Jacques Rouche

Jacques Rouche

Jacques Rouché

Jacques Rouché est un mécène français le 16 novembre 1862 à Lunel (France) et mort à Paris le 9 novembre 1957. Patron des parfums Piver, il dirigea également La Grande Revue, le Théâtre des Arts et lOpéra de Paris.

Sommaire

Un brillant début de carrière

Jacques Rouché chez lui (1910)

Jacques Rouché est à Lunel (Hérault) dans une famille protestante. Son père Eugène est un illustre mathématicien, auteur dun théorème qui porte son nom.

Après de brillantes étudesPolytechnique (X 1882) et Sciences politiquesconclues par linspection des Finances, Jacques Rouché entre dans différents ministères avant dêtre nommé chef du commissariat de lExposition universelle de 1889. Lexcellence de son travail à ce poste lui vaut la Légion d'honneur à 27 ans.

Passionné de théâtre et de mise en scène, il écrit dans le même temps des nouvelles, plusieurs comédies et un essai sur la réforme de lenseignement du comédien (1887). Durant lété 1891, il se rend à Vienne, Budapest et Bayreuth pour y étudier les machineries de théâtre, sinformer auprès des ingénieurs de plateau et assister à des opéras.

En 1893, il épouse Berthe, lhéritière des parfums Piver et entame une carrière de chef dentreprise quil mène tambour battant. La société Piver ayant besoin dêtre modernisée, il sadjoint le concours dingénieurs chimistes qui mettent au point les premiers parfums de synthèse. Ceux-ci offrent en effet de nombreux avantagespuissance olfactive, possibilités infinies dassemblage et fabrication peu onéreuseet préfigurent tous les parfums actuels. Pour populariser ses produits, il introduit léventail et la carte parfumés. Pour accroître son implantation commerciale, il ouvre des succursales à Londres, Anvers, Gand, Milan, Vienne, Moscou, New York, Mexico, Buenos Aires, Hong-KongSi bien quau début du XXe siècle, L-T Pivert est lune des rares entreprises françaises à réaliser plus de la moitié de son chiffre daffaires à lexportation.

Ayant acquis une position sociale respectable et une fortune enviable, Jacques Rouché peut maintenant se lancer dans des aventures artistiques qui vont faire de lui lun des plus grands mécènes de son temps.

La Grande Revue

En 1907, il acquiert la Grande Revue, publication juridique créée par Fernand Labori, le défenseur de Lucy Dreyfus et dÉmile Zola, et lui donne une forte inflexion culturelle. André Gide, Gabriele d'Annunzio, George Bernard Shaw, Jean Giraudoux, Jules Renard, Victor Margueritte, Paul Verhaeren, Alain-Fournier y publient romans, nouvelles, pièces de théâtre, essais, critiques. Cest dans ses colonnes que paraît Le Voyage du condottière dAndré Suarès, Ragote de Jules Renard, Don Manuel le paresseux de Jean Giraudoux, Charles Blanchard de Charles-Louis Philippe, Marie-Claire de Marguerite Audoux.

Rendant compte de lactualité, les chroniques sont tenues par Maurice Denis et George Desvallières (peinture), Léon Blum et Jacques Copeau (théâtre), Romain Rolland et Louis Laloy (musique), André Suarès (vie littéraire), Gaston Doumergue (politique).

Enfin, sintéressant de près aux arts plastiques et ayant pour amis de nombreux peintres, Jacques Rouché les persuade de travailler pour lui. Cest ainsi que René-Xavier Prinet, Bernard Naudin, Félix Vallotton, Maurice Denis, Georges Delaw, George Desvallières fournissent régulièrement dessins et gravures à La Grande Revue.

Jacques Rouché va diriger cette publication bimensuelle jusquen 1939, date à laquelle elle cesse de paraître.

Le Théâtre des Arts

En 1910, il loue pour trois saisons le Théâtre des Artsconnu actuellement sous le nom dHébertot. Quoique petite et géographiquement excentrée, cette salle bénéficie dune réputation flatteuse, grâce à son directeur antérieur, Robert dHumières.

