Science et conscience

Science et conscience

Science et conscience

On nomme conscience l'impression qu’ont certains êtres vivants de "se sentir exister". Ce phénomène a été longtemps négligé sur le plan scientifique faute d'outils conceptuels et expérimentaux tandis qu'il faisait l'objet d'intenses débats dans les sphères de la métaphysique ou de la religion. En ce début du XXIe siècle, s'il n’existe pas encore d’explication complète concernant ce phénomène de l'esprit, les sciences cognitives fournissent de plus en plus d'informations à ce sujet. Un philosophe, Daniel Dennett, a été jusqu'à intituler un de ses livres La Conscience expliquée.

Cet article tente une approche scientifique du phénomène appelé conscience.Pour l'approche philosophique, consulter l’article conscience.

Sommaire

Position du problème

Plusieurs approches existent.

L'une, issue du matérialisme, ne postule pas de projet divin ou autre dans la conscience. Cette approche est bien représentée par Richard Dawkins.

Une autre admet, dans différentes variantes, l'existence d'un éventuel monde immatériel, ou d'un "monde des idées". C'est celle de Denys Turner, Sir John Eccles, Roland Omnès ou Alain Connes.

Une troisième est celle de Daniel Dennett.

Pour être complet, il convient de citer aussi celle de Roger Penrose, pour l'originalité de ses vues qui se démarquent des trois précédentes (il admet l'existence d'un monde des idées, tout en le faisant entrer dans un cadre physique/mathématique, donc in fine matérialiste).

Les approches hors matérialisme pur restent considérées à ce jour, 2006, comme marginales.

Contexte matérialiste

L’hypothèse où tout ce qui est observé dans l’univers peut s’expliquer sans faire appel à une intervention divine ou spirituelle est appelée matérialisme. Dans cette conception, tout ce qui existe est formé de matière. La science opère dans un cadre matérialiste. D'après le darwinisme, l’être humain est le produit d'un processus d’évolution par sélection naturelle. On peut donc supposer que la conscience est un caractère ayant été acquis car il apportait un avantage sélectif. Au cours de l'évolution Elle serait devenue nécessaire pour assurer la survie en milieu hostile.

Le scientifique, dans sa tentative d’expliquer la conscience, la définit comme étant une fonction du cerveau. Il existe alors deux possibilités :

  • Il existe des propriétés de la matière que les scientifiques n’ont pas encore découvertes et qui peuvent expliquer le phénomène de la conscience.

La conscience en tant que logiciel

Cette possibilité est très utilisée dans les films de science-fiction où l’on présente, par exemple, des ordinateurs qui absorbent pendant un certain temps les connaissances de certaines personnes dont le corps reste inanimé durant le temps du transfert.

Des chercheurs comme Ray Kurzweil[1] ont envisagé la possibilité d'une survie de l’être humain par le transfert de l’ensemble de son contenu mental dans des réseaux de neurones artificiels dans la perspective que la conscience suivrait ce transfert. Dans de tels scénarios, la conscience est perçue comme un logiciel qui aurait la capacité de quitter le corps pour être transféré sur un autre support, ordinateur ou corps artificiel.

Cette hypothèse amène une question : un logiciel peut être recopié. Que se passerait-il si le logiciel conscience était dupliqué sur plusieurs supports en plusieurs exemplaires ? Si la conscience est un logiciel, il devient possible de créer des ordinateurs conscients (à titre d'exemple, le roman : Destination vide). Si un programmeur pouvait créer un ordinateur si puissant qu'il en devienne conscient, que serait-il capable de faire ? Un programme informatique est une suite d’instructions. La suite d’instructions va-t-elle créer dans l’ordinateur qu'il soit conscient de sa propre existence ? Ou ne sera-t-il capable que de mimer la conscience ?

Cette approche pose un certain nombre de problèmes fondamentaux, soulevés notamment par Roger Penrose.
De la même manière qu'un système formel est fondamentalement limité dans les propositions qu'il peut démontrer (voir Théorème de Gödel), une machine de Turing (sur laquelle un logiciel s'exécute) est également fondamentalement limitée : un ensemble important de problèmes ou de propositions seront inaccessibles à un logiciel donné. Or l'esprit humain se distingue précisément par sa capacité à constamment dépasser ses limites.
De plus, toujours à l'image d'un système formel où tout théorème se ramène en dernière analyse à un axiome (et donc, avec celui-ci, à une tautologie), un logiciel ne peut "créer" ou "inventer" autre chose que ce qui est contenu dans ses données initiales ou dans ses règles d'inférence logique. Tel ne semble pas être le cas (bien au contraire) de l'esprit humain.

