Tirailleurs Sénégalais

Tirailleurs Sénégalais

Tirailleurs sénégalais

Yora Comba, 38 ans, lieutenant aux tirailleurs sénégalais, originaire de Saint-Louis (Exposition universelle de 1889)

Les tirailleurs sénégalais sont un corps de militaires constitué au sein de l'Empire colonial français en 1857, principal élément de la « Force noire »[1].

En 1914-1918, ce sont environ 200 000 « Sénégalais » de l'AOF qui se battent dans les rangs français, dont plus de 135 000 en Europe. 30 000 d'entre eux y ont trouvé la mort, et nombreux sont ceux qui sont revenus blessés ou invalides[2].

Les troupes levées en Afrique du Nord, théoriquement non noires, comprenaient en fait aussi des Africains noirs (15 000 noirs au Maroc, pour 30 000 soldats environ), qui servent sous les ordre de Mangin[3].

Sommaire

Les origines des tirailleurs

Tirailleur d'origine bambara (gravure de 1890)
Carré musulman de la nécropole nationale d'Amiens (Saint-Acheul).
Au premier plan, tombe d'un soldat du 45e RTS tombé pendant la Bataille de la Somme

En 1857, Louis Faidherbe, gouverneur général de l’Afrique occidentale française (AOF), en manque d'effectifs venus de la métropole sur les nouveaux territoires d’Afrique, pour faire face aux besoins générés par la phase de colonisation, crée le corps des tirailleurs sénégalais. Le décret fut signé le 21 juillet 1857 à Plombières-les-Bains par Napoléon III. Jusqu'en 1905, ce corps intègre des esclaves rachetés à leurs maîtres locaux, puis des prisonniers de guerre et même des volontaires ayant une grande diversité d'origines. Les sous-officiers proviennent généralement de l'aristocratie locale.

Les tirailleurs sénégalais ne sont pas nécessairement Sénégalais, ils sont recrutés dans toute l'Afrique noire.

Certains Sénégalais, nés Français dans les quatre communes françaises de plein exercice du Sénégal, ne sont pas considérés comme tirailleurs mais l'égalité avec les blancs n'était pas encore la règle[4].

Lors de la Première Guerre mondiale

L'armée d'Afrique défilant à Amiens en 1914 ou 1915
Tirailleurs sénégalais au camp de Mailly, Félix Vallotton, 1917

De nombreux Africains sont morts sur les champs de bataille français de la Première Guerre mondiale. Jacques Chirac, en tant que président de la république française, dans son discours pour le 90e anniversaire de la bataille de Verdun, a évoqué 72 000 combattants de l’ex-Empire français morts entre 1914 et 1918, « fantassins marocains, tirailleurs, d’Indochine (Cochinchine, tirailleurs annamites), marsouins d’infanterie de marine »

Après la guerre franco allemande de 1870, en pleine préparation de la guerre 1914-1918, en 1910, le colonel Mangin dans son livre « La force noire » décrit sa conception de l’armée coloniale, alors même que Jean Jaurès publie de son côté « L’armée nouvelle » où s’exprime le besoin de chercher ailleurs des soldats que les Français ne pouvaient fournir en suffisance en raison d’une baisse de la natalité.

Difficultés de recrutement

Si les proconsuls représentant la France en Afrique ont rapidement proposé plusieurs milliers d’hommes volontaires ou recrutés avec des méthodes proches de celles des siècles précédents, des révoltes contre l’enrôlement ont éclaté plus loin de grandes villes d’Afrique, dont la première de moyenne importance chez les Bambaras du Mali, près de Bamako, a duré environ 6 mois, du printemps 1915 à novembre 1915, annonçant d’autres révoltes plus tenaces dont certaines très durement réprimées en juin 1916 par la France qui a fait tirer son artillerie sur une dizaine de villages fortifiés, tuant plusieurs milliers de civils, dont des enfants qui ont refusé de se rendre[5].

Comme de nombreuses mutineries plus tardives, ces résistances ont été cachées pour ne pas apporter d’éléments supplémentaires à la propagande allemande qui dénonçait le comportement de la France en Afrique, dont le fait qu’elle faisait venir des « barbares » d’Afrique pour les faire combattre sur les fronts européens.

Certains administrateurs français, et les colons acteurs du commerce colonial ont également freiné l’appel sous les drapeaux de jeunes Africains, estimant qu’on les privaient ainsi d’une main d’œuvre jeune qui n’était pas à l’époque abondante en Afrique.

Blaise Diagne devient en 1917 commissaire général aux troupes noires avec rang de sous-secrétaire d'État aux colonies. Il mène avec succès des missions en Afrique occidentale française pour organiser le recrutement militaire en cette période de guerre. De février à août 1918 et de Dakar à Bamako, il essaye de convaincre ses compatriotes de venir se battre en France tout en leurs promettant des médailles militaires, un certificat de bien manger, un habillement neuf et surtout la citoyenneté française aux combattants après la guerre. Les primes aux recruteurs sont aussi fortement augmentées. Il réussit à mobiliser 63 000 soldats en AOF et 14 000 en AEF[6]. Il retrouvera d'ailleurs cette fonction de 1931 à 1932, dans le premier gouvernement de Pierre Laval.

