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Rhinocéros célèbres en Europe
Cet article est une liste des rhinocéros qui sont parvenus vivants dans le bassin méditerranéen et en Europe, du IIIe siècle av. J.-C. jusqu'au XVIIIe siècle. De par la rareté de cet animal et son aspect terrifiant, les premières apparitions du rhinocéros dans le monde européen ont marqué les mémoires.
Antiquité (IIIe s. av. J.-C. - IIIe s. ap. J.-C.)
Le rhinocéros de Ptolémée Philadelphe (263 av. J.-C.)
Rhinocéros africain. Capturé en Afrique orientale, ce rhinocéros a fait partie de la procession dionysiaque organisée à Alexandrie par le roi Ptolémée II Philadelphe, en 262 avant J.-C. C'est le premier rhinocéros connu à parvenir vivant au bord de la Méditerranée.
Source : Callixène de Rhodes, Histoire d'Alexandrie, livre IV. Ce texte est perdu, mais la description de la procession dionysiaque a été recopiée par Athénée de Naucratis (le Banquet des Sophistes). Callixène l'appelle rhinocéros éthiopique.
Le rhinocéros d'Artémidore d'Ephèse (fin du IIe s. av. J.-C.)
Rhinocéros africain. Il est probable que les rois lagides aient fait venir pour leur ménagerie d'Alexandrie d'autres rhinocéros au cours du IIIe et du IIe s. av. J.-C., mais on n'en a pas la preuve. Le seul qui soit attesté est celui que, selon Strabon, Artémidore d'Ephèse (auteur d'une Géographie vers 104-101 av. J.-C.) aurait vu de ses yeux à Alexandrie. C'était très vraisemblablement un rhinocéros d'Afrique.
Le rhinocéros de Pompée (55 av. J.-C. ?)
Rhinocéros indien. Selon Pline l'Ancien, le premier rhinocéros vu à Rome est un rhinocéros à une corne (donc indien ?) produit sous Pompée lors des jeux de 55 av. J.-C., pour l'inauguration du nouveau complexe sur le Champ-de-Mars. Cette information est contredite par Dion Cassius qui prétend que le premier rhinocéros vu à Rome arriva sous Octave, en 29 av. J.-C. Cicéron, qui assista aux jeux de 55 et en laissa une description dans sa correspondance, parle de nombreux éléphants mais pas de rhinocéros.
Le rhinocéros d'Octave (ex-rhinocéros de Cléopâtre ?) (29 av. J.-C.)
Rhinocéros indien. Selon Dion Cassius, au cours des jeux donnés par Octave en 29 av. J.-C. pour célébrer son triomphe sur l'Égypte, un rhinocéros unicorne (donc indien ?) fut du spectacle. Selon Suétone, cet animal fut d'abord (ou ensuite) exposé au public dans le Portique des Saepta, sur le Champ-de-Mars.
Cet animal faisait partie du butin qu'Octave avait rapporté d'Egypte l'année précédente. Lors d'une escale à Corinthe entre Alexandrie et Rome, ce rhinocéros a été exposé pour le public ; le géographe Strabon a eu l'occasion de le voir, et d'en rédiger une description détaillée.
Que faisait ce rhinocéros indien à Alexandrie ? Sans doute s'agissait-il d'un cadeau diplomatique offert par un royaume indien à Cléopâtre. On sait que cette dernière entretenait des relations avec l'Inde (elle tentera après Actium d'y envoyer son fils Césarion, selon Plutarque) et peu de temps après une ambassade indienne fut envoyée à son vainqueur et successeur Octave.
Le rhinocéros d'Auguste (8 ap. J.-C.)
Espèce indéterminée. Selon Dion Cassius, au cours des jeux donnés à Rome par Auguste au nom de Germanicus et de son frère en l'an 8 ap. J.-C., un combat fut organisé entre un rhinocéros et un éléphant. C'est l'éléphant qui le remporta.
Le rhinocéros de Domitien (86 ou 88 ap. J.-C.)
