- Bataille De Lissa (1866)
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Bataille de Lissa (1866)
Pour les articles homonymes, voir Bataille de Lissa.Bataille de Lissa Informations générales Date 20 juillet 1866 Lieu Île de Vis, Croatie Issue Victoire autrichienne Belligérants Empire d’Autriche Royaume d'Italie Commandants Wilhelm von Tegetthoff Carlo Persano Forces en présence 7 cuirassés
1 vaiseau de ligne
6 frégates
12 canonières12 cuirassés
10 frégates
4 canonièresPertes 38 morts <vr/> 138 blessés 2 cuirassés coulés
520 morts
40 blessésGuerre austro-prussienne Batailles Custoza — Hühnerwasser — Podol — Trautenau — Nachod — Langensalza — Oswiecim — Münchengrätz — Soor — Skalitz — Gitschin — Schweinschaedel — Sadowa (Königgrätz) — Kissingen — Aschaffenburg — Cimego — Pieve di Ledro — Monte Nota — Lissa — Üttingen — Bezzecca — Primolano — Borgo — Levico — Blumenau — Versa La bataille navale de Lissa mit aux prises, le 20 juillet 1866, les Italiens aux Autrichiens, dans l'Adriatique, au large de l'île de Lissa ou Vis aujourd'hui en Croatie. Même si elle n'a pas eu beaucoup d'effet sur l'issue du conflit dans lequel elle s'inscrit, elle est devenue emblématique car elle fut la première bataille de l'histoire mettant aux prises deux escadres de cuirassés, et eut donc une grande influence sur l'évolution de la pensée navale mondiale.
En 1866, l'Autriche est en guerre contre la Prusse, dont l'Italie est l'alliée, Bismarck lui ayant promis en échange la Vénétie, alors autrichienne. Les Italiens ont été battus à Custoza le 24 juin 1866, mais les Prussiens écrasent les Autrichiens à Sadowa le 4 juillet suivant, ce qui contraint les Autrichiens, sans espoir de victoire, à négocier. Pour se présenter en position de force lors des négociations, l'Italie cherche alors à prendre une revanche sur mer, en s'emparant grâce à sa flotte de l'île autrichienne de Lissa, sur les côtes de Dalmatie.
Sommaire
La guerre sur mer au milieu du XIXe siècle
En 1866, la marine à vapeur et en fer est une révolution entamée à peine dix ans plus tôt. La quasi-totalité des navires de guerre en construction portent encore mâts et voiles. L’hélice, voire les roues à aubes, sont encore considérées comme force d'appoint pour se déplacer. Depuis le lancement de la frégate française La Gloire, un certain nombre de navires bénéficient d'une cuirasse en fer doublant la totalité ou une partie de leur coque en bois. Quelques navires commencent à être entièrement construits en fer, l'emploi commençant dans la marine de guerre, avec le vaisseau britannique Warrior.
L'artillerie des navires est elle aussi dans une période de profonde mutation, à cette époque : l'apparition des obus Paixhans, avec une fusée de contact, a donné aux munitions un pouvoir de destruction inconnu jusqu'alors, particulièrement contre les navires en bois, comme l'a prouvé la bataille de Sinope, entre les Russes et les Turcs. L'application de blindage en fer, puis en acier, intervient en réaction à cette nouvelle arme, et se révèle efficace à tel point que, lors du combat de Hampton Roads, aucun des deux adversaires n'est endommagé sérieusement, malgré un canonnage de plusieurs heures. Pour percer la cuirasse, de nouveaux canons doivent voir le jour, plus puissants, et donc plus encombrants. Leur nombre par conséquence doit diminuer, et on doit les placer de façon à leur procurer le champ de tir le plus large. De ce besoin découle l'invention de la tourelle, de la barbette, et du réduit central. Autre innovation importante, qui commence à apparaître sur les pièces d'artillerie de l'époque, le chargement par la culasse, ce qui permet de réapprovisionner l'arme de façon plus rapide et en restant à l'abri du blindage. Le chargement par l'arrière permet aussi d'utiliser des tubes rayés, plus précis et donnant une plus grande allonge, avec des munitions cylindro-ogivales, plus lourdes et donc plus perforantes, pour le même calibre. Mais en 1866, ce type de pièces n'est pas sûr et on en trouve très peu d'installées. Le tir par bordées est toujours la règle, c'est-à-dire que tous les canons d'un même côté tirent en même temps, généralement sur la même cible. Cela ralentit la cadence de tir possible mais est censé être plus efficace. Les Autrichiens appliquent la « bordée convergente », c'est-à-dire que tous les canons visent le même endroit de l'adversaire.
