- Paranoïa
-
Pour les articles homonymes, voir Paranoïa (homonymie).
Paranoïa
Classification et ressources externesCIM-10 F20.0, F22.0, F22.8 CIM-9 295.3, 297.1, 297.2 MeSH D010259 La paranoïa (du grec παράνοια (paranoia) : une des formes de folie, des mots παρά (para) : à côté de et νόος (noos) : pensée, esprit[1]) est une maladie mentale lourdement influencée par l'anxiété ou la peur, souvent jusqu'à un point d'irrationalité et de délire (délire paranoïaque). La pensée paranoïaque inclut typiquement des croyances de persécution concernant une menace perçue envers les individus. Historiquement, cette caractérisation est utilisée pour décrire un état délirant.
Il est opportun d'en différencier la personnalité paranoïaque, qui est un caractère particulier chez certains sujets, mais sans développement d'un délire (même si une personnalité paranoïaque peut évoluer vers une authentique paranoïa). Au début du XXIe siècle, dans un sens dérivé, le langage commun ou journalistique utilise le terme « paranoïa » pour rendre compte d'états comme la méfiance, la suspicion ou le scepticisme, qui ne sont pas pathologiques.
Sommaire
Historique
Historiquement, le terme de paranoïa était utilisé en Allemagne tout au long du XIXe siècle pour qualifier tout type de délire. En 1879, Richard von Krafft-Ebing isole les formes hallucinatoires (paranoïa hallucinatoria) des autres délires (paranoïa combinatoria). Emil Kraepelin définit plus précisément la paranoïa à la fin du XIXe siècle comme le « développement lent et insidieux d'un système délirant durable et impossible à ébranler, et par la conservation absolue de la clarté et de l'ordre de la pensée, du vouloir, et de l'action[2]. »
Dès lors, la paranoïa est définie comme un délire chronique, organisé, structuré, logique dans son développement, comportant le plus souvent un sentiment de persécution, entraînant une forte adhésion du patient, mais n'entravant pas les autres fonctions psychiques. Ce type de délire, dit délire paranoïaque apparaît préférentiellement chez des sujets marqués par un trouble de la personnalité paranoïaque pré-existant.
En français, l'adjectif qui correspond à paranoïa est « paranoïaque », et il ne doit pas être confondu avec le terme « paranoïde », de sens très différent (dans l'expression délire paranoïde) et utilisé pour décrire certains types de schizophrénie.
Troubles
Le diagnostic de troubles de la personnalité suppose, chez les personnes affectées, un ensemble de traits de personnalité fixes et rigides apparaissant généralement lors de l'adolescence, ou au début de l'âge adulte, et remarquablement stables dans le temps. Ils entraînent soit une souffrance, soit des dysfonctionnements.
Il est d'usage de distinguer deux types de personnalités paranoïaques : la personnalité (ou caractère) paranoïaque proprement dite, et la personnalité dite « sensitive ». Ils sont susceptibles de diverses complications. Cependant, dans certaines situations (syndrome dépressif, trouble anxieux, stress) on peut observer des traits qui pourraient faire évoquer une personnalité sensitive, mais qui sont liés à l'état psychologique, et donc contextuels, transitoires et réversibles. Dans ces cas, il ne s'agit pas de troubles de la personnalité.
Ce trouble affecte de 0,3 à 2,5 % de la population générale[3]. D'un point de vue sémiologique, les personnalités paranoïaques se caractérisent par quatre traits fondamentaux qui entraînent à terme une difficulté d'adaptation sociale :
- La surestimation pathologique de soi-même ;
- La méfiance extrême à l'égard des autres ;
- La susceptibilité démesurée ;
- La fausseté du jugement.