Rhinocéros africain. Lors des Jeux Capitolins de 86 ou des Jeux séculaires de 87, un rhinocéros à deux cornes (donc africain) fut opposé à un ours. C'est le rhinocéros, d'abord indécis, qui gagna. Le combat fut immortalisé par une épigramme du poète Martial. Peut-être le rhinocéros fut-il aussi opposé à un taureau, avec le même résultat.
L'image de ce rhinocéros fut reproduite sur de petites monnaies de bronze appelées quadrantes, certaines datées de Domitien, d'autres sans nom d'empereur. Sur ces monnaies au rhinocéros figurent aussi parfois des emblèmes de la déesse Minerve.
Les rhinocéros d'Antonin le Pieux (vers 148)
Rhinocéros africains. L'Histoire Auguste signale qu'Antonin le Pieux fit paraître des rhinocéros dans les jeux du cirque qu'il organisa (peut-être ceux qui fêtèrent le 900e anniversaire de la fondation de Rome). Ce pluriel étonnant est confirmé par Pausanias, qui dit avoir vu des rhinocéros, qu'il appelle taureaux éthiopiques, dans une ménagerie de Rome. La description qu'il en donne est celle de rhinocéros d'Afrique à deux cornes, et la date de son séjour à Rome se situe dans les années 140.
Les rhinocéros de Commode (181-192 ?)
Espèce indéterminée. Dion Cassius dit que Commode, se produisant personnellement dans l'arène, tua une foule d'animaux exotiques, dont plusieurs rhinocéros. On n'a pas d'autre information à ce sujet.
Le rhinocéros de Caracalla (211-217)
Espèce indéterminée. Dion Cassius mentionne un rhinocéros (au singulier cette fois) parmi les animaux qui furent produits au cours des jeux donnés par Caracalla. On n'a pas d'autre information sur cet animal.
Le rhinocéros d'Héliogabale (218-222)
Espèce indéterminée. La seule source qui mentionne la présence de cet animal à Rome est l'Histoire Auguste, source très tardive et peu fiable, dans la mesure où son auteur invente souvent des faits complètement fictifs.
Pour mémoire, donc, selon l'Histoire Auguste, l'empereur Héliogabale avait organisé une ménagerie d'animaux égyptiens : « Il eut en sa possession à Rome de ces petits serpents égyptiens que l’on nomme là-bas « bons génies », ainsi que des hippopotames, un crocodile, un rhinocéros et toutes les autres espèces animales d’Égypte que leur nature permettait de montrer. ». Ce rhinocéros était réputé égyptien (tous les rhinocéros parvenant à Rome depuis l'origine, qu'ils fussent africains ou indiens, passaient par le port d'Alexandrie). Celui d'Héliogabale fut semble-t-il le seul à échapper aux jeux du cirque.
Le rhinocéros du Millénaire de Rome (248)
Espèce indéterminée. L'Histoire Auguste donne la liste des animaux qui furent produits dans l'Amphithéâtre par l'empereur Philippe l'Arabe au cours des Jeux séculaires de 248, marquant le 1000e anniversaire de la fondation de Rome. Dans cette liste figure un rhinocéros. La plupart de ces animaux avaient été rassemblés plusieurs années auparavant par Gordien III en prévision de son triomphe sur les Perses, mais Gordien fut tué pendant cette guerre et c'est son successeur qui hérita de la prodigieuse ménagerie. Ce rhinocéros fut le dernier à être signalé en Occident, avant celui de 1515.
Époque moderne (XVIe-XVIIIe s.)
Le rhinocéros de 1515 (1515-1516)
Rhinocéros indien, connu sous le nom de gomda, du terme indien ganda. Offert par le roi Muzaffar II de Cambaye, en Inde, à Afonso de Albuquerque en 1514, cet animal fut envoyé au roi Emmanuel Ier de Portugal à Lisbonne, où il débarqua le 20 mai 1515. Aussitôt identifié comme le rhinoceros dont parlaient les Anciens, il devint la vedette de la ménagerie royale, le centre d'intérêt des savants.
