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Postmodernisme
Pour les articles homonymes, voir Postmodernisme (homonymie).Le postmodernisme est un paradigme esthétique, inventé au tournant des années 70 par le critique littéraire Ihab H. Hassan et redéfini par le critique d'architecture Charles Jencks[1], qui prône un rapport ironique aux traditions historiques et refuse toute vision linéaire du progrès[2].
Dans Le Langage de l'architecture post-moderne, paru à Londres en 1977[3], qui se veut être le livre-manifeste de ce mouvement en ce qui concerne l'architecture[4], Charles Jencks réinscrit l'architecture dans le fil d'une histoire générale des mouvements artistiques, incite à un retour aux compositions et aux motifs empruntés au passé[5], à un éclectisme s'appuyant sur un regard nouveau portant aussi bien sur la culture populaire et son expression architecturale (le « vernaculaire commercial » de Robert Venturi[6]), que sur la culture savante (le « néoclassique » de Ricardo Bofill).
Le postmodernisme est un courant majeur de la création architecturale, et plus généralement artistique, de la fin du XXe siècle. Il a introduit une distance critique par rapport au discours moderniste devenu hégémonique. Considéré aux USA comme un terme purement stylistique, le postmodernisme est la réintroduction de l'éclectisme en architecture, mais en englobant aussi le Modernisme et le Style international, reconsidérés comme de simples moments de l'histoire de l'architecture avec lesquels on a pris ses distances. Mais en Europe, ce discours critique porte aussi sur la décontextualisation sociale, politique[7] et géographique de l'urbanisme moderne admettant des contre-propositions comme celles de Christopher Alexander ou de François Spoerry[8].
Le paradigme du postmodernisme a été repris, généralisé à l'ensemble de la culture, et critiqué par le philosophe Jean-François Lyotard, avec la publication en 1979 de La condition postmoderne - rapport sur le savoir puis, au cours des années 80, des lettres ouvertes recueillies dans Le postmoderne expliqué aux enfants. Cette description du postmoderne a souvent été comprise, à contresens, comme prescriptive, en particulier aux États-Unis, où Lyotard a été perçu comme le chantre d'une nouvelle ère[9].
D'autres généralisations lui ont succédé : Celle de Frederic Jameson en 1984, de Hassan lui-même en 1982, etc.
Bien que généalogiquement toutes liées, les différentes acceptions du paradigme postmoderne, foisonnantes, en sont souvent venu à se corriger voire à s'exclure mutuellement. Il convient donc d'être toujours attentif à l'auteur auquel on se réfère pour éviter les contresens.
Sommaire
L'esthétique postmoderniste
Recyclage de formes préexistantes : citation, pastiche, parodie
Si le modernisme se caractérise par la recherche de l'originalité et la volonté de création de formes nouvelles, inédites, insolites, le postmodernisme admet qu'il réutlise des formes préexistantes, y compris les plus familères. Là où Le Corbusier veut renouveler complètement non seulement le style des bâtiments mais la conception même de l'habitat, un architecte tel que Ricardo Bofill utilise des principes de composition et des éléments décoratifs empruntés à l'art classique ou antique (colonnes, frontons, etc.). L'innovation moderne se fonde toujours sur l'oubli ou l'ignorance des traditions propres à chaque art, lesquelles sont considérées comme un frein à une véritable création. Ce qui caractérise au contraire l'artiste postmoderne, et son originalité, c'est qu'il a sû acquérir une maîtrise assez parfaite de l'histoire et des techniques les plus académiques de son art.
Les références à l'art du passé peuvent prendre des formes très diverses, depuis l'utilisation de détails stylistiques jusqu'à l'application rigoureuse de règles formelles anciennes, telles que la composition, la symétrie, l'ordonnancement, etc... Les modalités peuvent également varier, de l'hommage à la citation ironique. Mais le plus caractéristique de l'attitude postmoderne est l'« hommage ironique » qui joue sur l'ambiguïté : ainsi l'hommage à Nijinski du sculpteur Barry Flanagan présente un lièvre burlesque dans une pose du danseur.
Syncrétisme esthétique : collage, mixage et mélange
L'œuvre postmoderne se présente souvent comme un collage d'éléments hétéroclites sans souci d'harmonie. On prendra pour exemple le roman At swim-two-birds de l'Irlandais Flann O'Brien qui met bout à bout des textes de genres aussi divers que le western et l'épopée médiévale, en passant par le conte de fées et le vaudeville.