Diagnostic
Le DSM-IV définit le trouble de la personnalité paranoïaque et inclut les symptômes suivants[4],[5] :
- Une méfiance soupçonneuse envahissante envers les autres dont les intentions sont interprétées comme malveillantes, qui apparaît au début de l'âge adulte et est présente dans divers contextes, comme en témoignent au moins quatre des manifestations suivantes. La personne souffrant de paranoïa :
- s'attend sans raison suffisante à ce que les autres l'exploitent, lui nuisent ou le trompent ;
- est préoccupé par des doutes injustifiés concernant la loyauté ou la fidélité de ses amis ou associés ;
- est réticent à se confier à autrui en raison d'une crainte injustifiée que l'information soit utilisée de manière perfide contre lui ;
- discerne des significations cachées, humiliantes ou menaçantes dans des commentaires ou des évènements anodins ;
- garde rancune, c'est-à-dire ne pardonne pas d'être blessé, insulté ou dédaigné ;
- perçoit des attaques contre sa personne ou sa réputation, alors que ce n'est pas apparent pour les autres, et est prompt à la contre-attaque ou réagit avec colère ;
- met en doute de manière répétée et sans justification la fidélité de son conjoint ou de son partenaire sexuel ;
- Il ne survient pas exclusivement pendant l'évolution d'une schizophrénie, d'un trouble de l'humeur avec caractéristiques psychotiques ou d'un autre trouble psychotique et n'est pas nécessairement dû aux effets physiologiques directs d'une affection médicale générale.
Types
Il existe plusieurs types de la paranoïa possédant un certain nombre de caractères communs.
- Le trouble de la personnalité paranoïaque
- La schizophrénie paranoïaque
La personnalité sensitive est un type de personnalité paranoïaque marqué par un sens élevé des valeurs morales, l'orgueil (une haute estime de soi-même, qui conduit à se considérer comme jamais suffisamment reconnu à sa juste valeur), une hyperesthésie relationnelle entraînant une grande vulnérabilité dans les contacts sociaux, et une tendance à l'autocritique, à l'intériorisation douloureuse des échecs et à la susceptibilité. On ne retrouve pas l'hypertrophie du moi ni la quérulence présentes chez les autres personnalités paranoïaques.
Le tempérament hypersensible est également caractérisé par une sensibilité accrue aux stimuli, tant sensoriels qu'émotionnels[6], qui amène également à une plus grande introspection, un retrait, et éventuellement différents troubles associés, selon les circonstances. Plusieurs sont qualifiés de timides, mais pas tous. L'excès de méfiance, chez ces personnes, peut mener à la paranoïa, mais peut aussi favoriser un développement harmonieux. Les expériences de l'enfance ont une importance déterminante sur le développement du tempérament hypersensible[7].
Caractères communs
La paranoïa est une affection mentale chronique du groupe des psychoses. Elle survient en général entre 30 et 40 ans, chez des individus qui présentaient le plus souvent une personnalité paranoïaque préalable, et elle est centrée sur un délire. Le délire est un trouble du contenu de la pensée caractérisé par la permanence d'idées délirantes (c'est-à-dire des idées manifestement en désaccord avec la réalité et les croyances habituellement partagées) dont le sujet est convaincu[note 1]. Au cours de la paranoïa, ce délire est dit délire paranoïaque.
En contraste avec le délire paranoïde schizophrène, il est complètement différent du délire paranoïde observé quant à lui dans la schizophrénie. C'est une différence de nature et pas de degré qui existe entre les deux termes comme le montre le tableau suivant :
Délire paranoïde vs délire paranoïaque Délire paranoïde Délire paranoïaque Mécanisme délirant Mécanismes multiples (hallucinations, interprétations, etc.) Mécanisme principalement interprétatif Thématique délirante Thèmes multiples Thème unique (persécution, préjudice, complot, jalousie, etc.) Degré de systématisation du délire Non systématisé (pas de cohérence interne) Hautement systématisé Le délire paranoïaque présente donc plusieurs particularités :
- Il utilise presque uniquement pour s'édifier un mécanisme d'interprétation. Autrement dit, le sujet perçoit bien ce qui lui arrive, mais il attribue à son expérience un sens différent de la réalité (exemple : « Le feu est passé au rouge quand je suis arrivé en voiture, cela montre bien qu'on me surveille. »).
- Les thèmes (c'est-à-dire le contenu) du délire sont variés, mais concernent souvent des idées de persécution, de préjudice, de jalousie, de complot, etc.
- Le délire est dit hautement systématisé c'est-à-dire qu'il présente un fort degré de cohérence interne. Dans la mesure où il se développe de manière parfaitement cohérente et logique, même si cela est sur des prémisses fausses, il peut entraîner l'adhésion complète de l'auditeur.
