Complot des blouses blanches

Complot des blouses blanches

Le complot des blouses blanches (russe : Дело врачей ; littéralement « l'affaire des médecins ») désigne un prétendu complot de médecins soviétiques, presque tous juifs, qui auraient assassiné deux dirigeants soviétiques et auraient prévu d'en assassiner d'autres. Il s’agissait d’une machination montée de toute pièce par le régime stalinien, et l’affaire est abandonnée peu après la mort de Staline en 1953.

Sommaire

Le contexte

Les espoirs du Kremlin de rallier Israël au camp communiste se dissipant dès les années 1950, une campagne antisémite est lancée en 1952, et les membres du Comité juif antifasciste sont éliminés cette même année. À l'issue des procès de Prague organisés par le président communiste tchécoslovaque Klement Gottwald en novembre 1952, quatorze cadres du Parti communiste tchécoslovaque soupçonnés d'avoir organisé un « complot titiste » sont condamnés à mort. Parmi eux, onze sont juifs, dont Rudolf Slánský.

Depuis le début des années 1950, Staline soupçonne le chef des services secrets MVD, Lavrenti Beria, de vouloir lui nuire. Un complot dont Beria ignorerait l'existence donnerait un bon prétexte à Staline pour l'accuser d'incompétence et l'écarter du pouvoir. Il serait remplacé par Viktor Semyonovich Abakoumov et ses proches seront mêlés à l'affaire.

L'affaire

Le 1er décembre 1952, Staline annonce au Politburo[1] : « Tout sioniste est l'agent du service de renseignement américain. Les nationalistes juifs pensent que leur nation a été sauvée par les États-Unis, là où ils peuvent y devenir riches, bourgeois. Ils pensent qu'ils ont une dette envers les Américains. Parmi mes médecins, il y a beaucoup de sionistes. ».

Le 13 janvier 1953, la Pravda publie un long article intitulé « Sous le masque des médecins universitaires, des espions tueurs et vicieux ». Cet article, inspiré d'une dépêche de l'agence TASS dénonce un « complot de bourgeois sionistes », organisé par l'organisation juive internationale, le Congrès juif mondial, qui, à en croire le journal soviétique, serait financée par la CIA.

Un groupe de neuf médecins, dont six sont juifs[2], ayant soigné des membres du Parti communiste soviétique auraient empoisonné Andreï Jdanov (mort en 1948) et Aleksandre Chtcherbakov (mort en 1945). Selon les mêmes sources, ces médecins étaient au moment de leur arrestation sur le point d'assassiner d'importantes personnalités soviétiques, telles Ivan Koniev, Aleksandre Vassilievski ou Leonid Govorov.

Les arrestations

Parmi les médecins inculpés, le médecin personnel de Staline, Vinogradov, et le général et médecin-chef de l'Armée soviétique, Miron Vovsi, tout deux praticiens très renommés. De nombreux juifs, médecins et autres pharmaciens, accusés d'avoir participé de près ou de loin sont arrêtées. Au départ 37, mais le chiffre atteint rapidement plusieurs centaines. Le 12 février 1953, Maria Weizmann, la sœur de Chaim Weizmann, premier président d'Israël, est arrêtée.

Simultanément, une violente campagne antisémite se met en place dans le Bloc de l'Est.

Réactions dans le monde

Le bloc occidental

L'affaire eut un important retentissement international et indigna le bloc de l'ouest. Albert Einstein, Winston Churchill et d'autres personnalités envoyèrent des télégrammes de condamnation au ministère soviétique des Affaires étrangères et exigèrent une enquête.

Le 9 février 1953, une bombe explose à la légation soviétique à Tel-Aviv. Malgré les excuses de Ben Gourion, l'Union soviétique rompt ses relations diplomatiques avec Israël le 11 février 1953[3].

Les partis du Kominform

Les partis du Kominform des pays occidentaux ont en bonne partie soutenu la condamnation des médecins. Le Parti communiste français, par la personne d'Auguste Lecœur, publia dès le 22 janvier un communiqué dans le journal communiste L'Humanité : « Lorsque, en Union soviétique, est arrêté le groupe des médecins assassins travaillant pour le compte des services d’espionnage terroristes anglo-américains […], alors, la classe ouvrière applaudit de toutes ses forces ».

À ce communiqué s'ajoutait celui de médecins membres du PCF, dont la personne de Raymond Leibovici (chirurgien, ancien membre du mouvement de résistance communiste Front national) : « Les médecins français estiment qu'un très grand service a été rendu à la cause de la paix par la mise hors d'état de nuire de ce groupe de criminels, d'autant plus odieux qu'ils ont abusé de la confiance naturelle de leurs malades pour attenter à leur vie » [4],[5].

Boris Souvarine rapporte qu'Annie Kriegel, alors responsable de l'idéologie de la fédération PCF de Paris, parla de « médecins terroristes », complices du « sionisme » et « approuva l’emploi des tortures pour extorquer aux « assassins en blouse blanche » des aveux fantasmagoriques, prélude à une « solution finale » pogromiste ». Raymond Guyot, membre du bureau politique et député de Paris, demanda aux médecins français proches du parti de s'associer à la condamnation des médecins soviétiques impliqués dans le « complot ».

La fin de l'affaire

Le 5 mars 1953, Staline meurt d'une hémorragie cérébrale mais les arrestations continuent. Gueorgui Malenkov est élu président du conseil et Lavrenti Beria vice-président. Beria met fin à l'affaire des médecins. La Pravda du 28 mars publia un décret du présidium qui amnistiait des dizaines de prisonniers de droit commun, et le 4 avril, elle publia un communiqué annonçant que le complot des médecins n'avait jamais existé et que ces derniers étaient désormais réhabilités.

Notes et références de l'article

  1. Gennadji Kostirtschenko, Gosudarstvennyj antisemitizm v SSSR
  2. André Fontaine, Histoire de la guerre froide, tome 2, p. 67, Points Histoire, Le Seuil, 1983.
  3. André Fontaine, Histoire de la guerre froide, Tome 2, p. 68, Points Histoire, Le Seuil, 1983.
  4. http://npa.jeunes.free.fr/spip.php?article508&debut_articles=30
  5. L’antisémitisme populaire en France

Bibliographie

  • Jean-Jacques Marie, Les Derniers Complots de Staline : l'affaire des Blouses Blanches, Éditions Complexe, 1993
  • -, La Russie de 1855 à 1956, Paris.
  • Arkadi Vaksberg, Staline et les juifs, Robert Laffont, 2003
  • Jonathan Brent et Vladimir P. Naumov, Le Dernier Crime de Staline : Retour sur le complot des blouses blanches, Calmann-Lévy, 2006
  • Laurent Rucker, Staline, Israël et les Juifs, PUF, 2001
  • Ilya Ehrenbourg et Vassili Grossman, Le Livre noir, éd. Actes Sud, 1999

Voir aussi

Articles connexes

Liens et documents externes


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