L'Ingenu

L'Ingenu

L'Ingénu

LIngénu

Illustration de L’Ingénu


Auteur Voltaire
Genre Conte philosophique
Pays d'origine France France
Date de parution 1767

LIngénu est une œuvre de Voltaire parue en 1767, qui tient à la fois de lapologue, du conte philosophique, du conte satirique et du roman (par exemple du roman d'apprentissage et du roman sensible), et qui critique les doctrines jésuite et janséniste, ainsi que la société, la hiérarchie et la noblesse française. Elle raconte les aventures dun Huron (« lIngénu »), qui, arrivé en France, se trouve confronté aux différentes cibles de la critique. Voltaire la présente comme « véritable » et lattribue au père Quesnel, un janséniste (ce qui est particulièrement ironique, au vu de ce que louvrage rapporte:

Jai fait chercher lIngénu dont vous me parlez, on ne le connaît point. Il est très triste quon mimpute tous les jours non seulement des ouvrages que je nai point faits, mais aussi des écrits qui nexistent point. Je sais bien que bien des gens parlent de lIngénu, et tout ce que je puis répondre très ingénument, cest que je ne lai point vu encore. Lettre à M. Damilaville 8 août 1767.

Sommaire

Lhistoire

Alors que labbé de Kerkabon et sa sœur lamentent la mort de leur frère et de sa femme partis au Canada, arrive par un bateau anglais un jeune homme Huron, lIngénu (surnommé ainsi du fait de sa naïveté vis-à-vis du monde occidental). Les Kerkabon linvitent à dîner, et saperçoivent quil sagit de leur neveu. Ils le convertissent alors au catholicisme et le baptisent, mais il tombe amoureux de la sœur d'un abbé, Mlle de Saint-Yves, quil ne peut épouser parce qu'elle est sa marraine, à moins d'aller demander l'autorisation au pape. Rendu furieux, il tente ingénuement de violer la belle, qu'on se hâte de mettre dans un couvent. Repoussant par hasard une invasion dAnglais, il décide de partir pour Versailles afin de demander au roi une récompense pour sa bravoure, et une dispense lui permettant dépouser celle quil aime. En chemin, il rencontre des Huguenots chassés du fait de lédit de Fontainebleau et décide de prendre leur défense auprès du roi. Cependant, il narrive pas à faire entendre sa voix à Versailles, et se fait embastiller à la suite de deux lettres le dénonçant, dont une affirmant son engagement en faveur des Huguenots. En prison, il fait la connaissance du janséniste Gordon, qui tente de le former aux préceptes de cette doctrine ; mais bien vite, lIngénu lamène à remettre en question ses convictions. Pendant ce temps, Mlle de Saint-Yves part à Versailles pour faire libérer son amant ; mais afin dobtenir laide de Mgr de Saint-Pouange, qui peut le faire délivrer, celui-ci lui demande de se compromettre avec lui. Refusant tout dabord, elle se résout, suite aux conseils fallacieux du père jésuite Tout-à-tous, à commettre cet adultère. Elle repart chez les Kerkabon avec lIngénu et Gordon mais, ne pouvant se résoudre à dire la vérité à son amant et refusant de le trahir, se laisse mourir. LIngénu, effondré tout dabord, se ressaisit, obtient sa récompense, et reste ami avec Gordon.

Étude

Le contexte historique ou religieux

Au sein du récit

La France en 1690.

En 1685, Louis XIV manifeste son despotisme lorsquil révoque lédit de Nantes, sous linfluence des jésuites et de son épouse, Madame de Maintenon. Soit quatre années avant la date à laquelle Voltaire choisit de situer lhistoire de lIngénu. Ainsi, lun des thèmes de lIngénu est annoncé demblée : les méfaits et désastres de cette révocation… (Cf. chapitre 8)

Lors de lécriture

La rivalité coloniale entre la France et lAngleterre aboutit au XVIIIe siècle à la guerre de Sept ans, de 1756 à 1763. Cest cette guerre désastreuse qui change le destin de la France puisquelle se solde par la destruction de lEmpire colonial français, entièrement cédé aux Britanniques lors du traité de Paris en 1763. Voltaire ironise sur cette défaite dans son conte, notamment au chapitre 2 (cf. les propos prophétiques de Madame de Kerkabon, démentis par lhistoire « Nous leur prendrons la Jamaïque et la Virginie avant quil ne soit peu de temps ».) Voltaire na jamais eu beaucoup de respect pour la colonie française du Canada, mais déplore cependant sa perte et laffaiblissement de la puissance française.