Les procédés du collage et du détournement ne sont pas en eux-mêmes des spécificités du post-modernisme puisque c'est le surréalisme qui les a proposés. Les romans modernistes de la trilogie U.S.A. de John Dos Passos ou ceux de la trilogie Les somnambules de Hermann Broch se présentent également sous forme de collages de textes appartenant à des genres divers. Mais dans ces deux cas, le but recherché est d'effectuer une synthèse entre ces éléments pour appréhender une réalité complexe : les États-Unis pendant la grande dépression pour Dos Passos, la perte des valeurs en Europe occidentale pour Broch.
L'artiste postmoderne recherche au contraire le contraste entre les différents éléments et l'effet de distanciation qui en résulte.
Culture populaire et culture élitaire
Si le postmodernisme efface le temps et l'espace pour rendre toute la culture immédiatement présente, il efface aussi la hiérarchie entre culture élitaire et culture populaire. On peut citer par exemple l'adoption et le détournement de genres populaires par des écrivains : roman policier dans Cosmos de Witold Gombrowicz, roman d'espionnage dans Lac de Jean Echenoz, etc.
Un exemple particulièrement frappant de cet effacement est la convergence entre l'art contemporain et la publicité. Ainsi de l'Américain Andy Warhol, chef de file du pop art, qui fut publicitaire avant de devenir artiste et dont l'œuvre repose sur l'imaginaire populaire (marques, stars, clichés, etc.). À l'inverse, on voit de nombreuses publicités détourner des œuvres de l'histoire de la peinture.
De fait, la seconde moitié du XXe siècle est marquée par l'explosion de la culture de masse, relayée par une industrie des médias toujours plus puissante. Cette culture médiatique touche toutes les classes sociales et devient l'un des fondements de l’imagination collective.
L'ironie postmoderne
L'ironie est considérée comme la caractéristique essentielle du postmodernisme. Plus généralement, on peut considérer que là où le modernisme place l'auteur et la création au centre de son esthétique, le postmodernisme fait jouer ce rôle à l'interprétation et au public. C'est pour cette raison qu'on lui a reproché de se conformer aux impératifs du marketing[10], ce qui serait juste si il n'existait pas le décalage ironique qui assume tout aussi bien le fait de déplaire, ou d'irriter.
Le simple fait d'apporter un regard nouveau sur un texte ou une œuvre picturale amène à en faire une œuvre nouvelle. Le plasticien Jeff Koons s'est ainsi rendu célèbre en transformant des objets kitsch en œuvres d'art. Ce regard ironique se pose aussi naturellement sur l'œuvre postmoderne elle-même, et aboutit à l'autocommentaire. On pourra citer l'exemple de Feu pâle de Vladimir Nabokov, formé d'un récit poétique et du commentaire de ce récit, ou de L'œuvre posthume de Thomas Pilaster d'Éric Chevillard qui fonctionne sur le même principe. On est proche ici de l'effet de distanciation théorisé par Bertolt Brecht ou Victor Chklovski.
Ce qu'il y a de commun aux artistes postmodernes, c'est la faculté de reprendre et de faire revivre les codes traditionnels les plus sérieux, en évitant de se prendre au sérieux, sans toutefois les déconsidérer en tombant dans des formes de dérision.
Épistémologie moderne et ontologie postmoderne
Le critique Brian McHale compare la différence existant entre le modernisme et le postmodernisme à celle qui sépare l'épistémologie (théorie de la connaissance) et l'ontologie (théorie de l'être). Ainsi, le modernisme cherche à construire une image fidèle du monde réel, en dépassant les limites de la perception humaine. Le postmodernisme s'interroge plutôt sur le statut du monde fictionnel créé par l'œuvre d'art et son rapport au monde réel. L'exemple par excellence en est la vertigineuse nouvelle Tlön, Uqbar, Orbis Tertius (publiée dans le recueil Fictions) de Jorge Luis Borges dans laquelle le monde réel est peu à peu colonisé par le monde fictionnel de Tlön. Il est clair que le postmodernisme se veut ainsi bien éclectique.
Le problème des précurseurs
Le postmodernisme est-il une ère nouvelle lié au développement du capitalisme postindustriel ou un aspect qui a toujours existé ? On peut en effet constater que de nombreuses caractéristiques de l'esthétique postmoderne se retrouvent dans des œuvres du passé, en particulier « l'ironie du double exact »[11], ou le retour à un emploi décalé des figures du classique et du baroque, une sorte d'esthétique du mauvais goût qui permet de resaisir sans lyrisme des valeurs esthétiques démodées.
En littérature, si les prémisses du postmodernisme apparaissent dans At Swim-two-Birds de Flann O'Brien (1939) ou dans Le chiendent de Raymond Queneau (1933), on remarque que ces auteurs ne font que continuer une tradition qui remonte au XVIIIe siècle avec des oeuvres comme Jacques le fataliste, de Diderot ou Le voyage sentimental de Sterne, en passant par Alfred Jarry (Gestes et opinion du docteur Faustroll, pataphysicien).
