Ashkénaze

Ashkénaze

Les Ashkénazes (ou ashkenaze ou achkenaze[1]), de l’hébreu אַשְׁכְּנַז - Achkenaz, un des arrière-petit-fils de Noé[2], sont les Juifs provenant d’Allemagne, de Pologne, de Russie, de l’ancien Empire austro-hongrois et plus généralement d’Europe Centrale et Orientale. Ils ont une langue qui leur est propre, le yiddish, qui est une langue voisine de l’allemand enrichie d’emprunts à l’hébreu, au polonais et au russe. Leur liturgie a probablement été influencée par les cultures environnantes dans ces pays. Le mot ashkenaz désignait les terres qui s’étendaient au-delà du Rhin c’est-à-dire l’Allemagne ou le monde germanique et d’Europe centrale. Chez les auteurs hébreux du Moyen Âge, ce même mot désigne les pays germaniques et d’Europe centrale, terres où des Juifs commençaient à s’installer. Il est emprunté au chapitre 10, verset 3 du livre de la Genèse : « Les fils de Gomère : Ashkenaz, Riphat et Togarma » (trad. Louis Segond), renvoyant ainsi à la généalogie populaire. Au pluriel, on dit ashkenazim (pluriel régulier de l’hébreu), et ashkénaze dans le cas d’un adjectif (ashkenazic en anglais).

Dans la Bible, Ashkenaz désigne à l’origine les Scythes et leur pays (voir plus loin), l’assimilation avec l’Allemagne a été sans doute facilitée par la consonance entre Gomer, le père, et Germanie.

Les populations juives ashkénazes ont vécu dans ces contrées entre les Xe et XIXe siècles.

Sommaire

Origines et histoire

En l’an 3034 du calendrier hébraïque (-727 du calendrier grégorien), le dernier roi d’Israël, Osée, se révolte contre l’Assyrie, pensant recevoir un secours de l’Égypte. Salmanazar, le roi d’Assyrie, monte alors contre lui et le fait prisonnier. Pendant trois ans, la ville de Samarie est assiégée par les troupes assyriennes. Elle finit par être détruite, forçant à l’exil une partie des habitants du Royaume d’Israël. Ce seraient les Dix tribus perdues, dont les lieux de diaspora ont donné cours à de très nombreuses conjectures, souvent erronées voire fantaisistes. Certains font ainsi descendre les ashkénazes de la Tribu d’Éphraïm, hypothèse peu acceptée parmi les historiens juifs et non juifs qui font plutôt remonter l’origine des ashkénazes aux première et deuxième diaspora des habitants du Royaume de Juda.

Après la déportation forcée des Juifs de Judée en 70 (calendrier grégorien) puis la dernière révolte juive de Bar-Kokheba vers 133-135, la population juive se dispersa autour de la mer Méditerranée. La majorité de la population était toujours en Orient (Asie Mineure, Grèce, Mésopotamie), mais également au sud de l’Italie, en Gaule, en Espagne et en Afrique du Nord. La citoyenneté romaine leur est accordée en 212, mais ils eurent encore à payer un impôt particulier jusqu’en 363. Au cours des trois premiers siècles, les Juifs n’eurent aucun problème à entretenir un réseau culturel et religieux entre communautés et une grande partie d’entre eux étaient commerçants.

Après les invasions germaniques et barbares dans l’empire romain occidental, des communautés juives se trouvaient à Cologne et sur le futur territoire de la France entre 300 et 600. Le roi des Francs, Dagobert Ier, les expulsa en 629.

