Calendrier hégirien

Calendrier hégirien

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Le calendrier musulman ou calendrier hégirien (hijri) est un calendrier lunaire, l’un des rares du monde moderne encore largement répandu. Il est le seul calendrier de l'Arabie Saoudite.

Ce calendrier est caractérisé par des années de 12 mois lunaires de 29 à 30 jours chacun (pour être précis : 29,53059 jours solaires). Une année hégirienne est donc plus courte qu’une année grégorienne d’environ onze jours.

L'année actuellement en cours dans le calendrier musulman est 1430 de l'hégire, approximativement du soir du 28 décembre 2008 au soir du 17 décembre 2009.

Sommaire

Histoire

Calendrier préislamique

Le prédécesseur du calendrier de l'hégire était, selon toute évidence, un calendrier luni-solaire qui comportait des mois lunaires et qui était synchronisé avec le cycle solaire par l'insertion d'un mois intercalaire. On suppose que ce mois, dans la péninsule arabique, était ajouté entre le dernier et le premier mois de l'année. Le nom arabe des mois, en particulier celui des deux rabia[1] (rabia al Awal et rabia ath-Thani) devait correspondre au printemps, avant les deux mois secs de joumada (joumada al oula et joumada ath-thania) et le mois « brûlant » de ramadan[2].

Le Coran interdit expressément le mois intercalaire (voir ci-après), désynchronisant le calendrier des saisons agricoles, ce qui, à contrario, prouve qu'il était en usage dans le calendrier préislamique.

Interdiction des mois intercalaires

Dans la neuvième année de l'hégire, comme l'édicte la sourate 9, verset 37, Dieu a prohibé l'usage du mois intercalaire.

«  Le report d'un mois sacré à un autre est un surcroît de mécréance. Par là, les mécréants sont égarés : une année, ils le font profane, et une année, ils le font sacré, afin d'ajuster le nombre de mois qu'Allah a fait sacrés. Ainsi rendent-ils profane ce qu'Allah a fait sacré. Leurs méfaits leurs sont enjolivés. Et Allah ne guide pas les gens mécréants[3]. »

Et le verset d'avant (9:36) indique en effet : « le nombre de mois, auprès d'Allah, est de douze mois, dans la prescription d'Allah, le jour où Il créa les cieux et la terre. Quatre d'entre eux sont sacrés : telle est la religion droite. Durant ces mois, ne faites pas de tort à vous-mêmes. »[4]

Les quatre mois sacrés sont dhou al Qi`da, dhou al-Hijja et mouharram qui sont consécutifs et rajab.

L’imprécision concernant les mois intercalaires lors des neufs premières années de l'hégire fait que la datation exacte des événements de cette période dans le calendrier grégorien est sujette à une marge d'erreur d'un à trois mois (la bataille de Badr, la bataille de Uhud et la bataille du fossé).

Spécificités

L’an 1 de ce calendrier a débuté le premier jour de l’hégire, le 1er mouharram (le 15 ou le 16 juillet 622 de l’ère commune, selon les auteurs théologiens ; la première époque est dite « astronomique », la seconde « civile »). Ce calendrier a été adopté dix ans après cet événement. On indique qu’une date est donnée dans ce calendrier en ajoutant la mention calendrier musulman, calendrier hégirien, ère musulmane, ère de l’hégire ou, en abrégé, H ou AH (du latin anno hegirae).

L'année actuellement en cours dans le calendrier musulman est 1430 de l'hégire.

Faire 2009 - 622 = 1387 pour trouver l'année de l'hégire actuelle est inexact, et ne tient pas compte du fait que le calendrier musulman « avance » plus rapidement que le calendrier grégorien. Les années hégirienne et grégorienne seront concordantes en 20874.

Chaque mois démarre au moment où le premier croissant de Lune est visible : selon l’endroit d’où est effectuée cette observation, le mois peut démarrer plus ou moins tôt. Le mois de ramadan, par exemple, ne commence et ne termine pas le même jour pour tous les musulmans du monde. De même, l'année qui commence le premier jour du premier mois de mouharram, ne débute pas au même moment selon les pays.

