Cuirassé à coque en fer

Cuirassé à coque en fer
La première bataille entre des cuirassés à coque de fer : le CSS Virginia (à gauche) contre l'USS Monitor. (Combat de Hampton Roads, 1862)
La première bataille entre des cuirassés à coque de fer :le CSS Virginia (à gauche) contre l'USS Monitor. (Combat de Hampton Roads, 1862)

Un cuirassé à coque en fer était un type de navire de guerre à vapeur de la fin du XIXe siècle, revêtu de plaques d'armure en fer ou en acier[1].

Les cuirassés furent développés comme évolution des navires de guerre en bois, trop vulnérables aux obus explosifs ou incendiaires. Le premier cuirassé était français : La Gloire fut mis à l'eau en 1859 par la Marine française[2], forçant la Royal Navy à se mettre à construire à son tour de tels navires. Après les premiers affrontements entre cuirassés qui se déroulèrent durant la guerre de Sécession, il devint évident que les cuirassés avaient détrôné les simples navires de ligne et étaient devenus les navires les plus puissants de l'époque[3].

Les cuirassés avaient été conçus pour remplir plusieurs rôles, servant de cuirassés en haute mer, de navires de défense côtière, et de croiseurs longue-portée. Les évolutions rapides des constructions navales militaires des dernières années du XIXe siècle métamorphosèrent le cuirassé : de vaisseaux à une coque en bois et cuirasse en fer, disposant toujours de voiles en plus de leurs moteurs à vapeur et armés par des canons placés en batterie, il se transformèrent en cuirassés à coque tout en acier, propulsés seulement par leurs moteurs, et munis de tourelles. Ce changement rapide s'inscrit dans un contexte de modernisation technologique : les dernières avancées de la métallurgie permettaient désormais de construire des coques d'acier, des moteurs à vapeurs plus sophistiqués apparurent, et des nouveaux canons embarqués, encore plus lourds, avaient été développés (les cuirassés des années 1880 disposaient des canons les plus puissants jamais embarqués).

Durant l'ère cuirassée, la durée entre deux découvertes technologiques était si courte que la plupart des navires étaient obsolètes dès leur sortie de chantier, et que les tactiques navales changeaient quasiment de bataille en bataille. Devant l'inefficacité relative du canon contre la cuirasse, beaucoup de cuirassés furent équipés d'éperons à l'avant, ou de torpilles, armes qui étaient considérées comme cruciales à l'époque. Vers la fin des années 1890, le terme de cuirassé à coque en fer disparu de l'usage courant, les nouveaux navires étant appelés cuirassés ou croiseurs cuirassés

Sommaire

Avant les coques métalliques

Le Napoléon, le premier navire de guerre à vapeur.
Le Napoléon, le premier navire de guerre à vapeur.

La construction des cuirassés devint possible grâce aux progrès technologiques de la première moitié du XIXe siècle. Selon l'historien naval R.D Hill, « Il [le cuirassé] avait trois caractéristiques majeures : Une coque de métal, une propulsion à la vapeur, et un armement principalement constitué de canons tirant des obus explosifs. C'est uniquement lorsque ces trois caractéristiques sont réunis qu'un navire de combat peut légitimement être appelé un cuirassé »[4]. Chacune de ces évolutions devint possible dans le siècle précédant l'apparition des premiers cuirassés.

Au XVIIIe et au début du XIXe siècle, les flottes étaient constituées de deux types de navires en bois, les navires de ligne et les frégates. Le premier changement majeur à ces types de navires fut l'utilisation de la machine à vapeur pour la motorisation. Durant les années 1830, des bateaux utilisaient des roues à aubes, mais la vapeur ne devint réellement utilisable pour les navires de guerre qu'après l'adoption des hélices dans les années 1840[5].

La première frégate équipée d'une hélice entraînée par un moteur à vapeur fut construite dans les années 1835, et quelques années plus tard, la Marine française équipa ses navires de ligne de machines à vapeur. Ce désir de changement était apparu sous l'impulsion de Napoléon III, qui souhaitait accroître son influence sur l'Europe ; or cette ambition nécessitait d'être menaçant sur mer pour envisager de défier les Britanniques[6],[7]. Le premier navire de guerre équipé dès sa sortie de chantier d'une machine à vapeur était Le Napoléon, sorti en 1850[5]. Le Napoléon était armé de 90 canons, comme un navire de ligne conventionnel, mais ses moteurs lui donnaient la possibilité d'atteindre la vitesse de 12 nœuds, quelles qu'étaient les conditions de vent : un avantage potentiellement décisif dans un engagement.

L'introduction de navires de ligne à vapeur entraîna la France et le Royaume-Uni dans une course à la construction navale. Huit navires identiques au Le Napoléon furent construits en France sur une période de dix ans, mais le Royaume-Uni parvient rapidement à reprendre la tête. En tout, la Marine française construisit dix navires de guerre à vapeur (toujours en bois) et convertit 28 anciens navires de lignes, tandis que la Royal Navy en construisit 18 et en convertit 41[5].

L'ère des navires de ligne à vapeur en bois fut brève, du fait de l'apparition de nouveau canons navals, encore plus puissants. Durant les années 1820 et 1830, les navires de guerre s'équipèrent de canons de plus en plus gros, remplaçant les canons de 18 livres (calibre 127 mm) des bateaux à voile avec des canons de 32 (155 mm), puis de 36 (162 mm), voire de 42 livres (170 mm), alors que les vapeurs disposaient de canons de 68 livres (203 mm). Au même moment, les premiers canons tirant des obus explosifs sont introduits, après leur invention par le général français Henri-Joseph Paixhans, et font partie dès les années 1840 de l'arsenal standard des principales puissances navales, à savoir la Marine française, la Royal Navy, la Marine impériale russe, et l'United States Navy. Il est souvent retenu que la capacité des obus à enfoncer les coques en bois des navires « classiques », démontrée lors de la destruction des escadres turques par les Russes lors de la bataille de Sinope, annonça la fin des bateaux à coque en bois[8]. Certains pensaient cependant toujours que la meilleure façon de détruire une coque en bois était de tirer à partir de canons conventionnels des boulets rouges, de manière que ceux-ci se logent dans la coque et répandent leur chaleur, créant un feu ou faisant exploser les munitions. Des expériences furent même menées avec des boulets creux remplis de métal en fusion pour accroitre le pouvoir incendiaire[9].