La bataille de Lissa intervient alors que toutes ces transformations sont en cours, des navires vieux d'une dizaine d'années semblent déjà obsolètes. Ainsi, du côté autrichien, on trouve le Kaiser, un navire de ligne tout à fait classique, avec ses deux ponts d'artillerie dotés de quatre vingt douze canons se chargeant par la gueule, et d'un calibre de 40 et de 30 livres, sans aucune protection autre que ses épaisses parois de chêne et équipé d'une voilure carrée complète sur trois mâts ; alors que du côté italien, apparaît l'Affondatore, avec une artillerie limitée à deux pièces de gros calibre, en tourelle. Le camp italien dispose, outre l'avantage numérique, d'une supériorité évidente en artillerie, embarquant un grand nombre de pièces modernes, rayées, à chargement par la culasse, en particulier des 165 mm français. Toute la gamme des gradations dans la modernité peut être trouvée dans les navires engagés à Lissa, on trouve ainsi des cuirassés à réduit central, comme les Maria Pia ou Ferdinand Max, à deux réduits, comme les Palestro, à tourelle comme l' Affondatore, à côté de bâtiments classiques de la marine à voile, équipés de propulsion d'appoint à vapeur, soit par hélice, soit par roue à aubes. Malgré une avance importante des Italiens dans le domaine technique, le résultat de la bataille est cependant en faveur des Austro-hongrois, ce qui démontre une nouvelle fois dans le domaine militaire que le progrès technologique n'a d'influence que si on trouve les hommes capables de l'exploiter.
Les forces en présence
Les Autrichiens
La marine autrichienne n'est pas de premier ordre. Les marins sont de toutes nationalités, des Croates aux Allemands, il y a même quelques centaines de marins italiens, ce qui pose des problèmes de commandement. Les navires sont assez anciens et les canons modernes commandés chez Krupp Ag, qui devaient augmenter leur puissance, n'ont jamais été livrés.
La flotte est basée à Pola, sur la côte dalmate, à deux cent kilomètres au nord de l'île de Lissa et à peu près à la même distance de la côte italienne. Malgré des défenses importantes, les Autrichiens craignent une descente de la flotte italienne, sur Pola ou dans le nord de la mer Adriatique, vers Trieste ou Venise. Les ordres transmis par le ministère de la Guerre sont de n'emmener que les navires cuirassés et de ne pas livrer combat plus loin que Lissa pour être capable de remonter rapidement au Nord si les Italiens s'y risquaient, une attaque sur Lissa pouvant n'être qu'une diversion. L'escadre est commandée par le contre-amiral Wilhelm von Tegetthoff. Celui-ci emmène tous les bâtiments disponibles, estimant que ce choix lui incombe et non pas au ministère de la Guerre ; cela donne à son escadre de vingt-sept bâtiments un aspect un peu hétéroclite.
L'amiral Tegethoff a vraiment raclé les fonds de tiroir pour constituer son escadre. Il disait à son gouvernement : « Tels quels, donnez-moi toujours vos navires ; j'en saurai faire emploi. »[1]. Ainsi la frégate Novara, incendiée, est remise en état en quatre semaines, deux de plus pour la réarmer et elle tient honorablement son rang au combat un mois plus tard !