Variantes

Il existe une variation du calendrier musulman, connue sous le nom de calendrier musulman tabulaire ou (erronément) calendrier fatimide, dans laquelle la longueur des mois est déterminée par des règles de calcul et non par observation ou calcul astronomique. L’année commune de ce calendrier comporte 354 ou 355 jours, répartis en 12 mois de 30 et 29 jours alternativement, dont seul le douzième (Joumada al Oula) compte un nombre variable de jours (29 ou 30).
Sont dites communes les années où ce mois compte 29 jours, et où l’année compte 354 jours.
Sont dites abondantes les années où ce mois compte 30 jours, et où l’année compte 355 jours.

Les années communes ou abondantes s’intercalent selon un cycle de 30 années comptant 19 années communes et 11 années abondantes. Il existe quatre versions principales de ce cycle trentenaire. Selon la version, sont abondantes les années :

  • 2, 5, 7, 10, 13, 15, 18, 21, 24, 26, et 29 - "Algorithme koweïtien" (Kūshyār ibn Labbān, XIe siècle, et Ulugh Beg, XVe siècle)
  • 2, 5, 7, 10, 13, 16, 18, 21, 24, 26, et 29 - Version la plus commune
  • 2, 5, 8, 10, 13, 16, 19, 21, 24, 27, et 29 - (Tables de conversion d’origine indienne)
  • 2, 5, 8, 11, 13, 16, 19, 21, 24, 27, et 30 - (Habash al-Hāsib, IXe siècle, al-Bīrūnī, Xe et XIe siècles, et Élias de Nisibis, XIe siècle)

L’année moyenne au cours de ce cycle de 30 ans est donc de : ( 19 × 354 + 11 × 355 ) / 30 = 354,36667 qui ne diffère que de 0,0004 jour (<35 s) de l’année lunaire vraie et permet ainsi de garder le calendrier synchronisé sur les lunaisons pour les 2500 prochaines années.

L’année musulmane ayant 10, 11 ou 12 jours de moins que l’année grégorienne (selon que celle-ci est bissextile ou non, et que l’année musulmane est abondante ou commune), le nouvel an musulman survient chaque année civile en avance de ce même nombre de jours par rapport à l’année solaire, et chaque date du calendrier musulman (dont notamment les fêtes religieuses et le jeûne du mois de ramadan) « transite » donc progressivement par toutes les saisons.

Comprendre le calendrier musulman

Le calendrier lunaire, basé sur le calcul, peut être établi des années à l'avance. Mais, c'est l'observation à l'œil nu de la nouvelle lune qui signale le début du mois pour les musulmans, et non le calcul astronomique. Or, le premier croissant de lune peut être visible à Ryad et pas au Caire, d'où des différences de début de mois entre les pays.

À titre d’illustration, le 1er shawal 1426, jour de célébration de l’Aïd el-Fitr, correspondait au mercredi 2 novembre 2005 en Libye et au Nigéria ; au jeudi 3 novembre dans 30 pays dont l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte, l’Arabie saoudite et une partie des États-Unis ; au vendredi 4 novembre dans 13 pays dont le Maroc, l’Iran, le Bangladesh, l’Afrique du Sud, le Canada, une partie de l’Inde et une partie des États-Unis ; et au samedi 5 novembre dans une partie de l’Inde. [5] Cet état des choses n’est nullement exceptionnel, mais se renouvelle chaque mois.

Pour ces raisons, la plupart des musulmans utilisent le calendrier grégorien pour gérer toutes leurs activités, et ne s’intéressent aux dates fournies par le calendrier islamique qu’en des occasions spéciales (Nouvel An musulman, fêtes religieuses...).

L’astronome et le calendrier

Le calendrier lunaire basé sur le calcul astronomique était déjà un outil hautement performant du temps des Babyloniens (XVIIIe siècle av. J.-C.). Le mois lunaire débute au moment de la « conjonction » mensuelle, quand la Lune se trouve située sur une ligne droite entre la Terre et le Soleil. Le mois est défini comme la durée moyenne d’une rotation de la Lune autour de la Terre (29,53 j environ).La lunaison varie au sein d'une plage dont les limites sont de 29. 27 j au solstice d'été et de 29.84 j au solstice d'hiver, donnant, pour l’année de 12 mois, une durée moyenne de 354,37 jours. L’astronome babylonien Kidinnu (IVe siècle av. J.-C.?), très connu pour ses travaux astronomiques, a calculé la durée du mois synodique comme égale à 29j, 12h 44 mn 3,3 s, alors que la valeur admise aujourd’hui est de 29j, 12h 44mn 2,8 s, soit environ une demi seconde d’écart.

