Jeune Ecole

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Jeune École

La jeune école est un courant de la pensée navale française de la fin du XIXe siècle. Elle propose une rupture avec le courant de pensée traditionnelle de l'époque qui était de construire des bateaux de plus en plus importants, en privilégiant au contraire l'utilisation de bateaux plus petits et plus nombreux.

Sommaire

Le contexte

Le souvenir des guerres navales de la Révolution et de l'Empire, et la rivalité constante avec l'Angleterre, conduisent la France du Second Empire à s'interroger sur la place de sa marine. L'émergence d'un nouvel adversaire, l'Allemagne, va amener à penser que la France n'a pas les moyens de disputer la suprématie sur mer comme sur terre.

La modification rapide des techniques navales, l'apparition de la vapeur et des navires en fer va entraîner une augmentation rapide des coûts des nouveaux navires.

C'est dans ce contexte que l'on va voir apparaitre la nouvelle doctrine qui sera appelée jeune école, en reprenant les mots de l'un de ses partisans.

« [...] Notre marine se partage en deux écoles l'une absorbée par le besoin de s'abriter, l'autre animée avant tout par le sentiment de l'attaque : la première est la vieille école, la seconde la jeune école. Sous l'impression de l'année terrible[1], nous n'inventions que des engins inspirés par une peur inconsciente (les cuirassés) nous poursuivions la chimère dénoncée par le général Dragominoff : faire la guerre sans s'exposer à se faire tuer. L'amiral Aube fut l'apôtre de l'audace, le Dragominoff de la Marine... »[2]

Les acteurs

La figure emblématique de cette nouvelle doctrine est l'amiral Aube. Il a publié en un opuscule La guerre maritime et les ports militaires de la France[3]. Dans ces 38 pages, il affirme que le développement des nouvelles techniques va rendre inopérants tant les blocus que la guerre d'escadre ; par exemple avec l'usage de la torpille automobile. En conséquence, il faut éviter de se lancer dans la construction de cuirassés mais plutôt se reposer sur un grand nombre de petits navires côtiers, torpilleurs, garde-côtes, béliers pour protéger la façade maritime[4]. Pour l'offensive, il préconise la guerre de course menée par des croiseurs. Dans les deux cas, il est partisan de donner la meilleure vitesse possible aux nouveaux bâtiments.

Ses idées vont emporter l'adhésion de nombreuses personnes. Non seulement des marins, mais aussi de journalistes comme Gabriel Charmes. En effet, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse a eu comme conséquence parmi d'autres que les journaux se sont sentis autorisés de parler de tous les sujets, y compris de stratégie et de tactique navale. L'avantage de l'irruption de l'opinion publique dans le débat sera de forcer les protagonistes à affuter leurs arguments. Mais, en contrepartie, cela signifiera l'intervention de protagonistes peu au fait des contraintes navales[5].

Gabriel Charmes, né en 1850 à Aurillac, gendre de l'amiral Aube, est entré en 1874 comme journaliste au Journal des Débats. Au début des années 1880, il jouit d'une certaine célébrité liée à une série d'articles sur l'Orient. Il va embrasser la cause de la « Jeune École » et publier plusieurs articles, en 1884 et 1885, en faveur de ces thèses, dans la Revue Politique et Littéraire et le Journal des Débats.

Pour lui, le torpilleur est l'arme-miracle du pauvre, un microbe de cent tonnes et de deux cent mille francs, capable, d'une torpille, d'envoyer par le fond un monstre de 10 000 tonnes coûtant 30 millions de francs. Il va gauchir la théorie de l'amiral Aube en substituant au trinôme un simple binôme torpilleur-croiseur.

Ses attaques, comme celles des autres défenseurs de la « Jeune École », visent aussi l'Administration de la marine, critiquant son immobilisme et son conservatisme. Ces critiques ne seront pas pour rien dans la popularité de la nouvelle doctrine.

Le monde politique va aussi trouver de quoi alimenter ses jeux. Le torpilleur, prôné par la « jeune école », va devenir l'outil des républicains[6] tandis que le cuirassé serait celui de la droite. Le torpilleur illustrant la revanche du petit sur le gros, il sera aussi l'équivalent industriel du microbe de Pasteur, capable de terrasser les plus grosses créatures.

C'est aussi une manière d'attaquer les barons d'industrie, en particulier ceux qui fournissent les plaques de blindage, si importantes pour les flottes cuirassées. Vouloir conserver ces grands bâtiments était, pour certains des républicains et des radicaux, simplement vouloir sauvegarder les profits de ces industriels.

Mais la querelle sert aussi les intérêts budgétaires des gouvernements. Il revient bien moins cher de construire des torpilleurs, même en nombre, que des navires de ligne dont les proportions ne cessent de croître.

Les principes

Cette école propose cinq principes autour desquels doit s'organiser la marine[7].

  • Prééminence de la défensive en matière de stratégie navale,
  • Division du travail[8],
  • Des navires les plus rapides possibles,
  • Des navires de petit tonnage plutôt qu'un seul de gros tonnage,
  • Multiplier les points d'appui au long des côtes.

Les conséquences

Le Gymnote, premier sous-marin électrique français

Ministre de la marine du 7 janvier 1886 au 29 mai 1887, l'amiral Aube pourra mettre en œuvre ses théories. La commande de 34 torpilleurs, 11 croiseurs prévus et la construction des premiers sous-marins, le Gymnote et le Goubet, viendront prendre le pas sur la réalisation de cuirassés d'escadre[9].

Parallèlement, pour assurer le soutien de ses forces de défense, il va créer, tout au long du littoral de métropole et d'Afrique du nord, des points d'appui[10].