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Pendant la Seconde Guerre mondiale

Fresque murale à Dakar commémorant le massacre de Thiaroye en 1944

Comme lors du précédent conflit, la France utilise pendant la Seconde Guerre mondiale les colonies comme réservoir d'hommes pour son armée. Et tout comme lors de la Première Guerre mondiale, ils sont accusés d'exactions par les Allemands. "Au stade actuel de la recherche, on peut évaluer à un millier le nombre de tirailleurs sénégalais massacrés par les Allemands entre le 24 mai 1940 à Aubigny et le 22 juin 1940 autour de Lyon"[7].

En France se trouve un cimetière militaire avec une architecture sénégalaise, le Tata sénégalais de Chasselay dans le département du Rhône, où ont été regroupés les corps de 188 tirailleurs massacrés dans les environs par une unité SS en juin 1940. Évelyne Berruezo et Patrice Robin en ont fait un film en 1992, intitulé Le Tata.

Les quelques territoires africains ralliés à la France libre lui fournissent les tirailleurs qui constituent les Bataillons de marche de la 1re division française libre ainsi que le régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad de la colonne Leclerc. Les tirailleurs sénégalais du BM 2 s'illustrent notamment à Bir Hakeim.

Le 1er décembre 1944 à 03h, quelques dizaines de tirailleurs sénégalais sont massacrés par l'armée française au camp de Thiaroye au Sénégal. Ousmane Sembène en a fait un film en 1988, intitulé Camp de Thiaroye.

Après la seconde Guerre mondiale: la cristallisation des pensions

Dupont le zouave et Demba le tirailleur sénégalais sur la Place du Tirailleur devant la gare de Dakar

En 1959[8], puis en 1960, le Parlement français a adopté un dispositif dit de « cristallisation », c’est-à-dire du gel de la dette contractée par l'Empire français et qui échoit à la seule métropole, par blocage de la valeur des points de pension à la valeur atteinte lors de l'accession à l'indépendance des pays, dont les anciens tirailleurs étaient ressortissants[9]. Après presque 50 ans de contentieux[10], et après la sortie du film Indigènes évoquant le rôle des troupes nord-africaines en Europe en 1943-1945, le Parlement français a finalement voté le 15 novembre 2006 la revalorisation des pensions des soldats des ex-colonies dans le cadre du budget 2007 des anciens combattants. "84 000 anciens combattants coloniaux de 23 nationalités devraient en bénéficier", s’ils se manifestent.

Le tirailleur dans l'imaginaire métropolitain

Banania : version 1936

Le tirailleur sénégalais a longtemps symbolisé pour les métropolitains, l'Empire français. C'est ainsi que la marque de cacao Banania, dont le personnage emblématique avait d'abord été une belle Antillaise entourée de bananes, modifie son image en 1915, dans le contexte de la Première Guerre mondiale, et porte son choix sur le tirailleur sénégalais[11]. Plusieurs versions ont suivi, plus ou moins stylisées.

Certaines critiques considèrent cet emblème comme porteur des stéréotypes racistes qui ont nourri la caricature du Noir de l'époque (sourire niais, ami des enfants, donc grand enfant et incapable de s'exprimer correctement dans une langue française qu'il se doit de manier) et symbole potentiel du colonialisme (tout comme sa mascotte "L'ami Y'a bon"). Nutrial a utilisé à nouveau ce slogan, ce qui lui a été reproché par des associations comme le Collectif des Antillais, Guyanais et Réunionnais. En 2006, un accord a été trouvé et le slogan à nouveau retiré des produits dérivés de la marque[12].

