- Émulsion
-
Une émulsion est un mélange, macroscopiquement homogène mais microscopiquement hétérogène, de deux substances liquides non miscibles (qui ne se mélangent normalement pas), comme l’eau et l’huile. Une substance est dispersée dans la seconde substance sous forme de petites gouttelettes. Le mélange reste cinétiquement stable grâce à un troisième ingrédient appelé émulsifiant. Une mousse est très similaire à une émulsion : la seconde substance est alors un gaz (au lieu d'un liquide) dispersé sous forme de bulles. Une autre différence importante entre mousses et émulsions est la fraction volumique de la phase dispersée (gaz), en général beaucoup plus élevée dans les mousses les plus stables. Par synecdoque et catachrèse, en photographie argentique, on désigne également du nom d'émulsion une pellicule considérée du point de vue de ses caractéristiques techniques (sensibilité, réciprocité…). Le nom remonte aux premières années de la photographie où l'on étendait une émulsion photosensible sur un support vitré avant de prendre un cliché.
Sommaire
- 1 Généralités sur les émulsions
- 2 Les émulsifiants
- 3 Les émulsifiants dans l'industrie agro-alimentaire
- 4 Les émulsions dans la pratique
- 5 Voir aussi
- 6 Références
- 7 Liens externes
Généralités sur les émulsions
Une émulsion est un cas particulier de colloïde. Les deux substances liquides en présence sont appelées des phases. Une phase est continue. L'autre phase, discontinue, est dispersée dans la première phase sous forme de petites gouttelettes. Les émulsions sont souvent composées d'une phase aqueuse, semblable à de l'eau, et d'une phase huileuse, semblable à de l'huile. Une émulsion huile dans l'eau (H/E ou O/W pour oil in water) est composée d'une phase huileuse dispersée dans une phase aqueuse. Il s'agit d'une émulsion "directe". Une émulsion eau dans l'huile (E/H ou W/O pour water in oil) est composée d'une phase aqueuse dispersée dans une phase huileuse. Une émulsion E/H est plus grasse au toucher, car le toucher correspond majoritairement à la nature de la phase externe. Une telle émulsion est dite "inverse".
On peut également trouver des émulsions multiples H/E/H ou E/H/E[1]Classification des émulsions
Selon la taille des particules qui les composent, les émulsions peuvent être classées en macroémulsion, miniémulsion et nanoémulsion[2]. Les mots miniémulsion et nanoémulsion sont utilisés fréquemment d'une façon interchangeable pour désigner toutes les émulsions dont la taille des particules est inférieure à celle des macroémulsions. Une miniémulsion est obtenue en mélangeant deux liquides non-miscibles (exemples typiques : hexadécane avec hexadécanol) avec un tensioactif et un co-tensioactif. Le mélange se fait généralement par ultrasonification ou par homogénéisation à haute pression.
Contrairement aux émulsions listées précédemment qui correspondent à la dispersion d'une phase dans une autre sous forme de particules, une microémulsion correspond à une seule phase où il n’y a pas de particules[3],[4].
Macroémulsion Miniémulsion ou nanoémulsion Microémulsion Nombre de tensioactifs Au moins un Au moins deux : un tensioactif et un co-tensioactif Au moins deux : un tensioactif et un co-tensioactif Pourcentage de tensioactif Faible : < 5 % Moyen : entre 5 et 10 % Elevé : > 10 % Méthode de fabrication Agitation mécanique vigoureuse Agitation vigoureuse par ultrason Faible agitation Couleur Blanche laiteuse Blanche bleuâtre ou incolore Blanche bleuâtre ou incolore Transparence Opaque Translucide ou transparente Translucide ou transparente Taille des particules > 1 micromètre << 1 micromètre Pas de particules mais une phase continue Polydispersité de la taille des particules Moyenne Basse Ne contenant pas de particules, ce paramètre ne s'applique pas ici Stabilité thermodynamique Instable Instable Stable Mode d’augmentation de la taille des particules avec le temps Coalescence et mûrissement d’Ostwald Coalescence et mûrissement d’Ostwald Ne contenant pas de particules, il n'y a ni coalescence ni mûrissement d’Ostwald Les émulsifiants
Les émulsifiants, appelés parfois émulsionnants, stabilisent l'émulsion. Ce sont le plus souvent des tensioactifs ou agents de surface. Cependant, des particules solides (émulsions de Pickering), des polymères synthétiques ou des macromolécules biologiques peuvent aussi jouer ce rôle. Le jaune d'œuf sert d'émulsifiant dans la préparation de sauces en cuisine. Cette propriété est due à la lécithine qu'il contient. La lécithine se trouve également dans le soja et est très utilisée dans les préparations industrielles. La caséine est une protéine du lait qui est émulsifiante.
