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Procès de Moscou
Les Procès de Moscou, qui se sont déroulés de 1936 à 1938, sont une série de procès truqués, spectaculaires, organisés par Joseph Staline, pour éliminer politiquement (et pour la plupart physiquement) les vétérans bolcheviks de la Révolution d'Octobre, qui avaient mené à bien la création de l'Union soviétique en compagnie de Lénine.
Sommaire
Objectif
Les procès de Moscou s'inscrivent dans la lignée des Grandes Purges des années 1930. En avril 1933, le Comité Central décrète une campagne d'épuration du Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS). Les procès touchent d'abord les premiers bolchéviks, ceux qui jouissent d'une forte popularité au sein de la population.
Pour les éliminer, il ne faut pas à Staline simplement les envoyer dans un goulag, ou bien les exécuter : il faut les discréditer au sein de la population.
C'est ainsi que des dossiers d'accusations seront créés de toutes pièces par le NKVD (la police politique). Des bolchéviks de la première heure seront accusés de haute trahison, de sabotages, d'assassinats et autres crimes du même genre.
Les procès de Moscou contribuent à la construction du totalitarisme stalinien. Loin d'être irrationnels, ils répondent efficacement à plusieurs objectifs essentiels pour Staline au moment où ils se déroulent :
- une prise en main plus étroite de l'appareil du Parti communiste : éliminer les vieux bolcheviks et d'une manière générale les cadres qui doivent leur position à leur engagement ou à leur valeur personnelle. Staline poursuit ici à grande échelle le travail qu'il avait entamé en tant que secrétaire général du Parti en 1922 : l'appareil doit être exclusivement composé de ses « créatures », plus dociles car dépendant totalement de lui. Non seulement les purges doivent tétaniser toute velléité de résistance, mais le cadre qui veut garder sa place et tous les privilèges matériels qui lui sont attachés doit se montrer encore plus servile que ses homologues.
- affermir le contrôle sur la société soviétique. Contrairement aux cadres de la Nomenklatura, les citoyens de base vivent la pénurie au quotidien. La carence en biens de consommation s'est aggravée avec l'abandon de la NEP, la déportation des « koulaks » et la collectivisation à outrance de 1929-30. Il faut expliquer cette pénurie persistante : comme il est évidemment exclu d'en rendre le système responsable, on recourt au vieux stratagème du complot : ce sont des « saboteurs » qui détruisent les vivres et empêchent le ravitaillement des citadins. Si ces saboteurs sont de vieux bolcheviks, au-dessus de tout soupçon, on comprend pourquoi ils ont pu œuvrer sans éveiller la méfiance dans la société soviétique. On ne peut alors que resserrer les rangs autour de Staline, dont seule la clairvoyance a permis de débusquer les « traîtres trotskistes »...
- réaliser les « grands projets » qui montreront au monde la supériorité du modèle soviétique. À côté des procès de cadres, à grand spectacle, retransmis par la radio (avec les aveux « spontanés » des inculpés), les grandes purges frappent jusqu'au niveau le plus modeste les râleurs, les contestataires et autres asociaux qui rechignent à accomplir « le plan quinquennal en quatre ans ». Condamnés à la déportation, ils vont rejoindre le Goulag, main d'œuvre esclave indispensable pour construire dans des conditions impossibles les grands barrages d'Ukraine, les canaux du Nord et les villes de Sibérie.
Les différents procès
Il y eut quatre procès clés menés par le procureur général Andrei Ianourievitch Vychinsky :
- celui des 16 (août 1936)
- celui des 17 (janvier 1937)
- des généraux de l'Armée rouge (juin 1937)
- celui des 21 (mars 1938)
La particularité de ces « procès » est l'absence totale d'avocat et bien souvent les aveux des accusés ont été obtenus après plusieurs semaines de torture et de menaces sur leurs familles.
En ce qui concerne l'opinion publique, elle était préparée par les journaux à la « trahison » de la vieille garde bolchévique. C'est ainsi que les rédacteurs recevaient des ordres pour accuser des pires crimes les futurs accusés.