Synthèse

Lhistoire a lieu en 1689. Lorsque Voltaire écrit ce conte, en 1767, la situation est inversée. Les jésuites ont été expulsés et ce sont les jansénistes qui évoluent dans les sphères du pouvoir. Ainsi, en découle la moralité de Voltaire : ce ne sont donc ni les jansénistes ni les jésuites quil faut condamner mais toute forme de fanatisme religieux.

Les personnages

LIngénu

LIngénu est un Indien, également appelé huron qui débarque en Bretagne, à la baie de Saint-Malo. Il fait tout de suite connaissance avec les Kerkabon, qui le logeront et en quelque sorte, ladopteront. En effet, labbé de Kerkabon découvre quil est son oncle. LIngénu est un Huron ayant de nombreuses qualités malgré une éducation limitée (en écho au mythe du bon sauvage) et surprend par son charisme. Lequel fera succomber Mlle de Saint-Yves. Mais lamour entre ces deux protagonistes est impossible. En effet, sans se soucier de linterdit qui simposerait à elle, Mlle de Saint-Yves, va être la marraine de LIngénu pendant le baptême de celui-ci. Cet amour impossible conduira Mlle de Saint-Yves à mourir tragiquement.

LIngénu est un conte philosophique. Dès le début de lœuvre, le personnage éponyme avouera à ses proches quil « dit et fait tout ce quil pense ». Mais au fur et à mesure de lœuvre, lIngénu va acquérir une véritable connaissance de lescroquerie et pourra adopter un comportement totalement autonome ; léducation lui faisant défaut sera acquise au contact de Gordon, et la fusion de qualités innées et de connaissances acquises feront de lui « un guerrier et philosophe intrépide » (chapitre XX).

Mlle de Saint-Yves

Sœur de labbé de Saint-Yves, elle devient la marraine de lIngénu, puis sa maîtresse. Elle sacrifiera son honneur en donnant son corps afin de sauver son amant de la Bastille. Ne se sentant plus digne de devenir lépouse de l'Ingénu, elle mourra.

Gordon

Initialement janséniste, il sert de guide à lIngénu pendant son séjour à la Bastille. Il lui transmet des enseignements philosophiques que son élève réfute avec bon sens, lamenant à remettre en cause ses propres convictions.

Les Kerkabon

Labbé de Kerkabon est un ecclesiaste généreux apprécié dans la région. Sa sœur, Mlle de Kerkabon est une femme croyante aimant les plaisirs de la vie. La scène de la rencontre et du début de lhistoire se passe dans un port de Basse-Bretagne, le même 20 ans plus tôt le frère des Kerkabon et sa femme partirent en expédition au Canada pour la France et y disparurent quelque temps plus tard. Les Kerkabon se baladent dans ce port avec nostalgie, tous deux affligés par la disparition de leur frère et aperçoivent un navire anglais duquel sorti un jeune homme se nommant "lingénu" et se disant huron, il est recueilli et hébergé par les Kerkabon, séduits par son charisme. Les Kerkabon seront dune extrême bonté et dun excellent recours tout au long de laventure. Laffection générale sera dautant plus renforcée que les Kerkabon découvriront par hasard que lingénu nest autre que leur neveu. Cette découverte a lieu avec celle du portrait du frère des Kerkabon et sa femme. Voltaire va faire la satire de l'Église en ridiculisant les Kerkabon dès l'Incipit de son œuvre.

Le bailli

Le bailli est un représentant du roi en province, il est responsable de la justice. Il est présenté comme idiot et cest une satire de la monarchie que fait ici Voltaire. Il utilise souvent pour le décrire des adjectifs comme "impitoyable", "limposant". De plus il veut marier son fils à Mlle de Saint Yves et pour cela enverra lIngénu à la Bastille pour jansénisme.

