Intelligence collective

Intelligence collective

L'intelligence collective désigne les capacités cognitives d'une communauté résultant des interactions multiples entre ses membres (ou agents). Les éléments portés à la connaissance des membres de la communauté font qu'ils ne possèdent qu'une perception partielle de l'environnement et n'ont pas conscience de la totalité des éléments qui influencent le groupe. Des agents au comportement très simple peuvent ainsi accomplir des tâches apparemment très complexes grâce à un mécanisme fondamental appelé synergie. Sous certaines conditions particulières, la synergie créée par la collaboration fait émerger des facultés de représentation, de création et d'apprentissage supérieures à celles des individus isolés. L'étude de l'intelligence collective implique aussi l'étude des limites des interactions entre membres d'un groupe, limites qui conduisent à des erreurs collectives parfois catastrophiques.

Les formes d'intelligence collective sont très diverses selon les types de communauté et les membres qu'elles réunissent. Les systèmes collectifs sont en effet plus ou moins sophistiqués. Les sociétés humaines en particulier n'obéissent pas à des règles aussi mécaniques que d'autres systèmes naturels, par exemple du monde animal. Les caractéristiques de l'intelligence collective sont, pour les plus simples d'entre eux :

  • Une information locale et limitée : Chaque individu ne possède qu'une connaissance partielle de l'environnement et n'a pas conscience de la totalité des éléments qui influencent le groupe.
  • Un ensemble de règles simples : Chaque individu obéit à un ensemble restreint de règles simples par rapport au comportement du système global.
  • Des interactions sociales multiples : Chaque individu est en relation avec un ou plusieurs autres individus du groupe.
  • Une structure émergente utile à la collectivité : Chaque individu trouve un bénéfice à collaborer (parfois instinctivement) et sa propre performance au sein du groupe est meilleure que s'il était isolé.

Sommaire

L'intelligence collective naturelle

L'intelligence collective s'observe principalement chez les insectes sociaux (fourmis, termites et abeilles), les animaux se déplaçant en formation (oiseaux migrateurs, bancs de poissons) et, dans une moindre mesure, les mammifères sociaux chassant en meute (loups, hyènes, lionnes). Les points communs de ces diverses espèces sont exactement ceux qui caractérisent l'intelligence collective :

  • Les individus aiment la proximité de leurs semblables et tendent à être grégaires car ils obtiennent un avantage substantiel à chasser, se déplacer ou vivre en groupe.
  • Ils interagissent de manière locale par le moyen de signaux (grognement, phéromones, attitudes).
  • L'individu seul répond instinctivement à certains stimuli. La coordination du groupe est implicite et se fait au travers de règles comportementales très simples au niveau individuel.

De ce point de vue, les mammifères chassant en meute tels que le loup ou la hyène sont moins représentatifs d'une réelle intelligence collective, car chaque individu est doué d'une capacité cognitive importante (au regard des insectes ou des oiseaux notamment) et possède une information globale assez importante (dans le cadre d'une chasse par exemple). Ce type d'intelligence se rapproche plus de l'organisation et de la coordination qu'on retrouve dans les sports d'équipe ou le travail collaboratif. D'autre part, le nombre d'individus n'est pas suffisamment élevé pour parler réellement d'un phénomène d'intelligence collective.

Le cas des oiseaux migrateurs

Les oiseaux migrateurs doivent parcourir de très longues distances, dans des conditions parfois difficiles. Ainsi, il est important pour eux d'optimiser leur déplacement en termes d'énergie dépensée. Les oies sauvages adoptent des formations en V qui leur permettent d'étendre leur distance de vol de près de 70%, car chaque oiseau prend l'aspiration de son prédécesseur, comme le font les cyclistes.

Le prix à payer est une perte en vitesse, puisqu'un individu seul vole en moyenne 24% plus vite qu'une volée.

Les fourmis : un modèle naturel de résolution de problèmes distribué

Les fourmis sont des animaux eusociaux.