Le rhinocéros devint immédiatement une célébrité européenne. Une lettre le décrivant, accompagnée d'un assez bon croquis, parvint à Nuremberg où, d'après ce document aujourd'hui perdu, Albrecht Dürer réalisa d'abord un dessin intitulé RHINOCERON 1515, puis une célèbre gravure sur bois intitulée RHINOCERVS 1515. D'après ce même document, Hans Burgkmair réalisa de son côté une gravure sur bois assez différente, intitulée RHINOCEROS MDXV, mais qui eut beaucoup moins de succès. D'après un document analogue parvenu en Italie, Giovanni Giacomo Penni publia à Rome le 13 juillet 1515 un poemetto sur la bête : Forma & natura & costumi de lo rinocerothe stato condutto importogallo dal Capitanio de larmata del Re & altre belle cose condutte dalle insule nouamente trouate.
En décembre, Emmanuel Ier, qui avait déjà offert au Pape Léon X l'éléphant Hannon, décida de lui envoyer le rhinocéros avec une ambassade fastueuse. La bête reprit la mer, et la nef portugaise qui le transportait relâcha en janvier 1516 sur l'île d'If, face à Marseille. Le 24 janvier, le roi de France François Ier se rendit sur l'île avec sa cour afin de voir le reynoceron ; puis la nef repartit, mais fit naufrage au large de Portovenere, près de La Spezia. Le pauvre rhinocéros périt dans cette fortune de mer, et on ne sait pas précisément ce qu'il advint de son corps : il aurait été récupéré et sa dépouille offerte au Pape (mais le Vatican dément toujours officiellement posséder aucune peau de rhinocéros dans ses archives secrètes).
Références
Article détaillé : Rhinocéros de Dürer.Abel Fontoura da Costa : Les déambulations du Rhinocéros de Modofar, Roi de Cambaye, de 1514 à 1515, Lisbonne (Agencia Geral das Colónias) 1937.
Donald F. Lach, Asia in the Making of Europe, vol. II, Chicago-Londres (University of Chicago Press) 1970, p. 161-168.
Le rhinocéros de Philippe II d'Espagne (1577 - après 1586)
Rhinocéros indien. C'était sans doute une femelle, connue sous le nom de lbada ou abada, d'après le nom malais de l'animal. En 1577, cet autre rhinocéros débarqua à Lisbonne à la ménagerie du roi fou Sébastien Ier de Portugal, auquel succéda Henri Ier l'année suivante. C'est le deuxième rhinocéros de l'Europe moderne. Par mesure de sécurité, on lui scia la corne (qui a sans doute repoussé par la suite).
Quand, en 1582, le roi Philippe II d'Espagne recueillit la succession d'Henri Ier et réunit les couronnes d'Espagne et de Portugal, il hérita du rhinocéros qu'il fit d'abord transporter dans sa ménagerie de la Casa de Campo, près de Madrid. Le 16 octobre 1583 Philippe II le fit transférer dans sa ménagerie de l'Escorial. Le transfert ne se passa pas sans incident : on voulut rafraîchir la pauvre bête en l'aspergeant de seaux d'eau, ce qui l'énerva et la "abada" renversa tout sur son passage. Elle fut ensuite exposée au public à l'Escorial et présentée aux ambassadeurs japonais en 1584. Sans doute mourut-elle avant 1588. Une rue de Madrid proche de la Puerta del Sol, la Calle de la Abada, porte toujours son nom.
Son image nous a été conservée par une gravure de Philippe Galle exécutée en 1586.
Réf.: J. Puerto, La leyenda verde. Naturaleza, sanidad y ciencia en la corte de Felipe II (1527-1598). Valladolid : Castilla y Leon. consejeria de Educacion y Cultura, 2003, p. 186.
