- Langue flexionnelle
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Une langue flexionnelle est, en typologie morphologique, une langue dans laquelle les lemmes (« mots ») changent de forme selon leur rapport grammatical aux autres lemmes. Dans ces langues, tous les mots ne sont pas « invariables » (ce qui est le cas dans une langue isolante) : certains modifient leur forme (sonore et ou visuelle). On dit d'eux qu'ils subissent le jeu de la flexion et que l'ensemble des formes différentes d'un même mot fléchi forment son paradigme. Chaque forme d'un même paradigme peut transmettre un ou plusieurs types de traits grammaticaux (genre, nombre, fonction syntaxique, classe lexicale, temps, mode, etc.) pouvant s'opposer (singulier contre pluriel, masculin contre neutre, première personne du singulier contre première personne du pluriel, etc.). Les formes d'un même paradigme, cependant, ne changent pas de sens global : seuls les traits grammaticaux s'opposent. La flexion nominale est souvent nommée déclinaison tandis que celle du verbe est la conjugaison.
On distingue plusieurs catégories dans les langues flexionnelles :
- les langues agglutinantes dans lesquelles les flexions se font par affixation, chaque affixe marquant une notion (ex : japonais, finnois, turc).
- les langues synthétiques (également nommées fusionnelles) : dans ces langues, les flexions se font aussi désinences (terminaisons) où les différents constituants de la flexion ne sont généralement pas distincts (ex : latin, français, russe ainsi que toutes les autres langues indo-européennes).
- les langues à "brisure interne" : dans cette catégorie de langues, les consonnes indiquent le sens et les voyelles marquent la flexion du mot[réf. nécessaire], ce système se rencontre surtout dans les langues sémitiques (ex : arabe, hébreu)
Sommaire
Flexion externe
Ce type de flexion consiste à ajouter un affixe (désinence, affixe de classe) à signifiant variable à une base (radical, thème) le plus souvent invariable. Font partie de cet ensemble les langues agglutinantes et fusionnelles.
Radical et désinences
Les affixes flexionnels, dits le plus souvent désinences, s'ajoutent à un radical (ou un thème quand le radical est déjà modifié). Par exemple, dans le mot dansons /dãsõ/, on reconnaît un radical dans- /dãs/ et une désinence -ons /õ/ ; ce qui permet de distinguer le radical de la désinence, c'est que ce même radical peut être retrouvé dans d'autres mots : dans-er /dãse/, danse /dãs/, dansions /dãsjõ/, etc. De même pour la désinence : mangeons /mãʒõ/, lançons /lãsõ/, citons /sitõ/, etc.
Le radical n'est parfois pas utilisé nu dans la langue, c'est-à-dire sans au moins un des morphèmes grammaticaux ajouté : il n'est donc pas forcément autonome (même, dans les langues bantoues d'Afrique, par exemple, le radical nu ne se rencontre jamais). S'il est souvent invariable, certaines évolutions phonétiques peuvent donner des formes dans lesquelles le radical est modifié au contact de la désinence.
Exemple :
- en latin, dans la forme adjectivale bon-i « bons », la désinence -i exprime à la fois le genre (masculin), le nombre (pluriel) et le cas (nominatif) ;
- en castillan, dans la forme verbale habl-ó « il parla », le suffixe -ó exprime à la fois le mode (indicatif), la personne (3e), le nombre (singulier), le temps (passé), et l'aspect (perfectif) ;
- dans le nom arabe رَجُلٌ raʒul-un, la désinence -un indique que le nom est indéfini et au nominatif.
- En espéranto : flor-o-j-n «fleurs», la désinence "-o" indique un nom, le "j" indique le pluriel et le "n" indique que le mot est à l'accusatif.
Affixes de classe
Parfois, la désinence n'indique pas seulement un rapport grammatical mais aussi l'appartenance du radical à un ensemble d'éléments liés à un même champ lexical, dit « classe » (ainsi la classe des humains, la classe des langues, des émotions, des couleurs, etc.). Dans les langues bantoues, ces morphèmes sont dits préfixes de classes.