Les fourmis, comme d'autres insectes sociaux, présentent des adaptations qui peuvent confèrer un avantage écologique dans certains environnements :

  • Un registre comportemental limité
  • Des capacités cognitives pas assez développées pour permettre à un seul individu d'obtenir assez d'information sur l'état de la collectivité pour garantir une division des tâches efficace, condition nécessaire au bon fonctionnement de la colonie.
  • Des facultés de communication avancées par le biais des phéromones, favorisant des interactions multiples

La colonie dans son ensemble est un système complexe stable et auto-régulé capable de s'adapter très facilement aux variations environnementales les plus imprévisibles, mais aussi et surtout de résoudre des problèmes, sans contrôle externe ou mécanisme de coordination central, de manière totalement distribuée. Les tâches accomplies par la colonie ne sont naturellement pas à la portée d'un individu seul ou d'un groupe identique dénué d'intelligence collective.

Cela a permis aux fourmis de s'imposer partout sur le globe terrestre puisqu'on considère que la biomasse des fourmis est à peu près identique à celle de l'espèce humaine[réf. nécessaire].

La division des tâches

Les fourmis, ainsi que les abeilles, les termites ou les guêpes, ont la faculté de répartir dynamiquement les tâches en fonction des besoins de la colonie et ce, de manière totalement distribuée, sans aucun contrôle central.

Chez les fourmis, le signe le plus ostensible d'une répartition effective des tâches au sein de la colonie est l'existence de castes, qui peuvent être de deux types : morphologiques et comportementales.

  • Castes morphologiques
  • Les ouvrières sont relativement petites et peuvent accéder à toutes les galeries du nid. Elles s'occupent entre autres de sa construction, de son nettoyage, ainsi que du soin des larves.
  • Les soldates sont plus robustes et plus grandes, possédant en général d'imposantes mandibules, et sont affectées à la surveillance du nid.
  • La reine est généralement la plus grosse fourmi de la colonie et est destinée exclusivement à la ponte.
  • Castes comportementales
Il existe de très nombreux comportements au sein d'une colonie de fourmis, et bien que la caste morphologique ait une forte incidence sur le comportement, on considère qu'il existe également des castes comportementales :
  • Auto-suffisance
  • Nourrir la reine
  • Nourrir les larves
  • S'occuper des œufs
  • Assister aux éclosions
  • Fourrager (recherche et collecte de nourriture)
  • Tracer des pistes phéromonales
  • Chasser des proies
  • Attaquer des colonies ennemies
  • Défendre la colonie
  • Patrouiller, garder l'entrée du nid
  • Consolider les murs du nid
  • etc.

Un individu peut changer de caste comportementale au cours de sa vie, mais il devient aussi de plus en plus spécialisé au fil du temps[réf. nécessaire]. De la même manière, les individus les plus jeunes ont tendance à rester dans la fourmilière (nourrir la reine, les larves, s'occuper des œufs, etc.) tandis que les plus âgés s'aventurent à l'extérieur pour recueillir de la nourriture, chasser ou garder l'entrée du nid.

Les mécanismes de division du travail

La division des tâches chez les insectes sociaux est totalement plastique : le nombre d'individus appartenant aux différentes castes et la nature des tâches à accomplir sont sujets à des changements constants durant la vie de la colonie. La proportion d'individus se consacrant à une tâche donnée varie en fonction des perturbations interne du nid et globales de l'environnement. Dans la mesure du possible, ce sont les individus les plus adaptés qui adoptent une tâche donnée, mais dans des cas extrêmes, même des individus de castes morphologiques inadaptées peuvent combler les besoins d'une tâche (par exemple, les ouvrières peuvent se mettre à défendre le nid si un manque de soldates se fait sentir).

Comment est-ce que la colonie contrôle la proportion d'individus affectés à chaque tâche, étant donné qu'aucun individu ne possède de représentation globale des besoins de la colonie ? La flexibilité de la division du travail dépend de la flexibilité comportementale de chaque individu, dont un modèle biologique plausible est le concept de seuil de réponse. Selon ce modèle, chaque individu possède un seuil de réponse, plus ou moins élevé, pour chaque tâche à accomplir au sein de la colonie. Ces tâches sont autant de stimuli pour les individus, qu'ils soient visuels, phéromonaux ou d'une autre nature. Lorsqu'un stimuli dépasse le seuil de réponse d'un individu, ce dernier se met instinctivement à travailler pour réduire ce stimuli. Si l'on comparait cela au travail d'une ménagère, les stimuli seraient la vue du désordre ou les mauvaises odeurs. Lorsque ces dernières dépassent un certain seuil, la ménagère se consacrerait au rangement, ou au nettoyage. Lorsque le stimuli de la faim deviendrait trop important, elle se mettrait à manger.

