Béguine

Béguine
Béguine, in Des dodes dantz, imprimé à Lübeck en 1489

Une béguine, est, dans son acception actuelle, une femme membre d’une communauté religieuse aux règles moins strictes que celles d’un monastère. Au Moyen Âge, les béguines était un courant spirituel et politique de femmes qui se vouaient à Dieu, sans prononcer de vœux perpétuels ainsi que cela se fait dans un monastère. Leurs homologues masculins étaient appelés « Béguins » ou « Béguards ».

Sommaire

Histoire

Des femmes pieuses

Béguine à Bruges en 2009

Au temps des Croisades, à la fin de l'époque féodale, un grand nombre de femmes désirent entrer dans la vie religieuse. Le phénomène est dû, notamment, à une surpopulation féminine. Les couvents sont pleins. Un numerus clausus fut d'ailleurs fixé par le concile de Latran de 1215. D'autres formes de vie religieuse sont cherchées.

C'est ainsi que, au XIIIe siècle et principalement dans le nord de l’Europe (Belgique, Pays-Bas, Rhénanie), on voit se former des communautés de femmes célibataires ou veuves dites « Béguines », mais leur présence a toujours été très minoritaire). Ces communautés restent laïques, vivant de l’autogestion. Elles furent ainsi nommées, selon Louis Moréri, d'après Lambert le Bège, prêtre liégeois qui, vers 1170, inspira un premier béguinage autour de son église Saint-Christophe à Liège[1]. Suivant d'autres d'après sainte Begge, ou Begga, sœur de sainte Gertrude et liégeoises également, qui aurait fondé la communauté dès 692. On a fait enfin dériver ce nom du vieil allemand beggen signifiant : « demander », « prier ».

Dès leur constitution, les béguines furent les premières 'religieuses dans le monde'. N'ayant fait vœu d'appartenance à aucun ordre religieux, elles avaient une liberté d'action caritative que n'avaient pas les moniales cloîtrées. Elles s'installaient souvent à proximité d'une église paroissiale. Leurs logis étaient indépendants mais, rassemblés pour mieux se protéger, s'entraider et surtout pratiquer leurs dévotions et activités caritatives, ils formaient un béguinage. Cependant, il arrivait qu'elles puissent tout aussi bien vivre dans leur famille, voire avec un époux[2].

À travers une règle de vie très souple, les béguines cherchent une nouvelle manière d'exprimer leur foi. « C'est une sorte de démocratie avant l'heure, relève Silvana Panciera. Il n'y a pas de mère supérieure, juste une "Grande Dame" élue pour quelques années. De même, chaque béguinage édicte ses propres règles, toujours modifiables ». Rien n'est imposé: ni l'habillement, ni l'habitat. La plupart des béguines vivent seules dans une maisonnette où elles prennent leur repas. Les plus pauvres rejoignent la maison communautaire, le couvent. Le travail, moyen d'émancipation économique, fait partie de leur existence. Elles s'occupent du blanchissage des draps, du lavage de la laine, travaillent à la ferme, fabriquent des bougies. Les plus instruites se tournent vers l'enseignement. Enfin, grâce aux infirmeries présentes dans les béguinages, elles acquièrent un savoir-faire médical. Beaucoup d'entre elles vivent aussi leur foi en s'adonnant à l'art.

Bien que se réunissant souvent en petites communautés, parfois dans des béguinages, elles se proclamaient religieuses mendiantes et menaient une vie spirituelle très forte. Leur caractéristique était l’absence de règle : elles pouvaient choisir de faire un vœu, souvent de chasteté (avec l’accord de leur époux si elles sont mariées), parfois de pauvreté, exceptionnellement d’obéissance (c’est le cas de Douceline de Digne).

À l’origine, beaucoup de béguines travaillaient pour gagner leur vie et l’argent de leurs aumônes. Elles possédaient parfois leurs propres ateliers, notamment de tissage mais aussi de poterie et la copie de livres. L’emploi comme domestique, notamment dans les hôpitaux, en raison du dévouement aux pauvres et aux malades exigé, était aussi fréquent chez elles. La quasi-sainteté de leur mode de vie attirait aussi des femmes plus riches et cultivées, qui faisaient administrer leurs biens de manière à distribuer en aumônes leurs revenus. Parmi les béguines les plus instruites, citons : Sybille de Gages, latiniste renommée ; la poétesse Ida de Léau ; et Mechthild de Magdebourg, auteur du premier ouvrage pieux en langue populaire.

« Le mouvement des béguines séduit parce qu'il propose aux femmes d'exister en n'étant ni épouse, ni moniales, affranchie de toute domination masculine », explique Régine Pernoud dans son livre « La Vierge et les saints au Moyen-Âge ».