Le père Tout-à-Tous

Lonomastique est toujours intéressante à étudier, mais en reste complexe

  1. Saint Paul a écrit dans Épître aux Corinthiens « Je me suis fait tout à tous pour les sauver tous ».
  2. Référence possible à Toutatis, nom gaulois divin signifiant « le père de la tribu ». Voltaire aurait utilisé cette définition pour faire surgir un nouveau paradoxe. Non seulement le père Tout-à-Tous encombre son argumentation de nombreux contresens mais en plus, son nom peut avoir différentes significations.
  3. Son nom peut également faire penser à une devise jésuite, "soublier complètement pour être tout à tous", devise qui a servi à Voltaire pour donner un nom pratique à un personnage jésuite.

Le lecteur peut être amené à penser à un non-respect des dogmes religieux : par exemple, un total dévouement vis-à-vis de la gent féminineCest une appellation purement ironique. Ce prêtre serait totalement dévoué à la société, au peuple, agissant comme un père pour eux (double sens : pèreprotecteur // pèrehomme dÉglise)

Les cibles de la critique

La critique de la doctrine jésuite

La domination du pouvoir politique

Linfluence des jésuites sur le pouvoir politique et sur Louis XIV est soulignée par les actions du père de La Chaise, confesseur de Louis XIV. Celui-ci est présenté au chapitre VIII comme le responsable de la persécution des protestants, mais également au chapitre IX comme un des responsables de lincarcération de lIngénu à la Bastille, suite à la réception dune lettre par un de ses espions, lui aussi jésuite et présenté au chapitre VIII, qui aperçoit lIngénu avec des protestants.

Lhypocrisie

Une allusion à la fin du chapitre IV souligne lhypocrisie des jésuites  : « Il y en avait un treizième qui valait les douze autres; mais dont il ne convenait pas à un jésuite de parler ».

Le laxisme dans lexercice de la casuistique

Le père Tout-à-tous (nommé ainsi daprès les paroles de saint Paul, « Je me suis fait tout à tous pour les sauver tous » dans lÉpître aux Corinthiens) est lincarnation de la casuistique pernicieuse exercée par les jésuites, lorsque Mlle de Saint-Yves, désespérée suite à la proposition immorale de Saint-Pouange, vient le consulter. Celle-ci, décrite avec le registre pathétique et de nombreuses interventions du narrateur pour souligner sa vertu, son désespoir, et la cruauté du dilemme auquel elle fait face (rythme binaire, parallélismes de construction soulignant léquilibre entre les deux choix et antithèses soulignant leur opposition), ne trouvera auprès du père Tout-à-tous quun conseil pernicieux que celui-ci refusera, dailleurs, dassumer ; ce dernier, sous couvert dune relation bienveillante et paternelle (attestée par les expressions « Ma fille », « Mon père »), profitera de sa faiblesse pour linfluencer dans la direction du vice, sous des prétextes fallacieux (utilisation de limpératif exprimant en fait une relation de domination).

