Voiles microbiens

Voiles microbiens

Biofilm

Biofilm sur vase estuarienne exondée, se formant à marée descendante
Trous laissés par des bulles de [méthane] ayant éclaté dans le film superficiel sur une vase exondée
Autre exemple, essentiellement constitué d'algues couvrant une eau stagnante. Ce type de biofilm (en « voile » algual et/ou bactérien) ne perdure généralement pas (quelques jours à une ou deux semaines) sur l'eau, mais peut perdurer des années sur un sol (sable humide par exemple) ou sur de la vase
Le biofilm prend ici l'aspect d'une fine « croute », formée d'algues et bactéries fixant efficacement le sable soumis à érosion (sur un turricule de taupinière creusée dans un sable acide, qui malgré les pluies reste en place fixé par la substance mucilagineuses produites par les algues, bactéries. C'est aussi un substrat pour certains lichens mais qui ont ici fortement régressé en raison de la pollution de l'air (zone d'agriculture intensive et proche de 4 papeteries et d'une grande verrerie; sur le Plateau d'Helfaut près de la Colonne d'Helfaut dans le Pas-de-Calais, en France)

Un biofilm est une communauté de micro-organismes (bactéries, champignons, algues ou protozoaires), adhérant entre eux et à une surface, et marquée par la sécrétion d'une matrice adhésive et protectrice. Sa structure est hétérogène, souvent sous forme d'une matrice extracellulaire, et composée de substances polymères. La définition d'un biofilm peut légèrement varier : certains auteurs choisissent par exemple d'exclure du terme « biofilm » les communautés bactériennes ne produisant pas leur propre matrice extracellulaire.

S'étant jusque là principalement attachée à étudier les cellules pour elles-mêmes et indépendamment de leur milieu, la microbiologie intègre les récents développements de la notion d'interactions avec le milieu et se tourne maintenant vers les biotopes, et notamment les biofilms.

Sommaire

Généralités

Le mode de vie en biofilm est l'un des deux modes de comportement des organismes unicellulaires – l'autre alternative étant la flottaison libre de type dit "planctonique", dans un médium liquide, fluide ou même solide. John William Costerton a proposé en 1978 le terme de biofilm en suggérant que ce serait le mode de vie naturel de la plupart des micro-organismes[1]. Cette proposition, qui s'appuyait initialement sur la comparaison du nombre de bactéries sous forme planctonique d'une part, et au sein de biofilms dans une rivière d'autre part, est désormais généralement admise par les microbiologistes.

Les biofilms sont, sauf exceptions, observés dans les milieux aqueux ou exposés à l'humidité. Ils peuvent se développer sur n'importe quel type de surface naturelle ou artificielle, qu'elle soit minérale (roche, interfaces air-liquide...) ou organique (peau, tube digestif des animaux, racines et feuilles des plantes), industrielle (canalisations, coques des navires) ou médicale (prothèses, cathéters),... Il est possible à un biofilm d'adhérer sur des matériaux "anti-adhésifs" comme le polytétrafluoréthylène (ou téflon). Voir l'article sur les micro-organismes extrémophiles pour la diversité étonnante de leurs habitats possibles dans les gammes de chaud, froid, pression, et autres extrêmes. Dans des conditions optimales de croissance, un biofilm peut rapidement devenir macroscopique, jusqu'à atteindre le mètre d'épaisseur si l'environnement le permet.

Traces fossiles

Les biofilms ont sans doute constitué les premières colonies d'organismes vivants, il y a plus de 3,5 milliards d'années. Avec les stromatolithes, ils semblent à l'origine des premières roches biogéniques et structures récifales, bien avant l'apparition des coraux.

Les voiles alguaux que l'on trouve encore sur certains sédiments exondés, certains sols humides ou certaines plages ou rivages d'eau douce pourraient aussi être à l'origine de processus de fossilisation, en particulier de traces (humaines, de dinosaures ou de microreliefs...). Certains biofilms encroutant sont capable de croître sur eux-mêmes ou plutôt sur les lamines générées par les générations précédentes de bactéries. Ils semblent, toujours avec les stromatolithes, à l'origine du premier puits de carbone majeur il y a plus de 3 milliards d'années.