Exemples de batteries flottantes cuirassées datant de 1862
Exemples de batteries flottantes cuirassées datant de 1862

Dans les années 1850, les marines britannique et française déployèrent de lourdes batteries flottantes cuirassées, aux côtés des flottes de vapeurs en bois durant la guerre de Crimée. Le rôle de ces batteries était de fournir un appui aux bombardes et aux canonnières non-cuirassés, en bombardant les fortifications côtières. Les Français, en particulier, utilisèrent avec succès leurs batteries contre les défenses côtières russes durant la bataille de Kinburn sur la mer Noire. Les Britanniques prévoyaient d'utiliser les leurs dans la mer Baltique contre la ville de Kronstadt, et cela influença les Russes dans leur décision de demander la paix[10].

Les batteries flottantes sont parfois considérées comme les premiers cuirassés[1], mais ne pouvant se déplacer seules à plus de 4 nœuds, elles étaient remorquées jusqu'aux lieux des batailles[11], et de ce fait étaient marginalement employées dans les Marines[10]. C'est le bref succès des batteries flottantes à coque en fer qui amena la France à se pencher sur la construction de navire de guerre cuirassés pour sa flotte militaire[10].

Les premiers cuirassés

Un modèle réduit de La Gloire (1858), le premier cuirassé de haute mer.
Un modèle réduit de La Gloire (1858), le premier cuirassé de haute mer.

À la fin des années 1850, il était clair que la France n'était pas capable d'égaler la capacité britannique de construction de navires de guerre à vapeur, un changement de tactique s'avérait nécessaire. La conséquence de ce constat fut la construction du premier cuirassé de haute mer, La Gloire, commencé en 1857 et lancé en 1859[2].

La coque en bois de La Gloire fut calquée sur celle d'un navire de ligne à vapeur, mais réduite à un seul pont. Elle fut recouverte de plaques d'acier de 114 mm d'épaisseur. Le cuirassé était équipé d'une machine à vapeur entraînant une unique hélice, lui permettant d'atteindre la vitesse de 13 nœuds. Il était armé de trente-six canons rayés de 162 mm (6,4 pouces). La France construisit 16 cuirassés, dont deux navires identiques au La Gloire, et les deux seuls cuirassés à deux ponts jamais construits, le Magenta et son jumeau le Solférino[12].

HMS Warrior (1860), le premier cuirassé à coque en fer britannique
HMS Warrior (1860), le premier cuirassé à coque en fer britannique

La Royal Navy n'était pas disposée à perdre sa supériorité en matière de marine de guerre et elle fut déterminée à surpasser les forces navales françaises dans tous les domaines et plus particulièrement dans celui de la vitesse. Un cuirassé rapide était capable de choisir la distance d'engagement et se mettre ainsi a l'abri du feu ennemi. La recherche de vitesse imposa l'utilisation du fer pour la coque et un allongement du navire [10]. Le résultat conduit au HMS Warrior, construit et lancé en 1860, premier cuirassé britannique. Le Warrior surpassait ainsi le cuirassé La Gloire, plus lourd et mieux armé il était également plus rapide.

Premières batailles navales entre cuirassés : la guerre de Sécession

Officiers de l'USS Monitor, photographiés durant la guerre de sécession

Les cuirassés ont été utilisés pour la première fois durant la guerre de sécession. Au déclenchement de la guerre, l'US Navy ne disposait pas de cuirassés et ses navires les plus puissants étaient six frégates non armées propulsées par des machines à vapeur. La majorité de la flotte étant restée fidèle à l'Union, la Confédération a cherché à prendre l'avantage en s'équipant de navires modernes. En mai 1861, Le congrès confédéré a accordé 2 millions de dollars pour l'achat de cuirassés étrangers, la construction et la conversion de navires conventionnels[13].

Le 12 octobre 1861, le CSS Manassas est devenu le premier cuirassé à participer à une bataille lorsqu'il a combattu des navires de guerre de l'Union sur le Mississippi. Ce navire a été construit à partir d'un navire de commerce de la Nouvelle-Orléans pour le combat en eaux peu profondes. En février 1862, le CSS Virginia (anciennement Merrimack) a rejoint la flotte confédérée après avoir été reconstruit dans le port de Norfolk. Le Merrimack était un navire de guerre construit en bois auquel on avait ajouté une casemate métallique. Dans le même temps, l'Union avait construit sept navires à coque métallique et s'apprêtait à terminer l'USS Monitor construit selon un concept innovant proposé par le suédois John Ericsson[14].

USS Cairo (1861), exemple d'un cuirassé durant la guerre de Sécession
USS Cairo (1861), exemple d'un cuirassé durant la guerre de Sécession

La première bataille entre cuirassés a eu lieu le 9 mars 1862 lorsque le Monitor a été déployé pour protéger les navires en bois de l'Union des assauts du Virginia et des autres navires confédérés[15]. Durant cet engagement, connu sous le nom de la bataille de Hampton Roads, les deux cuirassés n'ont pas cessé de vouloir s'éperonner car les obus rebondissaient sur leurs blindages. La bataille a eu un retentissement mondial car elle a montré que les navires en bois ne faisaient plus le poids face aux cuirassés[16].

La guerre civile américaine a vu la construction de nombreux cuirassés dont le rôle n'a cessé de s’accroître. L'Union a construit une cinquantaine de cuirassés sur le modèle du Monitor. De son côté, la Confédération a construit des navires sur le modèle du Virginia mais ses tentatives d'achat à l'étranger se sont révélées vaines lorsque les nations européennes ont confisqué les navires qui lui étaient destinée[17]. Seul le CSS Stonewall fut construit et il arriva dans les eaux américaines juste avant la fin de la guerre[18].

Lissa : La première bataille entre deux flottilles cuirassées

Les flottes engagées dans la bataille de Lissa.
Les flottes engagées dans la bataille de Lissa.