Enfin, si l'information transmise par la désinence peut se résumer à un seul trait souvent pour des raisons explicables par la phonétique historique) : l'ajout d'un e caduc en fin de mot dans plat-e n'indique que le féminin de plat. À l'oral, la forme pourrait être singulière ou plurielle : plate et plates se prononcent maintenant à l'identique.
Flexion interne (ou introflexion ou brisure interne)
Dans d'autres cas, la flexion ne fonctionne pas par ajout ou changement d'un morphème mais par changement phonétique du radical lui-même (pour certains linguistes, il s'agit de l'effet d'un affixe nommé « simulfixe »). Le plus souvent, c'est le timbre des voyelles du radical qui varie ; en arabe, par exemple, le pluriel interne suit ce procédé : « livre » au singulier se dit كِتَاب kitāb mais كُتُب kutub au pluriel (dit brisé). Parfois, la répartition des voyelles par rapport aux consonnes du radical change aussi : فَرَسٌ farasun « cheval », افْراسٌٌafrāsun « chevaux » ; on passe d'une structure syllabique CVCVCVC à VCCVCVC. Le nombre total de phonèmes, cependant, n'a pas changé. Ce procédé est fréquent dans les langues sémitiques et fournit, outre des paradigmes flexionnels (dont les « pluriels brisés »), un procédé important de dérivation.
Les langues indo-européennes anciennes (et parfois modernes) utilisent fréquemment ce procédé, désigné pour le coup sous le nom d'alternance vocalique. Cette alternance vocalique (qui concerne aussi des suffixes de dérivation et qui sert, comme dans les langues sémitiques, de procédé dérivationnel) explique nombre d'irrégularités dans les langues modernes. Ainsi, les verbes irréguliers anglais cachent d'anciennes alternances vocaliques : c'est le cas pour to sing, « chanter », dont le prétérit est sang et le participe passé sung. En grec ancien ou en sanskrit, le procédé est encore plus visible. Par exemple, si le verbe grec pour « laisser » est λείπ-ω leíp-ô (le radical est en gras), son aoriste fait ἔ-λιπον é-lip-on et son parfait λέ-λοιπ-α lé-loip-a (avec redoublement). Le radical indo-européen est *likʷ-, qui se vocalise ainsi selon le thème morphologique voulu :
- degré plein (avec une voyelle) timbre e au présent : *leykʷ- ;
- degré zéro (sans voyelle) à l'aoriste : *likʷ- ;
- degré plein timbre o au parfait : *loykʷ.
De plus, dans des langues indo-européennes modernes comme le français (rarement), le breton (parfois), l'anglais ou l'allemand, des évolutions phonétiques ont pu conduire certains mots à adopter un type proche du pluriel interne : l'anglais man fait au pluriel men (par métaphonie), le breton louarn devient lern, le français cheval devient chevaux (opposer [ʃǝval] à [ʃǝvo] ; la modification phonétique est ici une ancienne vocalisation suivie d'une monophtongaison). En allemand, de nombreux substantifs subissent une inflexion (ou umlaut) faisant varier le timbre d'une voyelle en plus de l'adjonction d'une désinence : Buch, « livre » fait Bücher, « livres », au pluriel. C'est, historiquement, le même procédé qui fait passer l'anglais foot, « pied », à feet, « pieds » (ainsi que man / men, woman / women, mouse / mice, etc., termes qui constituent une liste fermée et de peu d'éléments). Ces alternances introflexionnelles sont plus récentes que l'alternance vocalique et toujours secondaires car résultant d'évolutions postérieures (en anglais et en allemand, c'est une métaphonie, en français une vocalisation puis une monophtongaison).
Si ce sont le plus souvent les voyelles (qualité, quantité ou placement) qui varient dans la flexion interne, dans une langue comme le basque, la flexion interne peut être consonantique : on palatalise certaines consonnes pour obtenir un terme dérivé hypocoristique ; ainsi : sagu [s̺agu] « souris » mais xagu [ʃagu] « petite souris », tanta [tanta] « goutte » / ttantta [tʲantʲa] « petite goutte ».
D'autres modifications, de nature suprasegmentale, peuvent intervenir, comme des variations dans l'accentuation, le tonème, la quantité vocalique, etc. :
- castillan canto « je chante » / cantó « il chanta » ;
- latin venit « il vient » / vēnit : « il vint » ;
- chinois 好 hǎo « être bon » / 好 hào « trouver bon ».