Le rhinocéros londonien de 1684 (1684-1686)
Rhinocéros indien. C'est le troisième de l'Europe moderne, un siècle après la mort du second. Ce rhinocéros, provenant dit-on de la Cour de Golconde, fut ramené par le capitaine Henry Udall à bord du Herbert, un navire de la Compagnie anglaise des Indes orientales. Il débarqua à Londres en janvier 1684 et fut aussitôt vendu pour 2000 livres à un entrepreneur privé pour être exposé à la Bartholomew Fair, ou à l’auberge de la Belle Sauvage de Ludgate Hill. Le public paye 1 shilling pour le voir, 2 shillings pour avoir le droit de le chevaucher. La Belle Sauvage encaissait jusqu'à 15 livres par jour. C'est le premier rhinocéros privatisé (et sans doute rentable) de l'histoire : depuis celui de Ptolémée II Philadelphe, en passant par tous les empereurs romains, jusqu'à celui de Philippe II d'Espagne, la possession d'un rhinocéros avait toujours été en Occident monopole royal ou impérial. Ce rhinocéros vécut à Londres près de deux ans et demi, et mourut en 1686.
Le rhinocéros londonien de 1739 (1739-1741)
Rhinocéros indien mâle. C'était un petit rhinocéros de moins de deux ans acquis en 1738 par Humphrey Cole, directeur d'une factorie de la Compagnie des Indes britanniques à Patna sur le Gange, et ramené par le Capitaine Acton à bord du Lyell. Il débarqua à Londres le 1er juin 1739 accompagné de son gardien indien, et fut exposé au public à partir du 15 juin à Eagle Street, près de Red Lion Square.
Ce rhinocéros suscita la curiosité du monde savant britannique. James Douglas fit deux communications à son sujet en 1739 devant la Royal Society, et James Parsons en fit une autre le 9 juin 1743, accompagnée de croquis, communication qui constitue la première étude scientifique de cet animal. Entre-temps le pauvre rhinocéros était mort en 1741. Parsons utilisa ses croquis pour réaliser deux grands tableaux représentant l'animal ; l'un a disparu depuis le XVIIIe siècle, l'autre, une huile sur toile de 122 x 147 cm représentant le rhinocéros dans un paysage imaginaire, est visible au Natural History Museum de Londres.
Références
Parsons J., "A letter from Dr Parsons to Martin Folkes, Esq., President of the Royal Society, containing the natural history of the Rhinoceros", Philosophical Transactions (Royal Society) 42 (1742-43), pp. 523-541, pls.1-3.
Clara le rhinocéros (1741-1758)
Rhinocéros indien femelle. C'est le cinquième rhinocéros à parvenir vivant dans l'Europe moderne, et le second à gagner une célébrité internationale qui ne se compare qu'à celle du rhinocéros de 1515.
Âgée d'un an, Clara (dont la mère avait paraît-il été tuée par des chasseurs indiens) avait été adoptée par Jan Albert Sichterman, directeur au Bengale de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC). Il l'appela Clara. Elle était parfaitement apprivoisée et circulait librement dans la demeure de son maître. En 1740, Sichterman la donna ou la vendit au capitaine Douwe Mout van der Meer, commandant du Knappenhof qui retournait en Hollande. Clara débarqua à Rotterdam le 22 juillet 1741 et, comme l'avaient été les rhinocéros anglais de 1684 et 1739, fut immédiatement exposée au public.
Le succès rencontré par ces expositions incita Douwe Mout van der Meer à quitter la VOC en 1744 et à entreprendre une tournée européenne avec son rhinocéros. On lui construisit un véhicule spécial adapté aux longues étapes terrestres, et la tournée rencontra un succès prodigieux. Clara avait été exposée à Bruxelles dès 1743, puis à Hambourg en 1744.