Il possède sept navires cuirassés, construits en bois mais munis d'une ceinture blindée, ce sont :
- Le Ferdinand Max (navire amiral) et le Habsburg , deux frégates cuirassées de 2e classe, de 5 130 tonnes, armées de 16 canons lisses de 48 livres à chargement par la bouche et protégées par une cuirasse de 122 mm, capable de filer 12,5 nœuds ;
- Le Prinz Eugen, le Don Juan d'Austria et le Kaiser Max, trois corvettes cuirassées de 3 588 tonnes, armées de 16 canons de 48 livres chacune et 15 canons rayés de 24 livres, blindées à 110 mm et filant 11 nœuds ;
- Le Salamander et le Drache, deux corvettes cuirassées de 2 750 tonnes, armées de 10 canon de 48 livres et de 18 canons de 24 livres, tous lisses à chargement par la bouche. Elles sont blindées à 114 mm et filent elles aussi 11 nœuds.
Les navires en bois sont :
- Le Kaiser , un vaisseau de ligne à deux ponts, à hélice, de 5 811 tonnes, filant 11 nœuds, armé de 90 pièces lisses (16 de 40 livres, 74 de 30) et 2 pièces rayées de 24 à chargement par la culasse ;
- Le Novara, une frégate à hélice de 2 615 tonnes, avec 32 canons lisses (4 de 60 et 28 de 30) et 2 pièces rayées de 24 à chargement par la culasse ;
- Le Schwarzenburg, une frégate à hélice de 2 614 tonnes, avec 46 canons lisses (6 de 60 et 40 de 30) et 4 pièces rayées de 24 à chargement par la culasse ;
- Les Radetzski, Donau et Adria, des frégates à hélice de 2 234 tonnes, avec 46 canons lisses (6 de 60 et 40 de 24) et 4 pièces rayées de 24 à chargement par la culasse :
- le Erzherzog Friedrich, une corvette à roues à aube, de 1 697 tonnes avec 20 canons lisses (4 de 60 et 16 de 30) et 2 pièces rayées de 24 à chargement par la culasse.
Et des petits bâtiments destinés à faire nombre mais sans réelle valeur au combat, parmi lesquels :
- 9 canonnières toutes armées de 2 pièces lisses de 48 et 2 rayées de 24 :
- Les Kerka et Narenta ;
- Les Dalmat, Hum et Vellebich ;
- Les Seehund, Streiter, Wal et Reka ;
- l'Andreas Hofer, un ravitailleur de 600 tonneaux, armé de 3 pièces de 30 livres lisses ;
- le Kaiserin Elizabeth, un yacht à roues à aubes de 1 000 tonneaux, armé de 4 pièces lisses de 12 livres ;
- le Greif , un yacht à roues à aubes, armé de 2 pièces lisses de 12 livres (certaines sources d'époque le donnent non armé) ;
- le Stadion, un marchand non armé.
La flotte autrichienne, outre son infériorité numérique, est aussi très inférieure en artillerie, la plupart des pièces sont de type ancien à âme lisse et à chargement par la bouche. Seul quelques pièces de 60 livres dotés d'obus Paixhans et quelques canons à tir rapide de 24 livres sont embarquées, la plupart des autres sont des canons classiques de marine de 48, 30 et 24 livres, inefficaces contre les cuirasses et dont les boulets ont un faible pouvoir destructeur. Pour « donner du cœur au ventre aux mécaniciens et leur faire croire qu'ils sont à l'abri », les Autrichiens ont suspendu des chaînes et des madriers sur les flancs des navires en bois...
Les Italiens
Comparativement, la flotte italienne semble beaucoup plus puissante, avec des bâtiments nombreux et modernes. Cependant, sa création est très récente, le Royaume d'Italie étant né le 17 mars 1861, et bien que fille des marines sarde, napolitaine et toscane, ses diverses composantes n'ont pas eu le temps de se fondre dans un moule commun, elle manque donc de cohésion et d'entraînement. Ce n'est que poussée par les politiques, qui visent déjà les négociations qui suivront la fin du conflit, que l'amirauté italienne accepte d'attaquer l'île de Lissa, sans grand enthousiasme.