Les astronomes ont posé, depuis des millénaires, la convention que des mois de 30 j et de 29 j se succédaient en alternance, ce qui permettait de faire correspondre la durée de rotation de la Lune sur deux mois consécutifs à un nombre de jours entiers (59), laissant à peine un petit écart mensuel de 44 mn environ, qui se cumulait pour atteindre 24 h (soit l’équivalent d’un jour) en 2,73 ans. Pour solder cet écart, il suffisait d’ajouter un jour au dernier mois de l’année, tous les trois ans environ, de la même manière qu’on ajoute un jour tous les quatre ans au calendrier grégorien. Les années dites « abondantes » du calendrier islamique, d’une durée de 355 j chacune, sont au nombre de 11 dans un cycle de 30 ans (années n° 2, 5, 7, 10, 13, 16, 18, 21, 24, 26 et 29), alors que les années dites « communes », d’une durée de 354 j, sont au nombre de 19.

Dans l’Arabie préislamique, les bédouins utilisaient un calendrier lunaire basé sur une année de 12 mois. Mais ils avaient pris l’habitude, depuis l’an 412, de leur adjoindre un 13è mois mobile, (dont le concept avait été emprunté au calendrier israélite), dans le but de faire correspondre le mois du hajj à la saison d’automne. Ces ajustements ayant fait l’objet de grands abus, le Coran les a réprimés en fixant à douze le nombre de mois d’une année et en interdisant l’intercalation du 13è mois. [6] Mais il ne fournit aucune autre indication d’ordre méthodologique concernant la confection du calendrier lunaire, et ne fait aucune référence au calcul astronomique.

Les bédouins étaient habitués à observer la position des étoiles, de nuit, pour se guider dans leurs déplacements à travers le désert, et à observer l’apparition de la nouvelle lune pour connaître le début des mois. Quand ils interrogèrent Mahomet sur la procédure à suivre pour déterminer le début et la fin du mois de jeûne, il leur recommanda de commencer le jeûne du mois du ramadan avec l’observation de la naissance de la nouvelle lune (au soir du 29e jour du mois) et d’arrêter le jeûne avec la naissance de la nouvelle lune (du mois de shawal). « Si le croissant n'est pas visible (à cause des nuages) comptez jusqu'à 30 jours[7]. » La recommandation confortait dans ses habitudes ancestrales une communauté qui ne savait ni écrire ni compter et qui n’avait pas d’accès, de toutes façons, à d’autres méthodes de suivi des mois. À l'époque, les données astronomiques n’étaient pas communément disponibles pour être utilisées par la population de manière pratique, en tous lieux, comme c’est le cas aujourd’hui pour les agendas et calendriers, par exemple.

Les oulémas et les autorités temporelles en ont déduit, à tort ou à raison, que chacun des États islamiques devait (ou pouvait) procéder pour son propre compte à l’observation mensuelle de la nouvelle lune dans le ciel (ou à défaut attendre l’achèvement d’un trentième jour) avant de décréter le début d’un nouveau mois sur son territoire, au lieu de faire démarrer le mois avec la conjonction mensuelle.

Or, le croissant lunaire ne devient généralement visible que quelques 15 à 18 h après la conjonction, et sujet à l’existence de conditions favorables résultant de facteurs tels que le nombre d’heures écoulées depuis la conjonction ; les positions relatives du soleil, du croissant lunaire et de l’observateur ; l’altitude de la lune au coucher du soleil ; le lieu où l’on procède à l’observation ; l’angle formé avec le soleil au moment du coucher ; les conditions d’observation (pollution, humidité, température de l’air, altitude) ; la limite de détection de l'œil humain ; etc[8].

Selon les mois et les saisons, les conditions favorables d’observation de la nouvelle lune seront réunies en des sites différents du globe terrestre. Des astronomes musulmans de renom, des temps médiévaux, tels que Ibn Tariq (VIIIe siècle), Al-Khawarizmi (780 ?-863), Al-Battani (850-929), Al-Bayrouni (973-1048), Tabari (XIe siècle), Ibn Yunus (XIe siècle), Nassir al-Din Al-Tousi (1258-1274 ?), etc. ont contribué de manière importante, pendant plusieurs siècles, au développement des connaissances théoriques et appliquées dans le domaine de l'astronomie. Ils ont accordé un intérêt particulier à l’étude des critères de visibilité de la nouvelle lune, dans le but de développer des techniques de prédiction fiables du début d’un nouveau mois.