- Enfin, le délire paranoïaque est dit :
- soit en secteur lorsqu'il reste limité à un domaine de la vie du patient (exemple : un homme délire sur le fait qu'il est trompé par sa femme, mais ne présente aucune idée délirante dans les autres secteurs de sa vie) ;
- soit en réseau, lorsque le délire concerne peu à peu tout le fonctionnement psychique du sujet et tous les secteurs de sa vie (comme dans la théorie du complot généralisé).
Le délire peut être en sourdine plusieurs années, avant que n'éclatent les troubles. Lorsque la maladie est déclarée, elle devient chronique, évoluant par poussées. Il existe trois types principaux de délires paranoïaques : délires passionnels, délire d'interprétation et délire de relation des sensitifs.
Différents délires
Il existe différents délires causés par la paranoïa. Les délires passionnels sont dits « passionnels » du fait de la nature du sentiment qui les inspirent : la passion[note 2]. Ces délires débutent par une première interprétation délirante de la réalité (par exemple : « Si ma femme est rentrée précipitamment dans sa chambre c'est qu'elle cache une liaison ») ou parfois par une intuition délirante initiale (par exemple : « Brutalement, j'ai tout compris pour ma femme, tout est devenu clair »). Ils se développent ensuite avec une forte charge émotionnelle qui peut provoquer un comportement dangereux. En revanche, le délire ne s'étend pas à d'autres domaines, il reste limité à un principal objet (délire en secteur).
Le délire érotomaniaque correspond à la conviction délirante d'être aimé secrètement par une personne généralement plus favorisée socialement.
Les délires de revendication systématisés et en secteur, essentiellement basés sur l'interprétation délirante. Ils reposent sur la croyance délirante en un préjudice subi, accompagné d'exaltation, de quérulence et d'agressivité. Il s'agit pour ces patients de « faire surgir la vérité » ou de « punir les coupables ». Ils incluent :
- l'idéaliste passionné : passionné par une cause (politique, mystique, sociale), il se fait une « mission » de la porter, de la transmettre de manière fanatique, et d'en être le prosélyte infatigable ;
- l'inventeur méconnu : cherchant à faire reconnaître son invention présumée ou l'antériorité de celle-ci par rapport à sa découverte « officielle » ;
- le quérulent processif : ayant la conviction délirante d'avoir été lésé, multipliant des recours en justice et des procédures contre ses persécuteurs présumés ;
- le délire de filiation : ayant la conviction délirante d'une ascendance illustre (souvent royale, aristocratique ou d'autre personnage en vue).
Les thèmes du délire, c'est-à-dire le contenu des interprétations, concernent des idées de persécution, de préjudice, de complot. L'évolution fait que, peu à peu, l'ensemble des évènements rencontrés par le sujet vont être rattachés au système délirant. Par exemple, si un proche, un collègue ou un médecin tente de rassurer le sujet en lui disant qu'il « se fait des idées », cela sera immédiatement interprété comme un signe d'appartenance au « complot ». C'est ce qu'on appelle un délire « en réseau » puisqu'il s'étend peu à peu à toute la vie psychique. Il concerne tous les domaines (affectif, relationnel et psychique) de la vie du sujet. L'évolution est chronique.
Le délire de relation des sensitifs s'installe chez l'adulte, chez des sujets qui présentaient antérieurement une personnalité marquée par la sensibilité. Un état délirant apparaît progressivement, généralement à la suite d'échecs ou de déceptions. Les thèmes du délire, c'est-à-dire le contenu des interprétations, concernent des idées de persécution, de préjudice, d'hostilité et de mépris dont le sujet serait victime, ou d'atteinte de ses valeurs morales. Le délire est en général limité au cercle proche du patient (sa famille, ses amis, ses collègues, ses voisins, etc). Il est vécu douloureusement et de manière solitaire. Il se complique généralement d'épisodes dépressifs parfois sévères. Contrairement à ce qui se passe dans les autres types de paranoïa, il n'y a pas de réaction d'agressivité envers l'entourage, peu de réactions bruyantes ni de dangerosité tournée vers autrui. Le risque suicidaire existe au cours des épisodes dépressifs. L'évolution est moins souvent chronique que dans les autres paranoïas.
Complications
Personnalité
Le risque est principalement l'évolution vers une psychose paranoïaque constituée. Elle n'est pas systématique, et le patient peut montrer jusque-là une parfaite adaptation sociale (normopathie).