La première bataille navale impliquant des flottes de cuirassés fut la bataille de Lissa en 1866. Elle opposa les flottes de l'empire Austro-Hongrois et de l'Italie toutes deux composées de navires en bois et à coques métalliques dans la plus grande bataille navale depuis celle de bataille de Navarin[19].

La flotte italienne était composée de 12 navires cuirassés et d'un nombre identique de navires en bois. Celle-ci escortait des navires de transport devant faire débarquer des troupes sur l'ile de Lissa dans la mer Adriatique. Face à elle, la flotte autrichienne comprenait 7 navires cuirassés et 10 navires à coque en bois[19].

Les Autrichiens considérant leurs canons comme inférieurs à ceux des Italiens, décidèrent d'engager le combat à courte portée et d'éperonner les navires italiens. La flotte autrichienne a utilisé une formation en triangle avec les cuirassés en première ligne pour charger la flotte italienne. Durant la mêlée qui a suivie, les combattants furent découragés par la faible efficacité des canons et par la difficulté d'éperonner les navires ennemis[19].

Bien que supérieure, la flotte italienne perdit deux de ses cuirassés, Re d'Italia et Palestro, tandis que la flotte autrichienne n'eut aucune perte. L'éperon devint l'arme de prédilection des cuirassés européens pour de nombreuses années et sa victoire assura à l'Autriche-Hongrie la domination dans la mer Adriatique[19].

Les batailles de la guerre civile américaine et de Lissa ont énormément influencé la conception et les tactiques navales des flottes cuirassés. En particulier, elles enseignèrent à une génération d'officiers que l'éperonnage était la meilleure méthode pour couler un navire ennemi

Armement et tactiques

L'adoption de la coque métallique signifiait que l'artillerie navale traditionnelle composées de dizaines de canons légers était devenue obsolète car les obus rebondissent sur le blindage. Pour pénétrer cette armure, des canons de plus en plus puissants furent montés sur les navires. Pourtant, le point de vue selon lequel, le seul moyen de couler un cuirassé est de l'éperonner continua à se répandre. À cause de l'augmentation de la taille et du poids des canons, les navires où les nombreux canons étaient placés latéralement à la manière des navires de ligne furent remplacés par une poignée de tourelles pouvant tirer dans toutes les directions.

L'engouement pour l'éperon

Entre 1860 et 1880, les architectes navals considéraient que l'éperon était l'arme principale dans la guerre navale. Avec la vapeur qui permet de libérer les navires du vent et leur blindage les rendant invulnérable au feu ennemi, l'éperon semblait offrir un moyen d'infliger un coup décisif à l'adversaire.

Les dégâts légers qu'ont infligé les canons du Monitor et du Virginia à la bataille d'Hampton Roads et le spectaculaire mais chanceux succès de l'éperonnage du Re d'Italia par le Ferdinand Max à la bataille de Lissa ont accru l'intérêt pour l'éperon[20]. Ceux qui notèrent le faible nombre de navires coulés de cette manière eurent du mal à se faire entendre[21].

La résurrection de cette tactique antique a eu un effet significatif sur les tactiques navales. En effet depuis le XVIIe siècle, la tactique dominante était la ligne de bataille où les navires formaient deux lignes parallèles et s'échangeaient des tirs latéraux. Cette tactique ne convenait évidemment pas à l'éperonnage, ce qui imposa de remplacer la formation de bataille en ligne de file par d'autres formations telle que la ligne de front. Si l'éperonnage du Re d'Italia semble fasciner les théoriciens de la guerre navale, personne ne semble remarquer que les autres tentatives faites pendant ce combat ont toutes été sans conséquences. Et que le seul succès a été obtenu contre un navire quasiment à l'arrêt[22]. L'éperon perdit de sa popularité dans les années 1880 lorsque les torpilles permirent d'aboutir au même résultat sans subir le feu à courte portée des canons adverses[23].

Développement de l'artillerie navale

L'armement des navires cuirassés tendit vers un plus petit nombre de canons, plus puissants, capables de percer le blindage des navires ennemis. Tout au long de l'ère des cuirassés, les marines durent arbitrer entre les canons à âme lisse ou rayée et entre ceux se chargeant par la culasse et par la bouche.

Canon Armstrong à chargement par la culasse sur le HMS Warrior(1860)
Canon Armstrong à chargement par la culasse sur le HMS Warrior(1860)

Le HMS Warrior comportait une combinaison de canons Armstrong de 180 millimètres rayés et à chargement par la culasse avec des canons traditionnels de 200 millimètres non rayés et se chargeant par la bouche. Les canons se chargeant par la culasse semblaient offrir de gros avantages en particulier le fait de ne pas avoir à déplacer le canon pour le recharger. De plus le canon Armstrong était plus léger et les rayures offraient une plus grande précision. Néanmoins ce canon souffrait de nombreux problèmes et fut rejeté ce qui limita l'utilisation du chargement par la culasse durant des décennies[24].

La faiblesse du chargement par la culasse était due au verrouillage de la culasse. Tous les canons exploitent la conversion explosive de la poudre à canon en gaz. Cette explosion propulse le boulet ou l'obus hors du canon mais elle impose de grandes contraintes au tube. Si la fermeture de la culasse n'est pas complète, elle risque de céder sous la puissance de la déflagration. Cela réduit la vitesse du projectile et risque de blesser les canonniers. Les canons Armstrong souffraient de ces deux problèmes. De plus, ces projectiles ne pouvaient pas percer les 114 mm du blindage équipant les navires français de type La Gloire, tandis que la vis qui ferme la culasse était parfois éjectée hors du canon lors du tir. Des problèmes similaires eurent lieu sur les canons se chargeant par la culasse dans les marines françaises et allemandes[25].

Ces problèmes poussèrent les britanniques à équiper leurs navires de canons à chargement par la bouche jusque dans les années 1880. On vit alors une augmentation significative du poids et du calibre des canons. Les canons à âme lisse de 200 mm à bord du HMS Warrior pesaient 4 tonnes et furent suivis par des canons de 12, 25, 38 et finalement 81 tonnes d'un calibre de 406 mm.