La première réaction du père Tout-à-tous est celle de lindignation, mêlée à des préjugés (« cest à coup sûr quelque janséniste ») ; celui-ci promet avec exagération en une réaction arbitraire (emploi du futur simple, lexique péjoratif, hyperboles, arguments ad hominem et utilisation dune périphrase pour désigner la Bastille) et manipule pour obtenir le nom de la personne coupable (on pourrait rapprocher cela de lInquisition), mais se désengage dès quil connaît le nom de la personne visée, en un revirement soudain et ridicule. Au regard de la situation sociale du coupable, il en excuse les pêchés, et son réquisitoire se transforme en apologie de Saint-Pouange (rythme ternaire, répétition de « bien » et « bon », allant même jusquà blâmer la victime (« il faut que vous ayez mal entendu »)). Suite à linsistance de Saint-Yves, il se lance dans une parodie dargumentation qui, quoique apparemment structurée et crédible (« PremièrementSecondement… » étant des connecteurs logiques semblant organiser largumentation et procéder par accumulation, mais qui constituent plutôt ici une juxtaposition sans progression logique), est extrêmement fallacieuse si on la regarde de près. Déplaçant la question de limmoralité successivement au vocabulaire (premièrement), à létat civil (secondement par un syllogisme, contredisant dailleurs premièrement), et à lintention (troisièmement, un autre syllogisme dont la conclusion est sous-entendue), tentant presque de culpabiliser Saint-Yves malgré laspect accommodant du raisonnement, il se trahit par des tournures révélatrices (« quil faut toujours éviter autant quil est possible ») et par des termes paradoxaux (« rien nest plus honnête »). Enfin, il fait appel à un exemple, bien quil affirme quil en existe de nombreux autres. Citant saint Augustinimportant janséniste, et improbable argument d'autorité) par un opportunisme quil tente maladroitement dexcuser (« Soyez sûre, ma fille, que quand un jésuite vous cite saint Augustin, il faut bien que ce saint ait pleinement raison. ») –, la parabole quil invoque est particulièrement mal choisie, au vu des termes utilisés (« vieux richard », « pêché immonde ») et étant donné que son dénouement ne va pas du tout dans le sens de la thèse soutenue par Tout-à-tous (ce quil concède « Il est vrai que le vieux richard la trompa, et peut-être même son mari nen fut pas moins pendu », avant un renversement argumentatif « mais elle avait fait tout ce qui était en elle pour sauver sa vie. » qui parodie à nouveau la tendance des jésuites à sintéresser aux intentions sans regarder le résultat). Tout cela pour conclure en se dégageant, et en refusant dassumer un conseil quil ne reconnaît même pas avoir donné (« Je ne vous conseille rien »), pour enfin rappeler la doctrine jésuite "à sa plus grande gloire" (ad majorem Dei gloriam), mais associée ici à un indéfini (« tout ») qui fait référence à lacte impur que va devoir commettre Saint-Yves, prétendument donc à la gloire de Dieu.

La critique de la doctrine janséniste

Elle est annoncée par lattribution de LIngénu à un janséniste par Voltaire. En effet, outre les nombreux sous-entendus grivois que lœuvre contient, qui ridiculisent son auteur prétendu, la critique du jansénisme, illustrée par la "conversion" de Gordon par lIngénu, est en totale opposition avec les opinions de lauteur apocryphe. En effet, si la rencontre fortuite à la Bastille entre Gordon et lIngénu place celui-ci en position délève et celui- en position de maître, leur relation va progressivement séquilibrer dans une amitié réciproque, voire par moments sinverser ; lIngénu, dont lesprit est clair et pur, remet en cause les préjugés de la pensée de Gordon avec une naïveté lui conférant une clairvoyance inouïe.

Plus largement, lIngénu, en prison avec Gordon, va évoluer (on retrouve ici une idée de roman d'apprentissage) et, ce faisant, va remettre en cause de nombreuses conceptions du monde. LIngénu, comme Candide dans le roman éponyme (« Il faut cultiver notre jardin. »), préfère laction concrète à une spéculation métaphysique et philosophie vaine que Gordon incarne, et quil finit par renier.

« Serait-il bien vrai, sécria-t-il, que je me fusse rendu réellement malheureux pour des chimères ? Je suis bien plus sûr de mon malheur que de la grâce efficace. Jai consumé mes jours à raisonner sur la liberté de Dieu et du genre humain; mais jai perdu la mienne; ni saint Augustin ni saint Prosper ne me tireront de labîme je suis. » (Gordon, chapitre XIV)

De même, cette philosophie vaine apparaît comme bien futile comparée à des problèmes bien plus immédiats.