Bibliographie

  • (en) Myron Echenberg, Colonial conscripts: the Tirailleurs sénégalais in French West Africa, 1857-1960, Portsmouth, N.H., Heinemann ; Londres, Currey, 1991, 236 p. (ISBN 0435080482)
  • (de)(fr) János Riesz et Joachim Schultz (sous la direction de), "Tirailleurs sénégalais" : zur bildlichen und literarischen Darstellung afrikanischer Soldaten im Dienste Frankreichs. Présentations littéraires et figuratives de soldats africains au service de la France, Francfort-sur-le-Main, P. Lang, 1989, 280 p. (ISBN 3631415559)
  • (fr) Rodolphe Alexandre, La Révolte des tirailleurs sénégalais à Cayenne, 24-25 février 1946, 1995, 160 p. (ISBN 2738433308)
  • (fr) Charles Victor Berger, Considérations hygiéniques sur le bataillon de Tirailleurs sénégalais, Université de Montpellier, 1868, 68 p. (Thèse de médecine)
  • (fr) Lucie Cousturier, Des inconnus chez moi (Tirailleurs sénégalais), Paris, 1920, 292 p.
  • (fr) Aissatou Diagne, Le Sénégal et la guerre d’Indochine : Récit de vie de Vétérans, Dakar, Université Cheikh Anta Diop, 1992, 179 p. (Mémoire de Maîtrise)
  • (fr) Eugène-Jean Duval, L'épopée des tirailleurs sénégalais, Paris, L'Harmattan, 2005, 450 p. (ISBN 274758593X)
  • (fr) Jean-Charles Jauffret, Soldats de la plus grande France, Université Montpellier III, article d’armées d’aujourd’hui, mai 1994
  • (fr) Mar Fall, Les Africains noirs en France : des tirailleurs sénégalais aux ... blacks, Paris, L'Harmattan, 1986, 115 p. (ISBN 2858028648)
  • (fr) Historique du 2ème Régiment de Tirailleurs sénégalais, 1892-1933, Paris, 1934, 208 p.
  • (fr) Marc Michel, Les Africains et la Grande Guerre. L'appel à l'Afrique (1914-1918), Karthala, paru le 24 octobre 2003. (source initiale de l'article)
  • (fr) Henriette Marième Niang, Les soldats sénégalais de l’armée coloniale française en Indochine, Dakar, Université de Dakar, 1986, 101 + 3 p. (Mémoire de Maîtrise)
  • (fr) Fayez Samb, La patrouille du caporal Samba : tirailleurs sénégalais à Lyon, Paris, L'Harmattan, 2003, 58 p. (ISBN 2747551156)
  • (fr) Chantal Antier Renaud, Les soldats des colonies dans la première guerre mondiale, Éditions France Ouest, 2008 ISBN 978-2-7373-4283-7
  • (fr) Moulaye Aïdara, " L'histoire oubliée des tirailleurs sénégalais de la seconde guerre mondiale", Éditions Le manuscrit, 2005 ISBN 2-7481-5452-5

Filmographie

  • Document audiovisuel sur l'exposition La France d'outre-mer dans la guerre au Grand Palais en 1945, Les Actualités Françaises[13], 26 octobre 1945, 2' 36 (documentaire)
  • L'histoire oubliée : soldats noirs, réalisé par Éric Deroo, Les Films du Village, ADAV, Paris, 1985-2003?, 52' (DVD)
  • Camp de Thiaroye, un film d'Ousmane Sembène, 1988, 147' (docu-fiction)
  • Le Tata, un film de Patrice Robin et Evelyne Berruezo, 1992, 60' (documentaire)
  • Pour mémoire, un film de Christian Richard, production Handicap International, 1992, 52' (documentaire)
  • La Reconnaissance. Anciens combattants, une histoire d'hommes, un moyen métrage de Didier Bergounhoux et Claude Hivernon, France, 2005[14] (documentaire)
  • Les Enfants du pays, un film de Pierre Javaux avec Michel Serrault, France, 2006[15] (fiction)
  • Le Tata sénégalais de Chasselay, Mémoires du 25° RTS, un film de Dario Arce et Rafael Gutierrez, Productions Chromatiques, TLM, 2007, 52' (documentaire)
  • "Pour mémoire" documentaire 26'. Prod: handicap International/C.Richard 1995. réalisation Christian Richard.

Notes

  1. Cf. Éric Deroo et Antoine Champeaux, La Force noire. Gloire et infortunes d'une légende coloniale, Paris, Tallandier, 2006, 223 p. ISBN : 2847343393
  2. Marc Michel, « Les Africains et la Grande Guerre. L'appel à l'Afrique (1914-1918) », Ed : Karthala, paru le 24 octobre 2003
  3. Marc Michel, op. cit.
  4. Récit d'un franco-sénégalais qui a participé à la libération de la France : [1]
  5. Mission française d’inspection envoyée après la répression, étudiée et citée par l’historien Marc Michel
  6. Les soldats des colonies dans la première guerre mondiale de Chantal Antier Renaud Éditions France Ouest en février 2008 P. 38 ISBN 978-2-7373-4283-7
  7. Jean-Claude Jauffrey
  8. Loi n° 59-1454 du 26 décembre 1959
  9. Voir le site du Sénat français
  10. Voir notamment l'arret Diop du Conseil d'État du 30 novembre 2001, N° 212179
  11. Jean Watin-Augouard, Petites histoires de marques, Éditions d'Organisation- TM Ride, 2003, p. 79-80
  12. Banania abandonne Y a bon !, AgoraVox
  13. Plusieurs plans de tirailleurs sénégalais, à consulter en ligne sur le site de l'INA [2]
  14. Présentation du film La Reconnaissance, avec une histoire des tirailleurs [3]
  15. « Les Enfants du pays, ou la balade des Tirailleurs », article sur Afrik.com [4]

Voir aussi

Liens externes

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