En outre, les seuils de réponse sont adaptatifs : plus un individu se consacre à une tâche, plus le seuil associé baisse. L'individu se spécialise.

Le chemin le plus court

Une colonie doit s'alimenter pour survivre. Pour cela, les fourmis recherchent des sources de nourriture dans le voisinage du nid. Dans une première phase, elles errent de manière plus ou moins aléatoire. Lorsque une fourmi découvre une source de nourriture, elle retourne au nid en déposant des phéromones le long du chemin parcouru. Certaines espèces possèdent la faculté de revenir au nid très rapidement, grâce à un compas interne basé sur la polarisation de la lumière solaire, tandis que d'autres semblent plutôt s'orienter de mémoire. En chemin, la fourmi qui a découvert la source de nourriture recrute d'autres individus grâce aux phéromones déposées, mais aussi en réalisant des trophallaxies qui leur permettent d'évaluer la qualité de la source afin de choisir de suivre la piste ou non. De la même manière, un individu croisant une piste décidera de la suivre avec une certaine probabilité p1.

A leur tour, les individus recrutés déposent davantage de phéromones sur la piste suivie, ce qui la rendra encore plus attractive. Ce renforcement positif amène la colonie à se concentrer peu à peu sur cette piste et à exploiter cette source. Néanmoins, chaque individu peut quitter la piste avec une certaine probabilité p2, favorisant alors l'exploration et la découverte d'autres sources de nourriture éventuellement plus favorables ou, de pistes plus courtes amenant à la même source.

Les colonies de fourmis ont non seulement la capacité de découvrir d'autres sources, mais aussi de basculer leur exploitation sur la source la plus favorable (en termes de qualité, de richesse et de distance). En effet, lorsque une fourmi découvre une nouvelle source, elle va pouvoir recruter d'autres individus qui décideront ou non de changer de piste en fonction de la qualité de la nourriture échangée par trophallaxie. En outre, et plus important, les phéromones s'évaporent: de ce fait, une piste courte étant marquée plus souvent qu'une piste longue, elle pourra être privilégiée au fil du temps.

La réussite des fourmis tient du parfait équilibre entre l'exploration et l'exploitation, entre une réaction négative et positive du système menant à son équilibre dynamique. Dans cet exercice, les variables p1 et p2 jouent un rôle clé: dans la réalité elles se caractérisent par du bruit dans les organes sensoriels des fourmis qui peuvent les amener à perdre une piste, mais aussi par des considérations physiques: lorsque deux individus se croisent, l'un ou l'autre (ou parfois les deux) doit s'écarter de la piste, ce qui peut potentiellement l'amener à la perdre. Au niveau individuel, cet événement est négatif en ce qu'il réduit l'efficacité de l'exploitation d'une source, mais au niveau global cela peut amener un énorme bénéfice. Les paramètres étant multiples, ce bénéfice peut être difficile à chiffrer : une source peut n'être caractérisée que par sa teneur en sucre et sa distance. Il se peut aussi qu'elle soit plus éloignée qu'une autre, mais beaucoup plus facile d'accès, ou à l'abri des prédateurs. C'est le fait des systèmes complexes que d'intégrer de très nombreux paramètres qui les rendent alors instables et chaotiques.

Les termites et l'auto-assemblage

Les termites, grâce à leur intelligence collective, sont capables de s'auto-assembler. Une caractéristique fréquente de l'intelligence collective est l'utilisation du substrat pour "communiquer" entre individus. C'est ce qui s'appelle la stigmergie. Par exemple, un termite n'échange pas directement des informations avec les autres termites, mais la modification apportée à la termitière va modifier le comportement des autres individus.

L'intelligence collective artificielle

La bio-inspiration a amené de nombreux chercheurs à emprunter les principes mis en exergue chez les insectes sociaux pour en faire des algorithmes et des paradigmes d'ingénierie très efficaces pour la résolution de certains problèmes. Ils sont souvent regroupés sous l'appellation « système multi-agent » (SMA).