Les persécutions contre les Juifs, souvent provoquées par des religieux chrétiens fanatiques qui ameutaient la populace, les poussèrent à émigrer vers les villes du Rhin puis toujours davantage vers l’Est de l’Europe. Charlemagne, au IXe siècle, redonna aux Juifs les droits dont ils jouissaient sous l’empire romain et ces conditions favorisèrent les communautés juives en France. Les marchands juifs commencèrent des activités de prêts d’argent car l’Église interdisait le métier d’usurier aux Chrétiens, ce qui fit des Juifs des partenaires économiques indispensables. Ils étaient alors le plus souvent protégés des princes, qui avaient recours à leurs services financiers, et en même temps soumis à de lourds impôts et taxes. La possession de terres leur fut par ailleurs interdite dans certaines régions, donc l’agriculture. Dans certaines provinces de France, ils pouvaient être vignerons, tel Rachi, en Champagne, et ils contribuèrent, ainsi que les moines, à l'extension du vignoble français, pour obtenir le vin nécessaire au culte.

Famille ashkénaze d’Europe centrale (frontière germano-polonaise, XIXe siècle).

Des traces de communautés juives dans les Alpes et dans les Pyrénées ont démontré leur déplacement vers le nord de l’Europe puis il semble qu’ils se soient installés en Angleterre lors de la conquête normande en 1066 et le long du Rhin. Les Croisades puis les expulsions d’Angleterre (en 1290), de France (en 1394) et de certaines régions de l’Allemagne au XVe siècle siècle amenèrent les Juifs à migrer encore à l’Est en Pologne, en Lituanie et en Russie. De plus, une partie de cette population, soit au plus 12%[3],[4], pourrait descendre des Khazars, peuple turc converti au judaïsme dont des populations ont migré vers l’ouest après la destruction de leur empire au IXe siècle. À partir du XVe siècle, la communauté juive polonaise fut la plus importante de la Diaspora.

La migration juive vers l’Europe de l’Est ne leur permit pas d’échapper aux discriminations et persécutions, récurrentes dans tous les pays où ils s’installèrent. L'un des massacres les plus tristement célèbres est celui qui fut perpétré par les Cosaques de Chmielnicki (Khmelnytsky), en 1648 et 1649, contre les Juifs d'Ukraine. Après deux siècles de relative tolérance, les pogroms poussèrent à nouveau les Juifs vers l’Ouest de l’Europe au XIXe siècle et au début du XXe siècle. De nombreux Juifs émigrèrent aussi vers le continent américain pour rechercher de nouvelles opportunités. La grande majorité des Juifs américains est d’origine ashkénaze depuis les années 1750 (sauf en ce qui concerne les Juifs d’Amsterdam, d’origine espagnole). La synagogue Touro, la plus vieille des États-Unis, a été inaugurée le 2 décembre 1763. Influencé par la congrégation des Espagnols et des Portugais orthodoxes, l’architecte Peter Harrison importa des briques d’Angleterre pour lui donner une apparence semblable aux anciennes synagogues d’Amsterdam et de Londres.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la solution finale appliquée par les nazis décima méthodiquement les communautés ashkénazes d’Europe que l’on estimait à 8,8 millions de personnes avant la guerre. Environ 6 millions de Juifs furent ainsi systématiquement tués dans les camps d’extermination de la Shoah : 3 millions des 3,3 millions de Juifs polonais, 900 000 de 1,1 million de Juifs d’Ukraine, la quasi-totalité des Juifs des Pays-Bas et entre 50 et 90 % des Juifs des pays slaves, des pays baltes, de l’ex-empire austro-hongrois, d’Allemagne et de Grèce, un tiers des Juifs de France.

Aux morts dans les camps d’extermination, il faut ajouter les victimes de la « Shoah par balles » en Europe de l’Est, estimées à au moins un million, mais dont on n’a pas encore retrouvé toutes les fosses. Une équipe s’attelle à cette tâche, sous la direction du Père Patrick Desbois[5], en allant dans les villages essayer de recueillir les témoignages des vieux paysans survivants de cette période tragique, avant que leur mort ne rende cette reconstitution historique impossible[6].

La plupart des survivants des communautés d'Europe centrale et orientale émigrèrent après la guerre vers Israël, les États-Unis dans une moindre mesure.