Procès des 16
Le procès dit du Centre terroriste trotskyste-zinoviéviste se déroula à Moscou du 19 août au 24 août 1936.
Voici la liste complète des accusés :
- Grigori Zinoviev
- Lev Kamenev
- Grigori Evdokimov
- Ivan Bakayev
- Sergei Mrachkovsky
- Vagarshak Ter-Vaganyan
- Ivan Smirnov
- Ephim Dreitzer
- Isak Reingold
- Richard Pickel
- Edouard Holtzman
- Fritz David
- Valentine Olberg
- Konon Berman-Yurin
- Moissei Lurye
- Nathan Lurye
Les accusations vont de terrorisme, à l'assassinat de Kirov, en passant par le sabotage et la préparation d'assassinat de plusieurs hauts responsables du gouvernement soviétique comme Staline.
Le verdict est la condamnation à mort pour tous. Les condamnés sont exécutés dans les vingt-quatre heures.
Procès des 17
Un deuxième procès, dit du Centre antisoviétique trotskyste de réserve, s'ouvre le 23 janvier 1937, cette fois, 17 personnes, principalement des hauts responsables économiques, seront accusées :
- Gueorgui Piatakov
- Karl Radek
- Grigori Sokolnikov
- Nikolai Muralov
- Mikhail Boguslavsky
- L. Serebriakov
- V.V. Arnold
- I.Y. Hrasche
- I. Livchitz
- I. Knyazev
- Y. Turok
- S Rataitchak
- B. Norkine
- A. Chestov
- M. Stroilov
- P. Pouchine
- Y.N. Drobnis
L'accusé-vedette est Gueorgui Piatakov.
Les accusations sont presque les mêmes que pour le procès précédent. S'y ajoutent les contacts avec des pays étrangers et l'appartenance aux services secrets allemand (nazi) ou tchécoslovaque. Le procureur est toujours Vychinsky. À l'exception de Sokolnikov, Radek, Arnold et Sroilov (condamnation de 8 à 10 ans de camp), les autres seront tous condamnés à mort le 30 janvier 1937 et exécutés le jour suivant.
Procès des généraux de l'Armée rouge
Un troisième procès s'ouvre en mai-juin 1937. Instruit en secret, il se déroule à huis clos et vise exclusivement les plus hauts généraux de l'Armée rouge. Parmi les accusés il y a :
- Mikhaïl Toukhatchevski (Maréchal et vice-commissaire à la Défense)
- Iona Yakir (Commandant la région militaire de Kiev)
- Ieronim Ouborevitch (Commandant la région militaire de Biélorussie)
- Robert Eideman (Chef de l'organisation de la défense civile)
- Avgust Kork (Chef de l'Académie militaire)
- Vitovt Poutna (attaché militaire à Londres)
- Boris Feldman (Chef de l'administration de l'Armée rouge)
- Vitali Primakov (Commandant adjoint de la région militaire de Léningrad)
Yan Gamarnik, chef de l'administration politique de l'Armée rouge, également inculpé s'était suicidé le 31 mai 1937.
Ils sont accusés de trahison, espionnage et complot sous l'appellation d'Organisation militaire trotskiste antisoviétique. Les accusés auraient avoué leur participation sous la torture. Ils sont tous condamnés à mort par un tribunal militaire sous la présidence du juge civil Vassili Ulrikh, et exécutés le 11 juin 1937. De nombreux membres de leur famille seront aussi exécutés ou déportés.
Tous ces accusés furent réhabilités le 31 janvier 1957.
Les épurations du parti de 1929 et 1933 avaient peu touché le personnel militaire. Dans les semaines qui suivent le procès et jusqu'à la mi-1938, de nombreux officiers et soldats, n'épargnant non plus les commissaires politiques, firent l'objet l'une épuration de masse par emprisonnement ou exécution.