Ce mouvement se développa surtout dans le nord de l'Europe, à Liège dès 1180, puis en 1202 à Tirlemont, en 1212 à Valenciennes, puis à Douai, Gand, Anvers et de là se répand rapidement dans toutes les grandes villes de la France de langue d'oïl et d'Allemagne. Ce mouvement de piété fut favorablement accueilli : saint Louis leur lègua une somme d’argent, la comtesse Jeanne de Flandre et sa sœur Marguerite furent également généreuses à leur égard.

Réticences de l’Église

Les béguines, ne prononçant pas de vœux, restent laïques, donc hors de la tutelle de la hiérarchie ecclésiastique. Celle-ci voit d'abord d'un bon œil cette expression de la piété et cette pauvreté voulue et assumée, mais le clergé séculier et les ordres monastiques se sentent concurrencés et s'estiment dépossédés des donations et legs reçus par les béguines. De plus, ils se méfient des libertés acquises par ces femmes (liberté religieuse, liberté sociale, liberté économique, etc...).

Cette appréhension est plus importante où elles sont plus nombreuses : elles imposent aussi une charge plus importante aux moines (visites, confessions aux couvents masculins voisins) qui sont ainsi détournés de leurs occupations régulières, et menacent, en se mêlant aux moines, la fidélité de ces moines à leur vœu de chasteté[3].

La mendicité paraissait dans certains cas injustifiée étant donné que les béguines étaient valides (le critère autorisant la mendicité était notamment l'invalidité physique). Les réticences n'émanaient pas uniquement de la hiérarchie ecclésiastique : voyant en elles des concurrentes, la corporation des tisserands de Diest leur interdit le tissage[4]. En certaines villes, leurs métiers à tisser furent confisqués.

En 1139, plusieurs décrets du deuxième concile du Latran s’élevèrent contre les femmes qui vivaient sans règle monastique, mais se faisaient passer pour moniales: obligation de vie selon une règle, et interdiction de se mêler aux moines. La crainte de voir les moines rompre leur vœu de chasteté suscite une redéfinition plus sévère de la clôture au chapitre de Cîteaux en 1218, restrictions renouvelées en 1228, ce qui laisse penser qu’elles ne furent pas ou mal suivies.

Mais les réticences vont au-delà : la vie sans règle précise, la liberté de ces femmes, paraît aberrante aux clercs de l’Université, dont Guillaume de Saint-Amour[5].

Les persécutions

Comme beaucoup d'autres mouvements de l'époque (cathares, vaudois, mais aussi franciscains, Libre-Esprit et autres), les béguines prônaient un idéal de pauvreté évangélique. Ce mode de vie qui érige la liberté comme règle suprême choque. L'idée que l'être humain (et à fortiori la femme) puisse s'émanciper paraît inacceptable pour l'Église.

Au concile de Mayence (1233), l’inquisiteur Conrad de Marbourg les dénonça. En 1298, la décrétale Periculoso de Boniface VIII étendit aux chartreuses et aux cisterciennes l’obligation de clôture stricte. Soupçonnées d’hérésie, les béguines furent parfois persécutées, comme Marguerite Porete, brûlée vive en 1310. Son ouvrage Le Miroir des simples âmes fut également victime d’un autodafé. En 1311, le concile de Vienne, dirigé par le pape Clément V, les condamna pour fausse piété et hérésie, avec les béguins, frères du libre-esprit, fraticelles. Seuls les Tiers ordres des ordres mendiants furent épargnés.
En deux siècles, les béguines disparaissent partout en Europe, sauf en Flandre. « Ici, en 1319, une Bulle papale les autorisent à pousuivre l'exercice de leur foi, souligne Silvana Panciera. Les béguines de cette région ont renoncé à un certain radicalisme et accepté de se rapprocher de l'Église. Dès lors, leurs communautés fonctionnent comme des paroisses ». Au XIXe siècle, sous le coup de confiscations et d'interdictions, le mouvement béguinal flamand s'essouffle à son tour. Commence alors le déclin semblable à celui des autres obédiences religieuses.

Béguinage de Courtrai

Jean XXII protégea néanmoins les béguines du Brabant, organisées en vastes béguinages. Mais leur entrée fut de plus en plus limitée aux femmes et aux filles de la noblesse et de la grande bourgeoisie[6]. Des ordres de béguines se créèrent au XVIe siècle, mais ils étaient strictement cloîtrés.

Patrimoine mondial

Il a existé aux Pays-Bas et surtout en Belgique des béguinages (begijnhof en néerlandais), dans lesquels vivaient ces femmes à la fois religieuses et laïques. Il s'agissait généralement d'une ou deux rangées de petites maisons et d'une église réunies autour d'une cour où se trouvait un jardin. Certains béguinages flamands existent encore aujourd'hui et sont classés au patrimoine mondial de l'UNESCO. Ailleurs, les bâtiments n'existent plus mais les noms de rue rappellent la présence d'un béguinage, ainsi à Delft ou Utrecht aux Pays-Bas.