Article détaillé : Astronomie arabe.

Mais, ce n’est que récemment que des astronomes et des informaticiens réputés ont réussi, en conjuguant leurs efforts, à établir des procédures permettant de prédire à l’avance, chaque mois, dans quelles régions du globe les conditions optimales seront réunies pour observer la nouvelle lune. Ainsi, en 1984, un physicien de Malaisie, Mohamed Ilyas, a pu tracer au niveau du globe terrestre une ligne de démarcation, ou ligne de date lunaire, à l'ouest de laquelle le croissant est visible le soir du nouveau mois, alors qu’il ne peut être vu à l’est de cette ligne que le soir suivant. [9]

Cependant, malgré leur intérêt considérable sur le plan théorique, ces travaux ne sont encore d’aucune aide sur le plan pratique, parce qu’ils continuent d’associer le début du mois nouveau à l’observation mensuelle de la nouvelle lune, une démarche qui ne permet pas d’établir des calendriers annuels à l’avance. Des voies de progrès plus concrètes ont été proposées par les penseurs islamiques modernes, qui ont étudié les aspects théologiques de la problématique du calendrier.

Le ‘alem et le calendrier

Le Coran n’interdit pas l’usage du calcul astronomique. Mais, le consensus des oulémas s'est forgé solidement, pendant 14 siècles, autour du rejet du calcul, à part quelques juristes isolés, dans les premiers siècles de l’ère islamique, qui prônèrent l’utilisation du calcul pour déterminer le début des mois lunaires. [10] Sur le plan institutionnel, seule la dynastie (chi'ite) des Fatimides, en Égypte, a utilisé un calendrier basé sur le calcul, entre les Xe siècle et XIIe siècle, avant qu’il ne tombe dans l’oubli à la suite d’un changement de régime.

L’argument majeur utilisé pour justifier cette situation se fonde sur le postulat des ulémas, selon lequel il ne faut pas aller à l’encontre d’une prescription de Mahomet. [11] Ils estiment qu’il est illicite de recourir au calcul pour déterminer le début des mois lunaires, du moment que Mahomet a recommandé la procédure d’observation visuelle[12].

De nombreux ulémas soulignent, de plus, que le calendrier basé sur le calcul décompte les jours du nouveau mois à partir de la conjonction, laquelle précède d’un jour ou deux l’observation visuelle de la nouvelle lune. S’il était utilisé, le calendrier basé sur le calcul ferait commencer et s’achever le mois de ramadan, et célébrer toutes les fêtes et occasions religieuses, en avance d’un jour ou deux par rapport aux dates qui découlent de l’application du hadith de Mahomet, ce qui ne serait pas acceptable du point de vue de la charia. [13]

Mais, depuis le début du XXe siècle, de plus en plus de penseurs islamiques, ainsi qu’une poignée d’ulémas de renom, remettent en cause de tels arguments.

A leur avis, Mahomet a simplement recommandé aux fidèles une procédure d’observation de la nouvelle lune, pour déterminer le début d’un mois nouveau. Les bédouins se basant sur la position des étoiles pour se guider dans leurs déplacements à travers le désert et pour connaître le début des mois, Mahomet n’avait fait que les conforter dans leurs habitudes ancestrales.

L’observation du croissant n’était qu’un simple moyen, et non pas une fin en soi, un acte d’adoration (‘ibada). Le hadith relatif à l’observation n’établissait donc pas une règle immuable, pas plus qu’il n’interdisait l’utilisation du calendrier astronomique.

D’après certains juristes, le hadith ne parle même pas d’une observation visuelle de la nouvelle lune, mais simplement de l’acquisition de l’information, selon des sources crédibles, que le mois a débuté[14]. Cela ouvre naturellement de toutes autres perspectives dans la discussion de cette question.

L’Arabie saoudite utilise d’ailleurs, depuis de nombreuses années, une procédure basée sur le calcul pour établir un calendrier annuel utilisé à des fins administratives. Elle tient compte des horaires de coucher du soleil et de la lune aux coordonnées de La Mecque, le soir du 29è j de chaque mois. Le coucher du soleil avant la lune indique le début du nouveau mois. Dans le cas inverse, le mois en cours aura une durée de 30 jours[15].