La décision de conserver des canons à chargement par la bouche jusque dans les années 1880 fut critiquée par les historiens. Cependant jusqu'à la fin des années 1870, ces canons avaient de meilleures performances en termes de portée et de cadence de tir que les canons à chargement par la culasse.

Rechargement par la bouche des canons du cuirassé italien Duilio
Rechargement par la bouche des canons du cuirassé italien Duilio
Le mécanisme de fermeture inventé par Charles Ragon de Bange permit une fermeture efficace de la culasse des canons

À partir de 1875, la balance entre les deux pencha vers le chargement par la culasse. En effet le capitaine De Bange inventa un mécanisme fiable de fermeture de la culasse qui fut adopté par la France en 1873. De même, l'augmentation de la taille des canons rendit le chargement par la bouche plus complexe. Avec des canons de cette taille, il n'était plus possible de charger à la main et ce chargement devait se faire à l'extérieur de la tourelle et donc exposait les canonniers aux tirs ennemis.

Dans la Royal Navy, le basculement fut finalement fait en 1879. En plus d'avantages significatifs en termes de performance, l'opinion changea après une explosion à bord du HMS Thunderer causée par un double chargement qui ne peut se produire que sur un canon à chargement par la bouche[26].

Le calibre et le poids des canons ne pouvaient qu'augmenter. Plus le canon est gros, plus il est lent à charger et plus il augmente les contraintes sur la coque et sur la stabilité du navire. La taille atteint un pic dans les années 1880, avec des canons de 413 mm pour 110 tonnes sur le HMS Benbow chez les Britanniques. Les canons de 450 mm italiens furent les plus gros jusqu'au 457 mm qui armaient les navires japonais de la classe Yamato lors de la seconde guerre mondiale.

Une autre méthode pour accroître la puissance de feu était de changer le type de projectile ou la nature de la poudre. Les premiers cuirassés utilisaient de la poudre noire dont l'expansion est très rapide après la combustion ; D'où des canons relativement courts pour ne pas ralentir le projectile. La rapidité de l'explosion générait des contraintes très importante dans le canon. Un pas important a été de compacter la poudre en grains pour mieux contrôler sa combustion et obtenir une combustion plus lente. Un autre pas a été de changer la composition chimique de la poudre pour ralentir encore sa combustion[27].

Le développement de la poudre sans fumée, basée sur la nitrocellulose, par le français Paul Vieille en 1884 permit un allongement des canons d'où une plus grande vitesse initiale qui accroit l'énergie du projectile. Les canons des cuirassés pré-Dreadnought des années 1890 tendent à être d'un calibre plus réduit (305 mm) mais gagnent en longueur pour exploiter au maximum l'expansion du combustible[27].

La nature des projectiles change également durant cette période. Au départ, le meilleur projectile contre les blindages était un boulet de fonte puis des alliages plus dur furent utilisés. Enfin on développa les projectiles anti-blindage[27].

Positionnement de l'armement

Cuirassés à disposition latérale

Canons latéraux conventionnels du HMS Warrior de 1860.

Les premiers cuirassés britanniques, français et russes ont logiquement adoptés le design des navires de ligne utilisés lors des siècles précédents. Ceux-ci disposaient leurs canons en ligne dans leurs flancs. La Gloire française et le HMS Warrior anglais sont deux exemples de ce type. Du fait du poids de leurs cuirasses, ils ne pouvaient disposer qu'une seule ligne de canons sur le pont principal plutôt que sur plusieurs ponts[2].

Un nombre significatif de cuirassés de ce type furent construits dans les années 1860, principalement en France et en Grande-Bretagne, mais également en petit nombre en Italie, Autriche-Hongrie, Russie et États-Unis d'Amérique. Cette disposition dans les flancs permet au navire d'affronter plusieurs adversaires en même temps, de plus le gréement ne bloque pas le champ de tir[28]. Cependant, elle présente également des inconvénients qui devinrent de plus en plus critique au cours de l'évolution des cuirassés. Des canons plus lourds pour percer le blindage signifiaient que le navire ne pouvait pas en transporter autant, il fallait donc que chaque pièce puisse être utilisée. De plus l'adoption de l'éperonnage comme tactique dominante impliquait la possibilité de pouvoir tirer vers l'avant et tout autour du navire[29]. Cela a entraîné la disparition de la disposition en ligne au profit des tourelles et des barbettes[28].

Tourelles, batteries et barbettes

Une barbette du Redoutable de 1876
Une barbette du Redoutable de 1876

Il y avait deux alternatives principales à la disposition latérale. Dans l'une, les canons étaient placés dans des casemates fortifiées au milieu du navire : cet arrangement fut appelé batterie centrale. Dans l'autre, les canons sont placés dans des structures rotatives fournissant un large champ de tir ; quand ces structures sont entièrement fermées, on parle de tourelles ou s'il n'y a pas ou peu de protection, on parle de barbettes.

La batterie centrale était le design le plus simple et durant les années 1860-1870, elle fut la plus utilisée. Concentrer les canons au milieu du navire permettait de réduire sa taille et d'augmenter sa manœuvrabilité. Le premier navire de ce type fut le USS Monitor en 1862, avec un type de tourelle conçus par le suédois John Ericsson. Un concept concurrent fut proposé par le britannique Cowper Phipps Coles. La tourelle du suédois tournait autour d'un axe central et celle de Coles reposait sur des roulements. Les tourelles offrent un champ de tir maximum mais leur usage était difficile dans les années 1860 car le champ était bloqué par les mats et le gréement. De plus, une tourelle étant très lourde, le navire devait donc, à moins d'être très large, posséder un franc-bord bas pour éviter des problèmes de stabilité[31]. Le HMS Captain fut le premier navire à disposer de tourelles en 1869.

Une alternative plus légère à la tourelle, très populaire dans la flotte française, était la barbette. Celles-ci étaient des tours contenant un canon sur un pivot ; le canon était souvent sur une plateforme élévatrice qui permettait de protéger l'équipage contre les tirs directs mais pas contre les tirs plongeants. La barbette était plus légère qu'une tourelle, elle nécessite moins de machinerie et ne présente pas de toit[31].