On peut noter également les échecs récurrents de l'intelligence artificielle à émuler une conscience[réf. nécessaire], même élémentaire, malgré des puissances de calcul toujours en croissance exponentielle.

La conscience en tant que propriété de la matière

Dans l'hypothèse où la conscience n'est pas un logiciel mais en restant dans la perspective matérialiste, il reste l’hypothèse qu’il existe des propriétés de la matière que les scientifiques n’ont pas encore découvertes. Ces propriétés permettraient à la matière, dans une certaine configuration, de générer le phénomène de la conscience. La mécanique quantique semble à l’heure actuelle être la théorie la plus favorable à la naissance d’une hypothèse pouvant expliquer comment la matière peut générer le phénomène de la conscience car :

  • Les phénomènes quantiques permettent d'envisager d'implémenter des "algorithmes" qui seraient non implémentables sur des machines de Turing, qui possèdent les limitations soulignées au paragraphe précédent (voir aussi ordinateur quantique).
  • L'aspect non encore totalement élucidé de la décohérence quantique permet d'imaginer que celle-ci pourrait être influencée par des paramètres cachés, qui pourraient être source de conscience (l'état des neurones serait ainsi influencé par ces paramètres cachés)

Johnjoe Mac Fadden pense que la conscience est une propriété des champs électromagnétiques généré par le cerveau humain [2].

Roger Penrose explore la possibilité que la conscience puisse être générée par des superpositions quantiques à grande échelle, notamment situées dans les microtubules constitutifs du cytosquelette des neurones.


André Maurois, dans Les Silences du colonel Bramble, compare le fonctionnement de la conscience à un ministère : chaque soir ses employés le quittent pour aller dormir, reviennent le matin, sont renouvelés intégralement tous les quarante ans par le jeu des départs en retraite, et pourtant il s'agit bien du même ministère sans qu'il existe pour autant d'âme immatérielle du ministère.

Contexte spiritualiste

La difficulté à expliquer la conscience dans un contexte matérialiste conduit à l’hypothèse que la conscience est, peut-être, la caractéristique de quelque chose qui n'est pas matériel.

Cette nouvelle conception permet d’éviter certaines des difficultés rencontrées dans le contexte matérialiste, mais pose d'autres problèmes théoriques car elle implique qu’il existe une partie de l’existentiel qui n’a pas encore été abordée par la physique.

L’avantage d’une telle conception est de se dire que si la conscience n’appartient pas au corps physique, elle peut ainsi survivre au renouvellement matériel évoqué plus haut. Et si la conscience survit au renouvellement matériel du corps, il y a des chances qu’elle survive à la destruction finale de celui-ci qu’est la mort physique. On peut aussi supposer que la conscience après la mort réintègre un autre corps puisque certains hypnotiseurs prétendent avoir amené certaines personnes à se rappeler leurs vies précédentes sous hypnose. Le gros point d’interrogation dans ce cas consiste à se demander pourquoi un doute subsiste sur la réincarnation alors qu’il suffit grâce à l’hypnose de faire une étude sérieuse sur un grand nombre de cas pour pouvoir déterminer scientifiquement la réalité du phénomène.

Un des problèmes soulevés par une conception spirituelle de la conscience est de savoir comment celle-ci communique avec le corps physique. Comment la volonté peut-elle agir sur le corps en induisant des influx nerveux dans les nerfs. Sir John Eccles, prix Nobel de physiologie en 1963, invoque la mécanique quantique en postulant l’hypothèse selon laquelle l’esprit interviendrait en modifiant la probabilité d’émission du transmetteur chimique. Le champ de probabilité en physique quantique par l’indétermination qu’il génère au niveau physique permettrait au monde spirituel de contrôler le monde physique[3].