Au début des hostilités, cette flotte est basée en bas de la botte italienne, à Tarente. Elle remonte à Ancône, à cent vingt kilomètres environ de Pola. Elle est commandée par un amiral qui s'est fait une réputation pendant la guerre de Crimée, le comte Carlo Pellion di Persano, alors âgé de 60 ans. L'arrière-garde commandé par d'Albini, avec les transports pour envahir l'île de Lissa, ainsi qu'un navire-hôpital.
L'escadre italienne regroupe 34 bâtiments dont douze cuirassés :
- l'Affondatore (« le naufrageur », « celui qui envoie par le fond ») est un bélier cuirassé de 4 000 tonnes, construit au Royaume-Uni pour les Italiens. Outre son éperon de 30 pieds (plus de 9 mètres), c'est le seul navire équipé de tourelles, deux, avec chacune un canon Somerset de 300 livres, se chargeant par la bouche. La ligne de flottaison et les tourelles sont protégées par une cuirasse de 127 mm et ses machines peuvent le propulser à 12 nœuds ;
- Les Re d'Italia et Re di Porto Gallo sont deux frégates cuirassées de 2e classe de 5 610 tonnes, construites aux États-Unis. Elles sont protégées par une ceinture blindée couvrant la batterie de 114 mm, leurs machines donnant 10,5 nœuds. L'artillerie comprend 6 pièces lisses de 72 livres et 32 à chargement par culasse de 164 mm ;
- Les Maria Pia, San Martino, Castelfidardo et Ancona, des frégates cuirassées de 2e classe de 4 200 tonnes, construites en France. Armées de 4 pièces lisses de 72 livres et 22 à chargement par la culasse de 164 mm, elles peuvent atteindre 12 à 13 nœuds et sont protégées par une cuirasse de 109 mm ;
- Le Carignano, une corvette cuirassée de 3 446 tonnes, construite en Espagne. Elle file 10 nœuds, est protégée par une ceinture de 114 mm, et porte 10 pièces de 72 livres lisses et 12 rayées de 164 mm ;
- Les Terribile et Formidabile (cette dernière, endommagé la veille de la bataille par les batteries côtières, regagne Ancône), des corvettes cuirassées de 2 682 tonnes, construites en France, filant 10 nœuds, blindées à 109 mm et portant 4 canons de 72 livres lisses et 16 de 164 mm rayés ;
- Le Palestro et le Varese , des cuirassés garde-côtes de 2 000 tonnes, blindés à 114 mm, construits en France, et armés de deux canons de 200 mm et d'un de 165 mm, tous à chargement par la culasse et rayés.
Les navires non protégés comprennent :
- sept frégates à hélice :
- Gaeta
- Maria Adelaide
- Duca di Genova
- Garibaldi
- Principe Umberto
- Carlo Alberto
- Vittorio Emanuele
- une corvette à hélice San Giovanni
- deux corvettes à roues :
- Governolo
- Guiscardo
- le sloop Giglio armés de deux canons lisses.
- trois canonnières Cristoforo Colombo, Gottemolo et ?, armés de quatre canons lisses de 30 livres.
- deux avisos à roues Esploratore et Messaggere armés de deux canons lisses de 30 livres.
- quatre marchands non armés Stella d'Italia, Indepenza, Piemonte et Flavio Gioja.
Le bombardement de l'île
La flotte italienne appareille d'Ancône le 16 juillet dans l'après-midi, sans plan d'opération réellement défini. Elle croise au large de l'île toute la journée du 17, envoyant seulement le Messaggero, pour reconnaître les défenses de l'île. Le lendemain, à 10 h 30, Persano déclenche un bombardement, sur trois endroits de la côte, la première escadre de cuirassés commandée par Giovanni Vacca, attaquant les batteries côtières près de Komiža, sur la côte ouest de l'île, et la troisième, de Giovanni Battista Albini, composée de navires non protégés, celles près de Nadpostranje, au sud de l'île.