Torpilles

L'ère des cuirassés a vu le développement des torpilles explosives comme arme navale, ce qui a compliqué le design et les tactiques des flottes de cuirassés. Les premières torpilles étaient des mines utilisées avec une efficacité discutable durant la guerre de sécession. Ce conflit a également vu l'apparition de la "torpille-éperon" qui consiste en une charge explosive poussée contre le flanc d'un navire par un petit navire. Pour la première fois, un navire de grande taille pouvait être menacé par un plus petit et contourne la relative invulnérabilité du cuirassé face aux obus.

La torpille auto-propulsée inventée par Robert Whitehead en 1868 devint une partie de l'armement des cuirassés dans les années 1880. Cette vulnérabilité face aux torpilles fut critiquée par la pensée navale Jeune Ecole ; Selon celle-ci, tout navire suffisamment blindé pour échapper aux obus ennemis sera trop lent pour éviter une torpille[32].

Blindage et construction

Le Redoutable fut en 1876 le premier cuirassé dont l'acier était à la base de la structure.

Les premiers cuirassés furent construit sur une coque en bois ou en métal et protégés par une armure en fer forgé renforcé de plaques en bois. La coque en bois resta la base jusque dans les années 1870, en partie à cause de la rareté de l'acier et de son coût élevé.

Coques : Fer, bois et acier

Malgré ses avantages, la coque en fer présentait des problèmes techniques qui firent que la coque en bois resta en service durant de longues années. Des coques en fer furent proposées aux militaires dès 1820. Durant les années qui suivirent, la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis d'Amérique ont expérimentés des frégates à coque en fer mais sans armure. Cependant ces navires furent abandonnés car la coque résistait mal aux boulets ; le fer étant plus cassant que le bois[33].

Le fer ne pouvant être utilisé pour la construction de la coque, il fut uniquement utilisé comme matériau de construction et pour le blindage. Cependant, le fer présentait de nombreux avantages pour les architectes navals. Il permit la construction de navires de plus grande taille et au design moins contraignant. Il pouvait être produit à la demande et utilisable immédiatement contrairement au bois. De plus, due aux grandes quantités de bois nécessaires à la construction d'un navire à vapeur et à la baisse du prix du fer, la coque en fer devint rapidement rentable. Si la France et le Royaume-uni ont utilisé le bois au lieu du fer pour la construction de leurs cuirassés dans les années 1860, ce sont pour deux raisons différentes. L'industrie sidérurgique française ne pouvait pas répondre à la demande des chantiers navals quant à la Grande-Bretagne, elle devait liquider le bois déjà acheté ainsi que les coques déjà commencées[34].

Les coques en bois furent encore utilisées pour les cuirassés au long rayon d'action car le fer présentait néanmoins des inconvénients. Les coques en fer sont rapidement colonisés par la vie marine, ce qui ralentit le navire. Cela est gérable pour une flotte européenne proche de ses cales sèches mais problématique pour les navires naviguant loin de la métropole. La seule solution fut de recouvrir la coque par du bois puis par du cuivre, ce qui représente un travail considérable qui prolongea la carrière des coques en bois[35].

Après 1872, l'acier commença à être utilisé comme matériau de construction. Comparé au fer, l'acier autorise des structures plus résistantes pour un poids inférieur. La flotte française fut la première à l'utiliser avec le Redoutable construit en 1876[36].

Même si le Royaume-uni était le leader de la production d'acier, la Royal Navy fut lente à l'adopter. Le procédé Bessemer produisait un acier comportant trop d'imperfections pour la construction d'éléments de grande taille. Les industriels français utilisait le procédé Siemens-Martin pour obtenir un acier adéquat mais la Grande-Bretagne resta à la traîne[37]. Les premiers cuirassés à coque en acier furent les croiseurs Iris et Mercury lancés en 1875 et 1876.

Blindage et protection

Le blindage en bois et en fer du HMS Warrior.
Le blindage en bois et en fer du HMS Warrior.

Les navires construit à base de fer utilisaient le bois pour leur protection. Le HMS Warrior était protégé par 115 mm de fer forgé renforcé par 381 mm de teck, qui est le bois de construction le plus résistant. Le bois jouait deux rôles : protéger des éclats et empêcher un tir direct sur la structure du navire. Plus tard, le bois et le fer seront combinés en 'sandwich' pour réaliser des blindages plus résistant comme ce fut le cas sur HMS Inflexible[38].

L'usage de l'acier en tant que matériau de blindage semblait aller de soit. Il avait été testé dès les années 1860 mais l'acier de cet époque était trop cassant et se fissurait sous l'impact des projectiles. Il faudra attendre la découverte d'une méthode pour combiner l'acier et le fer forgé pour que celui-ci devienne d'usage courant. Ce blindage composite a été utilisé sur les navires britanniques construits à la fin des années 1870, au départ pour les tourelles puis pour l'ensemble du blindage[39]. Après l'achat de la licence, les Français et les Allemands adoptèrent rapidement cette innovation connue sous le nom de système Wilson[40].

Les premiers cuirassés dont le blindage était entièrement en acier furent les Duilio et Dandolo italiens. Si leur construction débuta en 1873, il faudra attendre 1877 pour qu'ils reçoivent leur blindage fabriqué en France. Les britanniques restèrent fidèles à leur blindage composite jusqu'en 1889. Quant aux français, ils adoptèrent ce dernier blindage en 1880 mais face aux problèmes d'approvisionnement, ils se reportèrent en 1884 sur le blindage entièrement en acier.

Une grande avancée dans les techniques de blindage fut réalisé par les américains en 1890 avec l'utilisation d'un alliage d'acier et de nickel durci en surface par le procédé Harvey qui est une forme de cémentation. Cet alliage était supérieur à l'association de fer forgé et d'acier. Cet 'acier Harvey' fut à la pointe de la technologie jusqu'en 1894, quand Krupp développa un procédé supérieur pour renforcer l'acier. Le Kaiser Friedrich III allemand fut le premier à bénéficier de cet 'acier Krupp' en 1895. Cet acier se répandit rapidement dans toutes les marines et au début du XXe siècle, la plupart des nouveaux navires utilisait cet alliage. Seul la marine américaine continua à utiliser le procédé Harvey jusqu'à la fin de cette décennie.