Autres considérations

Rapport entre la conscience et l'écoulement du temps

Tout le monde a très probablement remarqué le fait suivant :

  • Lorsqu’on vit une expérience désagréable, le temps semble s’écouler plus lentement.
  • Lorsqu’on vit une expérience agréable, le temps semble s’écouler plus rapidement.

Cette constatation nous mène à nous poser une question fondamentale. Puisque l’écoulement du temps nous paraît si différente selon les moments, qu’en est-il de l’écoulement réel du temps indépendamment de nous ?

Nous avons une sensation de l’écoulement du temps, mais cette sensation étant différente selon les moments, nous pouvons penser que l’écoulement du temps que nous croyons réelle n’est peut-être qu’une illusion, une sensation programmée dans notre cerveau. À quelle vitesse le temps peut-il s’écouler si nous-mêmes avons une perception si variable de son écoulement ?

Frank Tipler introduit une notion de temps subjectif qui se distingue du temps physique. Selon Tipler, une unité de temps subjectif correspond à une information traitée (l'esprit étant considéré comme un un système de traitement). La sensation d'écoulement du temps serait donc différente selon la quantité d'information que l'esprit humain est en mesure de traiter et donc dépendrait du stade d'évolution de celui-ci.

Des considérations en théorie des cordes amènent à penser que le temps physique ne s'écoule pas. La conscience parcourrait le temps qui est figé, un peu comme une voiture parcourt une route.

La situation se complique lorsque l'on se place dans le cadre de la théorie d'Everett. Dans ce cadre, l'évolution du monde n'est pas linéaire mais arborescente. À chaque instant[4] l'évolution emprunte simultanément toutes les possibilités prévues par la mécanique quantique, et on peut alors légitimement se poser la question de savoir ce qu'il advient de la conscience individuelle. Notre conscience se divise-t-elle aussi pour coexister simultanément dans des mondes parallèles ? Paul Jorion répond négativement à cette question. Selon lui, la conscience emprunterait le chemin d'évolution qui est le plus favorable pour elle[5].

Niveaux de conscience

Il existerait plusieurs niveaux de conscience :

  • La conscience primaire (consciousness), au sens général, qui serait l'état le plus primaire et le plus basique du phénomène de conscience (représentation consciente de l'environnement et du corps du sujet).
  • La conscience introspective ou réflexive, qui correspondrait à une représentation consciente des représentations (être conscient d'avoir conscience).
  • La conscience de soi (self-awareness), qui serait un état supérieur de conscience, où le psychisme accède à une connaissance claire et immédiate, non seulement de son activité, mais en plus de son identité propre et singulière, et tel que l'auteur de sa propre activité (capacité du sujet à se percevoir comme étant l'auteur de ses pensées).

(remarque : la conscience de soi est à distinguer de la reconnaissance de soi (self-recognition), capacité cognitive – généralement inconsciente – d'un organisme à se reconnaître à partir d'informations sensorielles olfactives, auditives, visuelles, ...)

Les états de conscience

La conscience n’est pas constamment présente dans la vie de l’individu. Elle semble s’estomper dans certaines circonstances. C’est notamment le cas dans le sommeil, le coma ou l'évanouissement.

Des études particulières ont été entreprises par différents chercheurs sur les différents états de conscience. Les états les plus classiques étant la veille, le rêve et le sommeil. Il semblerait toutefois qu'il existe d'autres états de conscience.

Déjà, Freud parlait d'un état de rêve éveillé. Les études sur le rêve éveillé ont été reprises par Robert Desoille ainsi que par d'autres chercheurs comme Patricia Garfield et Frederick Van Ecden.

Certains chercheurs, comme Bernard Auriol, ont défini un état de veille paradoxale de même que l'on définit le sommeil paradoxal[6].

D'autres états de conscience plus évolués semblent être obtenus par des yogis. Le docteur Herbert Benson, après avoir reçu l'autorisation du Dalaï Lama, a procédé à des études sur des moines tibétains qui pouvaient, grâce à la méditation, se mettre dans des états de conscience particuliers [7]. La sophrologie, créée par Alfonso Caycedo, est une science qui étudierait les modifications de la conscience humaine.

Neurobiologie de la conscience

Historique

Il est communément admis que la conscience est localisée dans le cerveau.

Descartes localisait la conscience dans la glande pinéale.