Supplétisme
Il arrive dans les langues synthétiques que telle ou telle forme attendue n'existe pas, auquel cas on lui substitue une autre forme tirée souvent d'un autre radical. On nomme ce procédé supplétisme.
Par exemple, en latin, le pronom indéfini nihil « rien », n'a pas de génitif : on lui supplée le génitif d'une périphrase, soit nullius rei « aucune chose ». En grec, le verbe τρέχ-ω /trekhô/ « je cours » n'utilise le radical τρεχ- /trekh/ qu'au thème de présent. Aux autres thèmes (futur, aoriste et parfait), on le remplace par le radical δραμ- /dram/, comme dans l'aoriste ἔ-δραμ-ον /e-dram-on/ « j'ai couru ». Enfin, en français, les différentes formes que prennent les verbes irréguliers sont parfois dues à d'anciens supplétismes : le fait que la première personne du singulier d'aller est (je) vais et celle du futur (j')irai, s'explique si l'on sait que les formes en all- sont bâties sur le radical latin vulgaire alare (classique ambulare), que celles en va- proviennent de vadere tandis que celles en ir- viennent du verbe ire. C'est exactement le même principe pour l'anglais be, am, is et was. Dans le cas du supplétisme, la flexion ne consiste donc plus seulement en une modification du signifiant mais en son remplacement par un autre.
Distinguer une langue synthétique d'une langue agglutinante
Il faut distinguer, tâche parfois difficile, une langue fusionnelle d'une langue agglutinante. Dans les langues agglutinantes, les morphèmes s'ajoutent à un radical qui peut exister à la forme nue. Ces morphèmes s'adjoignent aussi les uns aux autres et n'apportent généralement qu'un seul trait grammatical chacun. Ce sont plutôt des affixes que des désinences : alors que ceux-là sont invariants et toujours discernables du radical, les désinences ont tendance à être bien plus nombreuses et de formes variées pour un même indice grammatical ; il n'est parfois pas possible de distinguer les limites entre le radical et la désinence ; enfin, une même forme ne peut recevoir qu'une seule désinence à la fois. C'est pourquoi les langues synthétiques peuvent posséder des paradigmes nombreux — voire être riches en irrégularités — pour une même nature de mots, tandis que les langues agglutinantes offrent plutôt un jeu universel d'affixes toujours identiques quel que soit le mot.
Ainsi, en turc, langue très agglutinante, le mot ev, « maison », peut être complété, entre autres nombreuses possibilités, par les suffixes suivants, qui ne s'excluent que si les informations dénotées sont incompatibles (un mot ne peut être à la fois singulier et pluriel) et se placent, le cas échéant, dans un ordre précis :
- -ler {pluriel} ;
- -im {cas possessif de la 1re personne du singulier} ;
- -de {locatif} ;
permettent de construire :
- ev-ler « maisons », ev-im « ma maison », ev-de « dans la maison » ;
- ev-ler-im « mes maisons », ev-ler-de « dans les maisons », ev-im-de « dans ma maison » ;
- ev-ler-im-de « dans mes maisons » ;
mais pas *ev-im-ler-de, *ev-de-ler, etc. Le radical nu, ev, reste autonome.
Si l'on compare au latin, langue hautement fusionnelle (ou synthétique), et toujours dans le domaine nominal, les faits sont bien différents :
- les morphèmes grammaticaux ne sont pas forcément identiques d'un mot à l'autre : le nominatif Cæsar (radical nu) fait son génitif en Cæsar-is mais pour bon-us (le radical nu n'étant pas autonome : *bon n'existe pas), le génitif est bon-i (autre désinence pour un même cas). Le pluriel au même cas ne se construit pas par l'ajout d'un autre affixe mais par l'utilisation d'une autre désinence qui dénote « génitif » et « pluriel » : ici Cæsar-um et bon-orum. Une langue flexionnelle n'agglutine pas les affixes les uns à la suite des autres : ceci explique aussi la diversité des formes que prennent les désinences dénotant des mêmes traits grammaticaux ;
- l'on peut aussi constater des cas où le radical et la désinence ne sont plus identifiables : dans le nominatif civitas, « cité », le radical est civitat-, la désinence -s (sachant que /ts/ donne ici /s/ par simplification). Le radical se retrouve à d'autres cas : civitat-is au génitif.