Procès des 21
Ce procès, dit du Bloc des droitiers et des trotskystes antisoviétiques se déroule du 2 au 13 mars 1938. Les principaux accusés sont :
- Alexeï Rykov
- Nikolaï Boukharine
- Nikolaï Krestinsky
- Christian Rakovsky
- Guenrikh Iagoda
- Arkady Rosengoltz
- Vladimir Ivanov
- Mikhail Chernov
- Grigori Grinko
- Isaac Zelensky
- Akmal Ikramov
- Faizulla Khodjayev
- Vasili Sharangovich
- Prokopy Zubarev
- Pavel Bulanov
- Lev Levin
- Ignaty Kazakov
- Veyamin Maximov-Dikovsky
- Pyotr Kryuchkov
- Sergueï Bessonov
- D. Pletnev
Dans la même veine que les précédents procès, ils furent accusés de complot visant à assassiner Staline, conspiration pour détruire l'économie et la puissance militaire du pays, de travailler avec les services d'espionnage de l'Allemagne, de la France, du Japon ou encore du Royaume-Uni. Des accords secrets aurraient également été conclu avec l'Allemagne et le Japon.
Tous sont passés aux aveux, à l'exception de Krestinsky, mais qui le jour suivant avoua tous les chefs d'accusations. À l'exception de Pletnev (25 ans), Rakovsky (20 ans) et Bessono (15 ans), tous les accusés sont condamnés à mort.
"Le verdict de la Cour fut accueilli, titra la Pravda du 13 mars, par de nombreuses manifestations de joie populaire." Nicolas Werth, Les procès de Moscou, Éditions Complexe p. 42
L'exécution de Genrikh Iagoda, qui fut à la tête du NKVD durant les premiers moments de la Grande Purge, n'a pas vraiment marqué la fin de cette période de terreur. Elle diminua notablement avec l'éclatement de la « Grande Guerre Patriotique » contre l'Allemagne nazie, mais c'est véritablement avec la mort de Staline, en 1953, que les choses commencèrent à changer.
Résultats des procès
Au final, tous les membres du Politburo du temps de Lénine ont été jugés, à l'exception de Staline, Mikhaïl Kalinine et Viatcheslav Molotov.
Staline a arrêté ou fait exécuter la plupart des bolcheviks de la révolution russe de 1917. Sur les 1966 délégués du Congrès de 1934, 1108 sont arrêtés. Sur les 139 membres du Comité central, 98 sont arrêtés. Trois cinquième des maréchaux soviétiques et un tiers des officiers de l'Armée rouge ont été arrêtés ou/et fusillés. En dehors des prisonniers politiques, plusieurs millions d'autres sont morts durant les purges.
L'accusé principal, Léon Trotsky, (expulsé d'URSS en janvier 1929) a réussi à échapper aux procès en partant en exil. Mais il fut retrouvé au Mexique par Ramón Mercader, un agent du NKVD qui l'exécuta le 21 août 1940 sur ordre de Staline.
Fiction
Dans les années 1940, Arthur Koestler se base sur les Procès de Moscou pour relater, dans son roman Le Zéro et l'Infini, l'histoire imaginaire d'un haut responsable communiste, Roubachof, qui se retouve accusé par le régime soviétique, tout comme les véritables accusés des années 1930.
Voir aussi
Bibliographie
- Ouvrages classés par ordre chronologique de parution
- Pierre Broué, Les procès de Moscou, coll. Archives Julliard, 1964
- Pierre Broué, Les procès de Moscou, collection les causes célèbres, édition Edito-Service S.A. Genève, 1972
- Victor Serge, 16 fusillés à Moscou, éditions Spartacus, 1972
- Michel Heller et Aleksandr Nekrich, L'utopie au pouvoir. Histoire de l'U.R.S.S. de 1917 à nos jours, Calmann-Lévy, 1982
- Collectif, Le Livre noir du communisme. Crimes, terreur, répression, Collection Bouquins, Éditions Robert Laffont, 1997
- Nicolas Werth, Les Procès de Moscou : 1936-1938, seconde édition de juillet 2006 (ISBN 2-8048-0101-2)
- Nicolas Werth, La terreur et le désarroi. Staline et son système, coll. Tempus, éditions Perrin, Paris, 2007
Articles connexes
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