« Labsence augmente toujours lamour qui nest pas satisfait, et la philosophie ne le diminue pas. » (chapitre XIV)

La critique de la hiérarchie sociale

La cour et ladministration versaillaises, dans tout leur arbitraire et leur injustice, sont également critiquées par LIngénu, notamment par le chapitre IX. Le garde que lIngénu a rencontré alors quil souhaitait sentretenir avec le roi, par un raisonnement strict tournant vers labsurde, descend dans la hiérarchie et empile les intermédiaires (il faut parler au premier commis de Mr Alexandre, premier commis de Mgr de Louvois représentant Sa Majesté ; on note la récurrence de lexpression « Cest comme si vous parliez à… » ainsi que lironique « Ils vont donc chez ce monsieur Alexandre, premier commis, et ils ne purent être introduits; il était en affaire avec une dame de la cour, et il y avait ordre de ne laisser entrer personne. » qui préfigure les péripéties à venir). Et, comble de labsurde et de la disproportion, pendant que lIngénu victorieux contre les Anglais tente de trouver son chemin dans ce labyrinthe, deux lettres, arrivées à peu près en même temps que lIngénu (« LIngénu et la lettre arrivèrent presque en même temps à Versailles. », chapitre VIII) font en un paragraphe ce que lIngénu, en un chapitre, naura pas réussi à faire.

« Ce même jour, le révérend père La Chaise, confesseur de Louis XIV, avait reçu la lettre de son espion, qui accusait le Breton Kerkabon de favoriser dans son cœur les huguenots, et de condamner la conduite des jésuites. Monsieur de Louvois, de son côté, avait reçu une lettre de linterrogeant bailli, qui dépeignait lIngénu comme un garnement qui voulait brûler les couvents et enlever les filles. » (chapitre IX)

De même, la corruption, au travers du personnage de Saint-Pouange, libertin débauché qui obtiendra cependant une rédemption symbolique à la fin du chapitre XX, est critiquée ; la cour est vue comme pervertissant et ignorant le héros et lhéroïne, purs et braves, pour mieux prêter attention aux personnages vils.

Dautres critiques ponctuelles émaillent LIngénu  : par exemple, dans une logique de règlement de comptes, Voltaire sen prend aux geôliers de la Bastille auxquels il a personnellement eu affaire, au chapitre XVIII.

« Son cœur nétait pas endurci comme celui de quelques honorables geôliers ses confrères, qui, ne pensant quà la rétribution attachée à la garde de leurs captifs, fondant leurs revenus sur leurs victimes, et vivant du malheur dautrui, se faisaient en secret une joie affreuse des larmes des infortunés. » (chapitre XVIII)

Il citera aussi un de ses poèmes épiques, La Henriade, dans cette optique de critique, en parlant de la Bastille.

« De cet affreux château, palais de la vengeance,
Qui renferma souvent le crime et linnocence. » (chapitre XVIII)

La critique de lethnocentrisme

La curiosité malsaine vis-à-vis de lIngénu est critiquée par la naïveté des personnages lincarnant, notamment dans les premiers chapitres de lœuvre.

« Labbé de Saint-Yves […] lui demanda laquelle des trois langues lui plaisait davantage, la huronne, langlaise ou la française. — La huronne, sans contredit répondit lIngénu. — Est-il possible ? sécria mademoiselle de Kerkabon ; javais toujours cru que le français était la plus belle de toutes les langues après le bas-breton. »

Par ailleurs, léducation provinciale transmettant des préjugés est remise en cause au chapitre XVIII (« Ce nétait plus cette fille simple dont une éducation provinciale avait rétréci les idées. »). Ces mêmes préjugés seront critiqués par lIngénu lors de ses discussions avec Gordon, ou directement par le narrateur (chapitres X, XI et XIV).

La critique de la persécution des protestants

Le récit se déroulant en 1689 (quoiquil ait été écrit bien plus tard), il sinscrit dans les années suivant lédit de Fontainebleau, marquées par une persécution des protestants. Celle-ci, dépeinte dans lœuvre par souci de vraisemblance, permet également à Voltaire de sexprimer en un plaidoyer en faveur de la liberté de culte, rendu nécessaire par le fait que cette persécution soit, lors de lécriture du récit, toujours dactualité. Ainsi, au chapitre VIII, lIngénu rencontre des Huguenots, et lun de ces derniers formulera alors un réquisitoire contre leur persécution, et plus exactement contre les jésuites, perçus comme en étant la cause (et notamment le père de La Chaise).

