Beuys

Beuys

Joseph Beuys

+ Jeder Mensch ein Künstler — Auf dem Weg zur Freiheitsgestalt des sozialen Organismus, 1978 +
Chaque personne un artiste — sur la voie de la forme libertaire de l'organisme social (performance)
Offset poster for dialogue at the New School during Joseph Beuys’s first visit to the United States 1974 - Courtesy Ronald Feldman Fine Arts, New York
Beuys Filtz TV von Lothar Wolleh

Joseph Heinrich Beuys, né à Krefeld le 12 mai 1921 et décédé le 23 janvier 1986 à Düsseldorf, est un artiste allemand qui a produit nombre de dessins, de sculptures, de performances, de vidéos, d’installations et de théories, dans un ensemble artistique très engagé politiquement.

Le travail de Joseph Beuys est un questionnement permanent sur les thèmes de l’humanisme, de l’écologie, de la sociologie, et surtout de l’anthroposophie. Cela le conduisit à définir notamment le concept de « sculpture sociale » en tant qu’Œuvre d'art totale, énoncée dans les années 1970 avec « Chaque personne un artiste », par l’exigence d'une concertation créative entre la société et le politique.

À la fois controversé et admiré, Joseph Beuys est considéré comme le pendant allemand des artistes Fluxus, et compte au niveau international comme l’un des artistes majeurs de l’art contemporain.

Sommaire

Biographie

Sa vie commence déjà par une fiction. Il déclarait être né à Clèves et non à Krefeld. C’est en découvrant des illustrations des sculptures de Wilhelm Lehmbruck, au cours des années 1930, que Beuys ressent fortement la volonté de devenir sculpteur. Il obtiendra son baccalauréat en 1940, juste avant d’être enrôlé en tant que pilote dans l’armée de l’air allemande.

Un événement va être déterminant pour la suite de sa vie : pilote de la Luftwaffe sur le front russe pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’écrase en Crimée. Ce moment est pour lui celui de l’instauration de sa légende personnelle : il semblerait qu’une patrouille allemande l’ait retrouvé et emmené à l’hôpital, mais Beuys raconta que, recueilli par des nomades tatares qui l’avaient nourri de miel, il était revenu à la vie, recouvert de graisse et enroulé dans des couvertures de feutre. Ces éléments qui lui auraient sauvé la vie deviendront récurrents dans sa production artistique (exemple : la Pompe à miel).

Dès lors, à partir de la fin de la guerre, il devient la figure emblématique du mouvement Bewegung. Sa production artistique, constituée d’actions, de peintures, de dessins, de sculptures, de vitrines, s’étend sur plus de trente ans. Durant cette période, il donne également de nombreuses conférences (Londres, Düsseldorf, Bruxelles, Paris, New York,…), tout en enseignant dans plusieurs instituts (Düsseldorf, 1961-1972).

Une vie, une œuvre

Une mythologie individuelle

En partant de son accident en Crimée (ou du mythe de cet accident), il va édifier une œuvre à caractère autobiographique et métaphorique qu’il qualifie de « mythologie individuelle ». Les croix rouges qui apparaissent dans certaines de ses œuvres, comme Infiltration homogène pour piano à queue (1966), rappellent ainsi des souffrances occultées, personnelles ou ancestrales. La symbolique passe également par l’emploi de matériaux non conventionnels. L’œuvre de Joseph Beuys a une vocation thérapeutique qui vise à guérir la société de ses maux, ce qui n’est pas sans rappeler les études de médecine qu’il suivait avant qu’elles soient interrompues par la guerre.

En août 1979, Bernard Lamarche-Vadel interroge Joseph Beuys à propos d’une crise globale psychique survenue entre 1955 et 1957, qui permettra à l’artiste d’effectuer une remise à plat de tout ce qui affecte sa vie et d’établir les principes fondamentaux de son art : « Je pense que les événements les plus globaux sont toujours étroitement liés à ce que les gens appellent une mythologie individuelle. Car pendant cette période, il n’y eut pas seulement une recherche globale aboutissant à une théorie, que l’on pourrait écrire sur un tableau noir comme un schéma, mais ce fut aussi une période très productive avec beaucoup de concepts et ce que l’on définira plus tard comme des traits initiatiques chamanistiques. Aussi, beaucoup de dessins furent produits avec un caractère radicalement différent des schémas dits “théoriques” du corps social. Il y eut également à partir de cette époque des sculptures, puis des objets et des performances, des actions à caractère intermedia, avec l’acoustique ou la musique. Ces derniers étaient dans la suite très logique des concepts déjà présents dans les dessins. »

Matériaux

À partir de 1964, Beuys inclut dans ses installations des matériaux organiques qui lui tiennent à cœur depuis son accident d’avion : le feutre qui isole du froid, la graisse symbole de chaleur et d’énergie, le miel, mais aussi la cire d’abeille, la terre, le beurre, les animaux morts, le sang, les os, le soufre, le bois, la poussière, les rognures d’ongle, les poils. Ces derniers matériaux montrent la réutilisation par Beuys des déchets, non pas pour les magnifier, mais pour les mettre au service de l’art et explorer leur matérialité.