L'environnement particulier du biofilm permet aux cellules de (ou les force à..) coopérer et agir les unes avec les autres de manière différente de ce qu'elles feraient en environnement libre. Les bactéries vivant dans un biofilm ont des propriétés sensiblement différentes de celles des bactéries « flottantes » de la même espèce, qui peut faire penser comme dans le cas des stromatolithes à des propriétés émergentes de super-organisme.

Composition, propriétés, fonctions

  • Composition

Presque tous les micro-organismes ont des mécanismes d'adhérence aux surfaces et/ou les uns aux autres. Ils peuvent s'intégrer à un biofilm en formation, de même qu'ils peuvent se détacher du biofilm sous l'action des forces mécaniques ou chimiques de l'environnement. L'adhésion est le fait de divers mécanismes : fimbriae, pili, protéines de différents types (adhésines par exemple)... Il est donc mécaniquement possible pour un biofilm d'abriter plusieurs espèces différentes. De fait seuls quelques biofilms sont composés d'un seul type d'organisme - phénomène lié aux conditions environnantes plus souvent qu'à la nature même des organismes. Les biofilms naturels ne sont que rarement clonaux mais au contraire abritent souvent nombreux types de micro-organismes – bactéries, protozoaires et/ou algues, chaque groupe exécutant des fonctions métaboliques spécialisées.

La matrice du biofilm à proprement parler, en plus de contenir les éléments dont sont faits les organismes qu'elle abrite (protéines, lipides, ADN, ARN, ...) est également constituée de polysaccharides, (peptidoglycanes, cellulose) et d'une importante proportion d'eau.

  • Propriétés, fonctions

Un des aspects majeurs des biofilms est l'induction de changements dans les phénotypes correspondant au changement de mode de comportement (de «planctonique» et individuel, à fixe et communautaire). Des séries entières de gènes voient changer la durée et le rythme de leurs mécanismes d'activation, correspondant donc aussi à des changements de fonctions. L'environnement particulier du biofilm permet aux cellules de, ou les force à, coopérer et agir les unes avec les autres de manière différente qu'en environnement libre. Les bactéries vivant dans un biofilm ont des propriétés notablement différentes de celles des bactéries « flottantes » de la même espèce.

Certaines souches de bactéries de laboratoire ont perdu leur capacité à former des biofilms, soit par les cultures et sélections successives de bactéries planctoniques, soit par la perte de leur plasmides naturels connus pour favoriser la formation de biofilm[2].

La plus spectaculaire propriété des biofilms est très certainement l'étonnante capacité de résistance qu'ils fournissent à leurs participants contre diverses agressions, comparée à la situation des mêmes organismes en état dit « planctonique ». Cette matrice est, d'autre part, elle-même, assez résistante pour que dans certaines conditions les biofilms puissent se fossiliser.

Les micro-organismes sont à plus d'un titre protégés et reliés entre eux par la matrice que fait le biofilm :

Protection passive

Par sa simple présence cette matrice protège passivement les cellules dans un rôle de simple barrière physique contre l'entrée des agents antimicrobiens, détergents et antibiotiques[3],[4]: la matrice extracellulaire dense et la couche externe de cellules protègent l'intérieur de la communauté.

Protection métabolique.

Autre facteur de résistance accrue: pour des raisons qui restent à déterminer les bactéries entourées de biofilm sont moins actives métaboliquement, donc moins réceptives aux agents antimicrobiens[5] et aux disruptions environnementales[4].

Protection active

La résistance de P. aeruginosa aux antibiotiques a également été partiellement attribuée à des pompes de flux du biofilm expulsant activement les composants antimicrobiens[6],[7],[8]. Quelques biofilms se sont avérés contenir des canaux aqueux qui en sus de la distribution de nutriments permettent celle de molécules de signalisation, établissant la communication entre cellules par des signaux biochimiques. La formation du et par le biofilm est contrôlée par des signaux de cellule à cellule, et des mécanismes dits de quorum sensing [9],[10],[11],[12],[13], ou perception du quota, basés sur le principe de masse critique. Les systèmes de perception du quota chez les bactéries gram-négatives détectent la densité des cellules en utilisant des signaux de cellule à cellule dépendant de la population, généralement une molécule d'acyl homosérine lactone. Quand cet [auto-inducer] atteint une certaine concentration critique, il active un régulateur transcriptionnel qui induit des gènes cibles spécifiques[14]. La nature et donc la fonction des molécules signalant les échanges de cellule-à-cellule changent à partir d'une concentration donnée des bactéries.