Des études, de plus en plus nombreuses, réalisées par des astronomes musulmans au cours des dernières années, démontrent par ailleurs que les débuts de mois décrétés dans les pays islamiques sur une période de plusieurs décennies étaient souvent erronés, pour les raisons les plus diverses[16]. Il est clair, de ce point de vue, que lorsque le mois basé sur l’observation de la nouvelle lune débute en des jours différents dans des pays islamiques différents, un seul début de mois basé sur ce critère peut être considéré comme fondé sur le plan astronomique, tous les autres étant erronés.

D’ailleurs, les musulmans considèrent qu'il est parfaitement licite d’utiliser le calendrier grégorien dans la gestion de toutes leurs affaires, et l'utilisent de manière routinière, depuis de nombreux siècles, sans avoir la moindre appréhension qu'ils pourraient, ce faisant, enfreindre des prescriptions religieuses.

L’opinion juridique du cadi Shakir

Le cadi Ahmad Muhammad Shakir [17] mérite une mention à part dans ce débat. Il s’agit d’un juriste éminent de la première moitié du XXe siècle, qui occupa en fin de carrière les fonctions de président de la Cour suprême de la charia d’Égypte (tout comme son père avait occupé la même fonction au Soudan), et qui reste, de nos jours encore, un auteur de référence en matière de science du hadith. [18]

Il a publié, en 1939, une étude importante et originale axée sur le côté juridique de la problématique du calendrier islamique, sous le titre : « Le début des mois arabes … la charia permet-elle de le déterminer en utilisant le calcul astronomique ? » [19]

D’après lui, Mahomet a tenu compte du fait que la communauté musulmane de son époque était « illettrée, ne sachant ni écrire ni compter », avant d’enjoindre à ses membres de se baser sur l’observation de la nouvelle lune pour accomplir leurs obligations religieuses du jeûne et du hajj.

Mais, la communauté musulmane a évolué de manière considérable au cours des siècles suivants. Certains de ses membres sont même devenus des experts et des innovateurs en matière d’astronomie. En vertu du principe de droit musulman selon lequel « une règle ne s’applique plus, si le facteur qui la justifie a cessé d’exister », la recommandation de Mahomet ne s’applique plus aux musulmans, une fois qu’ils ont appris « à écrire et à compter » et ont cessé d’être « illettrés ».

Les ulémas d’aujourd’hui commettent donc une erreur d’interprétation lorsqu’ils donnent au hadith de Mahomet sur cette question la même interprétation qu’au temps de la Révélation, comme si ce hadith énonçait des prescriptions immuables, alors que ses dispositions ne sont plus applicables à la communauté musulmane depuis des siècles, en vertu des règles mêmes de la charia.

Shakir rappelle le principe de droit musulman selon lequel « ce qui est relatif ne peut réfuter l’absolu, et ne saurait lui être préféré, selon le consensus des savants. ». Or, la vision de la nouvelle lune par des témoins oculaires est relative, pouvant être entachée d’erreurs, alors que la connaissance du début du mois lunaire basée sur le calcul astronomique est absolue, relevant du domaine du certain.

Il rappelle également que de nombreux juristes musulmans de grande renommée ont pris en compte les données du calcul astronomique dans leurs décisions, citant à titre d’exemples Cheikh Al-Mraghi, président de la Cour suprême de la charia d’Égypte ; Taqiddine Assoubaki et Takiddine bin Daqiq al-Eid.

Shakir souligne, en conclusion, que rien ne s’oppose, au niveau de la charia, à l’utilisation du calcul pour déterminer le début des mois lunaires et ce, en toutes circonstances, et non à titre d’exception seulement, comme l’avaient recommandé certains ulémas.

Il observe, par ailleurs, qu’il ne peut exister qu’un seul mois lunaire pour tous les pays de la Terre, basé sur le calcul, ce qui exclut la possibilité que le début des mois diffère d’un pays à l’autre. [20] L’utilisation du calendrier basé sur le calcul rendra possible la célébration le même jour, dans toutes les communautés musulmanes de la planète, d’événements à caractère hautement symbolique sur le plan religieux, tels que le 1er muharram, le 1er ramadan, l’aïd al fitr, l’aïd al adha ou le jour de Arafat, lors du hajj. Cela renforcera considérablement le sentiment d’unité de la communauté musulmane à travers le monde.

