- Marronnage
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Le marronnage était le nom donné à la fuite d'un esclave hors de la propriété de son maître en Amérique, aux Antilles ou dans les Mascareignes à l'époque coloniale. Le fuyard lui-même était appelé Marron ou Nègre Marron, Negmarron voire Cimarron (d'après le terme espagnol d'origine).Sommaire
Étymologie
Le terme de « marron » vient de l’espagnol cimarrón : « vivant sur les cimes » ; (cima = cime) qui apparaît dès la conquête d’Hispaniola ; c’est un mot emprunté aux Arawaks et qui désigne des animaux qui de domestiques retournent à l'état sauvage comme le cochon. À partir de 1540, ce terme désigne les esclaves fugitifs. Ce terme sera initialement appliqué aux Indiens fugitifs et finira par désigner peu à peu le sauvage, celui qui retourne vers l’état de nature.
Article détaillé : Marronnage (animaux).Lieux de fuite
Les Marrons se réfugiaient généralement dans des lieux inaccessibles. À la Réunion, par exemple, ils fuyaient notamment dans les Hauts de l'île, dont ils furent les premiers habitants. A Maurice, ils se cachaient dans une montagne du sud-ouest de l'île, le Morne Brabant.
Les Nègres Marrons qui se sont réfugiés loin dans les forêts (et montagnes) ont su sauvegarder et transmettre leurs modes de vie africains et même partiellement leurs langues d'origine.
Communautés d'origine Marron
Parfois, ils parvenaient à se regrouper en de véritables communautés clandestines organisées dont les membres étaient alors appelés Nègres marrons. On peut citer à titre d'exemple les sociétés fondées par les Alukus et les Djukas au Suriname.
À la Réunion, ce seraient même de véritables royaumes qui auraient émergé de leur regroupement : on dit de Cimendef qu'il fut roi.
On note en tout cas que de nombreux sites naturels des trois cirques de l'île portent toujours le nom de Marrons. Ainsi, Anchaing a laissé son nom à un sommet de Salazie.
Les communautés qui ont perduré se trouvent :
- au Brésil,
- au Guyana,
- au Suriname (les Djukas, Aucans, Kwinti, Matawai, Paramaka et Saramaca),
- en Guyane, les nègres marrons (ethnies Aluku ou Bonis, Saramaca, Paramaca et Djuka) y sont appelés génériquement bushi-nengue, parlent la langue aluku, ndjuka et paramaka (nenge tongo) et représentaient environ 50 % de la population au début du XXIe siècle,
- en Colombie,
- au Honduras,
- marginalement à la Jamaïque,
- au Mexique à "San Lorenzo de los Negros", devenue Yanga (Veracruz).
Elles habitent généralement sur les bords des fleuves qui constituent les seules voies de circulation en forêt profonde.
En Jamaïque
Les premiers Marrons de Jamaïque furent les indiens Taïnos, rescapés du génocide pratiqué par les conquistadores espagnols lorsqu'ils s'emparèrent de l'île en 1494. Des 60 000 Taïnos qui y vivaient à l'époque, il ne resta plus cinquante ans plus tard que quelques centaines d'individus[2]. Une partie des Taïnos survivants s'enfuit et se cacha dans les montagnes. En Jamaïque, en 1738, les Marrons tiennent tête à des troupes britanniques. Ils obtiennent un territoire encore aujourd'hui indépendant en contre-partie de leur collaboration avec le gouvernement. Certains vieillards descendant des Nègres marrons (Neg'Marrons) parlent encore d'anciens dialectes africains tel le coromanti. Les Marrons de Moore Town ont aussi conservé d'autres traditions comme la cérémonie du Kromanti Play et la médecine traditionnelle d'origine africaine. La symbolique des Neg'Marrons est très présente dans le reggae car elle véhicule, elle aussi, une image de rébellion.