Culture

Les Juifs ashkénazes (comme les Bené Roma et les romaniotes) sont originaires de Judée, dont ils ont été exilés vers l'Europe à partir du Ier siècle. Ils tirent ainsi leurs coutumes du Talmud de Jerusalem et leur liturgie des sages de Tibériade, contrairement aux Juifs séfarades et mizrahim, descendants des exilés de Babylone, qui suivent la liturgie et le Talmud de Babylone[7]. Plusieurs coutumes spécifiques et certaines particularités liturgiques vont dans ce sens, et cela correspond à l'origine géographique de chaque groupe[8]. On pense que l'étude du Talmud de Jérusalem a été peu à peu abandonnée par les yeshivot ashkénazes par manque de sources et de commentaires, la plupart des textes ayant été perdus à cause de la censure chrétienne. Il semblerait ainsi que Rachi ne disposât que de fragments de celui-ci. L'étude se serait donc progressivement reportée sur le Talmud de Babylone, moins virulent contre le christianisme et donc moins censuré. Cependant certains documents retrouvés dans la Guenizah du Caire pourraient indiquer un abandon du Talmud de Jérusalem beaucoup plus ancien, en fait dès que la rédaction du Talmud de Babylone fut achevée[8].

Les Juifs ashkénazes développèrent des centres d’études religieuses en Pologne, Russie et Lituanie pendant des générations. Des mouvements comme le hassidisme, la Haskala, en Allemagne, avec Moïse Mendelssohn[9] et même le sionisme naquirent également en Europe de l’Est.

Les traditions des Ashkénazes sont légèrement différentes de celles des séfarades et mizrahi, même si le service synagogal a la même structure dans les différentes communautés et si les textes principaux sont le plus souvent identiques. Avec le temps, des différences apparaissent également entre les ashkénazes d'Europe de l'Est (notamment de Pologne, Lituanie, Russie) et les ashkénazes plus occidentaux (surtout d'Allemagne et de France). Les coutumes d'Europe de l'Est sont mentionnées dans le commentaire du Choulhan Aroukh de Moses Isserles mais nous manquons de sources écrites sur les coutumes d'Europe occidentale. La liturgie de cette dernière est en revanche bien connue grâce au Mahzor Vitry, datant du XIe siècle. Peu d'ouvrages sur le service synagogal d'Europe de l'Est nous sont parvenus, la plupart datant du XIXe siècle et présentant le noussa'h sfard des Hassidim.

Les XIe et XIIe siècles virent l’éclosion d’une vie intellectuelle très riche ; c’est à cette époque que vécurent le Rabbin Gershom de Mayence (Magenza), dit Meor Hagola, « la Lumière de l’Exil », dont deux des grandes décisions sont l’abolition du lévirat et de la polygamie et Salomon Ben Isaac de Troyes, dit Rachi (1040 - 1105), « éminent commentateur juif de la Bible et du Talmud, né à Troyes en Champagne, région dans laquelle, durant la majeure partie de sa vie, les Juifs bénéficiaient de bonnes conditions de vie. » Le moine franciscain Nicolas de Lyre lisait Rachi dans le texte original, et reconnaissait la dette intellectuelle qu’il avait envers lui ; les érudits de la Réforme et plus tard Martin Luther lui empruntèrent également beaucoup[10].

Article connexe : Yiddish.