Pendant ce temps, lui-même bombarde le port de Vis avec le reste de la flotte. À la fin de la journée, les deux escadres détachées, arrêtant leur bombardement inefficace, viennent se regrouper pour accroître la pression sur le port. Le jour suivant, l'attaque groupée contre Vis progresse bien, quatre cuirassés arrivant à pénétrer dans le port même. Mais devant la résistance des Autrichiens et les conditions météorologiques, Persano renonce à débarquer les troupes le soir même. Le lendemain, à l'aube, la situation des troupes autrichiennes est désespérée, avec la majorité de leur artillerie réduite au silence, et les transports italiens prêts à débarquer 2 200 hommes.
Cependant l'Esploratore rend compte alors de l'approche de bâtiments suspects au nord-ouest, c'est l'escadre de von Tegetthoff. Ce dernier, assuré qu'il s'agit bien d'une attaque majeure de la part des Italiens, a appareillé le 19 à 13 heures du mouillage de Fazana, avec toute sa flotte.
L'Autrichien a pu suivre le début des opérations en direct, et la suite, en léger différé ! En effet, les Italiens ne coupent le câble télégraphique sous-marin qui relie Lissa au continent que le 18, en fin de journée. Ensuite, les Autrichiens, placés à 10 miles de là, sur l'île de Hvar, entre Lissa et le continent, ont pu continuer à l'informer et l'aider à prendre ses décisions.
La bataille
Il est dix heures du matin. La houle est forte, le vent a tourné et souffle maintenant vers le sud-est. L'escadre autrichienne arrive du nord-ouest, les Italiens leur coupent la route en remontant au nord-est. L'amiral italien a choisi une formation classique en ligne de bataille. Ce n'est pas un mauvais choix, a priori. Les navires de l'époque ont leurs canons disposés sur les flancs. Le seul bâtiment possédant des tourelles est l'Affondatore. En se présentant en ligne, les Italiens peuvent faire usage de la majorité de leur artillerie, et profiter de leur supériorité dans le domaine. L'escadre est divisée en trois divisions de trois cuirassés chacune, l'amiral Persano a mis sa marque est au centre, sur le Re d'Italia. L'escadre d'Albini, elle, se place en retrait pour former un deuxième rideau défensif devant les transports.
Si la formation des Italiens renvoie à la marine à voile, celle choisie par Tegetthoff pour les Autrichiens s'inspire du combat de galères de Lépante. Il adopte une formation en coin, pour les trois divisions de son escadre, celles-ci se suivant en colonne à deux encablures de distance.[2] La première vague regroupe les sept navires cuirassés, avec le navire-amiral à la pointe au centre. La deuxième constituée par des navires en bois est menée par le deux-ponts de 90 canons, Kaiser. La troisième regroupe les petits bâtiments qui font nombre mais dont la valeur militaire est plus que limitée. La radiotélégraphie n'existant pas encore, la signalisation se fait par pavillons. Pour cela, chaque division dispose d'un navire chargé de répéter les signaux fait par le commandant. Ce sont, pour la première division, le Kaiserin Elisabeth, pour la deuxième division, le Greif, et pour la troisième, l'Andreas Hofer. Ils sont placés entre chaque division. Un paquebot non armé, le Stadium, dont la vitesse de douze nœuds est excellente pour l'époque, sert d'éclaireur. Les Autrichiens savent parfaitement que leur artillerie est loin d'égaler celle de leurs adversaires. Il n'est donc pas question de se lancer dans un duel d'artillerie. Au contraire, il faudra se rapprocher le plus rapidement possible des italiens, pour les engager au plus près. Ils se dirigent, donc à toute vapeur, sur la ligne italienne, marchant au sud-est, droit vers Lissa. Tegethoff envoie un message à la première division : « courir sur l'ennemi et le couler ».