La critique des dévots et des religions révélées

Une parodie dhagiographie

Lincipit du roman annonce immédiatement son ton ironique et la lecture au second degré quil nécessite. En effet, il souvre par le récit de la légende de saint Dunstan, qui est tout de suite crédibilisé par lexpression « Irlandais de nation et saint de profession ». Faisant appel à un merveilleux particulièrement niais, il est particulièrement dérangeant par labsence notable dindices dénonciation, et par le fait que les actions du saint, dont on nexplique ni le but ni la cause, apparaissent comme décousues et dénuées de logique du fait de leur juxtaposition. De plus, le personnage choisi, saint Dunstan, nest pas Irlandais, et apparaît comme criminel par certaines de ses actions.

La remise en cause des Kerkabon

La dualité des Kerkabon, déjà exprimée par leur nom ("ker" évoquant la Bretagne, "ka" étant la première syllabe du grec "kakos" signifiant "mauvais", et "bon"), est exprimée clairement par lironie de lincipit. Voltaire fait appel au comique de mots (labbé de Kerkabon est « aimé de ses voisins, après lavoir été autrefois de ses voisines »), à lasyndète (sa sœur « aimait le plaisir et était dévote », ce qui rappelle lépicurisme) et à leuphémisme (« [labbé de Kerkabon] savait assez honnêtement de théologie »), voire à une ironie directe (« nayant jamais été mariée » (ce qui fait penser à la vertu religieuse) « quoiquelle eût grande envie de lêtre »). Si Voltaire saventure à faire léloge du personnage, il renchérit par un portrait en creux de ses confrères (« Ce qui lui avait donné surtout une grande considération, cest quil était le seul bénéficier du pays quon ne fût pas obligé de porter dans son lit quand il avait soupé avec ses confrères. » - encore que lon pourrait assumer cela à un meilleur entraînement plutôt quà une plus grande sobriété), et, lorsquil évoque ses lectures, il prend un malin plaisir à glisser vers labsurde (« quand il était las de lire saint Augustin, il samusait avec Rabelais », ce qui est original étant donné lopposition entre le jansénisme et lhumanisme - dautant que la suite, « aussi tout le monde disait du bien de lui. », semble être la conséquence du fait quil saventure à lire Rabelais). Enfin, dans leur dialogue au chapitre I, les Kerkabon font preuve de leur naïveté par deux lapalissades symétriques (« Sil navait pas été tué, nous pourrions espérer de le revoir encore » et « Il est certain que, si elle navait pas été mangée, elle serait revenue au pays »), et par des affirmations naïves (« notre frère, qui avait beaucoup desprit, aurait fait assurément une grande fortune ») que tout le récit va démentir. Tout cela rattache labbé de Kerkabon au stéréotype du moine paillard.

La critique du cérémonial religieux et lanticléricalisme

LIngénu, fraîchement converti au catholicisme, ayant lu la Bible, se base sur les textes dune manière certes naïve, mais permettant une argumentation forte critiquant la distance prise par rapport aux écrits dans la société de Voltaire, et la déformation des rites religieux. Souhaitant subir la circoncision, mais reconnaissant son erreur, allant se confesser mais interprétant les textes à la lettre en forçant son confesseur à faire de même (selon saint Jacques le Mineur, 5 :16 « Confessez vos péchés les uns aux autres ») lIngénu ne se laissera pas si facilement convaincre pour ce qui est du baptême. Voulant de se faire baptiser dans leau courante, comme précisé par la Bible, il ne se laissera pas convaincre pas les raisonnements de son oncle, ni même de lévêque, cherchant à la convaincre. Il faudra lintervention de Mlle de Saint-Yves pour le persuader. Pire encore, lIngénu obtiendra le nom d’« Hercule » ; pas même chrétien, il renvoie à un sous-entendu grivois (voir la fin du chapitre IV) et aux légendes païennes christianisées. Les autres allusions, la curiosité des femmes (fins des chapitres II, III et IV), et, surtout, le fait que le choix de Mlle de Saint-Yves dêtre marraine noue laction en empêchant son union avec lIngénu, finissent de grossir le trait et remettent en cause de manière nette la purification symbolique habituellement liée au baptême, en affirmant le déisme de Voltaire