Joseph Beuys s’explique sur l’emploi de trois de ses matériaux de prédilection dans ses objets et lors de ses actions, à savoir la graisse, le cuivre et le feutre : « Oui. J’ai utilisé davantage de matériaux au début et ils étaient plus conventionnels. Mais après la crise, j’ai commencé une nouvelle théorie et j’ai essayé de trouver les matériaux adéquats pour exprimer mes préoccupations avec de nouvelles énergies, avec les problèmes d’énergie en général et ma compréhension de la théorie de la sculpture. J’ai réalisé que nul ne connaissait le réel caractère de ce dont il parlait chaque jour, la sculpture, et que nul ne connaissait la constellation des énergies mises en jeu par la sculpture. Aussi j’ai essayé de pourfendre cette idée conventionnelle : la sculpture ; ce n’était pas pour moi uniquement le fait de travailler dans un matériau spécial mais la nécessité de créer d’autres concepts de pouvoirs de pensée, de pouvoirs de volonté, de pouvoirs de sensibilité. La graisse fut par exemple pour moi une grande découverte car c’était le matériau qui pouvait apparaître comme très chaotique et indéterminé. Je pouvais l’influencer avec la chaleur ou le froid et je pouvais le transformer par les moyens non traditionnels de la sculpture telle que la température. Je pouvais transformer ainsi le caractère de cette graisse d’une condition chaotique et flottante en une condition de forme très dure. Ainsi la graisse se déplaçait-elle d’une condition très chaotique en un mouvement pour se terminer dans un contexte géométrique. J’avais ainsi trois champs de puissance et, là, était une idée de la sculpture. C’était la puissance dans une condition chaotique, dans une condition de mouvement et dans une condition de forme. Et ces trois éléments, forme, mouvement et chaos étaient de l’énergie non déterminée d’où j’ai tiré ma théorie complète de la sculpture, de la psychologie de l’humanité comme pouvoir de volonté, pouvoir de pensée et pouvoir de sensibilité ; et j’ai trouvé que c’était là le schéma adéquat pour comprendre tous les problèmes de la société. Il y avait aussi, impliqué organiquement le problème du corps social, de l’humanité individuelle, de la sculpture et de l’art en lui-même. J’avais besoin de moyens d’expression. J’avais déjà la graisse. J’avais besoin par ailleurs d’un élément très rapide, porteur d’électricité, ce fut le cuivre. Et puis j’avais besoin d’autre chose pour isoler tel secteur de tel autre et j’utilisai alors le feutre. Ainsi, on pourrait dire que c’était le premier concept sur le plan de l’énergie… mais c’est aussi une sorte d’anthropologie ! » (Lamarche-Vadel, Joseph Beuys. Is it about a bicycle?, Marval, Galerie Beaubourg, Sarenco-Strazzer, 1985).

Une œuvre totale

„Stadtverwaldung”, Kassel, Musee Fridericianum, la nuit
„7000 Eichen - Stadtverwaldung statt Stadtverwaltung”, Kassel (24. Dezember 2003)

Un projet de vie

L’originalité de Beuys tient à ce que, non content de construire son œuvre sur le récit de sa vie (démarche inédite à l’époque), il retourne les termes du problème et s’efforce de mener son œuvre comme un projet existentiel.

L’artiste s'invente un personnage (reconnaissable à son chapeau et son gilet) qui investit tous les domaines : professorat à l’académie des Beaux-Arts de Düsseldorf, création du Deutsche Studenten Partei en 1966, puis d’une Université libre internationale (manifeste de 1972) ; activités politiques et sociales diverses comportant une dimension ironique et ambiguë.

C’est en partie à cause de cette ironie sous-jacente que Beuys a été décrié par certains de ses contemporains : il lui fut reproché, entre autres, la dimension mystique de son œuvre, la récupération de l’histoire (la tragédie de la Seconde Guerre mondiale est un thème récurrent de ses travaux), mais surtout une certaine propension au culte de la personnalité.

La sculpture sociale

Beuys crée le concept de sculpture sociale devant permettre d'arriver à une société plus juste ; il pense que tout homme est artiste, et que si chacun utilise sa créativité, tous seront libres.

Les travaux de Beuys ont donc de nombreuses clefs d'entrée ; ils participent à la fois de ce qu'on appelle une œuvre d'art totale (Gesamkunstwerk) et de formes artistiques basées sur la sensation et sur le sensationnel.