Sigmund Freud localisait la conscience sur la couche externe du cerveau. La couche interne, selon lui, correspondait à l’inconscient.

Plus récemment le prix Nobel Roger Sperry, après avoir sectionné le corps calleux et la commissure antérieure reliant les deux hémisphères du cerveau dans le but de soulager les personnes atteinte de l’épilepsie, constata une forme de dédoublement de la conscience. Une des deux consciences était verbale et analytique et semblait correspondre à l’hémisphère gauche du cerveau. L’autre conscience, plus subjective, semblait correspondre à l’hémisphère droit du cerveau. Roger Sperry en déduisit que la conscience n'est pas localisée à un endroit particulier dans le cerveau. Selon lui, c’est comme si toutes les parties du cerveau y contribuaient en concert[8].

Synthèse actuelle

La conscience n'existerait que chez les primates ayant un système nerveux très développé et elle apparaîtrait progressivement dans l'enfance, consécutivement au développement des réseaux de neurones connectant entre elles les régions les plus complexes du cerveau (aires associatives polymodales). Sous toutes réserves, la fonction de la conscience serait le contrôle supérieur des activités cérébrales les plus complexes.

Il semblerait, en fonction des données actuellement disponibles, que les structures neurales dont l'organisation spécifique serait à l'origine du phénomène de conscience seraient un ou des réseaux de circuits spécialisés, phylogénétiquement récents, localisés dans les régions frontales (cortex frontal) et dans les régions corticales associatives postérieures (précunéus et gyrus cingulaire postérieur) de l'hémisphère dominant ou langagier (l'hémisphère gauche chez 95% des personnes).

Au niveau fonctionnel, pour qu'il puisse exister la conscience d'un objet spécifique, il faudrait, à la fois, que le module cérébral qui traite de cet objet soit intensément et durablement actif (durée supérieure à 250 ms), et, en plus, que les réseaux de circuits spécialisés localisés dans les régions frontales et corticales associatives postérieures de l'hémisphère dominant ou langagier soient également et simultanément actif.

Pour donner un exemple, la vision consciente d'un objet impliquerait une activité intense et supérieure à 250 ms dans le cortex occipital (qui est le cortex visuel) et également dans le réseau impliqué dans la conscience (le cortex frontal, ainsi que le précunéus et le gyrus cingulaire postérieur de l'hémisphère dominant).

Les données scientifiques étayant ce court résumé proviennent, principalement, d'une synthèse des travaux de Edelman G.M. , Delacour J. , Sperry R.W., Laureys S. , Jeannerod M. , et Gazzaniga M.S.

Certaines pistes actuelles permettent également d'envisager une explication des mécanismes de la conscience dans le cadre matérialiste, et notamment les travaux de Gilbert Chauvet, qui est le premier à avoir posé les bases d'une véritable théorie (au sens mathématique du terme) des systemes biologiques et se propose d'étudier biologiquement la conscience, sans sombrer dans le réductionnisme.

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean-Pierre Changeux : L'homme neuronal.
  • Gerald Edelman :
    • La biologie de la conscience.
    • Comment la matière devient conscience.
    • Plus vaste que le ciel : Une nouvelle théorie générale du cerveau.
  • Johnjoe Mac Fadden : L'évolution quantique, une nouvelle théorie de la vie.
  • Jacques Demaret, Dominique Lambert : Le principe anthropique.
  • Roger Penrose : Les ombres de l'esprit.
  • Dalaï Lama : Espritscience dialogue orient-occident.
  • John Carew Eccles :
    • Évolution du cerveau et création de la conscience.
    • Comment la conscience contrôle le cerveau.
  • Revue Pour la Science :
    • N°220 Qu'est-ce que la conscience. (Février 1996).
    • N°267 Le cerveau et l'esprit. (Janvier 2000).
    • N°302 La conscience. Numéro spécial, 2002 (avec Delacour J, Laureys S, etc.)
  • Roger Sperry
  • Marc Jeannerod. Traitement conscient et inconscient de l'information perceptive. Revue internationale de psychopathologie, I:13-34, 1990
  • Michael S Gazzaniga, Richard B Ivry, George R Mangun. Cognitive neuroscience : the biology of the mind. Norton & Company, 2nd edition, 2002

Références

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