Les genres

Lapologue

Lapologue est un récit fictif allégorique, cest-à-dire quil va exprimer une idée par lutilisation de symboles ( on va utiliser une personne pour représenter une idée générale comme Candide pour illustrer toute la naïveté dune société) et qui cherche à transmettre efficacement au lecteur une vérité ou un enseignement. Lapologue peut être très bref (Les Fables) ou long comme cest le cas de Candide de Voltaire mais dans ce cas précis on parle plutôt de conte philosophique. Il peut être rédigé en prose ou en vers. Lapologue est un genre très en vogue au XVIIIe siècle (Siècle des Lumières). Cest en fait un récit narratif qui va raconter une situation réelle par une profusion de péripéties et souvent un rapport au merveilleux et avec des personnages très marqués voire des stéréotypes.

Le conte

Le conte satirique
Le conte philosophique

Un conte philosophique est donc une histoire fictive, inventée par lauteur dans le dessein de se livrer à une critique de la société. Ce texte est écrit sous la forme dun conte afin déchapper à la censure. Il comprend : - un récit fictif, plaisant qui vise à amuser/distraire le lecteur. - une leçon morale ou philosophique: cette leçon peut être implicite ou bien explicite.

Le conte philosophique sollicite à la fois limagination et la raison.

Voltaire remet en cause notamment l'arbitraire des texte religieux a travers les questions un peu naïves posée par l'ingénu au moment de le faire chretien. Il ne comprend pas l'utilité des rites religieux.

Brièveté

Lutilisation du genre du conte (en plus de celui de lapologue) sous-entend de nombreuses simplifications  : densité et brièveté de lintrigue, peu de détails, de description ou de profondeur psychologique des personnages. Ainsi, Voltaire se résout à une intrigue invraisemblable basée sur des coïncidences improbables (arrivée dun bateau au moment même labbé et sa sœur évoquent le départ de leur frère, lien de parenté entre lIngénu et le prieur ; par ailleurs, lIngénu parle français). De même, la plupart des personnages (à lexception notable de lIngénu, de Mlle de Saint-Yves, de Gordon voire de Saint-Pouange, plus développés et évoluant au fil du roman) sont réduits à létat de silhouettes, de marionnettes figées dotées dun ou deux traits de caractère mis en évidence par lépithète homérique  : « linterrogeant bailli », « limpitoyable bailli », « son niais de fils », mais aussi « la belle et désolée Saint-Yves », « la tendre Saint-Yves », etc.

Caricature

Toutefois, Voltaire se laisse parfois aller à une exagération ironique se moquant de ce caractère artificiel de lintrigue. Par exemple, lincipit de LIngénu, après le premier paragraphe parodiant les hagiographies, est caricatural de par la lourdeur et le côté artificiel de la présentation des personnages, de lintrigue et du cadre spatio-temporel. On note notamment la surabondance des indices dénonciation, contrastant avec leur absence dans le paragraphe précédent (ce qui renvoie à une idée de dualité). De même, le dialogue entre labbé de Kerkabon et sa sœur est une présentation volontairement et ironiquement maladroite des enjeux  : les deux répliques, construites de manière parallèle, sont chargés de précisions déjà connues du destinataire, et sont, de manière voyante, destinées au lecteur. Acceptant de faire des concessions pour se plier aux règles dun genre bref, Voltaire sen moque néanmoins en accentuant ces concessions à des fins humoristiques.

Le roman

Le roman d'apprentissage

Lamélioration des personnages par lexpérience est exprimée pour Mlle de Saint-Yves au chapitre XVIII : « Son aventure était plus instructive que quatre ans de couvent. » - en critiquant au passage léducation religieuse, et avec une critique quelques lignes plus haut de léducation provinciale.

Cet enrichissement par lexpérience soppose aux spéculations inutiles et improductives de Gordon.

Par ailleurs, LIngénu peut être, par sa morale et sa progression narrative, rattaché à lempirisme ; en effet, en passant du conte irréel, idéal et invraisemblable au roman réaliste et concret, Voltaire sinscrit dans la réalité sociale. Les personnages de LIngénu trouvent, au final, leur place dans la société.