Psychose
- Syndrome dépressif avec risque suicidaire (c'est dans la paranoïa sensitive que cela est le plus fréquent)
- Passage à l'acte hétéro-agressif sous-tendu par des motivations délirantes. Cela peut aller jusqu'au meurtre du persécuteur désigné.
Danger
Le danger psychiatrique des patients affectés par des psychoses paranoïaques n'est pas à négliger. Il est d'autant plus à craindre :
- qu'il existe un persécuteur désigné, c'est-à-dire un individu précis, jugé comme étant responsable des persécutions que le sujet pense endurer ;
- que le délire évolue de longue date et s'est enrichi au cours du temps ;
- qu'il existe un trouble de l'humeur concomitant ;
- qu'il existe un alcoolisme et/ou une consommation excessive de drogues.
Diagnostic différentiel
La paranoïa ne doit pas être confondue avec :
- la schizophrénie (pour laquelle il est souvent observé un repli sur soi, un syndrome dissociatif, associés à un délire de type paranoïde, quoiqu'une entité schizo-paranoïde existe, bien indiquée depuis Bleuler (1911), qui se présente tantôt en parallèle à la paranoïa comme forme mixte de cette entité, tantôt comme sa forme dominante) ;
- la psychose hallucinatoire chronique (le mécanisme du délire y est presque uniquement hallucinatoire) ;
- la paraphrénie (le délire est à thème fantastique, imaginatif, sans persécution) ;
- la bouffée délirante aiguë (il s'agit d'adultes plus jeunes, les troubles apparaissent brutalement et sont transitoires, de l'ordre quelques semaines à quelques mois) ;
- une confusion mentale ;
- un syndrome démentiel débutant (association à une détérioration mentale débutante) ;
- un trouble de l'humeur (certains cas de dépressions comportent un délire persécutif). Dans ce cas-là, les signes de paranoïa apparaissent de manière contemporaine au trouble de l'humeur ;
- des éléments paranoïaques qui sont fréquemment observés au cours des encéphalopathies alcooliques comme le syndrome de Korsakoff ; enfin,
- certaines tumeurs cérébrales, notamment dans la région du lobe frontal du cerveau, peuvent donner des tableaux évoquant la paranoïa.
Drogues
Certains produits tels que les drogues peuvent donner des réactions paranoïaques transitoires, on parle alors communément de bad trip ou de « trip parano ». Parmi les produits les plus souvent incriminés se trouvent :
- le cannabis et tous les dérivés du THC ;
- la cocaïne et le crack ;
- les hallucinogènes.
Traitements
Compte tenu du déni des troubles qui accompagne cette affection, bon nombre de personnes qui en sont atteintes restent sans suivi. Le délire paranoïaque installé est pris dans le caractère et prend le dessus sur la construction même de la personnalité. Souvent toute proposition de soins est interprétée comme une agression. Du fait des modalités relationnelles particulières des patients paranoïaques, et du risque que le soin amène un renforcement (ou une simple continuité) du processus paranoïaque, et à l'insu du thérapeute, la prise en charge n'est pas continûment possible en cabinet, et souvent elle est institutionnelle, faisant appel à une équipe pluridisciplinaire de soignants.
La relation thérapeutique avec le patient paranoïaque est difficile. Le risque est que le thérapeute soit initialement idéalisé, avant que cet amour ne se transforme en haine et en sentiment persécutif. Dans ces circonstances, il n'est pas rare que de tels patients développent une relation délirante avec leur médecin ou leur thérapeute. Il est ainsi important de garder toujours une position chaleureuse mais suffisamment distante, et de travailler en équipe autour du patient. Cette distance elle-même néanmoins peut apparaître au patient comme persécutrice et dévalorisante. Dans ce cas, il reste au thérapeute la ressource indiquée par Freud, d'inviter avec beaucoup de discrétion le patient à développer un peu d'humour[8].
Médicaments
Le traitement médicamenteux de fond de la psychose paranoïaque fait principalement appel aux neuroleptiques dits incisifs, c'est-à-dire possédant des propriétés antidélirantes (asenapine (en), halopéridol, risperidone, olanzapine...) qui permettent de réduire le délire sans parvenir toujours à le supprimer complètement. Au cours des phases dépressives et dans le délire de relation des sensitifs, un traitement antidépresseur peut être indiqué. Lors des exacerbations anxieuses, des périodes d'agitation ou de risque de passage à l'acte, un neuroleptique plus sédatif peut être prescrit (cyamémazine, chlorpromazine, lévopromazine...) de manière transitoire.