Protection génétique

Dans certains cas, la résistance aux antibiotiques peut être exponentiellement multipliée. En effet, lors de leur implantation dans un biofilm l'expression génétique des bactéries est modifiée. Cet environnement d'échanges de matériel génétique permettant le transfert d'informations est donc propice à l'acquisition de nouveaux caractères.

Contribution à la corrosion ou dégradation de matériaux. De nombreux matériaux (métaux, bois) voient leur dégradation (ou corrosion) très accélérée, ou au contraire retardée, lorsqu'ils sont recouverts par certains biofilms, selon le contexte (humide ou sec, acide ou basique, chaud ou froid, eutrophe ou oligotrophe, etc.).

Formation et développement du biofilm

(Informations tirées du Center for Biofilm Engineering, Montana State University [1])

Considérant le biofilm au sens "embryologique" c'est-à-dire comme une entité/unité fonctionnelle de structure multicellulaire organisée, on peut également parler de cycle de développement ou de cycle de vie car le modèle en cinq étapes proposé ci-après peut se répéter indéfiniment:

  1. La première étape est l'adhésion (réversible) de micro-organismes mobiles à une surface, principalement par des liaisons chimiques non covalentes ou faibles. Ces liaisons entre la cellule (surtout ses protéines : les curlis) et la surface d'attachement sont de type van der Waals, électrostatique, ou encore acide-base de Lewis.
  2. Vient ensuite l'adhésion permanente par la formation de molécules protéiniques appelées ligands, et de structures telles que les pili. Ces premiers points fixes augmentent la capacité d'ancrage d'autres micro-organismes en accroissant et en variant les surfaces d'ancrage. Noter que certaines espèces ne sont pas capables de s'ancrer elles-mêmes et s'intègrent à d'autres espèces déjà installées en colonies en s'attachant à leur biofilm. On a ici les prémices de la structure du biofilm: sa diversité de natures et de structures laisse envisager une diversité de fonctions.
  3. Les micro-organismes se divisent, commençant ainsi des microcolonies. À partir d'une concentration suffisamment dense d'individus, les microcolonies commencent la sécrétion du biofilm proprement dit.
  4. Le biofilm grandit et mûrit, s'épaississant jusqu'à devenir macroscopique, voire géant en conditions optimales.
  5. La cinquième étape est la phase de dispersion, dite phase planctonique: induits par le vieillissement du biofilm, certains stress ou carences, les micro-organismes peuvent activement se séparer du biofilm, parfois consommant la matrice qui représente une source d'énergie. Ces micro-organismes retournent à l'état dit "planctonique" de libre circulation et peuvent aller coloniser de nouvelles surfaces, complétant ainsi le cycle. Dans le mode de vie du biofilm et selon ce modèle en cinq étapes, la phase "planctonique" peut alors être vue comme une phase de dispersion.

Chez l'animal et chez l'Homme

Tous les organes internes creux communiquant avec l'environnement extérieur (bouche, tube digestif, vagin..) sont une niche écologique abritant un film d'organismes vivants plus ou moins riche. Ces organismes, bactériens notamment, co-évoluent avec leur hôte et son système immunitaire. Ils jouent un rôle fonctionnel important pour l'organisme, dans la digestion par exemple (et tout particulièrement chez les ruminants). Ce sont parfois des symbiotes (mutualistes), ce sont parfois des pathogènes ou parasites, ou ils le deviennent lorsque des conditions de déséquilibre leur permettent de pulluler (ex : mycose survenant après traitement antibiotique). Chez l'animal on parle alors de "flore" (flore intestinale, flore vaginale..) ou de microbiote.
Certains animaux sont également extérieurement couverts d'un biofilm (le paresseux a les poils qui verdissent en raison d'une algue qui y vit).

Chez la flore

Surtout en zone tropicale, mais aussi en climat tempéré, un biofilm algual et bactérien, fongique et/ou lichénique existe sur les feuilles des arbres, les écorces et les racines. Certaines des bactéries qui le forment deviennent dans certaines circonstances (stress, gel, piqure d'insectes, etc) pathogènes, c'est le cas par exemple d'un pseudomonas commun (Pseudomonas syringae) dont certaines souches provoquent une maladie mortelle chez le marronnier (maladie émergente). Le biofilm bactérien et fongique se développe en été « en épiphyte » et prépare la bonne décomposition des feuilles avant même qu'elles ne tombent (à l'automne en climat tempéré, toute l'année en zone équatoriale).