Le roman sensible
Lhéroïsme
La caricature

Si LIngénu présente loriginalité de se rattacher au genre romanesque, et de préfigurer lavènement du roman moderne (et notamment par le roman sensible), Voltaire nhésite pas à jouer sur son caractère stéréotypé. Ainsi, les retrouvailles entre lIngénu et Mlle de Saint-Yves, au chapitre XVIII, une situation attendue et largement surexploitée par la littérature romanesque de lépoque, sont bien moins lyriques que ce à quoi on pourrait sattendre  : on nous en dit uniquement que « Les deux amants se voient, et tous deux sévanouissent. »

La dualité

La morale

LIngénu est emblématique de la dualité de lœuvre de Voltaire - que Jean Starobinski appelle loi du fusil à deux coups, en référence à celui porté par lIngénu (évoqué à plusieurs reprises  : « à balle seule » au début du chapitre II, « son fusil à deux coups sur lépaule » au début du chapitre VII, et enfin « [La maréchaussée] se saisit dabord de son fusil à deux coups » lors de larrestation de lIngénu au chapitre IX). Lexpression la plus évidente de la dualité de LIngénu est sans doute sa morale.

« Le bon Gordon vécut avec lIngénu jusquà sa mort dans la plus intime amitié; il eut un bénéfice aussi, et oublia pour jamais la grâce efficace et le concours concomitant. Il prit pour sa devise : malheur est bon à quelque chose. Combien dhonnêtes gens dans le monde ont pu dire : malheur nest bon à rien ! ».

Deux visions contraires du monde y sont exprimées. De même, le dénouement, bien que triste, laissait place à une part despoir  : le malheur ne sest pas effacé, mais lIngénu le dépasse par la connaissance et par laction (« à la fois un guerrier et un philosophe intrépide »). Le malheur est accepté, et il faut sy résigner.

La structure

La dualité passe aussi par la structure (opposition entre la focalisation sur lIngénu, puis sur Mlle de Saint-Yves), et par lexistence de deux schémas actanciels différents.

Les personnages

La dualité se manifeste aussi au niveau des personnages  : existence de couples symétriques ou opposés.

Les Kerkabon
LIngénu et Gordon

Personnages opposés lors de leur rencontre à la Bastille, puis, leur pensée va séquilibrer et sharmoniser, jusquà ce quils se mettent daccord  : lIngénu aura transmis à son ami Gordon un recul sur ses convictions et une volonté daction directe plutôt que de spéculation, mais il aura acquis une culture, une élévation intellectuelle et des connaissances profitables.

Les genres

La dualité est aussi visible dans les genres (passage du conte satirique au roman).

Sens de la dualité

Voltaire exprime donc par LIngénu une vision du monde double avec pour visée argumentative

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  • Ingénu — L Ingénu L’Ingénu Auteur Voltaire Genre Conte philosophique Pays d origine …   Wikipédia en Français

  • INGÉNU — UE. adj. Naïf, simple, franc, qui est sans déguisement, sans finesse. Il se dit Des personnes et des choses. Un homme ingénu. Un esprit ingénu. C est l homme du monde le plus ingénu. Cette jeune personne est très ingénue. Il a l air ingénu, fort… …   Dictionnaire de l'Academie Francaise, 7eme edition (1835)

  • INGÉNU, UE — adj. Qui a de la simplicité et presque de la naïveté dans la franchise. Un homme ingénu. Un esprit ingénu. Cette jeune personne est très ingénue. Il a l’air ingénu, fort ingénu. Elle a dit cela d’une manière tout à fait ingénue. Déclaration,… …   Dictionnaire de l'Academie Francaise, 8eme edition (1935)

  • ingenu — in|ge|nu Mot Pla Adjectiu variable …   Diccionari Català-Català

  • INGENU — Ingenui …   Abbreviations in Latin Inscriptions

  • ingénu — adj. => Innocent, Simple …   Dictionnaire Français-Savoyard

  • L'Ingénu — L’Ingénu Auteur Voltaire Genre Conte philosophique Pays d origine …   Wikipédia en Français

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