Différents degrés de types fusionnels
Enfin, les langues fusionnelles le sont à différents degrés.
Premièrement, de manière interne, les langues fusionnelles peuvent rendre les mots d'une même nature plus ou moins variables. Le français, dans sa flexion nominale, par exemple, n'indique que les différences de genre et, rarement (si ce n'est à l'écrit) de nombre : alors que les deux formes cheval [ʃǝval] et chevaux [ʃǝvo] se distinguent bien, ce n'est pas le cas de rose / roses, qui se prononcent tous deux [roz]. La flexion verbale, quant à elle, confond sous un même signifiant plusieurs formes : (je) mange, (tu) manges (il) mange, (ils) mangent et mange (impératif) se prononcent tous de la même façon, soit [mɑ̃ʒ] (bien sûr, ce n'était pas le cas dans des états plus anciens de la langue, comme en ancien français. L'évolution phonétique, ici l'amuïssement des consonnes finales, explique ces homophonies. L'orthographe reste souvent bloquée sur un état ancien). Seul le contexte grammatical et la graphie permettent de lever l'ambiguïté. Parfois même, les mots restent invariables, ce que la graphie peut cacher. Un adjectif comme sage se prononce [saʒ] au singulier, pluriel, masculin et féminin. En français, tous les mots d'une même classe lexicale fléchissable ne subissent pas forcément la flexion, du moins oralement.
Deuxièmement, les langues, comparées les unes aux autres, offrent des possibilités de flexion très différentes : en règle générale, plus une langue vivante fusionnelle est écrite depuis longtemps, plus elle a simplifié ses différentes flexions au cours du temps[réf. souhaitée]. Ainsi, le grec ancien, le latin ou le sanskrit sont fortement fléchis, possèdent de nombreux paradigmes différents et de nombreux cas, tandis que le grec moderne, l'ancien français et l'hindi (langues issues des premières) sont plus limités en nombre de formes et plus réguliers. Le français actuel, descendant de l'ancien français, est encore plus limité : il n'a, si ce n'est dans certaines formes pronominales, plus de flexion nominale réelle et limite ses modifications au genre et au nombre. Le verbe, bien qu'encore fléchi, offre cependant nombre de formes réduite, comme on l'a vu.
Enfin, on ne doit pas perdre de vue qu'il n'existe pour ainsi dire aucune langue qui soit entièrement d'un seul type : le français est avant tout fusionnel mais conserve des traces du latin de type flexionnel dont il provient. Plus une langue est flexionelle, plus sa syntaxe est souple : l'ordre des groupes de mots, en latin, grec ou sanskrit, esperanto, russe n'a, pour ainsi dire, qu'une valeur stylistique ; que l'on écrive Petrum Paulus verberat, Paulus Petrum verberat ou verberat Paulus Petrum, etc., l'énoncé garde un sens global identique : « Paul frappe Pierre ».
Liste ouverte de langues flexionnelles
Les langues flexionnelles-fusionnelles
Toutes les langues indo-européennes sont fusionnelles, à des degrés divers (l'anglais, par exemple, est très faiblement fléchi par rapport à l'islandais, le français l'est bien plus à l'écrit qu'à l'oral, un grand nombre de désinences étant muettes). Toutes les langues anciennes de cette famille le sont (sanskrit, latin, albanais, grec ancien, hittite, etc.).
Les langues flexionnelles-à brisure interne[réf. nécessaire]
Dans de cette famille nous retrouvons : les langues sémitiques, qui sont elles aussi flexionnelles à des degrés divers (l'arabe standard moderne se fléchissant plus que la plupart des arabes dialectaux, par exemple).
Les langues flexionnelles-agglutinantes
Dans cette famille nous trouvons les langues de la famille ouralo-altaïque, les langues bantoues, de nombreuses langues construites comme l'espéranto ; dans les langues finno-ougriennes , comme le finnois ou le hongrois, et les langues turques on rencontre le phénomène d'harmonie vocalique qui engendre une mutation des affixes.
Articles connexes
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