Article détaillé : Béguinages flamands.

Dans chaque pays

En Espagne

Le mouvement des béguines peu développé, se confondit rapidement avec celui des Alumbrados.

En France

Les béguines, appelées filles-Dieu, furent supprimées par Louis XI, et remplacées par des sœurs du tiers-ordre de Saint François, auxquelles le vulgaire appliqua aussi le nom de béguines.

En Allemagne

S'éloignant des campagnes, les béguines étaient actives dans de petites fermes proches des villes et en ville même, dans tous les métiers n'exigeant pas la force (tels que la maçonnerie, la ferronnerie, la charpenterie, ...). Elles copiaient, enseignaient, soignaient ... et priaient beaucoup. En Thuringe, si elles délaissent le filage, elles tissent, teignent et commercent ... Ainsi les archives de la ville d'Erfurt relèvent au moins neuf béguinages actifs du XIIe siècle au XIVe siècle siècle.

Mais bientôt, comme en France, leur succès économique provoqua la jalousie des puissantes Corporations, alors que leur mode de vie non-patriarcal éveillait la crainte des Politiques et des Eglises.

En Belgique

Intérieur d'un convent au XIXe siècle, Musée du Béguinage de Turnhout, Belgique
Article détaillé : Béguinages flamands.
Article détaillé : Béguinages de Liège.

Influences

Le mouvement béguinal et celui du Libre-Esprit influençèrent la Mystique rhénane et Maître Eckhart, ce dernier ayant probablement connu l'œuvre de Marguerite Porète.

Les béguines aujourd’hui

En 1998, à Tännich, en Thuringe, à 30 km au sud d’Erfurt et de Weimar, s’est créée la ferme de "Lieselotte", béguinage moderne, où des femmes de tous âges et conditions, peuvent vivre en communauté pour s’entraider et échanger leurs expériences et leur pratiques.

Si le premier but est économique, visant l’autonomie par la création d’entreprises dans le domaine manuel, social, gastronomique et/ ou éducatif, ce centre de béguines est également un lieu de retraite et de protection pour des femmes et leurs enfants. Là, elles trouvent les moyens de se ressourcer et se détendre.

Béguines célèbres

Voir aussi

Bibliographie

  • SIMONS Walter, Cities of Ladies: Beguine Communities in the Medieval Low Countries, 1200-1565, Philadelphie: University of Philadelphia Press, 2001.
  • VANDENBROECK Paul, Le jardin clos de l'âme. L'imaginaire des religieuses dans les Pays-Bas du Sud, depuis le 13e siècle, Bruxelles-Gand, 1994.
  • VAN AERSCHOT Suzanne & HEIRMAN Michiel, Les béguinages de Flandre. Un patrimoine mondial, Bruxelles: éditions Racine, 2001.
  • COOMANS Thomas, Saint-Christophe à Liège: la plus ancienne église médiévale du mouvement béguinal, Bulletin monumental, 164/4, 2006, pp. 359-376.
  • DE CANT Geneviève, MAJÉRUS Pascal & VEROUGSTRAETE Christiane, A World of Independent Women: From the 12th Century to the Present Day: the Flemish Beguinages, Riverside: Hervé van Caloen Foundation, 2003.
  • MACDONNELL Ernest W., The Beguines and Beghards in Medieval Culture: With Special Emphasis on the Belgian Scene, New York: Octagon Books, 1969.
  • REICHSTEIN Frank-Michael, Das Beginenwesen in Deutschland, Berlin, 2001.

Liens connexes

Liens externes

Sources

Cet article comprend des extraits du Dictionnaire Bouillet. Il est possible de supprimer cette indication, si le texte reflète le savoir actuel sur ce thème, si les sources sont citées, s'il satisfait aux exigences linguistiques actuelles et s'il ne contient pas de propos qui vont à l'encontre des règles de neutralité de Wikipédia. Régine Pernoud, Les Saints au Moyen Âge - La sainteté d’hier est-elle pour aujourd’hui ?, Paris, Plon, 1984, 367 p. (ISBN 2-258-01186-1) , pp. 170-181

Notes et références

  1. Cette hypothèse est maintenant abandonnée, vide Béguinage Saint-Christophe de Liège
  2. Régine Pernoud, Les Saints au Moyen Âge - La sainteté d’hier est-elle pour aujourd’hui ?, Paris, Plon, 1984, 367 p. (ISBN 2-258-01186-1) , p. 170
  3. Pernoud 1984,ibidem, p. 176
  4. Pernoud 1984,ibidem, p. 173
  5. Pernoud 1984,ibidem, p. 177
  6. Pernoud 1984,ibidem, p. 178

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Béguine de Wikipédia en français (auteurs)

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