La notion d'intelligence collective tend de même à prendre une importance notable dans le cadre très large de l'économie de la connaissance. C'est le cas avec le développement des communautés (voir notamment Communauté de pratique). En organisation, le management de/par projet depuis les années 1960 est une illustration. Les développements technologiques du Web 2.0 ou encore du Web sémantique permettent le développement d'une intelligence collective sur Internet. Des outils tels que les wikis, les social bookmarks, les moteurs sociaux de recherche favorisent l'échange et le partage de connaissance en s'appuyant sur la mutualisation du travail (rédaction, recherche d'information, expertise) de tout un chacun.

Intelligence collective dans les sociétés humaines

L'intelligence collective dans une société humaine provient d'interactions plus complexes répondant à diverses conditions citées ci-après

Une communauté d'intérêt

Une libre appartenance :

  • Une adhésion fondée sur des buts communs.
  • Une confiance mutuelle entre les membres.

Une structure horizontale :

  • Des règles (tacites ou explicites) identiques pour tous les membres.
  • Une organisation dynamique : la répartition des rôles est fondée sur le volontariat et la complémentarité des compétences.

Une gestion collective :

Un espace collaboratif

Des outils de coopération :

Un système d'information

  • Un accès total et en temps réel à l'information pour l'ensemble de la communauté.
  • Une vue synthétique et contextuelle de la situation pour chaque membre.

Un processus d'apprentissage

Limites de l'intelligence collective dans les sociétés humaines

De nombreux cas de défaillances sont connus en ce domaine. Par exemple,

  • les décisions de groupe, où les membres n'osent pas dire ce qu'ils pensent,
  • l'acceptation passive d'un état de fait dont l'individu se doute qu'il mène à une catastrophe (ex : fusée Challenger),
  • les discussions sur les choix et les conséquences des décisions souvent confuses et ne menant à rien ;
  • l'avis des experts sans conséquence face à l'opinion d'un groupe dont les individus se trompent,
  • ou au contraire les participants acceptant sans réflexion l'avis d'experts,
  • les votes démocratiques qui portent un dictateur à la tête de l'État ;
  • les représentations collectives qui norment les comportements aux détriments d'une classe ou d'une autre (conduisant par exemple à un taux de suicide très élevé chez les femmes en Chine[1])

L'intelligence collective est ainsi limitée par des effets de groupe (conformisme, crainte, fermeture, absence de procédure, homogénéité idéologique), au point que l'individu seul peut parfaitement être plus intelligent que tout un groupe car, il conserve mieux sa pensée critique seul que sous l'influence du groupe. A noter d'ailleurs que la notion d'intelligence s'applique aux facultés cognitives, voire émotionnelles, d'un individu. L'application de cette notion à un groupe ne peut avoir le même sens, car il est impossible de dire où émergeraient des facultés de représentation, de création et d'apprentissage supérieures à celles des individus isolés. Selon Christian Morel, il est ainsi, en général, impossible à un groupe de rédiger un "document d'information clair et pertinent" (in "Prend-on de meilleures décisions à plusieurs ?", Sciences Humaines, mars 2006[2]), ce qui exprimerait le fait que la notion de représentation collective est vague, voire inconsistante.

L'intelligence sociale, que définit Jean-François Chantaraud dans L'état social de la France, permet de dépasser ces limites en aidant à "comprendre et construire de façon simultanée la personne, l'entreprise et la société".

Toutefois, les critiques ci-dessus s'appliquent plus au travail collaboratif de type humain qu'à l'intelligence collective de type fourmi (Intelligence distribuée). Toute personne peut se faire une opinion propre.[réf. nécessaire] Les fourmis ne semblent pas avoir d'opinion, ni même d'intérêt personnel différent de l'intérêt du groupe.

Notes et références

  1. Voir le dossier de Sciences Humaines, mars 2006)
  2. Voir aussi: Christian Morel, Les décisions absurdes : Sociologie des erreurs radicales et persistantes, Paris, Gallimard, 2002

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Intelligence collective de Wikipédia en français (auteurs)

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