- Esclavage dans le Magistère de l'Église Catholique
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Esclavage dans le magistère de l'Église catholique
De nos jours l'interdiction de l'esclavage et du commerce de personnes humaines est explicitement intégrée dans la Doctrine sociale de l'Église au titre du respect des droits fondamentaux de l'homme. Mais ce n'est que progressivement que la condamnation est apparue dans le magistère de l'Église catholique, y revêtant un caractère doctrinal.
Aujourd'hui, pour l'Église catholique, les droits de la personne trouvent leur justification dans la dignité même de la personne et sont par conséquent inaliénables. Ainsi, l'esclavage est considéré comme un crime, grave, quel que soit sa forme : l'esclavage traditionnel comme la traite, ou les formes dérivées ou modernes comme la prostitution ou l'utilisation d'enfants-soldats.
Sommaire
- 1 Histoire
- 2 Doctrine
- 3 Notes et références
- 4 Bibliographie
- 5 Voir aussi
Histoire
Le christianisme, devenu religion d'état dans l'empire romain au IVe siècle, n'a pas interdit l'esclavage, mais celui-ci tendait à disparaître peu à peu dans l'aire de la chrétienté occidentale[1]. Des esclaves sont encore présents dans les états catholiques au début du XIXe siècle, jusque dans les États pontificaux : le pape Paul III y avait en effet autorisé l'achat et la possession d'esclaves en 1548 « pour l'utilité publique et le bien de tous ceux qui en achèteront ou en ont acheté »[2]
Doctrine
Paul de Tarse
Documents de l'époque médiévale
Du 5e s. jusqu'à la Renaissance, l'esclavage tend à disparaitre en Occident. Phénomène social mineur pendant le Bas Moyen Age, l'Eglise y porte relativement peu d'attention, et la réflexion doctrinale est portée sur d'autres sujets.
Unum est (873), ou le devoir d'affranchir un esclave
Le pape Jean VIII écrit en 873 une lettre[3] au prince de Sardaigne lui enjoignant d'affranchir des esclaves vendus par des Grecs.
« Il est une chose pour laquelle nous devons paternellement vous admonester ; si vous ne la corrigez pas, vous encourrez un grand péché [...] Comme nous l'avons appris, à l'instigation des Grecs, beaucoup qui ont été enlevés captifs par les païens sont donc vendus dans vos régions et, après avoir été achetés par vos compatriotes, ils sont gardé sous le joug de l'esclavage : alors qu'il est avéré qu'il est pieux et saint comme il convient pour des chrétiens que lorsqu'ils les ont acheté des Grecs, vos compatriotes les renvoient libres pour l'amour du Christ [...] C'est pourquoi nous vous exhortons et nous vous commandons avec un amour paternel, si vous leur avez acheté des captifs, de les laisser aller libres pour le salut de votre âme. »
Le magistère a retenu de cette lettre le devoir d'un chrétien de ne pas conserver un homme en état d'esclavage et de l'affranchir, sans critère de race ou de religion.Sicut dudum (1435), condamnation de l'esclavage et excommunication des esclavagistes
Le pape Eugène IV publie le 13 janvier 1435 une courte encyclique sans appel sur le thème de l'esclavage, faisant ainsi pour la première fois de ce sujet un objet doctrinal. Sicut Dudum fait état de dénonciations des mauvais traitements infligés aux indigènes des Iles Canaries, et fustige le comportement de chrétiens qui ont capturé ces indigènes, les ont privé de leurs biens et soumis à l'esclavage, quand bien même ceux-ci ne sont pas baptisés. Eugène IV exhorte ensuite les princes d'Occident, nobles et soldats à renoncer à ces pratiques. Enfin, il exige la libération immédiate de tous les esclaves des Iles Canaries sous peine d'excommunication.
L'autorité papale, malheureusement, était alors peu reconnue, et singulièrement par l'Espagne: si cet appel eut peu d'échos temporels, l'Eglise venait de planter un premier jalon doctrinal.