En face, l'amiral Persano forme sa ligne de bataille, il l'oriente vers le nord-est. Au dernier moment, il décide de quitter le navire-amiral, Re d'Italia, et de porter sa marque sur l'Affondatore, le navire le plus puissant de son escadre. Cette décision de dernière minute a plusieurs conséquences. Le temps perdu à mettre les canots à la mer pour transborder l'amiral, son chef d'état-major, un aide de camp[3] et l'officier chargé des signaux, est à l'origine de l'espace libre qui se crée entre la première et la seconde division italienne, espace qui est mis à profit par les Autrichiens. De plus, le transfert est mal signalé et durant la bataille, les navires italiens surveillent, pour les exécuter, les ordres du Re d'Italia plutôt que ceux arborés par l'Affondatore, où se trouve l'amiral. Ce dernier, bien qu'étant le navire italien le plus puissant, retardé, se retrouve isolé et participe peu à la bataille. La confusion créée par la décision de Persano, ainsi que le manque d'entraînement et l'état de la mer, rendent le tir italien peu efficace et permettent aux Autrichiens de se rapprocher sans subir de gros dégâts. De plus, le vent rabat la fumée des tirs sur les Italiens, et celle des tirs autrichiens fait office de rideau fumigène, entre les deux escadres.
La première division de Tegetthof traverse la ligne italienne. Le souvenir de la bataille de Trafalgar doit être encore vivace car, pour la majorité des commentateurs de l'époque, ce fait est signalé comme important. Mais, en réalité, les sept navires de la première division autrichienne passent dans l'espace vide créé entre la première et la deuxième division italienne, sans gêner les Italiens, mais le symbole est là. Les Autrichiens doivent, ensuite, faire demi-tour, car la deuxième ligne impériale, les vaisseaux en bois, à l'artillerie peu performante va se retrouver opposée aux meilleures unités italiennes, les plus puissantes et les mieux protégées. Le combat se transforme alors en une mêlée pour laquelle il est difficile de donner une vue d'ensemble. La fumée, noire, due aux chaudières à charbon, et jaune, due aux tirs d'artillerie, empêche chacun des protagonistes de voir précisément ce qui se passe. Le commandant de chaque navire, comme les deux amiraux, réagit aux menaces les plus proches sans pouvoir apprécier si ses décisions correspondent au plan initialement prévu. Ceci se retrouve dans les relations laissées par les témoins du combat.
Le Ferdinand Max, navire sur lequel est Tegethoff, essaie par deux fois au moins d'éperonner un vaisseau italien, mais sans résultats, les navires ne faisant que racler leurs coques. Il voit devant lui un navire, dont la coque gris-bleu clair indique la nationalité italienne, qui lui présente le flanc. Est-il immobilisé après avoir reçu une bordée sur son arrière, bordée ayant mis hors d'usage son gouvernail[4], comme le racontent les Italiens ? Ou bien veut-il reculer pour laisser passer le navire autrichien devant lui et pouvoir alors l'éperonner, mais manœuvrant trop lentement, comme le racontent les Autrichiens ? Toujours est-il que le Ferdinand Max n'a pas de difficulté à enfoncer son éperon dans le flanc du vaisseau italien, qui coule en quelques minutes. Il vient, sans le savoir, de couler le Re d'Italia. L'Ancona, cuirassé de la première division italienne qui a viré de bord pour rentrer dans mêlée, tente à son tour d'éperonner le Ferdinand Max. Mais une nouvelle fois, cette tentative ne donne rien. Même une bordée italienne tirée à bout portant ne fait aucun dégât, au point que les Autrichiens raconteront que les Italiens ont oublié de charger les boulets dans leurs canons...