Psychothérapie
La place des psychothérapies dans le traitement est restreinte pour ces patients qui ne se considéreraient généralement pas comme malades et qui posséderaient de faibles capacités d'introspection et de remise en question. Elles sont cependant parfois amenées à être proposées dans certains cas, et quand le patient est coopératif, elles peuvent se révéler fructueuses, qu'elles soient conduites par un psychologue ou un médecin.
Hospitalisation
Idéalement, les soins s'organisent en ambulatoire, mais dans certains cas, une hospitalisation est nécessaire :
- lors de phases dépressives faisant courir un risque de passage à l'acte suicidaire, parfois accompagné d'homicide (suicide étendu) ;
- au cours des phases d'exacerbation délirante, surtout s'il existe un persécuteur désigné, c'est-à-dire une personne que le patient rend responsable des ennuis qu'il traverse (une personne à l'origine du complot contre lui, des persécutions qu'il endure, etc.). Dans ces cas-là, un risque d'agression voire d'homicide existe, faisant de l'hospitalisation une urgence absolue.
En France, l'hospitalisation doit alors se faire sur le mode de l'hospitalisation sous contrainte, et plus précisément de l'hospitalisation d'office (HO), mesure administrative décidée par le préfet et permettant l'hospitalisation des patients représentant un danger pour l'ordre public et la sûreté des personnes, lorsque ce danger est lié à un trouble mental. L'hospitalisation permet la prise en charge par une équipe soignante pluridisciplinaire, ce qui autorise le plus souvent un apaisement et une stabilisation des troubles si une relation thérapeutique parvient à être ébauchée. En effet l'hospitalisation sur demande d'un tiers (HSDT) cristallise souvent sur celui-ci le délire paranoïaque.
Théories
Il n'y a pas de cause univoque biologique ni génétique reconnue à la paranoïa. Pour la psychanalyse, la paranoïa trouve sa source dans une blessure narcissique précoce (lors des premières interactions entre un sujet, plus ou moins fragile, et son milieu, plus ou moins capable de le rendre encore plus vulnérable). Les premières identifications sont défaillantes et le trouble de la personnalité progresse souvent de manière latente jusqu'à l'adolescence. Freud et Lacan se sont intéressés à la psychanalyse de la paranoïa, notamment à travers l'étude de l'autobiographie d'un magistrat, le Président Schreber. Ils ont décrit des mécanismes de défense prévalents au cours de la paranoïa : le clivage du moi, la projection et le déni. Freud place l'homosexualité refoulée au cœur de la problématique paranoïaque, position qu'il maintiendra tout au long de son activité.
Utilisation du terme
- Une étude[9] du champ de la sociologie a mis en évidence que l'emploi abusif du terme paranoïa pouvait constituer un moyen de délégitimer la parole de groupes minoritaires.
- Selon certains auteurs, le fonctionnement paranoïaque pourrait être appliqué de manière collective à des groupes, notamment à certains groupes à fonctionnement totalitaire.
- Un diagnostic de paranoïa posé dans un contexte totalitaire est hautement suspect. Il a parfois été utilisé pour museler les opposants politiques en les faisant interner, comme en URSS : Alexandre Soljenitsyne fut ainsi considéré comme paranoïaque par les autorités de son pays. En URSS, les dissidents politiques russes étaient considérés comme paranoïaques et internés dans des hopitaux psychiatriques.
- La paranoïa entretient des liens étroits avec la théorie du complot. Il est parfois très difficile de faire la part des choses, les délires paranoïaques apparaissant souvent comme fortement logiques et cohérents, ils sont susceptibles de convaincre les auditeurs. Dans un certain nombre de cas, les individus affirmant connaître une théorie du complot et se faisant le devoir d'en prévenir le monde sont des sujets paranoïaques.
- Enfin, quelques similitudes entre discours paranoïaques et discours religieux (communication personnelle avec Dieu, importance des croyants destinés à sauver le monde, complot allégué visant à éradiquer cette religion, etc.) peuvent prêter à identifications abusives dans un sens comme dans l'autre.