Origine du nom Ashkenaz

Le nom Ashkenaz provient de la Bible. Dans la Table des peuples, Askenaz est l’un des arrière-petits-fils de Noé lui même fils de Japhet (Genèse, X, 3 ; I Chroniques, I, 6) ; il désigne également la Scythie. Les Scythes étaient un peuple nomade des steppes de la Russie méridionale (jusqu’au nord du Caucase). En effet, le terme hébreu Ashkenaz venait du nom persan des Scythes, Ashkouza. Durant le Xe siècle - siècle au cours duquel l’existence de l’Empire khazar fut dévoilée aux autres populations juives (sépharades, orientales) par le biais de la Correspondance khazare, entre l’homme d’État espagnol sépharade Hasdaï ben Shatprut et le roi juif des Khazars, Joseph -, le rabbin Gershom de Metz (appelé aussi Gershom de Mayence) et surtout Saadia Gaon ont nommé les Khazars Ashkenazim (« habitants du royaume Ashkenaz »). Il s’agit de deux personnalités très influentes du monde juif de l’époque, en particulier Saadia Gaon théologien auteur d’un des premiers traités philosophiques en rapport avec la religion juive. Il se trouve que l’Empire Khazar se trouvait précisément sur le territoire où vivaient les Scythes une dizaine de siècles plus tôt, à l’époque de l’écriture de la Bible. Ces deux personnalités (il a certainement dû y en avoir d’autres) avaient alors interprété comme une prophétie le passage de la Bible (ce livre étant à l’époque LA source historique de référence, incontestable) du livre de Jérémie (51,27) où le prophète appelle « les royaumes d’Ararat, de Minni, et d’Ashkenaz » pour se dresser contre Babylone ; en effet, à cette période les Khazars menaient des guerres incessantes contre l’avancée des troupes du califat de Bagdad (région géographique de l’ancienne Babylone).

Origine possible ou partielle des Ashkénazes: les Khazars

Certains auteurs (Ernest Renan, Marc Bloch, Arthur Koestler, Shlomo Sand) affirment que la majeure partie des Juifs d’Europe de l’Est provient d’un peuple turc converti au judaïsme au VIIIe siècle, les Khazars. Cette thèse est toujours controversée, tant d’un point de vue historique et politique que génétique.

Références

  1. Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, CERF, Paris, 1996, articles achkenaze, monde et achkenazim.
  2. Genèse, 10,3 sur Sefarim - Bible du Grand-Rabbinat.
  3. Almut Nebel, Dvora Filon, Marina Faerman, Himla Soodyall and Ariella Oppenheim. "Y chromosome evidence for a founder effect in Ashkenazi Jews", (European Journal of Human Genetics (2005) 13, 388–391. doi:10.1038/sj.ejhg.5201319 Published online 3 November 2004)
  4. Almut Nebel, Dvora Filon, Bernd Brinkmann, Partha P. Majumder, Marina Faerman, Ariella Oppenheim. "The Y Chromosome Pool of Jews as Part of the Genetic Landscape of the Middle East", The American Journal of Human Genetics (2001), Volume 69, number 5. pp. 1095–112
  5. Patrick Desbois, prix 2008 de l’Amitié Judéo-Chrétienne, secrétaire du Service National des Évêques de France pour les Relations avec le Judaïsme (SERJ) et consultant auprès du Vatican, est également président de l'association Yahad - In Unum, qui mène des recherches en Ukraine sur les victimes juives des Einsatzgruppen.
  6. Cf. Patrick Desbois, Porteur de mémoires, éd. Michel Lafon, 2007; rééd. Flammarion, 2009 et La Shoah par balles, l’Histoire oubliée, DVD MK2, 2008
  7. http://www.leava.fr/cours-torah-judaisme/pensee-juive/627_sefarade-achkenaze.php
  8. a et b (it) http://www.morasha.it/sbr/sbr_somekh.html
  9. Moïse Mendelssohn
  10. Rachi de Troyes, une grande figure médiévale de Les Juifs en terre Chrétienne de Judaiques Cultures, sur judaicultures.info.

Voir aussi

Liens et références externes

Bibliographie

  • (he) Abraham N. Poliak, La conversion des Khazars au judaïsme, 1941.
  • (he) Abraham N. Poliak, Kazarie : Histoire d’un royaume juif en Europe, Tel Aviv, 1951.
  • (en) D.M. Dunlop, The history of the Jewish Khazars, Princeton, 1954.
  • Arthur Koestler, La treizième tribu, Paris, Calmann-Lévy, 1976.
  • Kevin Alan Brook, The Jews of Khazaria, 2e édition, Lanham, MD: Rowman and Littlefield, 2006.

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Ashkénaze de Wikipédia en français (auteurs)

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