La tournée débute véritablement au printemps 1746 : Hanovre, puis Berlin, au Spittelmarkt. Le 26 avril, le roi Frédéric II de Prusse vient la voir. Puis c'est Francfort-sur-l'Oder, Breslau (Wrocław), enfin Vienne, où elle fait une entrée triomphale escortée de huit gardes empanachés. Le 5 novembre, l'Empereur François Ier, l'Impératrice Marie-Thérèse et l'Impératrice douairière viennent la voir. En 1747, elle passe à Munich, Ratisbonne, Freiberg, le 5 avril à Dresde (où elle pose pour Johann Joachim Kaendler de la Manufacture de porcelaine de Meissen, et où elle reçoit le 19 avril la visite d'Auguste III, Électeur de Saxe et roi de Pologne), le 23 elle est à Leipzig pour la Foire de Pâques, dans une baraque de la Petersthor. En juillet elle est hébergée à l'orangerie du château de Kassel, invitée par le Landgrave Frédéric II de Hesse. En novembre, elle est à Mannheim, à l'Auberge du Paon (Gasthof zum Pfau) où elle reçoit la visite de l'Electeur Palatin Carl-Theodor et de sa famille ; en décembre elle est à Strasbourg pour la Foire de Noël. En 1748, elle passe à Berne, Zurich, Bâle, Schaffhouse, Stuttgart, Augsbourg, Nuremberg et Würzburg.
Après un probable retour à Leyde, elle prend la route de la France. En décembre 1748, elle passe à Reims, et est reçue en janvier 1749 par le roi Louis XV à la Ménagerie royale de Versailles. À partir de février, elle passe cinq mois à Paris dans une baraque de la foire Saint-Germain, rue des Quatre-Vents. Le succès est prodigieux et confine au délire, on publie à son sujet des livres, des épigrammes, même une cantatille ; on lance la mode des perruques ou des parures à la rhinocéros. Clara est examinée par Buffon, pose pour le peintre Jean-Baptiste Oudry (son Rhinocéros grandeur nature sera une des vedettes du Salon de 1750, et servira de modèle pour les gravures de l'Histoire Naturelle de Buffon) ; on baptisera même Rhinocéros un vaisseau de la Marine Royale lancé à Rochefort en 1751. Fin 1749, Clara s'embarque à Marseille et entreprend une tournée italienne : Naples, dans une baraque près de Castelnuovo, Rome en mars 1750, aux Thermes de Dioclétien (enfin un rhinocéros est de retour à Rome, 1500 ans après celui de Philippe l'Arabe !). C'est à Rome que, pour des raisons de sécurité sans doute, on lui scie sa corne. Elle passe ensuite en août à Bologne puis en octobre à Milan, dans une baraque de la Piazza Mercanti. En janvier 1751 elle arrive à Venise où elle est une des attractions majeures du carnaval le mois suivant, posant pour le peintre Pietro Longhi. Elle aurait rapporté 4000 ducats à Venise, dont son maître Douwe Mout van der Meer aurait reperdu une grande partie aux tables de jeu du Ridotto. Puis, en passant par Vérone, Clara revient à Vienne, pour gagner Londres à la fin de l'année, où le roi et la famille royale viennent l'admirer.
On connaît moins en détail sa tournée dans les années 1752-1758. On signale son passage à Prague, en 1754 à Varsovie, Cracovie et de nouveau à Breslau (Wrocław), en 1755 à Copenhague. En 1758 elle est de retour à Londres, visible pour 6 pence ou 1 shilling au Horse and Groom à Lambeth Market. Elle y meurt âgée de 20 ans le 14 avril 1758.
Dès 1748 Douwe Mout van der Meer proposait au public, outre bien sûr le spectacle payant (avec plusieurs classes), toute une gamme de produits dérivés adaptés à toutes les bourses : des gravures de différents formats, des médailles souvenirs fabriquées à Nuremberg en argent ou en bronze, voire (au début de la tournée du moins) des fioles d'urine de Clara censées avoir des vertus curatives.
Le rhinocéros de Louis XV (1770-1793)
Rhinocéros indien mâle. C'est le sixième de l'époque moderne. Acquis pour le roi en 1769 par le gouverneur Chevalier de Chandernagor, il fut ramené à Lorient par le capitaine François Magny à bord du Duc de Praslin. Lors d'une escale à l'Île de France (Île Maurice) le public fut admis à bord pour venir le voir. Bernardin de Saint-Pierre, qui faisait partie des visiteurs, remarqua que si le rhinocéros était « fort et méchant», comme le note François Magny sur le journal de bord, il tolérait comme amie une petite chèvre qui partageait son foin entre ses pattes.