Médias
Art
La paranoïa a joué un rôle important dans la rencontre des théories freudiennes avec le mouvement surréaliste. Salvador Dalí, provocateur, a proposé la méthode paranoïaque-critique comme mode de création artistique[10].
Cinéma
- El, de Luis Buñuel (1953), qui dépeint de manière clinique l'éclosion et l'aggravation d'un délire de jalousie.
- Ouragan sur le Caine (1954), long métrage d'Edward Dmytryk tournant autour d'une question récurrente : le capitaine Queeg est-il ou non paranoïaque ?
- Paranoïa, court métrage de Frédéric Forestier.
- L'Enfer (1994), de Claude Chabrol
- 2007), long-métrage américain de DJ Caruso.
- Complots avec Mel Gibson, où un chauffeur de taxi paranoïaque découvre qu'une de ses théories du complot est vraie.
- Psychose d'Alfred Hitchcock, inspiré partiellement d'un fait divers.
- Le Locataire de Roman Polanski. Description fine et détaillée d'une décompensation paranoïaque chez un homme, avec une pointe de fantastique.
- Répulsion de Roman Polanski. Évocation du côté féminin d'une semblable décompensation.
- Rosemary's Baby de Roman Polanski. Décompensation puerpérale à tonalité paranoïaque.
- Lost Highway de David Lynch évoque un tel univers avec des passages incessants du point de vue extérieur au point de vue intra-psychique selon les facettes clivées du héros.
- Bug de William Friedkin.
- Las Vegas Parano de Terry Gilliam. Mise en scène d'une paranoïa issu de psychotropes.
- Un homme d'exception de Ron Howard. Hésitant entre schizophrénie et paranoïa.
- La Moustache, d'Emmanuel Carrère. Hésitant entre paranoïa et fantastique.
- Shutter Island de Martin Scorcese. Hésitant entre complot et paranoïa.
Littérature
- Philip Kindred Dick, dont les thèmes essentiels tournent autour de la notion de paranoïa.
- Lu Xun, Le Journal d'un fou, 1918. Le narrateur est atteint d'une crise de paranoïa et s'imagine que tous les hommes autour de lui cherchent à le manger, une réécriture de l'œuvre de Gogol.
- Mary Higgins Clark, La Nuit du renard. Il semblerait que Renard soit atteint de paranoïa : délire érotomaniaque, orgueil démesuré etc.
- Raquel Capurro et Diego Nin, Je l'ai tué, dit-elle, c'est mon père, éd. EPEL, 2005.
- Alexis Vincent Charles Berbiguier de Terre-Neuve du Thym, Les farfadets, ou Tous les démons ne sont pas de l'autre monde, éd. Jérôme Millon, 1990.
Notes et références
Notes
Références
- (fr) Paranoia sur Google Books. Consulté le 23 janvier 2011
- ISBN 978-2-13-047148-6. Ginestet D, Hassan O. Paranoïa. In : Porot A. Manuel alphabétique de psychiatrie 7e édition. Paris : PUF ; 1996.p.511-512.
- (en) O. Gales, J.D. Guelfi, F. Bayle et P. Hardy , Troubles de la personnalité, Question d'internat n°286 [PDF]
- Association Américaine de Psychiatrie, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV-TR), Masson, 1996
- Qu'est-ce que le trouble de personnalité paranoïaque? sur www.psychomedia.qc.ca. Consulté le 25 juin 2010
- (en) Jagiellowicz J, Xu X, Aron A, et al., The trait of sensory processing sensitivity and neural responses to changes in visual scenes, Mars 2010 2010
- (en) Aron EN, Aron A, Davies KM, Adult shyness: the interaction of temperamental sensitivity and an adverse childhood environment, vol. 31, février 2005, 181–97 p.
- François Roustang. "Comment faire rire un paranoïaque ?".