En architecture, on retrouvera des éléments postmodernes dans l'architecture de la Sécession viennoise, celle de Constantin Melnikov, celle de l'architecte slovène Jože Plečnik, des principes retrouvés chez Robert Mallet-Stevens, ou beaucoup plus avant au XVIIIe siècle dans les oeuvres les plus étranges de Boulée et Ledoux.
Il reste toutefois que le postmodernisme dans les arts plastiques ne devient un mouvement artistique qu'à la fin des années 1970 avec le manifeste de l'historien de l'art Charles Jencks qui lui donne son nom et le définit.
Exemples d'œuvres et artistes postmodernes
Nous présentons ci-dessous une liste succincte d'œuvres caractéristiques du postmodernisme, sans prétendre à l'exhaustivité. Des articles spécialisés ou des catégories permettent d'approfondir les différents aspects du postmodernisme.
Architecture
Article détaillé : Postmodernisme (architecture).- Manolo Nunez, Les Arènes de Picasso, à Noisy-le-Grand.
- Philippe Panerai, Tribunal administratif de Versailles.
- Mario Botta, la Maison ronde, et la partie de son oeuvre de composition classique.
- James Wines, Notch project, supermarché Best, 1977, Sacramento
- James Frazer Stirling, Michaël Xilford et associés, le Théâtre de chambre à Stuttgart, 1979
- Michael Graves, le Portland Public services public, 1980, le Sans Juan Capistrano public librairy 1981, etc..
- Ricardo Bofill, quartier Antigone à Montpellier
- Aldo Rossi, Il teatro del mondo, théâtre flottant pour la biennale, 1981, Venise
Mode
Musique
Populaire
Dans un colloque tenu à Paris en octobre 1997, François Chaslin établit la correspondance entre les mouvements Punk et du Postmodernisme, mais en montrant l'inversion des positions: le Punk étant anti-moderne parce qu'il pousse la modernité jusqu'au le paroxysme de l'individualisme qui n'est plus viable, et c'est finalement dans la sortie du Punk, le Post-punk, qu'on voit émerger, en musique aussi bien que dans la mode, les mêmes principes de reprise distanciée eou ironique de figures classiques ou canoniques[12].
Article détaillé : Post-Punk.Classique
Article détaillé : Musique postmoderne.Arts visuels
- Samuel Bak
- Claude Verlinde
- Jeff Koons, Balloon Dog
Littérature
Article détaillé : Post-modernisme (littérature).- Paul Auster, Trilogie new-yorkaise
- Donald Barthelme, Le Roi
- Svetislav Basara, "Guide de mongolie"
- Jorge Luis Borges, Fictions
- Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur
- Michael Cunningham, Les Heures
- Vladimir Nabokov, Feu pâle
- Thomas Pynchon, L'Arc-en-ciel de la gravité
- Ferenc Rákóczy, Éoliennes
- Philippe Sollers, Femmes
- Alexandre Vialatte
Voir aussi catégorie:Postmodernisme (littérature)
Philosophie
Il est difficile d'envisager sous un même concept le mouvement du postmodernisme dans les arts et ce que les philosophes appellent le postmoderne.
Notes et références
- ↑ Les mots post-moderne et post-modernisme, appliqués aux arts de l'espace, apparaissent pour la première fois dans une conférence prononcée par Charles Jenks en 1975 à Eindoven, avec la volonté de clore le mouvement moderne. Dans l'introduction du Langage de l'architecture post-moderne, Jencks explique que, lorsqu'il commençait à écrire ce livre en 1975, « le mot et le concept de postmoderisme n'avaient été utilisé que dans la critique litéraire. (...) mais dans le sens d'ultra-moderne, par référence aux romans extrémistes de William Burroughs et à une philosophie du nihilisme et de l'anticonvention. Je connaissais ces écrits, ceux d'Ihab Hassan, et d'autres, mais j'utilisais le mot pour signifier le contraire de tout ceci: la fin de l'extrémisme d'avant-garde, le retour partiel à la tradition, et le rôle central de la communication avec le public : l'architecture est l'art public par excellence ».
- ↑ Chez Jencks, il s'agit de liquider l'inderdit de l'historicisme en architecture moderne. Voyez: L'a-historicisme du Bauhaus et ses conséquences", par Bruno Zevi.
- ↑ La même année Robert Stern parle du postmodernisme dans plusieurs revues comme Architectural design, et le définit par « trois aspects : le contextualisme, la référence historique et l'emploi de l'ornement ». C. Ray Smith publie à New York Hypermanièrisme, Nouvelles tendances de l'architecture postmoderne.