Cette analyse juridique du cadi Shakir n’a jamais été réfutée par les experts en droit musulman, près de 70 ans après sa publication. Le professeur Yusuf al-Qaradawi s’est récemment rallié formellement à la thèse du cadi Shakir. Dans une importante étude publiée en 2004, intitulée : « Calcul astronomique et détermination du début des mois », [21] al-Qaradawi prône pour la première fois, vigoureusement et ouvertement, l’utilisation du calcul pour l’établissement du calendrier islamique, une question sur laquelle il avait maintenu une réserve prudente jusque-là. Il cite à cet effet avec approbation de larges extraits de l’étude de Shakir.

Mahomet a institutionnalisé le doute concernant la fixation du premier jour de Ramadan, en dépit de l'exactitude calendaire. Si le ciel est nuageux et ne permet pas l'observation visuelle du croisant de lune, alors ce jour est défini comme jour de doute "Yam shik".

La décision du Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN)

De son côté, le Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN), qui s’est senti depuis des années interpelé par cette question, a annoncé au mois d’août 2006 sa décision mûrement réfléchie d’adopter désormais un calendrier islamique basé sur le calcul, en prenant en considération la visibilité du croissant où que ce soit sur Terre.

Utilisant comme point de référence conventionnel, pour l’établissement du calendrier islamique, la ligne de datation internationale (International date line (IDL)), ou Greenwich Mean Time (GMT), il déclare que désormais, en ce qui le concerne, le nouveau mois lunaire islamique en Amérique du Nord commencera au coucher du soleil du jour où la conjonction se produit avant 12 : 00 GMT. Si elle se produit après 12 : 00 GMT, alors le mois commencera au coucher du soleil du jour suivant. [22]

La décision du CFAN est d’un grand intérêt, parce qu’elle conjugue avec une grande subtilité les exigences théologiques des ulémas avec les données de l’astronomie. Le CFAN retient le principe de l’unicité des matali’e (horizons), [23] qui affirme qu’il suffit que la nouvelle lune soit observée où que ce soit sur Terre, pour déterminer le début du nouveau mois pour tous les pays de la planète. Après avoir minutieusement étudié les cartes de visibilité du croissant lunaire en différentes régions du globe, il débouche sur la conclusion suivante :

Si la conjonction se produit avant 12 : 00 GMT, cela donne un temps suffisant pour qu’il soit possible d’observer la nouvelle lune en de nombreux points de la Terre où le coucher du soleil intervient longtemps avant le coucher du soleil en Amérique du Nord. Étant donné que les critères de visibilité de la nouvelle lune seront réunis en ces endroits, on pourra considérer qu’elle y sera observée (ou qu’elle aurait pu l’être si les conditions de visibilité avaient été bonnes), et ce bien avant le coucher du soleil en Amérique du Nord.

Par conséquent, sur ces bases, les stipulations d’observation de la nouvelle lune seront respectées, comme le prescrit l'interprétation traditionnelle de la charia, et le nouveau mois lunaire islamique débutera en Amérique du Nord au coucher du soleil du même jour. Si la conjonction se produit après 12 : 00 GMT, alors le mois commencera en Amérique du Nord au coucher du soleil du jour suivant.

Vers un calendrier islamique universel?

La proposition du Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord (CFAN) suscita l’intérêt des autorités politiques et religieuses dans de nombreux pays à majorité musulmane. Des astronomes de diverses nationalités se réunirent au Maroc, en novembre 2006, pour étudier plus en détail la possibilité de l'adopter comme base d'un calendrier islamique universel.

Cependant, le CFAN modifia sa position en 2007, et décida de s’aligner sur une décision du Conseil Européen pour la Fatwa et la Recherche (CEFR), utilisant les paramètres du calendrier saoudien d'Umm al Qura pour déterminer le début des mois musulmans. Le CFAN et le CEFR expliquèrent qu’ils souhaitaient favoriser le développement d’un consensus des musulmans à travers le monde sur cette question.

De fait, le calendrier adopté par le CFAN et le CEFR est utilisé depuis 2007 par les communautés musulmanes d’Amérique et d’Europe pour déterminer le début de tous les mois lunaires. Mais son utilisation par les États à majorité musulmane en est resté au stade des discussions entre experts astronomiques et théologiens.

