- Espace vectoriel normé
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Un espace vectoriel normé est une structure mathématique qui développe des propriétés géométriques de distance compatible avec les opérations de l'algèbre linéaire. Développée notamment par David Hilbert et Stefan Banach, cette notion est très importante en analyse et plus particulièrement en analyse fonctionnelle avec l'utilisation d'espaces de Banach tels que les espaces Lp ou les espaces de Sobolev Wk, p.
Sommaire
Structure générale
Définition formelle
Article détaillé : Norme (mathématiques).Soit K un corps commutatif muni d'une valeur absolue, et non discret (par exemple le corps des réels ou des complexes).
Définition — Un K-espace vectoriel E est dit normé E lorsqu'il est muni d'une norme, c'est-à-dire d'une application
satisfaisant les hypothèses suivantes :
- séparation : ;
- homogénéité : ;
- sous-additivité : .
S'il n'y a pas de risque d'ambiguïté, la norme d'un élément x est notée .
La boule unité (fermée) de E est l'ensemble des vecteurs de norme inférieure ou égale à 1.
Sous-espace et espace produit
Tout sous-espace vectoriel d'un espace vectoriel normé est normé par la restriction de la norme.
Soit (E, NE) et (F, NF) deux espaces vectoriel normés, alors l'application NExF définie par l'égalité suivante est une norme sur l'espace vectoriel produit ExF :
Espace quotient
Soit F un sous-espace vectoriel de E un espace vectoriel normé. On définit l'application E/F sur l'espace vectoriel quotient E/F par :
, où d est la distance sur E (et sur ses parties) induite par la norme.
Cette application est manifestement homogène. Elle est de plus sous-additive, en effet :
est majoré par
. Par défaut, l'espace vectoriel quotient est donc équipé d'une semi-norme. C'est une norme si et seulement si d(x,F)=0 implique que la classe de x est nulle, donc si et seulement si F contient son adhérence, c'est-à-dire F est fermé.
Propriété — Le quotient E/F muni de l'application E/F est un espace vectoriel normé si et seulement si F est fermé. Dans le cas contraire, l'application E/F est une semi-norme.
Exemples fondamentaux
Soit X un espace mesuré.
L'espace Lp(X) des fonctions p-intégrables sur X presque partout définies à valeurs réelles ou complexes, muni de la norme p associée, ainsi que l'espace L∞(X) des fonctions presque partout définies et bornées sur X à valeurs réelles ou complexe, muni de la borne supérieure essentielle du module, sont des espaces vectoriels normés.- Si X est un segment de ou plus généralement un compact de , muni de la mesure de Lebesgue, ces espaces induisent les normes usuelles sur les espaces de fonctions continues sur X ;
- si X est un ensemble fini muni de la mesure de comptage, on retrouve les normes usuelles sur Kn ;
- si X est l'ensemble des entiers naturels muni de la mesure de comptage, on obtient les espaces de suites p-sommables et l'espace des suites bornées .
Explicitement, est l'ensemble des suites de nombres complexes, muni de la norme
Remarque. Dans ces exemples, il n'est pas trop difficile de vérifier que la norme 1 ou est bien une norme. Pour la norme 2, c'est une conséquence de l'inégalité de Cauchy-Schwarz. Pour p quelconque, l'inégalité triangulaire, qui porte le nom d'inégalité de Minkowski, est plus cachée.
Topologie
Topologie d'un sous-espace, produit, quotient
Comme le montre l'article norme, la norme sur un espace vectoriel induit une topologie, pour laquelle l'addition et la multiplication externe sont continues.
Un sous-espace vectoriel F hérite donc de deux topologies : la topologie issue de sa norme (restriction de la norme sur l'espace entier) et la topologie induite par celle de l'espace vectoriel. Ces deux topologies sur F sont en fait égales ; en effet, elles possèdent toutes les deux comme base de voisinages d'un point x de F l'intersection des boules ouvertes de centre x avec F. Or deux topologies ayant, pour chaque point, une même base de voisinages, sont confondues.
La configuration est la même pour le produit de deux espaces E et F. Pour la norme définie précédemment, les boules de centre (x,y) et de rayons r>0 (qui constituent une base de voisinages de (x,y) pour la topologie associée à cette norme) ne sont autres que les , donc constituent également une base de voisinages pour la topologie produit. Remarquons l'adéquation de la définition de à partir de et , qui pouvait a priori sembler arbitraire. Mais signalons que la même topologie sur est obtenue en posant où N est une norme quelconque sur , par exemple l'une des normes usuelles mentionnées plus haut. Ceci est dû au fait que N est toujours équivalente à la norme max utilisée ici.