- ↑ William J R Curtis conteste le rôle d'initateur auquel prétend Jencks. Il voit plutôt en lui un simple compilateur : « Le critique Charles Jencks a rassemblé un étrange assortiment de constructions destiné à illustrer la nouvelle tendance (...) Ni l'auteur ni les exemples choisis ne montraient un grand intérêt pour l'authenticité de l'expression (« postmodernisme ») ; les bâtiments trahissaient tous cette démarche superficielle faisant des modèles d'architecture précédents des amplificateurs de références ou de citations et guère plus. » in L'architecture moderne depuis 1900, troisième édition, Phaidon, 2004, p. 602.
- ↑ L'ornement est progressivement réhabilité des anathèmes d' Adolf Loos, d'abord esthétiquement par Robert Venturi, puis anthropologiquement dans Recherches sur les fonctions sociales de l'ornement, par Louis Maitrier.
- ↑ Learning from Las Vegas, par Robert Venturi
- ↑ Charles Jenks renvoie judicieusement à la définition que donne Hannah Arendt de l'« Espace public » qui est un chapitre de La Condition de l'homme moderne...
- ↑ Charles Jenks rapporte une conversation en 1977 avec Maurice Culot « un des responsables de l'ARU à Bruxelles qui a passé dix jours à Port Grimaud pour discuter avec l'architecte » et qui lui confiera que « ce type de réalisation était ce qui convenait pour le peuple, mais que ses responsables communistes locaux restaient trop attachés aux modèles d'urbanisme des années 1930. » Dès 1972, Henri Lefebvre était venu tenir son séminaire de sociologie urbaine à Port Grimaud.
- ↑ François Cusset, French theory, chapitre 12.
- ↑ « Les livres de Jencks (qui lança comme un produit de lessive le vocable de postmodernisme) sont un plaidoyer pour le clientélisme : sondez d'abord les goûts de votre commanditaire avant de vous décider pour le style moderniste de Le Corbusier, le style néo-palladien ou le folklorisme ottoman... » (Y.-A. Bois, 1985).
- ↑ Expression utilisée à propos des parodies décalées de la mode New-Wave, par Hector Obalk et Alain Soral dans Les Mouvements de mode expliqués aux parents, 1984.
- ↑ « 1977, c'est une date tout à fait charnière dans l'histoire des sensibilités contemporaines et dans l'histoire des doctrines et des styles, particulièrement en architecture. C'est l'année où deux mouvements anti-modernes qui couvaient bien sûr depuis longtemps - l'histoire se joue sur la durée, trouvent leur nom : l'un est le post-modernisme - que vous attendiez tous, et l'autre que vous attendez peut-être moins, c'est le punk. C'est très exactement ... pour exprimer le malheur le plus contemporain de la dimension moderne du punk, le film de Mathieu Kassowitz, La Haine', qui se situera à nouveau dans un grand ensemble d'Émile Aillaud, celui de Chanteloup. Le slogan des punks no future ! est l'inévitable complément (contrepoint?) du slogan post-moderne présence du passé, même refus du moderne. L'un, le punk, est destructeur, plus exactement destroy, il est un peu noir et satanique, il pense qu'il ne faut plus croire en rien, l'autre est angélique, et il pense qu'il y a des valeurs, elles ont été perdues, négligées, qu'il faut renouer avec elles par un retour à la tradition. » (1997)
Bibliographie
- Hannah Arendt, La Condition de l'homme moderne (1959), 1984 trad. française
- Christopher Alexander, Fonctions de l'architecture moderne, 1975
- Bruno Zevi, L'a-historicisme du bauhaus et ses conséquences (1976)
- Christopher Alexander, (en)A Pattern Language : Towns, Buildings, Construction. (1977) New York, Oxford University Press, non traduit
- Peter Blake (architecte), Forms folows fiasco (1978) traduction française en 1980
- Charles Jencks, Le Langage de l'architecture post-moderne (1979)
- Robert Venturi, (en)D Scott Brown, L'enseignement à Las Végas, ou la Symbole oublié de la forme architecturale (1979)
- Gilles Deleuze, Le Pli - Leibniz et le baroque, 1988, Minuit
- Philippe Muray, Le XIXe siècle à travers les âges, 1984, Denoël
- Anthony Giddens, Les Conséquences de la modernité, trad française 2002, L'Harmattan
- Rosalind Krauss, L'originalité de l'avant-garde et autres mythes modernistes
- Arthur Danto, L'art contemporain et la clôture de l'histoire
- Bruno Latour, Nous n'avons jamais été modernes, 2002
- (en)Brian McHale, Constructing postmodernism
Voir aussi
- Postmodernisme (architecture)
- Post-modernisme (littérature)
- Postconstructivisme
- Néoclassicisme
- Palladianisme
Liens externes
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