Ainsi, l'Arabie Saoudite, elle-même, n'utilise le calendrier d’Umm al Qura que pour la gestion des affaires administratives du pays, et estime qu’il n’est pas conforme à la charia de l’utiliser pour la détermination des dates à caractère religieux, telles que le début du mois de Ramadan, les eids al-Fitr et al-Adha, les dates associées au Hajj, le 1er Muharram, etc.

Mais, le CFAN et le CEFR espèrent qu’avec le passage du temps, et l’utilisation régulière du calendrier basé sur le calcul par les communautés d’Europe et d’Amérique, des États à majorité musulmane de plus en plus nombreux seront en mesure de développer un consensus au sujet de l’adoption d’un « calendrier islamique universel » à l'usage de tous les musulmans. La volonté de coordination est largement partagée, en ce qui concerne les grandes occasions religieuses. Ainsi, en 2008, 55 États et communautés musulmans à travers le monde ont débuté le jeûne du mois du ramadan 1429 le 1er septembre 2008, contre 10 le 2 septembre et 3 le 31 août[24].

Notes et références

  1. Rabia : en arabe : rabīʿa, ﺭﺑﻴﻊ, « printemps »
  2. Ramadan, en arabe : ramaḍān, ﺭﻣﻀﺎﻥ, du verbe ramaḍa, ﺭﻣﺾ, « être brûlant »
  3. Pour la traduction : source.
  4. Idem.
  5. Moonsighting.com 1427 Zul Hijja
  6. Coran, At-Tawba 9 : 36 et 37
  7. Al-Bokhary, Recueil de hadiths (3/119)
  8. Karim Meziane et Nidhal Guessoum : La visibilité du croissant lunaire et le ramadan, La Recherche n° 316, janvier 1999, pp. 66-71
  9. Meziane et Guessoum, idem
  10. Abderrahman al-Haj : « Le faqih, le politicien et la détermination des mois lunaires » (en arabe)
  11. Muhammad Mutawalla al-Shaârawi : Fiqh al-halal wal haram (édité par Ahmad Azzaâbi), Dar al-Qalam, Beyrouth, 2000, p. 88
  12. Allal el Fassi : « Aljawab assahih wannass-hi al-khaliss ‘an nazilati fas wama yata’allaqo bimabda-i acchouhouri al-islamiyati al-arabiyah », rapport préparé à la demande du roi Hassan II du Maroc, Rabat 1965 (36 p.), sans indication d'éditeur
  13. Allal el Fassi, opus cit.
  14. Al-Ghazali, Ihya’e ouloum addine, cité dans Abi alfayd Ahmad al-Ghomari, Tawjih alandhar litaw-hidi almouslimin fi assawmi wal iftar, 160 p, 1960, Dar al bayareq, Beyrouth, 2è éd. 1999, p.30
  15. The Umm-al-Qura calendar of Saudi Arabia
  16. Nidhal Guessoum, Mohamed el Atabi et Karim Meziane : Ithbat acchouhour alhilaliya wa mouchkilate attawqiti alislami, 152 p., Dar attali'a, Beyrouth, 2è éd., 1997
  17. Ahmad Muhammad Shakir (notice biographique détaillée en arabe)
  18. Un auteur de référence en matière de science du hadith
  19. Ahmad Shakir : « Le début des mois arabes … est-il licite de le déterminer par le calcul astronomique ? ». (en arabe, publié en 1939) reproduit dans : Quotidien arabe « al-madina », 13 octobre 2006 (n° 15878)
  20. Abi alfayd Ahmad al-Ghomari, op.cit.
  21. Yusuf al-Qaradawi : « Calcul astronomique et détermination du début des mois » (en arabe)
  22. Décision du Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord
  23. Abi alfayd Ahmad al-Ghomari, op.cit.
  24. Une partie importante de cet article est basée sur trois articles de Khalid Chraibi intitulés « 1er muharram : calendrier lunaire ou islamique ? », « La problématique du calendrier islamique » et « Le calendrier musulman en 10 questions » publiés par Oumma.com. L’auteur en a autorisé la reproduction libre, dans leur intégralité ou en partie, dans toute utilisation non-commerciale, à la seule condition que l'auteur et la source en soient clairement identifiés.

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