XVe siècle : Dum Diversas et Romanus Pontifex, une promotion de l'esclavage ?
Le 8 janvier 1454, le pape Nicolas V publie Romanus Pontifex dans la continuité de Dum Diversas qui sont souvent citées comme étant une reconnaissance officielle de l'esclavage. Dans ces documents, Nicolas V se félicite des progrès réalisés dans la découverte des terres africaines, notamment la Guinée, et des succès remportés contre les Musulmans.
Pastorale Officium (1537)
Le pape Paul III est au cœur du débat sur l'esclavage des indiens d'Amérique au 16e s. Suite à la plainte de Dominicains au sujet de colons espagnols qui avaient soumis les indiens d'Amérique Centrale, le pape Paul III adresse le 29 mai 1537 au cardinal Juan de Tavera, archevêque de Tolède, un bref apostolique plutôt véhément, Pastorale Officium soutenant Charles Quint dans sa démarche d'abolition de l'esclavage des indigènes.
« Il est parvenu à notre connaissance que pour faire reculer ceux qui, bouillonnant de cupidité, sont animés d'un esprit inhumain à l'égard du genre humain, l'empereur des Romains Charles a interdit par un édit public à tous ses sujets que qui que ce soit ait l'audace de réduire en esclavage les Indiens occidentaux ou ceux du Sud, ou de les priver de leurs biens. Puisque Nous voulons que ces Indiens, même s'ils se trouvent en dehors du sein de l'Eglise, ne soient pas pour autant privés de leur liberté ou de la disposition de leurs biens, ou considérés comme devant l'être, du moment que ce sont des hommes et par conséquent capables de croire et de parvenir au salut, qu'ils ne soient pas détruits par l'esclavage mais invités à la vie par des prédications et par l'exemple, [...] Nous demandons [...] à ta prudence que tu [...] interdises avec une très grande sévérité, sous peine d'excommunication portée d'avance, à tous et à chacun quel que soit son rang, d'oser réduire en esclavage les Indiens précités, [...] ou de les dépouiller de leurs biens. »
Ce bref apostolique sera immédiatement confirmé par une très officielle bulle pontificale : Sublimis Deus. La même année il ré-écrit au cardinal Juan de Tavera et confirme dans Veritas ipsa le droit de l'homme à la liberté et à la propriété.In supremo apostolatus fastigio (1839) : vers l'abolition de l'esclavage
« [...] Il en a existé, même parmi les fidèles, qui, aveuglés de façon infâme par le désir d'un lucre sordide, n'ont pas hésité à réduire en esclavage dans des contrées écartées et lointaines des Indiens, des Nègres ou d'autres malheureux, ou, en organisant et en développant le trafic de ceux qui ont été capturés par d'autres, à aider ceux là dans leurs agissements abominables.Il est vrai que plusieurs pontifes romains de glorieuse mémoire, nos prédécesseurs, n'ont pas omis de blâmer sévèrement dans l'exercice de leur fonction la manière d'agir de ces hommes comme étant préjudiciable à leur salut spirituel et ingnominieuse pour le nom chrétien ; ils ont vu clairement qu'il en résulte également que les peuples des non-croyants s'en trouvent toujours confirmés davantage dans la haine pour notre vraie religion.
Certes, grâce à l'aide de Dieu, ces sanctions et ces mesures de nos prédécesseurs n'ont pas peu contribué à protéger les Indiens, et les autres qui ont été mentionnés, de la cruauté des envahisseurs ou de la cupidité des marchands chrétiens, mais non au point que ce Saint Siège puisse se réjouir du plein succès de ses efforts à ce sujet, puisque au contraire, le trafic des Nègres continue toujours d'être pratiqué, même si pour une part il s'est réduit.