La résistance équivalente de ces différents blindage était la suivante : 381 mm de fer forgé était équivalent à 305 mm d'acier pur ou d'acier associé au fer forgé, à 197 mm d'« acier Harvey » et à 146 mm d' acier Krupp[41].

La construction des cuirassés préfigure les débats qui suivront sur le design des navires de guerre entre un blindage dégressif et un blindage 'tout ou rien'. Le Warrior était semi-blindé et aurait pu être détruit par des tirs sur la poupe ou la proue[42]. Comme le blindage devait devenir de plus en plus épais pour résister aux projectiles adverse, les parties du navire complètement protégés ne pouvaient que diminuer. Le blindage de l' Inflexible se limitait aux tourelles et à la protection de la salle des machine et des magasins. Un ingénieux système de cloisons étanches remplies de liège a été réalisé pour empêcher le naufrage en cas d'un tir direct dans les parties non-blindées[43].

Motorisation: vapeur et voile

La Gloire utilisant ses voiles.
La Gloire utilisant ses voiles.

Les premiers cuirassés de haute mer conservaient les mats et les voiles de leurs ancêtres en bois mais ceux-ci furent graduellement abandonnés. Les premières machines à vapeur étaient peu efficaces ; Les bateaux à vapeur en bois de la Royal Navy ne pouvaient transporter du charbon que pour 5 à 9 jours [44], la situation était similaire pour les premiers cuirassés. Le HMS Warrior illustre cette situation en combinant des voiles et une machine à vapeur.

L' USS Canonicus de la classe Monitor ne possédait pas de mats.
L' USS Canonicus de la classe Monitor ne possédait pas de mats.

Les navires conçus pour la guerre en eaux peu profondes, comme les batteries flottantes en Crimée ou la classe Monitor américaine, ne comportaient pas de mats. L'anglais HMS Devastation lancé en 1871 fut le premier grand navire de haute mer à renoncer à ses mats mais il fit figure d'exception. Seul l'Italie qui se concentrait sur des opérations limitées en mer Adriatique n'installa pas de mats sur ses navires[45].

Durant les années 1860, les nouveaux modèles de machine à vapeur à double expansion qui consomment 40 % de charbon en moins que leurs prédécesseurs se répandent dans les marines. Cependant cette avancée n'était pas suffisante pour condamner le mat. Le débat reste ouvert pour savoir si cela était due à une forme de conservatisme ou pour de réelles raisons militaires. En effet, une flotte de navires utilisant la vapeur nécessite un réseau mondial de stations de ravitaillement qui devraient être protégée des attaques ennemies. De plus à cause de problèmes techniques sur les chaudières, le rendement des machines à double expansion était rarement aussi bon en pratique qu'en théorie[46].

Le cuirassé danois Tordenskjold possédait uniquement un 'mat militaire' destiné à la communication par drapeaux.
Le cuirassé danois Tordenskjold possédait uniquement un 'mat militaire' destiné à la communication par drapeaux.

Durant les années 1870, la différenciation entre 'cuirassés de première génération' et 'navires de bataille' d'un côté et les 'croiseurs à long rayon d'action' de l'autre ne fit qu'augmenter. Le besoin pour des cuirassés toujours mieux armés et mieux blindés, donc plus lourd, tout en voulant garder ou améliorer leurs capacités de déplacement, condamnèrent l'usage des voiles. De plus les mats étaient très gênant pour les tourelles et les barbettes. Le HMS Inflexible lancé en 1876 fut le dernier cuirassé à posséder des mats.

Les voiles continuèrent à être conservées sur les croiseurs à long rayon d'action. Durant les années 1860, la France lança les classes Alma et La Galissonière, des petits cuirassés à long rayon d'action pour des missions outre-mer[47]. Le navire russe Général Amiral lancé en 1875 est un modèle de vitesse et de rayon d'action qui était capable de distancer la plupart des navires de sa catégorie. Même le HMS Shannon lancé en tant que croiseur cuirassé plus tard ne pouvait rivaliser avec lui. Le Shannon fut le dernier navire britannique à posséder une hélice rétractable mais conservait un mat destiné à porter des voiles. Il faudra attendre 1888 et le lancement du HMS Warspite pour que le Royaume-Uni dispose d'un croiseur pouvant rattraper les navires pirates outre-mer[48].

L'évolution finale de la propulsion du cuirassé fut l'adoption du moteur à triple expansion à bord du HMS Sans Pareil en 1891. Beaucoup de navires utilisaient également la circulation forcée pour obtenir de la puissance supplémentaire. Ce système resta en vigueur jusqu'à l'arrivée de la turbine à vapeur au milieu des années 1900[49].

Les flottes de cuirassés

Malgré une diffusion rapide du cuirassé dans les marines nationales, il y eu peu de batailles où ils furent impliqués. La plupart des nations européennes réglaient leurs conflits sur terre et la domination de la Royal Navy était telle qu'elle ne craignait aucun rival. Les confrontations de cuirassés eurent donc lieu lors d'actions coloniales ou entre des puissances navales de second ordre.

Il y avait beaucoup de types de cuirassés[50]:

  • Des navires de haute mer conçus pour se tenir en ligne de bataille et ancêtres des cuirassés modernes[29].
  • Des navires pour le service côtier ou fluvial comme les batteries flottantes ou ceux du type Monitor
  • Des navires conçus pour l'assaut de convois ou leur défense et nommés croiseurs cuirassés

Le Royaume-Uni possédait la plus grande flotte du monde durant la période des cuirassés à coque en fer. La Royal Navy fut la seconde à adopter des navires de guerre de ce type et à les utiliser dans un grand nombre de situation. À l'ère de la voile, la stratégie britannique était de réaliser un blocus des ports ennemis. Le manque d'endurance des navires à vapeurs rendit cette tactique impossible. La nouvelle stratégie était donc d'attaquer la flotte ennemie dans ses ports dès que la guerre était déclarée. Pour cela, elle développa une série de cuirassés destinés aux bombardements côtiers. Les premiers de ce type furent issues de la classe Devastation. Ces navires furent les précurseurs des cuirassés modernes[51]. Durant les années 1860 et 1870, la Royal Navy était supérieure à ses rivales mais à partir de 1880, les inquiétudes face aux menaces françaises et allemandes culminèrent avec l'adoption du 'Naval Défense Act'. Celle-ci reprenait l'idée que la Grande-Bretagne devait posséder autant de navires que les deux marines suivantes cumulées. Cela déclencha une production effrénée de navires dans les années 1880 et 1890[52].