La situation reste analogue pour un quotient E/F. En effet, si φ est la projection canonique de E dans E/F, une base de voisinages de φ(x) pour la topologie quotient est constituée des φ(B(x,r)) (pour r>0), qui coïncident exactement avec les boules (dans E/F, pour la semi-norme induite) de centre φ(x) et de rayon r.
Ainsi, la topologie induite sur un sous-espace, un produit d'espaces ou un quotient coincide avec celle issue de la norme induite (ou de la semi-norme induite, dans le cas d'un quotient par un sous-espace non fermé).
Opérateur borné
Un opérateur borné entre deux espaces vectoriels normés est simplement une application linéaire continue. Cette double appellation est justifiée par la proposition suivante (dont la démonstration, classique pour K=R, se généralise) :
Proposition — Soient E et F deux K-espaces vectoriels normés. Pour une application linéaire f de E dans F, les propriétés suivantes sont équivalentes, et sont vérifiées si et seulement si f est continue :
- f est continue en 0
- l'image par f de toute partie bornée est bornée
- l'image par f de la boule unité est bornée
- f est lipschitzienne.
La norme d'opérateur d'un tel f est la plus petite constante C telle que f soit C-lipschitzienne. Dans l'espace vectoriel L(E, F) des applications linéaires de E dans F, le sous-espace vectoriel de celles qui sont continues se note (ou parfois Lc(E,F)). La norme d'opérateur en fait un espace vectoriel normé.
Complétude
Articles détaillés : Espace complet et Espace de Banach.Un espace vectoriel normé complet porte le nom d'espace de Banach. Un espace vectoriel normé n'est pas nécessairement complet, c'est-à-dire que les suites de Cauchy ne sont pas nécessairement convergentes. Par exemple, l'espace préhilbertien engendré par les polynômes trigonométriques n'est pas complet. De manière plus générale :
Proposition 1 — Un espace vectoriel normé réel n'est jamais complet s'il admet une base infinie dénombrable.
Le complété d'un espace vectoriel normé[1] jouit de propriétés supplémentaires par rapport au complété d'un simple espace métrique :
Proposition 2 — Pour tout espace vectoriel normé E, il existe un espace vectoriel normé complet Ec et une isométrie linéaire J, de E dans Ec, dont l'image est dense dans Ec.
En général, E est identifié à son image J(E) dans Ec. Ainsi, E apparait comme un sous-espace vectoriel de Ec, et la norme sur E induite par la norme de Ec coïncide avec la norme originelle sur E car J est une isométrie.
Le remplacement d'un espace E par son complété Ec ne modifie pas l'espace des applications linéaires de E dans F si F est complet (cette propriété permet de montrer que la proposition précédente caractérise l'espace vectoriel normé Ec à isomorphisme près) :
Proposition 3 — Soient E un espace vectoriel normé de complété Ec et F un espace vectoriel normé complet. Alors, pour la norme des opérateurs, l'application "restriction", de dans , est un isomorphisme isométrique.
La complétude de F se transmet à l'espace des applications linéaires continues à valeurs dans F.
Proposition 4 — Soient E et F deux espaces vectoriels normés. Si F est complet alors l'espace muni de la norme des opérateurs est complet.
Démonstrations-
- Un espace vectoriel normé réel de base dénombrable n'est pas complet :
Soit E un espace de base . Pour tout entier n, notons En le sous-espace vectoriel engendré par . Alors E est la réunion des En, qui sont fermés (car de dimension finie, cf dernier paragraphe) et dont les intérieurs sont vides. Or E est, lui, d'intérieur non vide. D'après le théorème de Baire, E est donc non complet.
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- Il existe un espace vectoriel normé complet Ec et une isométrie linéaire J, de E dans Ec, dont l'image est dense dans Ec :
Le complété de E est, comme le complété de tout espace métrique, un espace métrique complet F muni d'une application isométrique J de E dans F, d'image dense. De plus ici, F est (par construction) le quotient de l'espace vectoriel des suites de Cauchy à valeurs dans E, muni de la semi-norme q définie par , par le sous-espace vectoriel des suites x telles que q(x) = 0. F est donc naturellement muni d'une structure d'espace vectoriel normé, et la métrique de F n'est autre (par construction encore) que celle induite par sa norme.