La deuxième et la troisième division de l'escadre autrichienne ont suivi une route orientée un peu plus au sud que la première ligne des navires cuirassés. Ils visent directement le groupe des navires de débarquement italiens que l'amiral Albini garde groupés près de Lissa. Ce faisant, ils se retrouvent face à la troisième division des cuirassés italiens. Vaisseaux en bois contre cuirassés. Le plus gros, le Kaiser, attire les Italiens. Ce qui n'impressionne pas son commandant, le commodore Petz, puisqu'il cherche à éperonner le Re Di Porto Gallo, cuirassé italien. Comme on s'en doute, il ne cause que peu de dégâts, laissant sa figure de proue sur le navire italien et perdant son mât de misaine et sa cheminée. L'Affondatore vient alors en position pour porter à son tour une attaque à l'éperon. Mais, pour une raison non éclaircie, Persano fait abandonner l'attaque et virer son navire. Le Palestro, second de la division du centre italienne, combat plusieurs adversaires. Un obus traverse son avant et allume un incendie dans le carré des officiers. Cet incendie ne peut être maîtrisé. Par précaution, les soutes à munitions sont noyées. Vers 14 h 30, le combat s'éteint. Les Autrichiens se regroupent devant Lissa, les Italiens au Nord-est. L'explosion du Palestro[5] signe la fin du combat. Les Autrichiens refusent de reprendre le combat, les Italiens se contentent d'une canonnade à longue portée. Au soir, ils regagnent Ancône.
Les conséquences
Pour un navire hors de combat, le Kaiser, les Autrichiens ont coulé deux cuirassés italiens et en ont endommagé trois autres. Les pertes humaines sont également bien plus importantes pour les Italiens, mais ce critère est de peu de pertinence pour apprécier les résultats de ce combat. Le comte Persano revendique la victoire jusqu'à ce que l'on comprenne ce qui s'est réellement passé. Il est alors renvoyé. Albini, l'amiral commandant les forces de débarquement et qui a soigneusement évité d'impliquer ses forces dans la bataille, est aussi sanctionné. Tegethoff est comblé d'honneurs, promu vice-amiral et devient commandant en chef de la marine autrichienne deux ans plus tard. Chaque marin autrichien ayant participé à la bataille est gratifié d'une médaille commémorative. Il est donc évident pour les deux adversaires qu'il n'existe pas de contestation sur l'identité du vainqueur. Et pourtant... Si les marins du Re d'Italia coulaient, dit-on, avec leur bâtiment en criant « Nous aurons Venise », l'Italie récupère bien cette province en dépit de sa nouvelle défaite...
Cette bataille navale est la première, et la seule, qui voit l'utilisation, efficace, de l'éperon comme arme de guerre. Comme dit Léon Haffner : « L'éperon était le grand vainqueur dans les esprits et l'on proclamait la déchéance du canon »[6]. Il y aura d'autres utilisations efficaces de l'éperon, mais-en dehors de tout conflit. C'est ainsi, entre autres, que le HMS Camperdown coule le HMS Victoria lors de manœuvres d'une escadre de navires de sa Gracieuse Majesté[7]. L'historien britannique Michael Lewis peut ainsi prétendre, avec un brin de mauvaise foi, que l'éperon a coulé plus de navires amis qu'ennemis[8]... Les répercussions de ce combat sont importantes dans toutes les marines du monde. L'éperon tend à être promu au rang d'arme principale, la tactique navale change. On préconise, on recommande, le choc à l'éperon[9], au détriment de l'artillerie qui ne devrait plus servir qu'à marteler, au passage, un adversaire ayant échappé à l'éperon. Ce serait la disparition du combat à distance, remplacé par la mêlée et le duel individuel entre navires-béliers. Ce qui impose de remplacer la formation de bataille en ligne de file par d'autres formation, telle, entre autres, la ligne de front[10]. Si l'éperonnage du Re d'Italia semble fasciner les théoriciens de la guerre navale, personne ne semble remarquer que les autres tentatives faites pendant ce combat ont toutes été sans conséquences. Et que le seul succès a été obtenu contre un navire quasiment à l'arrêt.