Utilisation

Si les biofilms sont une source de contamination dans des secteurs tels que l'agro-alimentaire ou le médical, ils peuvent également être utilisés positivement dans les procédés de traitement d'eau usées. Ces procédés utilisent des supports fixes (lit fixe, biofiltre) ou mobiles (moving bed, lit fluidisé) sur lesquels peuvent se développer des biofilms qui participent au traitement de la pollution. Dans le traitement des eaux résiduaires urbaines, ce type de procédé peut remplacer le procédé à boues activées en réduisant la taille des bassins d'aération et en supprimant l'étape de décantation. Les biofiltres aérés sont cependant des procédés intensifs et les coûts énergétiques associés peuvent être plus élevés pour la même quantité de pollution traitée. On peut également utiliser les procédés à biofilm en digestion anaérobie (méthanisation), pour le traitement des eaux usées industrielles riches en matière organique (agro-alimentaire, papeterie, pharmacie...).

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • C. Klingler, A. Filloux et A. Lazdunski (2005) « Les biofilms, forteresses bactériennes », La Recherche, 389.

Références

  1. Costerton J. W., Geesey G. G., Cheng K. J., 1978, How bacteria stick. Scientific American 238 86-95
  2. Ghigo J. M., 2001, Natural conjugative plasmids induce bacterial biofilm development. Nature 412 442-5
  3. Costerton, J. W., 2001, Cystic fibrosis pathogenesis and the role of biofilms in persistent infection. Trends Microbiol. 9:50-52
  4. a  et b G.A. O'Toole, L. A. Pratt, P. I. Watnick, D. K. Newman, V. B. Weaver, and R. Kolter, 1999, Genetic approaches to study of biofilms. Methods Enzymol. 310:91-109
  5. Drenkard, E. 2003, Antimicrobial resistance of Pseudomonas aeruginosa biofilms. Microb. Infect. 5:1213-1219
  6. Aeschlimann, J. R. 2003, The role of multidrug efflux pumps in the antibiotic resistance of Pseudomonas aeruginosa and other Gram-negative bacteria: insights from the Society of Infectious Diseases Pharmacists. Pharmacotherapy 23:916-924
  7. De Kievit, T. R., M. D. Parkins, R. J. Gillis, R. Srikumar, H. Ceri, K. Poole, B. H. Iglewski, and D. G. Storey, 2001, Multidrug efflux pumps: expression patterns and contribution to antibiotic resistance in Pseudomonas aeruginosa biofilms. Antimicrob. Agents Chemother. 45:1761-1770
  8. Poole, K. 2001, Multidrug efflux pumps and antimicrobial resistance in Pseudomonas aeruginosa and related organisms. J. Mol. Microbiol. Biotechnol. 3:255-264
  9. Davies, D. G., M. R. Parsek, J. P. Pearson, B. H. Iglewski, J. W. Costerton, and E. P. Greenberg, 1998, The involvement of cell-to-cell signals in the development of a bacterial biofilm. Science 280:295-298
  10. Hall-Stoodley, L., J. W. Costerton, and P. Stoodley, 2004, Bacterial biofilms: from the natural environment to infectious diseases. Nat. Rev. Microbiol. 2:95-108
  11. Mah, T.-F., B. Pitts, B. Pellock, G. C. Walker, P. S. Stewart, and G. A. O'Toole, 2003, A genetic basis for Pseudomonas aeruginosa biofilm antibiotic resistance. Nature 426:306-310
  12. Parsek, M. R., and P. K. Singh, 2003, Bacterial biofilms: an emerging link to disease pathogenesis. Annu. Rev. Microbiol. 57:677-701
  13. Smith, R. S., and B. H. Iglewski, 2003, P. aeruginosa quorum sensing systems and virulence. Curr. Opin. Microbiol. 6:56-60
  14. W.C. Fuqua, S.C. Winans, E.P. Greenberg, 1994. Quorum sensing in bacteria: the LuxR-LuxI family of cell density-responsive transcriptional regulators. J Bacteriol 176: 269-275
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