Les navires britanniques ne participèrent à aucune guerre majeure durant cette période. Les seules actions eurent lieu lors de batailles coloniales ou lors d'engagement unilatéraux tels que le bombardement d'Alexandrie lors de la seconde guerre anglo-égyptienne de 1882 où une flotte britannique ouvrit le feu sur les fortifications du port d'Alexandrie. Le bombardement dura une journée et força les égyptiens à se retirer ; Les tirs égyptiens furent nombreux mais ne tuèrent que cinq marins britanniques[53].

La France construisit le premier cuirassé pour tenter de prendre l'avantage sur le Royaume-Uni mais elle ne pouvait suivre le rythme de construction britannique. En dépit de nombreuses innovations comme les armes à chargement par la culasse et la construction en acier, la flotte française ne put jamais égaler la Royal Navy. À partir de 1870, la France cessa de construire des cuirassés sous l'influence de la Jeune Ecole pensant que l'avenir de la guerre navale passerait par les torpilleurs et les croiseurs légers. Tout comme la Royal Navy, la flotte française n'eut pas beaucoup à combattre ; le blocus des ports allemands durant la guerre franco-prussienne de 1870 fut inefficace et la guerre se déroula entièrement sur terre[54].

La Russie construisit de nombreux cuirassés, généralement des copies des design français et britanniques. Néanmoins, il y eut de réelles innovations tels que le premier vrai croiseur cuirassé, le Général Amiral ou le remarquablement mal conçu Novgorod connu sous le nom de 'popoffkas'. La flotte russe fut la pionnière de l'utilisation des torpilleurs lors de la guerre russo-turque de 1877-1878, principalement à cause du nombre et de la qualité des cuirassés ottomans[55]. La flotte russe se développa durant les années 1880 et 1890 avec des navires modernes mais ceux-ci était manœuvrés par des équipages inexpérimentés et par des officiers soumis au pouvoir politique, cela entraina le désastre de Tsushima le 27 mai 1905[56].

La bataille navale d'Iquique où le cuirassé péruvien Huascar coula le voilier chilien Esmeralda.

L'US Navy termina la guerre de sécession avec une cinquantaine de navires côtiers de type Monitor ; à partir des années 1870, la plupart d'entre eux fut mis en réserve, ce qui laissa la flotte américaine sans cuirassé. Le type Monitor étant cantonné aux côtes, les États-Unis ne purent se projeter outre-mer et jusqu'en 1890, ils auraient été écrasés lors d'une confrontation avec l'Espagne ou avec des puissances moyennes d'Amérique latine. Les années 1890 virent les débuts de la grande flotte blanche et ce furent les modernes pré-Dreadnoughts et les croiseurs cuirassés construits durant cette période qui battirent la flotte espagnole lors de la guerre hispano-américaine en 1898. Ce furent les débuts d'une nouvelle ère de la guerre navale[57].

Le Loa durant sa conversion en cuirassé dans le port de Callao, 1864.
Le Loa durant sa conversion en cuirassé dans le port de Callao, 1864.

Les cuirassés furent largement utilisés en Amérique latine. Les deux camps les utilisèrent lors de la guerre hispano-sud-américaine entre l'Espagne et les forces combinées du Pérou et du Chili au début des années 1860. Le puissant cuirassé espagnol Numancia participa à la bataille de Callao mais fut incapable d'infliger des dégâts importants aux défenses portuaires. De son côté, le Pérou fut capable de déployer deux petits cuirassés construits localement et basés sur le dessin de ceux utilisés lors de la guerre civile américaine[58] : Le Loa (un navire en bois converti en cuirassé) et le Victoria (un petit 'Monitor' armé d'un canon simple de 30 kg), de même que deux cuirassés construits en Grande-Bretagne : l' Independencia et le Huascar. Le Numancia fut le premier cuirassé à faire le tour du monde en arrivant à Cadix le 20 septembre 1867, gagnant ainsi sa devise : « Enloricata navis que primo terram circuivit ». Durant la guerre du Pacifique en 1879, le Chili et le Pérou utilisèrent des cuirassés dont certains avaient combattu l'Espagne. Tandis que l’Independencia s'était échoué quelque temps auparavant, le cuirassé Huascar fit forte impression en retardant l'invasion chilienne de six mois avant d'être capturé lors de la bataille du cap Angamos[59].

Le dernier cuirassé construit en France et destiné à la Confédération, le Stonewall, devint le premier cuirassé japonais sous le nom de Kōtetsu.

Les cuirassés furent également utilisés dès la création de la marine impériale japonaise. Le cuirassé Kōtetsu (en japonais: 甲鉄, littéralement « cuirassé », et plus tard renommé Azuma 東, "Est") eut un rôle décisif lors la bataille navale de la baie de Hakodate en 1869 qui mit fin à la guerre de Boshin et permit l'établissement de la dynastie Meiji. La marine japonaise continua de se développer en commandant des navires de guerre aux chantiers navals européens. Ces navires furent engagés contre la flotte de Beiyang qui lui était supérieure sur le papier au moins jusqu'à la bataille de la rivière Yalu en 1894. Grâce à leur puissance de feu supérieure à courte portée, la flotte japonaise réussit à couler ou gravement endommager huit navires tout en n'ayant que 4 navires légèrement touchés. La guerre navale continua jusqu'à la bataille de Weihaiwei l'année suivante où les derniers navires chinois se rendirent aux japonais[60].

La fin des cuirassés à coque en fer

Article principal : Cuirassé.