Les émulsifiants dans l'industrie agro-alimentaire
Dans l'industrie agro-alimentaire, les émulsifiants sont des produits chimiques utilisés pour augmenter l'onctuosité de certains produits, permettant ainsi d'obtenir une texture particulière. Les principaux émulsifiants utilisés dans l'industrie agro-alimentaire sont :
- La lécithine naturelle, notamment en chocolaterie,
- les mono et di-glycérides d'acides gras alimentaires que l'on retrouve en particulier dans les glaces et les brioches industrielles.
Les mono et di-glycérides d'acides gras alimentaires (E471, E472c, etc.) sont obtenus par hydrolyse, soit à partir de graisses et produits animaux (panses de bœuf etc.) soit à partir d'huiles végétales, comme l'huile de palme. Le produit final se présente sous la forme de cristaux liposolubles (c'est-à-dire solubles dans les corps gras), de couleur blanchâtre ou jaune très clair. Les étiquettes détaillant les ingrédients d'un produit ne permettent en général pas de savoir dans quel cas on se trouve (c'est-à-dire si le ou les émulsifiants utilisés sont d'origine animale ou végétale).
Les émulsions dans la pratique
Dans la vie quotidienne, de nombreux produits sont des émulsions. On peut noter les crèmes et autres cosmétiques, mais aussi la mayonnaise.
Les émulsions naturelles
- Le lait.
- Des latex végétaux, en particulier, ceux de l'hévea brasiliensis (qui donne le caoutchouc naturel) et du castilla elastica.
- Le film hydrolipidique est un mélange de sébum et de sueur. C'est une émulsion qui protège la peau.
Les sauces émulsionnées
- La vinaigrette
- phase huileuse : huile
- phase aqueuse : vinaigre
- La vinaigrette est une émulsion instable. L'huile et le vinaigre ont tendance à se séparer. Elle peut être rendue cinétiquement stable en ajoutant de la moutarde. Les cellules de moutarde broyées libèrent des phospholipides, un tensioactif.
- La mayonnaise
- phase huileuse : huile
- phase aqueuse : jaune d'œuf (composé pour moitié d'eau) et moutarde
- émulsifiant : la lécithine du jaune d'œuf est l'émulsionnant (tensio-actif)
- La mayonnaise est une émulsion cinétiquement stable.
- L'Aïoli
- phase huileuse : huile d'olive
- phase aqueuse : pulpe de l'ail
- A noter que le véritable aïoli se prépare seulement à l'ail et l'huile, et que les tensio-actifs se trouvent dans la pulpe d'ail.
- La sauce hollandaise et la sauce béarnaise
- Ce sont également des sauces émulsionnées selon le même principe mais chaudes.
Les cosmétiques
- Une crème hydratante
phase huileuse : huile et ingrédients solubles dans l'huile
phase aqueuse : eau et ingrédients solubles dans l'eau
émulsifiantL'industrie pharmaceutique
L'encapsulation des principes actifs, grâce aux émulsions doubles eau-huile-eau, permet par exemple de délivrer des substances, avec une grande précision spatiale[5]. Elle permet de modifier la distribution de certains médicaments dans l'organisme (ex : pour diminuer la toxicité rénale de l'Amphotéricine B).
La technologie
Pour permettre de rendre une émulsion stable dans le temps, il est nécessaire de réduire la taille des particules de la phase discontinue (Loi de Stokes). Plus la taille recherchée sera petite, plus il faudra d'énergie pour l'obtenir. Il existe plusieurs appareils capables de réaliser une émulsion ; depuis l'agitateur jusqu'à l'homogénéisateur haute pression, en passant par le moulin colloïdal et le turbo émulsionneur. L'homogénéisateur haute pression est l'une des techniques permettant d'obtenir des tailles de particules les plus petites, puisqu'il peut obtenir des tailles inférieures à 500 nm. Le principe est simple : une pompe à pistons plongeurs va pousser le fluide à émulsionner à travers un orifice réglable, appelé groupe homogénéisant. Plus l'orifice sera faible, plus la pression affichée sera élevée. Au passage de cet obstacle le fluide subit différentes contraintes telle la turbulence, la cavitation, le cisaillement qui vont générer la dislocation des particules du fluide de la phase discontinue. Les homogénéisateurs haute pression sont utilisés dans l'industrie laitière depuis la fin du XIXe siècle (Inventeur Gaulin). D'autres industries utilisent aujourd'hui ces appareils, capables d'atteindre 1 500 bar en production continue (Niro Soavi) telles l'industrie des cosmétiques, l'industrie pharmaceutique et d'autres industries alimentaires (ingrédients, boissons, etc...). Les techniques microfluidiques permettent désormais d'obtenir des émulsions dont les tailles de gouttes sont mieux contrôlées.
Stabilité des émulsions
Les émulsions sont instables du point de vue thermodynamique, cependant elles peuvent être stable du point de vue cinétique sur une importante période, ce qui détermine leur durée de vie. Cette durée doit être mesurée, afin d’assurer la bonne qualité du produit pour le client final. “Emulsion stability refers to the ability of an emulsion to resist change in its properties over time.” D.J. McClements[6].