En Guyane
Estimés à plus de 70 000 en Guyane, bien que ne reconnaissant généralement pas la frontière entre le Surinam et la France. Ils s'appellent aussi Busi Nenge (prononcer buchi-nénngué), ou Bosneger au Surinam. Les Noirs Marrons sont les descendants d'esclaves noirs révoltés ou enfuis des plantations avant l'abolition de l'esclavage, ou d'esclaves libérés. Leurs ancêtres ont été capturés le long des côtes africaines par les négriers puis déportés aux Amériques pour servir de main-d'œuvre, essentiellement dans les plantations de cannes à sucre et de café. D'abord réfugiés en forêt profonde pour éviter d'être repris, ils se sont ensuite installés sur les rives des grands fleuves, et surtout sur le Maroni. Ils sont encore constitués de 6 groupes ethniques :
Ils parlent différentes langues en fonction des dates de Marronage : les Saramaka ou Saamaka parlent le Saamaka qui se différencie beaucoup des autres langues du marronnage du fait d'un lexique très différent (présence notamment de mots venant du portugais). Les Paamaka, les Ndyuka et les Boni parlent chacun des langues très proches regroupées sous le terme de nenege-tongo ou busi-tongo. Enfin, les esclaves qui ne se sont pas enfuis sont à l'origine de la création du sranan-tongo qui est une des langues officielles du Suriname[3].
Ils vivent principalement de chasse, pêche et de culture sur abattis. Certains commencent à avoir des activités d'entrepreneur en orpaillage (et non plus seulement d'ouvrier) et de vente d'objets aux touristes. Leur société est centrée autour de la famille et du Gran-Man, chef spirituel et religieux, qui peut être une femme, détenant les pouvoirs de juge, sage, et conciliateur. L'abolition de l'esclavage a mis fin à leur traque, mais l'orpaillage a généré une exploitation d'hommes sous-payés et menacés qui fait penser à une nouvelle forme d'esclavage. Le RMI (revenu minimum d'insertion) apporte parfois un appoint non négligeable, mais comme les amérindiens, ils sont assez peu représenté par les élus départementaux et régionaux.
Culture en évolution
La culture marron fait encore vivre une partie des traditions des ancêtres africains : vocabulaire, peintures, danses, musiques, vie communautaire bien qu'ayant évolué différemment. Couleurs vives et formes géométriques symboliques et/ou décoratives caractérisent l'art Noir-Marron appelé art Tembé. On les trouve sur les portes, les pirogues, les sièges sculptés, les fresques et certains objets vendus aux touristes (sculptures, sièges pliants… présentant des formes originales qui diffèrent des sculptures africaines traditionnelles). L'accès à l'école, reste parfois difficile, mais est mieux réalisé que pour les populations amérindiennes de la forêt. Il modifie la perception et les comportements des jeunes, comme le football, la télévision, la voiture, le téléphone portable, le quad qui deviennent objets d'intérêt éloignant les enfants de la culture de leurs parents.
Chasse et sanctions
Le développement du marronnage a rapidement contraint les maîtres à engager des chasseurs d'esclaves.
Aux Antilles, ceux qui étaient rattrapés étaient châtiés par mutilation : leur tendon d'Achille était sectionné afin qu'ils ne puissent plus courir.
À la Réunion, ils étaient parfois tués lors de la chasse. Le chasseur ramenait alors au maître une oreille et une main du fuyard en guise de preuve de la réussite de sa chasse, le corps entier ne pouvant être transporté par un homme seul le long de sentiers escarpés. Ces prises étaient parfois exhibées à l'entrée des plantations pour dissuader d'éventuels nouveaux fuyards.
Selon un épisode célèbre de l'histoire de l'île Maurice, un important groupe d'esclaves n'hésita pas à se précipiter dans le vide du haut d'un rocher élevé (le Morne Brabant dans le sud de l'île) lorsqu'ils se retrouvèrent acculés au bord d'une falaise par des hommes qu'ils prenaient pour des chasseurs. Ils n'étaient en fait que des messagers chargés de leur annoncer l'abolition de l'esclavage.