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- Soient E de complété Ec, et F complet. Alors l'application "restriction", de dans , est un isomorphisme isométrique :
Les deux seuls points délicats sont la surjectivité de cette application -- notons-la R -- et le fait que . Il s'agit donc de prouver que toute application linéaire continue g de E dans F se prolonge en une application linéaire f de Ec dans F, de norme majorée par celle de g. D'après la propriété qui caractérise le complété d'un espace métrique, on sait déjà (puisque g est uniformément continue) que g admet un prolongement f continu. La linéarité de f se déduit alors de celle de g par densité de E. La majoration de sa norme s'obtient également par densité.
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- Soient E et F deux espaces vectoriels normés. Si F est complet alors l'espace muni de la norme des opérateurs est complet.
En effet, s'identifie à un sous-espace fermé d'un espace complet : en notant B la boule unité de E, l'application restriction, de dans l'espace (complet) des applications continues bornées de B dans F, est une isométrie d'image fermée.
Plus élémentairement, soit (un) une suite de Cauchy d'applications linéaires continues de E dans F et x un vecteur de E. La suite (un(x)) vérifie la propriété suivante :
Elle est donc de Cauchy, comme E est complet elle converge. Notons u(x) cette limite. Elle définit une fonction u de E dans F, qui est limite simple des un, donc linéaire elle aussi ; de plus, comme (un) est une suite de Cauchy, elle est bornée par un certain λ, d'où et donc par passage à la limite sur n, on obtient , ce qui montre la continuité de u. On montre enfin que (un) converge vers u dans : pour , il existe n0 dans tel que en passant à la limite sur m, on déduit d'où Ceci achève la seconde démonstration. Théorème de Riesz
Article détaillé : Théorème de compacité de Riesz.Ce théorème stipule que si la boule unité (fermée) d'un espace vectoriel normé E réel ou complexe est compacte, alors E est de dimension finie.
Autrement dit, la boule unité fermée d'un espace vectoriel normé de dimension infinie est toujours non compacte.
Cependant, la boule unité fermée de son dual topologique (de dimension infinie également) est faiblement compacte, c'est-à-dire compacte pour la topologie faible.Cas particuliers
Espace préhilbertien
Article détaillé : Espace préhilbertien.Un espace est dit préhilbertien s'il dispose d'une norme dérivée d'un produit scalaire, sans être nécessairement complet. (Un espace préhilbertien complet est un espace de Hilbert).
Ce type d'espace se caractérise par le fait qu'un tel E est isométriquement isomorphe à un sous-espace dense de son dual topologique. D'après la caractérisation mentionnée plus haut, ce dual, puisqu'il est complet, est donc isomorphe au complété de E.
Il existe une autre manière de caractériser un espace préhilbertien. Toute norme vérifiant l'identité du parallélogramme dérive d'un produit scalaire. Cette propriété est démontrée dans l'article Espace euclidien pour le cas réel et étendue dans le cas complexe dans l'article Espace hermitien.
Dimension finie
Article détaillé : Topologie d'un espace vectoriel de dimension finie.Soit E un espace vectoriel de dimension finie n sur le corps K des réels ou des complexes[2].
- Toutes les normes sur E sont équivalentes (donc définissent la même topologie).
- Cette topologie sur E est la seule qui en fasse un espace vectoriel topologique séparé.
- Pour toute norme sur E,
- toute application linéaire de E dans un espace vectoriel normé quelconque est (uniformément) continue,
- en particulier, E est (uniformément) homéomorphe à Kn;
- E est complet (c'est donc un espace de Banach) ; en particulier, tout sous-espace E de dimension finie d'un espace vectoriel normé F sur K de dimension quelconque est fermé dans F ;
- les parties compactes de E sont les fermés bornés ;
- la boule unité fermée de E est compacte.
Notes
- isomorphe à l'espace vectoriel des nombres réels sur le corps des rationnels. Si le corps n'est pas complet, l'espace Ec n'est plus de même nature. Ainsi le complété d'un espace vectoriel de dimension un sur le corps des rationnels est
- valeur absolue) non discret localement compact (donc complet) ou plus généralement, sur un "corps valué" (au sens : muni d'une
Références
- Georges Skandalis, Topologie et analyse 3e année, Édition Dunod, Collection Sciences Sup, 2001
Voir aussi
Wikimedia Foundation. 2010.