Bien que novice, Jacques Rouché met sur pied en quelques mois une troupe et un programme ambitieux voisinent pièces classiques et créations contemporaines, drames et comédies, ballets et opéras.

Il y applique les réformes scénographiques pour lesquelles il vient de publier un ouvrage intitulé LArt théâtral moderne et quil résume par cette formule : « mettre le décor au service du drame ». Dans cette optique, il fait appel à des peintres nayant jamais travaillé pour la scène, mais qui, par leur sensibilité, sont capables de traduire lesprit de la pièce quils doivent illustrer. Une trentaine de peintres sont ainsi mobilisés dont Maxime Dethomas, Jacques Drésa, René Piot, André Dunoyer de Segonzac, Georges d'Espagnat, Charles Guérin, André Hellé.

Lune des grandes réussites du Théâtre des Arts est ladaptation du chef dœuvre de Dostoïevski Les Frères Karamazov. A cette occasion se trouvent réunis 3 chefs de file du théâtre en France, alors à leurs débuts : Jacques Copeau qui est ladaptateur de la pièce, Charles Dullin et Louis Jouvet.

A linstar des Ballets russes, il organise, en avril 1912, des concerts entièrement consacrés à la danse réunissant des compositeurs (Vincent d'Indy, Florent Schmitt, Paul Dukas et Maurice Ravel) et des peintres (George Desvallières, Maxime Dethomas, René Piot et Jacques Drésa), tous français.

Ces Concerts de danse sont une réussite, comme le sont les Spectacles de musique se côtoient des chefs-dœuvre de la musique baroque et des créations contemporaines : Idoménée de Mozart et La Source lointaine dArmande de Polignac, le prologue de Thésée de Jean-Baptiste Lully et Dolly de Gabriel Fauré, Le Couronnement de Poppée de Monteverdi et LAmoureuse Leçon dAlfred Bruneau, Les Éléments de Lalande et Destouches et Ma Mère l'Oye de Maurice Ravel, Pygmalion de Rameau et Le Festin de laraignée dAlbert Roussel. Ce faisant, il est le premier à remettre à lhonneur la musique baroque qui avait été éclipsée pendant plus dun siècle.

LOpéra de Paris

Pour remplacer André Messager et Leimistin Broussan à la tête de lOpéra de Paris, le gouvernement français songe à Jacques Rouché dont il a remarqué les brillantes réalisations au Théâtre des Arts.

Cette nomination, parue au Journal officiel de novembre 1913, fait grincer bien des dents, car elle consacre lascension dun parfumeur qui nest pas du sérail et na que 3 ans dexpérience théâtrale. Mais le nouveau venu a pour lui certains atouts : en plus dune culture musicale plus importante que ne le laisse supposer son parcours, il possède des qualités avérées de meneur dhommes et de gestionnaire. De surcroît, sa fortune est bien utile pour combler les déficits chroniques dune institution assimilable à une entreprise privée. Bien que jouant les tuteurs vétilleux, lÉtat répugne en effet à augmenter une subvention qui savère notoirement insuffisante pour équilibrer les comptes.

Durant les trente années que dure sa direction, Jacques Rouché va donc puiser 22 millions de francs or dans sa fortune pour assurer le bon fonctionnement de lAcadémie nationale de musique et de danse, ce qui fera dire à un député en 1924 : « En sorte que cest M. Rouché qui subventionne lÉtat, pour avoir lhonneur de diriger lOpéra ».

Début 1914, Jacques Rouché entreprend une tournée des grandes salles dopéras européennes qui lemmène successivement à Bruxelles, Berlin, Dresde, Saint-Pétersbourg, Moscou, Vienne et Stuttgart. Il y rencontre directeurs, ingénieurs, metteurs en scène, décorateurs, compositeurs, professeurs de chant et de danse (Max Reinhardt, Constantin Stanislavski, Richard Strauss, Serge Rachmaninov, Alexandre Benois, etc.).