Phénomènes de déstabilisation d’une dispersion
Les déstabilisations peuvent être classées en deux phénomènes majeurs:
- Phénomènes migratoires : par lesquels la différence de densité entre la phase continue et dispersée entraînent une séparation de phase gravitationnelle : pour les émulsions on a essentiellement du crémage, (phase dispersée moins dense que la phase continue poussant celle-ci à migrer vers le haut).
- Phénomènes d’augmentation de taille: par lesquels la taille des gouttes augmente
- De manière réversible (floculation)
- De manière irréversible (agrégation, coalescence, mûrissement d’Ostwald)
Technique d’analyse de la stabilité physique
La diffusion multiple de la lumière couplée à un balayage vertical est une technique employée pour suivre l’état de dispersion d’un produit, et par là même identifier et quantifier les phénomènes d’instabilité[7],[8],[9],[10]. Elle fonctionne avec les dispersions concentrées, sans dilution. Quand la lumière est envoyée dans l’échantillon, elle est rétrodiffusée par les particules / gouttes. L’intensité rétrodiffusée est directement proportionnelle à la taille et à la fraction volumique de la phase dispersée. Ainsi, les variations locales de concentration (crémage, sédimentation) et les variations globales de la taille (floculation, coalescence) sont détectées et suivies.
Méthodes d’accélération pour la prédiction de la durée de vie
Le processus cinétique de déstabilisation peut prendre du temps (jusqu’à plusieurs mois, voire plusieurs années pour certains produits) et ainsi, le formulateur doit utiliser des méthodes d’accélération, afin d’obtenir des durées de développement acceptables. Les méthodes thermiques sont les plus employées et consistent à augmenter la température afin d’accélérer les déstabilisations (en restant en deçà des températures critiques d’inversion de phase et de dégradations chimiques). La température n’affecte pas seulement la viscosité, mais également la tension interfaciale dans le cas des tensioactifs non-ioniques et plus généralement les forces d’interactions à l’intérieur du système. En stockant la dispersion à hautes températures, on simule les conditions de vie réelles d’un produit (par exemple un tube de crème solaire dans une voiture en été), mais également on accélère les processus de déstabilisation jusqu’à 200 fois. L’accélération mécanique incluant la vibration, la centrifugation et l’agitation, sont parfois utilisée. Elles soumettent le produit à différentes forces qui poussent les particules / gouttes les unes contre les autres, aidant ainsi au drainage du film. Cependant, des émulsions ne coalesceraient jamais sous une gravité normale, alors qu’elles le font sous gravité artificielle[11]. De plus, des phénomènes de ségrégation de différentes populations de particules ont été mises en évidence en utilisant la centrifugation et la vibration[12].
Voir aussi
Articles connexes
Références bibliographiques
- Emulsion Science : Basic Principle, F. Léal-Calderon, V. Schmidtt, J. Bibette (Springer, 2007) (ISBN 0387396829)
Références
- Qu’est-ce qu’une émulsion ?
- http://www.msc.univ-paris-diderot.fr/~henon/IV-emulsions.pdf
- Bourrel, M, Schechter RS. Microemulsions and Related Systems. Surfactant Science Series, Vol. 34. New York: Marcel Dekker (1988)
- Salager JL. Microemulsions. In: Broze G, ed. Handbook of Detergents—Part A: Properties. New York: Marcel Dekker (1999) 253-302.
- Applications des colloïdes magnétiques. Journal du CNRS (2007)
- “Food emulsions, principles, practices and techniques” CRC Press 2005.2- M.P.C. Silvestre, E.A. Decker, McClements Food hydrocolloids 13 (1999) 419-424
- I. Roland, G. Piel, L. Delattre, B. Evrard International Journal of Pharmaceutics 263 (2003) 85-94
- C. Lemarchand, P. Couvreur, M. Besnard, D. Costantini, R. Gref, Pharmaceutical Research, 20-8 (2003) 1284-1292
- O. Mengual, G. Meunier, I. Cayre, K. Puech, P. Snabre, Colloids and Surfaces A: Physicochemical and Engineering Aspects 152 (1999) 111–123
- P. Bru, L. Brunel, H. Buron, I. Cayré, X. Ducarre, A. Fraux, O. Mengual, G. Meunier, A. de Sainte Marie and P. Snabre Particle sizing and characterisation Ed T. Provder and J. Texter (2004)
- J-L Salager, Pharmaceutical emulsions and suspensions Ed Françoise Nielloud,Gilberte Marti-Mestres (2000)
- P. Snabre, B. Pouligny Langmuir, 24 (2008) 13338-13347
Liens externes
Catégories :- Réaction chimique
- Physico-chimie des interfaces
- Chimie colloïdale
- Mécanique des milieux non homogènes
- Mélange chimique
- Émulsifiant alimentaire
Wikimedia Foundation. 2010.