L'effet de mode peut être retrouvé jusque chez Jules Verne. Trois ans après Lissa, il offre Vingt mille lieues sous les mers. Dans ce roman, le Nautilus est équipé d'un « éperon d'acier », avec lequel il envoie par le fond le navire qui ose l'affronter. Pendant plusieurs décennies, tous les navires de ligne mis en chantier portent un éperon imposant. Ces belles constructions théoriques ne résistent pas à la réalité et les combats du Yalou, en 1894, où les Chinois adoptent la formation en coin de Tegetthof et les Japonais, celle de Persano, où l'escadre chinoise est défaite, et de Tsoushima en 1904, où l'artillerie à longue portée joue un rôle déterminant, le montrent. Ces engagements ramènent les stratèges à des conceptions plus réalistes. Entretemps, la mode de l'éperon a laissé la place à celle du torpilleur, qui lui même laisse la place au sous-marin.
Il faut aussi remarquer que si tous les navires, à Lissa, étaient équipés de voiles, aucun n'eut l'idée de les utiliser, l'âge de la marine à voiles est bien clos.
Notes
- ↑ La revue des Deux Mondes, 15 novembre 1866, page 300
- ↑ Une encablure est une distance correspondant à la longueur d'un câble, soit 120 brasses; ce qui donne à peu près 195 mètres (d'après Edmond Pâris et Pierre de Bonnefoux, Dictionnaire de la marine à voile [détail des éditions]). Pour donner un ordre de grandeur, les divisions autrichiennes sont donc espacées chacune de la longueur de 4 terrains de football.
- ↑ Pour la petite histoire, signalons qu'il s'agit de son fils...
- ↑ Quand il a été construit, à New-York, il avait été proposé de le protéger. Mais le gouvernement italien avait trouvé cela inutile.
- ↑ Les relations de l'époque expliquent que l'incendie aurait gagné un dépôt de munitions préparé à l'avance et stocké sans précautions.
- ↑ cité par M. Depeyre, « entre vent et eau... », page 188, note 139.
- ↑ Ce genre de bévue n'est pas réservé à nos amis britanniques. Elle peut être aussi trouvée dans les marines française, russe, espagnole...
- ↑ cité par Richard Hill.
- ↑ Se reporter à l'ouvrage de M. Depeyre, pages 354 et s.
- ↑ Pour une étude sur ces nouveaux modes de combat, on pourra lire avec intérêt l'article de A de Keranstret, paru dans le numéro daté mai-août 1868 de la Revue Maritime et Coloniale, pages 628 et s.
Voir aussi
Bibliographie
- Ouvrages ayant servi de source pour cet article.
- Richard Hill, Les guerres maritimes, 1855-1905, Autrement – Atlas des guerres, Paris 2003.
- Léon Haffner, Cent ans de marine de guerre, Editions du Gerfaut, Paris 2002.
- Michel Depeyre, Entre vent et eau, un siècle d'hésitations tactiques & stratégiques 1790-1890, Economica, Paris 2003.
- Vice-Amiral Touchard, article À propos du combat de Lissa, in Revue maritime et coloniale, n° 1 de 1867.
- L Buloz, Lissa, in La Revue des Deux Mondes, 15 novembre 1866.
- Nota : les deux revues qui précèdent sont, pour la majeure partie de leurs numéros, numérisées et consultables sur le site Gallica de la BNF.
- Jean Pelletier-Doisy, La bataille de Lissa, in Navires & Histoire n° 26, octobre 2004.
- Autres ouvrages.
- (es) : Karlo Picinic, La batalla naval de Vis de 1866, in Studia croatica, vol. 24-27, 1967.
Liens externes
Quelques sites offrent une relation du combat mais ils sont en général très sommaires.
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