est cependant plus simple de traiter une série traditionnelle. Or Euler a établi un calcul permettant une transformation des produits de ce type en série plus classique.

  • La fonction ω est égale à l'expression suivante sur son domaine de définition :
Erreur math (La conversion en PNG a échoué ; vérifiez l’installation de latex et dvipng (ou dvips + gs + convert)): \omega (s,u)=\frac 1{\varphi (n)}\sum_{\chi \in \widehat \mathbb U} \chi(u)^* \; \log \Big( L(s,\chi)\Big) \quad \mathrm{avec} \quad L(s, \chi) = \sum_{k=1}^{\infty} \frac {\chi(k)}{k^s}

La démonstration est donnée dans le paragraphe Caractère de Dirichlet de l'article détaillé.

Série L de Dirichlet

Article détaillé : Série L de Dirichlet.

La constante χ(u)* est une racine de l'unité, elle ne s'annule donc jamais. Il reste à connaitre le comportements des fonctions L(s, χ) autour du point un. Ces fonctions sont appelées série L de Dirichlet. Si χ est le caractère principal, il est proportionnel à la fonction zêta de Riemann et est en conséquence divergent au point un. En revanche, si χ n'est pas le caractère principal sa série associée est définie et non nulle en un. Ce qui permet d'énoncer la proposition suivante :

  • Pour toute valeur de u dans le groupe des unités différente de un, la fonction ω converge quand s tend vers un vers une valeur différente de zéro.

La démonstration est donnée dans le paragraphe Comportement au point un de l'article détaillé.

Ceci permet de conclure. Si m ne contenait qu'un nombre fini de nombres premiers alors la fonction ω convergerait d'après le premier paragraphe de la démonstration. Or elle diverge car elle est somme d'une fonction divergente et d'un nombre fini de fonctions convergentes.

Notes et références

Voir aussi

Notes

  1. Sun Zi Sunzi suanjing Manuel de mathématiques de Sun Zi vers 300
  2. Qin Jiushao Shushu Jiuzhang, Traité de mathématique en neuf chapitres 1247
  3. Ho Peng Yoke Li, Qi, and Shu An Introduction to Science and Civilization in China, p 89 Hong Kong University Press, 1985
  4. Pierre de Fermat Remarques sur Diophante par Pierre Samuel fils de Fermat 1670
  5. Leonhard Euler Correspondance à Goldbach 12 avril 1749
  6. Leonhard Euler Algèbre 1770
  7. Leonhard Euler Démonstration de la somme de cette suite 1 + 1/4 + 1/9 + 1/16 + 1/25 + 1/36 + etc Journal lit. d'Allemagne, de Suisse et du Nord 2 p 115-127 1743
  8. G. L. Alexanderson et Al A tribute to Leonhard Euler, Mathematic magazine 59 n° 5 p 260 325, 1983
  9. Adrien-Marie Legendre, Essai sur la théorie des nombres (Duprat, Paris 1798)
  10. Carl Friedrich Gauss, Recherches arithmétiques, 1801 Traduction M. Poullet-Delisle Ed. Courcier 1807
  11. Dirichlet Beweis eines Satzes über die arithmetische Progression Bericht über die Verhandlungen der Königlich Preussischen Akademie der Wissenschaften. Jahrg. 1837, S. 108-110 p.307-312 1837
  12. Dirichlet Solution d'une question relative à la théorie mathématique de la chaleur Journal de Crelle. Berlin 5, p 287-295 1830
  13. W. Ahrens Briefwechsel zwischen C. G. J. Jacobi und M. H. Jacobi The Mathematical Gazette, Vol. 4, No. 71 pp. 269-270, 1908

Liens externes

Références

  • Jean-Benoît Bost, Pierre Colmez et Philippe Biane La fonction Zêta, Éditions de l'École polytechnique Paris 2002 ISBN 2730210113
  • Pierre Colmez, Éléments d'analyse et d'algèbre (et de théorie des nombres), Éditions de l'École polytechnique
  • Harold Davenport's Multiplicative number theory, 3ème edt Springer 2000 ISBN 0387950974
  • Karatsuba Basic analytic number theory, Springer-Verlag 1993 ISBN 0-387-53345-1
  • S. J. Patterson An Introduction to the Theory of the Riemann Zeta-Function Cambridge University Press 1995 ISBN 0521499054.

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