- « L’attribution de paranoïa comme délégitimation de la parole des minoritaires : l’exemple d’une entreprise de transports publics » Cahiers de l'Urmis, N°10-11 Discrimination : perspectives de la psychologie sociale et de la sociologie, III. La Discrimination, de l'école au lieu de travail, mis en ligne le 11 décembre 2006 Jocelyne Streiff-Fénart,
- Éditions Denoël, 2004, ISBN 2-207-25621-9. Salvador Dalí, Oui. La révolution paranoïaque-critique, l'archangélisme scientifique,
Voir aussi
Bibliographie
- David B. Allison, Prado de Oliveira, Mark S. Roberts, Allen S. Weiss, "Psychosis and sexual identity : Toward a post-analytic view of the Schreber case", State University of New York Press, New York, 1988.
- Benjamin Ball. Du délire des persécutions ou Maladie de Lasègue. Paris : Asselin et Houzeau; 1890.
- Gaëtan Gatian de Clérambault, Érotomanie pure, érotomanie associé (présentation de malade), Bull. Soc. Cl. Ment., juillet 1921, p. 230, et dans Œuvres Psychiatriques, Frénésie Édition, Paris, 1987, pp. 352-355.
- Gaëtan Gatian de Clérambault, Les délires passionnels. Érotomanie, Revendication, Jalousie, Bulletin de la Société Clinique de Médecine Mentale février 1921, p. 61, et dans Œuvres Psychiatriques, Frénésie Édition, Paris, 1987, pp. 315-322.
- Quentin Debray, L'idéalisme passionné, PUF, Paris, 1989, ISBN 2-13-042160-1
- Sigmund Freud, Le Président Schreber. Un cas de paranoïa, Paris, Payot, coll. "Petite Bibliothèque Payot", 2011 (ISBN 978-2228906562)
- Sigmund Freud, Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa (dementia paranoïdes). Le président Schreber, 1911, G. W. VIII, dans Cinq psychanalyses, PUF, Paris, 20e. édition, 1997, pp. 263-324.
- Sigmund Freud, Communication d’un cas de paranoïa en contradiction avec la théorie psychanalytique (1915), traduit par D. Guérineau, dans S. Freud, Névrose, Psychose et perversion, PUF, Paris, 12e. édition 2002, pp. 209-218.
- Ernst Kretschmer, Paranoïa et sensibilité, Imago Mundi, G. Monfort éditeur, 1918, 293 p.
- Jacques Lacan, "D'une remarque préliminaire à tout traitement possible de la psychose", in Séminaire, Livre III, Les psychoses (1955-1956), Seuil, Paris, 1981.
- Jacques Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité, éd. du Seuil, Paris, 1975 (Sa thèse de doctorat en médecine, éditée une première fois en octobre 1932)
- Jacques Lacan, Écrits, Seuil, Paris, 1966.
- Sophie de Mijolla-Mellor : La paranoïa, Ed.: PUF-Que sais-je ? , 2007.
- Eduardo Prado de Oliveira, "Le cas Schreber : Contributions psychanalytiques de langue anglaise (1949-1975)", PUF, Paris, 1979.
- Eduardo Prado de Oliveira, "Schreber et la paranoïa : le meurtre d'âme", L'Harmattan, Paris, 1996.
- Eduardo Prado de Oliveira, "Freud et Schreber : les sources écrites du délire, entre psychose et culture", Erès, Ramonville Saint-Agne, 1997.
- François Roustang, "Comment faire rire un paranoïaque ?", Odile Jacob, Paris, 2000.
- Daniel Paul Schreber, "Mémoires d'un névropahte", Seuil, Paris, 1975.
- Paul Sérieux et Joseph Capgras, Les folies raisonnantes - le délire d’interprétation, éd. Alcan, Paris, 1909. (Ouvrage en accès libre sur le site de la BIUM)
- Paul Sérieux et Joseph Capgras, Délires systématisés chroniques. Traité de Sergent, Psychiatrie, t. 1, éd. Maloine, Paris, 1926.
- A. Sims & A. White, Coexistence of the Capgras and De Clerambault syndromes a case report, British Journal of Psychiatry, 1973, 123, p. 653-657.
- Serge Tribolet, Christophe Paradas. Guide pratique de la psychiatrie. Paris : Heures de France; 1993.
Articles connexes
Liens externes
Catégories :- Psychose
- Schizophrénie, troubles schizotypiques et troubles délirants
- Pathologie en psychiatrie de l'adolescent
- Pathologie en psychiatrie de l'adulte
- Pathologie en psychiatrie de la sénescence
Wikimedia Foundation. 2010.