L'animal débarqua à Lorient le 4 juin 1770, et dut attendre deux mois et demi que l'on prépare un véhicule spécial pour le transporter jusqu'à la Ménagerie Royale de Versailles, sa destination ultime. Il y parvint après bien des péripéties le 11 septembre. Ce rhinocéros fut exposé au public pendant 22 ans, bien que la Ménagerie Royale ait commencé à décliner à partir de 1785.
Pendant les troubles de la Révolution, des sans-culottes bien intentionnés auraient un moment vu dans la Ménagerie Royale une autre Bastille, mais la perspective de relâcher dans la nature un rhinocéros et un lion les aurait fait renoncer à leur projet. Plus sérieusement il fallait fermer cette ménagerie que plus personne ne visitait et qui n'abritait plus en 1792 qu'un lion du Sénégal, un bubale, un quagga, quelques paons et le vieux rhinocéros qui allait vers son quart de siècle (record à l'époque pour un rhinocéros en captivité, il faut rendre cet hommage au personnel de la Ménagerie Royale). L'Intendant écrivit donc à Bernardin de Saint-Pierre, qui était à l'époque Directeur du Jardin National des Plantes à Paris, pour lui suggérer de transférer les animaux dans la capitale qui ne possédait pas encore de zoo. Bernardin de Saint-Pierre fit le déplacement à Versailles, reconnut notamment le rhinocéros qui venait chercher les caresses à travers les barreaux de son enclos, et rédigea à son retour un Mémoire sur la nécessité de joindre une ménagerie au Jardin national des plantes de Paris, adressé au Ministre de l'Intérieur.
Le projet fut mené à bien puisqu'on visite toujours aujourd'hui la ménagerie du Jardin des Plantes. Mais le rhinocéros n'y arriva pas vivant, tué par un coup de sabre. Une note de Georges Cuvier (1769-1832) signale qu'on le retrouva mort dans son bassin de Versailles le 2 vendémiaire an II (23 septembre 1793). Sa dépouille fut transférée à Paris, au tout nouveau Muséum national d'histoire naturelle, où elle fut disséquée et naturalisée par Jean-Claude Mertrud et Félix Vicq d'Azyr. C'est la première opération de taxidermie moderne sur un animal de cette taille. Cette naturalisation eut lieu sous une tente dressée devant l'amphithéâtre du Museum, fin septembre, dans des conditions telles que lorsque Félix Vicq d'Azyr mourut l'année suivante en 1794 à 46 ans, certains l'attribuèrent à cette opération.
Le squelette du rhinocéros de Louis XV se trouve aujourd'hui exposé dans la Galerie d'Anatomie Comparée, tandis que l'animal naturalisé, sa peau vernie tendue sur une armature cylindrique de chêne et de cerceaux de noisetier, et récemment restauré, est visible depuis 1994 au troisième niveau de la Grande galerie de l'évolution. Au moment de sa restauration en 1992 on se rendit compte que sa corne ne lui appartenait pas : c'était une corne de rhinocéros noir africain qui lui avait été rajoutée, l'originale ayant disparu. Elle fut remplacée par le moulage d'une corne tronquée de rhinocéros indien, provenant des anciennes collections royales, corne qui peut d'ailleurs avoir appartenu au rhinocéros de Louis XV.
Bibliographie
Rookmaaker L. C., "Captive rhinoceroses in Europe from 1500 until 1810", Bijdragen tot de dierkunde 43 (1973), pp 39-63.
Rookmaaker, L.C., 1998, "The rhinoceros in captivity: a list of 2439 rhinoceroses kept from Roman times to 1994 [with special assistance by Marvin LJones, Heinz-Georg Klos, Richard J Reynolds III]. The Hague, SPB Academic Publishing bv: pp. i-vi, 1-409, 1 pl, figs. 1-166, tables 1-4"
Voir aussi
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