Il entre en fonction en septembre 1914, au moment le Palais Garnier ferme ses portes pour cause de guerre et ne les rouvre que 18 mois plus tard, pour quelques spectacles en matinée. Malgré les difficultés rencontrées, il sattache à maintenir un certain niveau dactivité, montant surtout des ballets dont le plus intéressant est Les Abeilles, musique dIgor Stravinski, décor et costumes de Maxime Dethomas.

En 1918, il présente Castor et Pollux de Jean-Philippe Rameau, espérant que lopéra baroque rencontre un accueil comparable à celui quil reçut au Théâtre des Arts. Malheureusement, le public bouda une musique trop éloignée de ce quil avait lhabitude dentendre.

Une fois la paix recouvrée, Jacques Rouché organise la programmation autour de compositeurs contemporains, français et étrangers : Georges Auric, Claude Debussy, Gabriel Fauré, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Maurice Ravel, Sauguet, Schmitt, mais également Werner Egk, Georges Enesco, Manuel de Falla, Malipiero, Serge Prokofiev, Giacomo Puccini, Richard Strauss, Igor Stravinski...

Quelques grands moments jalonnent cette période dintense créativité (en moyenne 8 par an). Des œuvres lyriques comme Padmâvatî dAlbert Roussel, Le Chevalier à la rose de Richard Strauss, Mârouf, savetier du Caire dHenri Rabaud, Turandot de Giacomo Puccini, La Tour de feu de Vittorio Rieti, Œdipe de Georges Enesco, LEnfant et les sortilèges de Maurice Ravel, Médée de Darius Milhaud alternent avec des œuvres chorégraphiques comme Petite Suite de Claude Debussy, Cydalise et le Chèvre-pied de Gabriel Pierné, Siang Sin de Georges Hue, LOrchestre en liberté dHenri Sauveplane, La Grisi dHenri Tomasi, Promenades dans Rome de Marcel Samuel-Rousseau.

Il faut cependant attendre les années 1930 et larrivée de Serge Lifar pour que la danse retrouve son prestige. Sous limpulsion du nouveau maître de ballet, les initiatives se multiplient : interdiction aux abonnés de fréquenter le foyer de la danse ; création des mercredis de la danse, professionnalisation du métier, institution du titre de danseur étoile, programmation laissant une large place à cette discipline.

Un des plus beaux symboles de cette rénovation est Icare. Les séquences chorégraphiques conçues par Serge Lifar dictent le rythme musical. Il concrétise de manière singulière la fusion existant entre musique et danse.

Malgré tous ces efforts, la fréquentation du Palais Garnier baisse et les déficits saggravent, menaçant de ruiner Jacques Rouché. Au-delà dune intervention financière de lÉtat, il est clair quune réforme est nécessaire. En 1936, le gouvernement français entame un processus qui sachève en 1939 avec la création de la Réunion des théâtres lyriques nationaux. En même temps quils cessent dêtre des entreprises privées, lOpéra et lOpéra-Comique sont réunis dans une même organisation. Jacques Rouché en est ladministrateur général et a sous ses ordres deux proches collaborateurs : Philippe Gaubert à lOpéra et Henri Büsser à lOpéra-Comique.

LOccupation

LOccupation allemande modifie profondément la situation de lOpéra. Dun côté, le gouvernement de Vichy veut y maintenir son autorité, de lautre loccupant cherche par tous les moyens à se lapproprier. Au milieu, Jacques Rouché concentre ses efforts sur la remise en marche de linstitution dans des conditions très précaires et avec une marge de manœuvre de plus en plus réduite.

Les moyens manquants, laccent est naturellement mis sur le ballet, moins coûteux. Au surplus, le corps de ballet a acquis une réputation flatteuse et les allemands pas plus que les français ne rechignent à aller admirer ses élégantes réalisations. Serge Lifar crée ainsi Le Chevalier et la Damoiselle de Philippe Gaubert, Joan de Zarissa de Werner Egk, Les Animaux modèles de Francis Poulenc, Suite en blanc sur une musique dÉdouard Lalo, Guignol et Pandore dAndré Jolivet.