Joseph Beuys, 1985

Analyse de quelques œuvres

Wie man dem toten Hasen die Bilder erklärt

L’action intitulée : Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort est présentée à la galerie Schmela, à Düsseldorf, le 26 novembre 1965. Cette performance, d’une durée de trois heures, inaugure la première exposition de Beuys dans la galerie du marchand Alfred Schmela. L’artiste tient sur son sein un lièvre mort, comme il le ferait d’un enfant. Il se déplace dans la galerie vers les tableaux pour les montrer au lièvre mort, s’en approchant jusqu’à les toucher. Sa tête est recouverte de miel et de poudre d’or ; exceptionnellement il ne porte pas le chapeau de feutre qui le caractérise tant. À plusieurs moments il s’assied sur un tabouret juché sur une armoire métallique, en murmurant au lièvre des choses incompréhensibles pour le public. Au pied droit de Beuys est attachée une longue semelle d’acier contre laquelle est déposée une semelle de feutre de même dimension. L’un des pieds du tabouret est serti dans un rouleau de feutre et l’on distingue sous ce même tabouret deux os. Dans ces os, de même que dans la semelle d’acier, sont cachés des micros grâce auxquels sont retransmis les propos murmurés de l’artiste expliquant le sens de l’art au lièvre mort. Les pas de Beuys se déplaçant avec l’animal dans la galerie sont également audibles au dehors ; en effet, le public n’a pas accès directement à la scène. Il peut cependant l’observer à travers une porte vitrée, une fenêtre et des images vidéo retransmises en direct à l’extérieur de la galerie sur un téléviseur.

Cette action affirme une nouvelle fois, un concept « élargi » de la notion d’art ; l’homme en est le maillon principal, et son lien aux tableaux comme à une source de l’inconscient se révèle alors aussi important que les tableaux en eux-mêmes.

I like America and America likes Me

Joseph Beuys débute cette action alors qu’une exposition est annoncée à New York, en mai 1974, dans la galerie René Block. Une ambulance se présente au domicile de l’artiste à Düsseldorf, en Allemagne. Il est alors pris en charge sur une civière, emmitouflé dans une couverture de feutre. Il va alors accomplir un voyage en avion à destination des États-Unis, toujours isolé dans son étoffe. À son arrivée à l’aéroport Kennedy de New York, une autre ambulance l’attend. Surmontée d'un gyrophare et escortée par les autorités américaines, elle le transporte jusqu’au lieu d’exposition. De cette façon, Beuys ne foulera jamais le sol américain à part celui de la galerie. Il coexiste ensuite pendant trois jours avec un coyote sauvage, récemment capturé dans le désert du Texas, qui attend derrière un grillage. Avec lui, Beuys joue de sa canne, de son triangle et de sa lampe torche. Il porte son habituel chapeau de feutre et se recouvre d’étoffes, elles aussi en feutre, que le coyote s’amuse à déchirer. Chaque jour, des exemplaires du Wall Street Journal, sur lesquels le coyote urine, sont livrés dans la cage. Filmés et observés par les visiteurs derrière un grillage, l’homme et l’animal partageront ensemble le feutre, la paille et le territoire de la galerie avant que l’artiste ne reparte comme il était venu.

Pour certains, Beuys, à travers cette action, souligne le fossé existant entre la nature et les villes modernes ; par le biais de l’animal, il évoque aussi les Amérindiens décimés dont il commémore le massacre lors de la conquête du pays. Le coyote cristallise ainsi les haines, et est considéré comme un messager. Pour d’autres, Beuys engage ici une action chamanique. Il représente l’esprit de l’homme blanc et le coyote celui de l’Indien. Le coyote est un animal intelligent, vénéré jadis par les Indiens d’Amérique et qui fut persécuté, exterminé par les Blancs. Ainsi, Beuys essaie de réconcilier l’esprit des Blancs et l’esprit des Indiens d’Amérique. Il parle même de réconciliation karmique du continent nord-américain.

La canne est pour lui le symbole de l’Eurasie unie en un continent solidaire.

Beuys ouvre la voie par cette démonstration à une nouvelle forme de réflexion artistique : il est « conducteur » au même titre que ses matériaux de prédilection.

Expositions

L'une des salles Joseph Beuys dans le Museum für Gegenwart de la Hamburger Bahnhof à Berlin.

Bibliographie

  • Hiltrud Oman, Joseph Beuys. Die Kunst auf dem Weg zum Leben, Heyne, Munich, 1998. (ISBN 3-453-14135-0)
  • Bernard Lamarche-Vadel, Joseph Beuys. Is it about a bicycle?, Marval/Paris, galerie Beaubourg/Paris, Sarenco-Strazzer/Vérone, 1985.
  • Alain Borer, Joseph Beuys. Un panorama de l’œuvre, La Bibliothèque des Arts, Lausanne, 2001.

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