La fin des cuirassés à coque en fer n'est pas bien définie. Certains seront utilisés lors de la première guerre mondiale. Vers la fin du XIXe siècle, les termes cuirassé et croiseur cuirassé ont remplacé celui de cuirassé à coque en fer[61]. La prolifération des différents designs de cuirassés prit fin à la fin des années 1890 avec un relatif consensus sur le type connu sous le nom de pré-Dreadnought. La plupart des cuirassés construits dans les années 1870 et 1880 serviront lors de la première décennie du XXe siècle. Une poignée des Monitor américains lancés juste après la guerre de sécession servit durant la première guerre mondiale. Les derniers cuirassés de la fin du XIXe siècle connurent parfois la seconde guerre mondiale.

Illustration de 1904 du livre de H. G. Wells, Les cuirassés de terre, montrant d'énormes cuirassés équipés des ancêtres des chenilles.
Illustration de 1904 du livre de H. G. Wells, Les cuirassés de terre, montrant d'énormes cuirassés équipés des ancêtres des chenilles.

Les cuirassés ont eu une certaine influence sur l'histoire du char de combat en étant une source d'inspiration pour les premiers véhicules blindés. H. G. Wells, dans sa nouvelle Les Cuirassés de Terre publiée dans Strand Magazine en décembre 1903, décrit l'utilisation de larges véhicules blindés et tout-terrains équipés de canons et de mitrailleuses et propulsés par l'ancêtre des chenilles[62].

Bibliographie

  • (en) Eugène M. Koleśnik, Roger Chesneau et N. J. M. Campbell, Conway's All the World's Fighting Ships 1860-1905, Conway Maritime Press, 1979 (ISBN 0-8317-0302-4) 
  • (en) EHH Archibald, The Fighting Ship in the Royal Navy 1897-1984, Blandford, 1984 (ISBN 0-7137-1348-8) 
  • (en) James Phinney III Baxter, The Introduction of the Ironclad Warship, Harvard University Press, 1933 
  • (en) John Beeler, Birth of the Battleship: British Capital Ship Design 1870-1881, Londres, Caxton, 2003 (ISBN 1-84067-534-9) 
  • (en) David K Brown, Warrior to Dreadnought: Warship Development 1860-1905, Caxton Editions, 2003 (ISBN 1-84067-529-2) 
  • (en) Robert Gardiner et Andrew Lambert, Steam, Steel and Shellfire: The Steam Warship, 1815-1905, Book Sales, 2001 (ISBN 0-7858-1413-2) [lire en ligne] 
  • (en) Richard Hill, War at Sea in the Ironclad Age, Sterling Publishing, 2000 (ISBN 0-304-35273-X) 
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  • (en) Paul M. Kennedy, The Rise and Fall of British Naval Mastery, Londres, Macmillan, 1983 (ISBN 0-333-35094-4) 
  • (en) Andrew Lambert, Battleships in Transition: The Creation of the Steam Battlefleet 1815-1860, Londres, Conway Maritime Press, 1984 (ISBN 0-85177-315-X) 
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  • (en) « Northrop Grumman Employees Reconstruct History with USS Monitor Replica », dans Northrop Grumman Newport News, 21 juin 2007 [texte intégral (page consultée le 2 mars 2011)] 
  • (en) Edward James Reed, Our Ironclad Ships, their Qualities, Performance and Cost, John Murray, 1869 
  • (en) Lawrence Sondhaus, Naval Warfare 1815-1914, Londres, Routledge, 2001 (ISBN 0-415-21478-5) 
  • (en) H. G. Wells, War and the Future [lire en ligne] 
  • (en) Conway, All the World's Fighting Ships 1860–1905, Conway Maritime Press, 1979 (ISBN 0-8317-0302-4) 

Notes et références

  1. a et b Hill, p. 17
  2. a, b et c Sondhaus, p. 73-74
  3. Sondhaus, p. 86
  4. « the (ironclad) had three chief characteristics: a metal-skinned hull, steam propulsion and a main armament of guns capable of firing explosive shells. It is only when all three characteristics are present that a fighting ship can properly be called an ironclad. »,Hill, p. 17
  5. a, b et c Gardiner, p. 30-44
  6. Sondhaus, p. 37-41
  7. Hill, p. 25
  8. Sondhaus, p. 58
  9. Lambert, p. 94-95
  10. a, b, c et d Gardiner, p. 47-55
  11. Sondhaus, p. 61
  12. Sondhaus, p. 74
  13. Gardiner, p. The American Civil War
  14. Sondhaus, p. 78
  15. Preston, p. 14
  16. Sondhaus, p. 78-81
  17. Sondhaus, p. 82
  18. Sondhaus, p. 85
  19. a, b, c et d Sondhaus, p. 94-96
  20. Hill, p. 35
  21. Beeler, p. 106-107
  22. Beeler, p. 107
  23. Beeler, p. 146
  24. Beeler, p. 71
  25. Beeler, p. 72-73
  26. Gardiner, p. Warships of Steel
  27. a, b et c Gardiner, p. 158-169
  28. a et b Beeler, p. 91-93
  29. a et b Noel
  30. Sondhaus, p. 87
  31. a et b Beeler, p. 92-93
  32. Sondhaus, p. 156
  33. Lambert, p. 19
  34. Beeler, p. 30-36
  35. Beeler, p. 32-33
  36. Gardiner, p. 96
  37. Beeler, p. 37-41
  38. Hill, p. 39
  39. Beeler, p. 45
  40. Sondhaus, p. 164-165
  41. Sondhaus, p. 166
  42. Reed, p. 45-47
  43. Beeler, p. 133-134
  44. Beeler, p. 54
  45. Beeler, p. 63-64
  46. Beeler, p. 57-62
  47. Sondhaus, p. 88
  48. Beeler, p. 194
  49. Gardiner, p. Warship Machinery
  50. Conway
  51. Beeler, p. 204
  52. Kennedy, p. 178-179
  53. Hill, p. 185
  54. Sondhaus, p. 101
  55. Sondhaus, p. 122-126
  56. Sondhaus, p. 187-191
  57. Sondhaus, p. 126-128 et 173-179
  58. (es) Gamio, José. Valdizán, Historia naval del Perú, t. 4 
  59. Sondhaus, p. 97-99 et 127-132
  60. Hill, p. 191
  61. Beeler, p. 154
  62. Wells, p. 93

Annexes

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Liens externes

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