Dans le domaine lyrique, Jacques Rouché reprend quelques grandes œuvres du répertoire qui affirment la singularité de la musique française : La Damnation de Faust dHector Berlioz, Thaïs et Manon de Jules Massenet, Faust de Charles Gounod, Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns, Mârouf dHenri Rabaud, Le Roi dYs dÉdouard Lalo. Il ne peut cependant pas éviter que des formations doutre-Rhin, notamment la philharmonique de Berlin, sinvitent sur la scène du Palais Garnier.

Il cherche également à alléger le poids des difficultés rencontrées par son personnel. Si, à lautomne 1940, les lois dexclusion à l'encontre des Juifs lobligent à se séparer dune trentaine de personnes, il maintient leur rémunération jusquen décembre 1942. Bien que la Charte du travail doctobre 1941 ait dissout les syndicats, il continue à négocier avec eux des indemnités de vie chère, des secours pour les salariés mobilisés et lobtention de cartes de travailleurs de force pour les machinistes. Il maintient à son poste le décorateur hongrois Ernest Klausz jusquen décembre 1943.

À la Libération, il est sommé de s'expliquer sur son attitude pendant la guerre et il est traduit devant une chambre civique. Les syndicalistes et les résistants des deux scènes lyriques françaises viennent témoigner à son procès, affirmant quil a fait preuve dune neutralité plus que bienveillante à leur égard. Acquitté, il n'en est pas moins révoqué en janvier 1945 et se retire dans son hôtel particulier de la rue de Prony il meurt en novembre 1957.

Un acteur incontournable de la scène culturelle française

Pendant un demi-siècle, laction de Jacques Rouché a souvent été décisive. Ainsi, en guidant les premiers pas de Copeau, Dullin et Jouvet, il a initié le renouveau du théâtre en France. En montant quelques chefs dœuvres oubliés de la musique baroque, il sest inscrit en véritable précurseur. En appelant une nouvelle génération de musiciens à composer pour lopéra, il a renouvelé le répertoire lyrique du palais Garnier. En cherchant à faire coïncider décors et costumes au style dramatique ou musical de lœuvre présentée, il a infléchi durablement lart de la scénographie. En entreprenant, avec Serge Lifar, les réformes dont le corps de ballet avait besoin, il a permis à la danse de retrouver la place éminente qui était la sienne du temps de Vestris et de Petipa.

Ces réalisations ont un prix, car La Grande Revue, le Théâtre des Arts et lOpéra de Paris ne sont guère rentables. Jacques Rouché a donc puisé, année après année, dans ses fonds propres pour équilibrer les comptes et permettre à une multitude dartistes dexercer leur talent. Ce qui fera écrire à Jean Cocteau qui le connaissait bien : « Jacques Rouché na pas seulement dépensé lor de sa poche. Il dépensa les trésors dun noble cœur ».

Bibliographie

  • Dominique Garban, Jacques Rouché, lhomme qui sauva lOpéra de Paris, Somogy, Paris, 2007.
  • André Boll, Jacques Rouché, Olivier Perrin, Paris, 1972.
  • Revue dhistoire du théâtre, « Jacques Rouché », dossier spécial de la revue de la Société dhistoire du théâtre, t. III, Michel Brient, Paris, juillet-septembre 1958.

Exposition à l'Opéra de Paris

Organisée par la Bibliothèque nationale de France, une exposition consacrée à Jacques Rouché se tient à l'Opéra de Paris du 5 juin au 30 septembre 2007. Elle sintitule : « La modernité à lOpéra : Jacques Rouché (1914-1945) ».

Précédé par Jacques Rouché Suivi par
André Messager et Leimistin Broussan
Directeur du Théâtre national de l'Opéra
1914-1939
Création de la Réunion des théâtres lyriques nationaux
Création de l'établissement public
Administrateur de la Réunion des théâtres lyriques nationaux
1939-1945
Maurice Lehmann
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