Voir aussi
Bibliographie
- Yves Manglou, Noir mais marron, éditions du Paille-en-queue noir, (ISBN 291279704-7)
On trouve aujourd'hui ce livre publié aux éditions Orphie. Extrait :
« Mon premier geste d'homme libre fut d'attacher mon amulette autour du cou: le sang de mon père mêlé à la terre de Bourbon. J'avais pris soin d'astiquer le cauri et, à mes yeux, il brillait comme un diamant. Je me prosternai et jurai tout haut que jamais plus ce symbole ne serait caché, dussé-je en mourir. J'avais marché toute la nuit depuis que j'avais quitté l'habitation des hauts de Saint-Paul. La terre était douce à mes pieds, et si la forêt était dense, elle se laissait facilement pénétrer. Le chant de Saphime me guidait avec précision. Il suffisait de lever les yeux et de les ouvrir en grand pour retrouver les indices de mon itinéraire, de son itinéraire. »
- Daniel Vaxelaire, Chasseur de noirs, Orphie, 2004
- Jean Fouchard, Gabriel Debien, Le petit marronage à Saint-Domingue autour du Cap (1790-1791), Cahiers des Amériques Latines, 1969.
- Yvan Debbasch, Le Marronage: Essai sur la désertion de l'esclave antillais, P.U.F, 1962.
- Danielle Miloche-Baty, De la Liberté légale et illégale des esclaves à Bourbon au dix-neuvième siècle ou le problème des affranchissements et le phénomène du marronnage dans la société réunionnaise entre 1815 et 1848, s.n., 1984.
- Wim S. M. Hoogbergen, De Boni-oorlogen, 1757-1860: marronage en guerilla in Oost-Suriname, Centrum voor Caraïbische Studies, 1985.
- Jean François Sam-Long, Le roman du marronnage à l'île Bourbon: Les marrons de Louis Timagène Houat (1844), Bourbon pittoresque d'Eugène Dayot (1848), Editions UDIR, 1990.
- Suzanne Crosta, Le marronnage créateur: dynamique textuelle chez Édouard Glissant, GRELCA, 1991.
- Le mythe du marronnage: symbole de "résistance" à l'île de La Réunion, par Valérie Lilette et Christian Barat, s.n., 1999.
- Amédée Nagapen, Le marronnage à l'Isle de France--Ille Maurice: rêve ou riposte de l'esclave?, Centre Nelson Mandela pour la Culture Africaine, 1999.
- Marronnage et liberté, ouvrage collectif par Claire Mara, Anne Christiaens, Kamini Ramphul, Réunion. Conseil général, Département de la Réunion, 1999.
- Amédée Nagapen, Esclavage et marronnage dans le roman Georges d'Alexandre Dumas: l'apport des chroniques de J.G. Milbert, University of Mauritius, 2005.
- Elsa Dorlin, « Les Espaces-temps des résistances esclaves : des suicidés de Saint-Jean aux marrons de Nanny Town (XVIIe - XVIIIe siècles) », Tumultes, n°27, 2006, p. 37-54.
- Paul Butel, Histoire des Antilles françaises XVIIe ‑ XXe siècle, Librairie Académique Perrin, Coll. Tempus, 2007, 566 p. (ISBN 978-2262026622)
- Gabriel Debien, Le Marronage aux Antilles françaises au XVIIIe siècle, Caribbean Studies, 1966, 43 p.
- Gabriel Debien, Les esclaves aux Antilles françaises, XVIIe ‑ XVIIIe siècles, Société d'histoire de la Guadeloupe & Société d'histoire de la Martinique, 1974, 529 p.
- Jean Hurault, Africains de Guyane, la vie matérielle et l'art des Noirs Réfugiés de Guyane Editions Mouton- La Haye - Paris (avec le concours du CNRS), dépôt légal 2e trimestre 1970.
Articles connexes
Notes et références
- (Titre original de la gravure : A Negro Hung Alive by the Ribs to a Gallows), gravure probablement extraite de Five Years' Expedition against the Revolted Negroes of Surinam in Guiana on the Wild Coast of South America; from the Year 1772 to 1777 (2 vols)
- Jérémie Kroubo Dagnini: "Les origines du reggae: retour au source" (L'Harmattan 2008, p.17)
- cf Langues de Guyane sous la direction de LESCURE et GOURY.
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