C'est pourquoi, désireux d'éloigner cette infamie si grande de tous les territoires des chrétiens, [...] en vertu de l'autorité apostolique, Nous avertissons tous les fidèles chrétiens, de toute condition, et Nous les conjurons instamment dans le Seigneur : que personne désormais n'ait l'audace de tourmenter injustement des Indiens, des Nègres et d'autres hommes de cette sorte, de les dépouiller de leurs biens ou de les réduire en esclavage, ou d'en aider ou d'en soutenir d'autres qui commettent de tels actes à leur égard, ou de pratiquer ce trafic inhumain par lequel des Nègres , qui ont été réduits en esclavage d'une manière ou d'une autre, comme s'ils n'étaient pas des hommes mais de purs et simples animaux, sont achetés et vendus sans aucune distinction en opposition aux commandements de la justice et de l'humanité, et condamnés parfois à endurer les travaux parfois les plus durs [...] »XIXe siècle : In Plurimis et Catholicae Ecclesiae
L'opposition de l'Eglise à l'esclavage et au commerce des humains est à nouveau affirmée le 5 mai 1888 par Léon XIII dans l'encyclique In Plurimis puis le 20 novembre 1890 dans Catholicae Ecclesiae : des encycliques "sur l'abolition de l'esclavage".
Outre l'opposition à la traite des noirs, ces encycliques développent le fait que l'esclavage est en contradiction avec le respect de la dignité de l'être humain et insiste sur le devoir des missionnaires de s'y opposer partout où ils y seront confrontés.
Adressée à l'Afrique, Catholicae Ecclesiae adresse spécifiquement le rôle des missions en Afrique et suggère des actions concrêtes comme des collectes de fonds pour l'affranchissement des esclaves africains.
Ecrite pour le Brésil, In Plurimis argumente très clairement sur l'illicéité de l'esclavage. Au travers d'un historique des différentes prises de position des pontifes dans l'histoire de l'église, et de commentaires sur la Bible, Léon XIII transforme très explicitement en point de doctrine l'opposition absolue de l'Eglise à l'esclavage et au commerce des hommes.
Gaudium et Spes (1962)
Elargissement par une synthèse de plusieurs doctrines sur la dignité humaine, et les atteintes aux droits de l'homme.
« Tout ce qui viole l'intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, les tortures physiques ou morales, les tentatives de contraintes psychiques ; tout ce qui porte atteinte à la dignité humaine comme les conditions de vie infra-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes ; et aussi les conditions de travail avilissantes, qui font que les ouvriers sont traités en purs moyens pour réaliser des gains et non en personnes libres et responsables ; toutes ces pratiques et d'autres du même genre sont en réalité infâmes et alors qu'elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s'y livrent beaucoup plus que ceux qui les subissent. »Notes et références
- ↑ cf le Code Noir de 1685; cf. Claude Prud'homme, L'Église catholique et l'esclavage une aussi longue attente, op. cit in bibliographie, p 76-77
- ↑ article Esclavage in Philippe Levillain (dir.), Dictionnaire Historique de la Papauté, éd. Fayard, 1994
- ↑ in Unum Est, ou Symboles et Définitions de la Foi Catholique (Enchiridion Symbolorum) par Heinrich Denzinger
Bibliographie
- Heinrich Denzinger, Symboles et Définitions de la Foi Catholique (Enchiridion Symbolorum)
- Claude Prud'homme, L'Église catholique et l'esclavage une aussi longue attente, in Edmond Maestri (dir.), Esclavage et abolitions dans l’Océan Indien (1723 – 1860). Systèmes esclavagistes et abolitions dans les colonies de l’Océan Indien, éd. L’Harmattan et Université de la Réunion, 2002, pp. 75-88, extraits en ligne
Voir aussi
Liens externes
- L'encyclique (en) Sicut Dudum (13 janvier 1435) du pape Eugène IV
- L'encyclique (en) In Plurimis (5 mai 1888) du pape Léon XIII
- L'encyclique (en) Catholicae Ecclesiae (20 novembre 1890)
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