Après son départ, la tendance subsistera, aboutissant à la réalisation d'une « poussière navale » qui ne tardera pas à montrer son inefficacité : mauvaise tenue à la mer, rayon d'action limité, inaptitude à combattre en haute mer[11]. Ainsi, lors des manœuvres navales de 1891, une escadre se rend d'Alger à Toulon. Les torpilleurs se révèleront incapables de l'attaquer[12].

En 1899, la Crise de Fachoda montrera que la marine française est hors d'état de pouvoir s'opposer à la Royal Navy. Le Conseil Supérieur de la Marine, le 11 janvier 1899, en fera le constat. Ceci conduira le gouvernement Waldeck-Rousseau à lancer le programme de constructions connu sous le nom de « programme de 1900 », comprenant de nombreux cuirassés[5].

Ceci semble sonner la fin de cette doctrine mais, en juillet 1902, arrive un nouveau ministre de la marine, Camille Pelletan, partisan déclaré des thèses de la « Jeune École ». De nouveau, la priorité est donnée aux petites unités, torpilleurs et sous-marins. À son départ, en 1905, la « Jeune École » aura perdu la quasi-totalité de ses partisans. Il est vrai que les leçons de la guerre russo-japonaise de 1904 ont ramené au concret les théoriciens[13].

L'engouement pour les théories de la « Jeune École » aura été à l'origine du retard qui handicapera la marine française jusqu'à la première guerre mondiale[14].

Voir aussi

Articles connexes

Sources

  • Michel Depeyre, Entre vent et eau, un siècle d'hésitations tactiques & stratégiques 1790-1890, Economica, Paris 2003. (EVE dans les notes)
  • Dictionnaire historique maritime, article « Jeune école ». (DHM dans les notes)
  • Capitaine de frégate Cellier[15], Les idées stratégiques en France de 1870 à 1914, la jeune école, thèse de l'école de guerre navale, 1924, in Hervé Coutau-Bégarie (dir.), L'évolution de la pensée navale, FEDN, 1990, (pages 195 à 231). (EPN dans les notes).
  • Paul Baquiast (sous la direction de, Actes du 2e colloque international de St-Georges-de-didonne, 1998, La mer au temps des Pelletan. Les articles peuvent être consultés ici : [1]

Notes et références

  1. La défaite de 1871 face aux allemands.
  2. Cité dans l'évolution de la pensée navale, p. 224.
  3. Berger-Levrault, 1882.
  4. Aube, contrairement à ceux qui lui emboîteront le pas, n'est pas pour la suppression des cuirassés. Il pense plutôt à une stratégie en trois temps. Les torpilleurs éloignent la menace de blocus : les croiseurs peuvent partir faire la guerre au commerce. L'adversaire doit diviser ses forces pour combattre les croiseurs. Les escadres de combat peuvent alors sortir affronter les forces adverses divisées.
  5. a  et b Paul Baquiast: Jeune Ecole et République
  6. La gauche de l'époque.
  7. EPN, P. 224.
  8. C'est-à-dire privilégier des navires spécialisés de préférence aux navires polyvalents.
  9. Le ralentissement sera tel que l'on arrivera jusqu'à une dizaine d'années entre la mise en chantier et la mise en service. Par exemple, le Neptune, mis en chantier le 17 avril 1882 ne sera mis en service que le 23 décembre 1892. Le Hoche, le 3 août 1880 et le février 1890. Conséquence supplémentaire : quand ces unités entrent en service, elles sont déjà dépassées.
  10. Bizerte, par exemple. Dans leur ouvrage Essai de stratégie navale de 2 défenseurs de la « Jeune École », le commandant « Z » et Henri Montéchant, pseudonymes, estiment les points d'appui à 37 pour la Méditerranée et 25 pour l'Atlantique et la Manche
  11. DHM, 2, 802.
  12. Philippe Masson, Histoire de la Marine, cité par EPN, page 47
  13. La décision a été obtenue par les cuirassés, que les torpilleurs n'ont fait qu'assister.
  14. Elle ratera ainsi la révolution du Dreadnought.
  15. Auteur de la 1e étude historique sur la "Jeune Ecole".

Bibliographie

  • Michel Depeyre, Entre vent et eau, un siècle d'hésitations tactiques & stratégiques 1790-1890, Economica, Paris 2003.
  • Hervé Coutau-Bégarie (dir.), Les idées stratégiques en France de 1870 à 1914, la jeune école, in L'évolution de la pensée navale, FEDN, 1990.
  • Martin Motte, Une éducation géostratégique: la pensée navale française, de la Jeune École à 1914, Paris, Economica, 2004.
  • (en) Theodore Ropp: The Development of a Modern Navy: French Naval Policy 1871-1904. Ed.: Stephen S. Roberts, Annapolis, Md., Naval Institute Press, 1987 (Dissertation de 1937 à Harvard University).
  • (de)(fr) Volkmar Bueb, Die "Junge Schule" der französischen Marine. Strategie und Politik 1875-1900, Harald Boldt Verlag, Boppard am Rhein 1971. En: Militärgeschichtliches Forschungsinstitut (Éditeur): Wehrwissenschaftliche Forschungen, Département Militärgeschichtliche Studien, Volume 12. (En allemand avec des citations en français. Le titre veut dire: «La Jeune Ècole» de la marine française. Stratégie et politique entre 1875 et 1900. ISBN 3-7646-1552-4. « ... la seule étude vraiment exhaustive du sujet.» selon Francois-Emmanuel Brézet). Le livre est épuisé. Seulement dans les bibliothèques scientifiques.
  • Paul Baquiast: la Jeune École de la Marine française, la presse et l'opinion publique, mémoire de DEA sous la direction du professeur Jean Meyer, Paris IV, 1987.

Liens externes

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