Raisonnements Fallacieux

Raisonnements Fallacieux

Sophisme

Un sophisme, ou argument à logique fallacieuse, est un raisonnement qui apparaît comme rigoureux et logique, mais qui en réalité n'est pas valide (à ne pas confondre avec vrai). À l'inverse du paralogisme, il y a volonté de tromper. Le sophisme repose sur le moteur du syllogisme, ou de l'enthymème (avec un argument éludé). L'adjectif fallacieux désigne ce qui est trompeur ou mensonger. La logique désigne en rhétorique l’art de construire un discours cohérent.

Certains sophismes sont fautifs à cause d'une insuffisance de leurs prémisses, d'autres à cause de l'absence de pertinence des prémisses vis-à-vis la conclusion[1].

Les logiques fallacieuses ont été expliquées et décortiquées à des fins pédagogiques : par exemple, lors de discussions enflammées, il est utile de différencier ce qui tient de la logique, de ce qui n'en tient pas. Une logique fallacieuse est une logique « fausse », indépendamment de la véracité des postulats et de la conclusion. De fait ces derniers sont directement issus de l’ouvrage L'Art d'avoir toujours raison (1830-1831) qui est une œuvre de Schopenhauer, et les arguments originels ont été étendus par la suite.

Il est difficile de détecter les logiques fallacieuses, et elles sont assez souvent efficaces pour convaincre. Le présent article a pour but dans un premier temps de définir ce que sont des arguments fallacieux, et ensuite de présenter une liste non-exhaustive de ces derniers qui sont traditionnellement nommés en latins. On remarquera que pour quelques uns d'entre eux, le formalisme mathématique permet de démontrer le caractère erroné du raisonnement (par exemple la manipulation statistique ou probabiliste).

Aristote a écrit Les Réfutations sophistiques, où il expose les différents sophismes et les moyens de les réfuter.

Sommaire

Exemples

Article connexe : syllogisme.

1. Plus il y a d'emmental, plus il y a de trous.

Plus il y a de trous, moins il y a d'emmental.
Donc plus il y a d'emmental, moins il y a d'emmental.

2. Tout ce qui est rare est cher,

Un cheval bon marché est rare,
Donc un cheval bon marché est cher.

3. La mort est un état de non-être.

Ce qui n'est pas, n'existe pas.
Donc, la mort n'existe pas[2].

Classification de Mill

John Stuart Mill, dans son ouvrage Système de logique déductive et inductive (1843), étudie les sophismes. Il propose une classification, laquelle est constituée en quatre groupes :

  1. « Des sophismes de simple inspection, ou sophismes a priori »[3]. Il s'agit « des cas où il n'y a pas de conclusion tirée, la proposition étant acceptée, non comme prouvée, mais comme n'ayant pas besoin de preuve, comme vérité évidente en soi, ou du moins comme d'une si grande vraisemblance intrinsèque, que la preuve externe, bien qu'insuffisante par elle-même, suffit comme adjuvant de la présomption antérieure ».
  2. Les « sophismes d'observation ». Ce sont les sophismes qui consistent en un mode vicieux de procéder dans l'opération de la preuve. Et comme une preuve, dans toute son étendue, embrasse un ou plusieurs ou la totalité de trois procédés, l'observation, la généralisation, et la déduction, il faut examiner les erreurs qui peuvent être commises dans ces trois opérations[4]. Un sophisme par observation peut consister en une erreur de « non-observation » (négligence des faits particuliers qu'il fallait remarquer), ou « mal-observation » (« lorsque le fait ou le phénomène, au lieu d'être reconnu pour ce qu'il est en réalité, est pris pour quelque chose autre »).
  3. Les « sophismes de généralisation ». cette classe est considérée, par Mill, comme la plus étendue de toutes, en embrassant un plus grand nombre et une plus grande variété « d'inférences vicieuses »[5]. Pour qu'une erreur de généralisation soit sophistique, précise Mill, « il faut qu'elle soit la conséquence d'un principe ; elle doit provenir de quelque fausse conception générale du procédé inductif ; le mode légitime de tirer des conclusions de l'observation et des expériences doit être fondamentalement mal compris »[6].
  4. Les « sophismes par confusion ». Cette dernière classification des sophismes de Mill, regroupe « tous ceux qui ont leur source, non pas tant dans une fausse appréciation de la valeur d'une preuve, que dans la conception vague, indéterminée et flottante de ce qu'est la preuve »[7]. « En tête de ces sophismes s'offrent ces multitudes de raisonnements vicieux résultant de l'ambiguïté des termes comme lorsqu'une chose est vraie dans le sens particulier d'un mot on argumente comme si elle était vraie dans un autre sens ».

Liste d’arguments fallacieux

Sophismes dont les prémisses ne sont pas pertinentes à la validité de la conclusion.

  • Argumentum ad hominem ou « attaque personnelle » est formulé contre la personne qui soutient une thèse, et non pas contre la thèse elle-même, il comprend argumentum ad personam, ad hominem circumstantiæ et ad hominem tu quoque.
  • Argumentum ad consequentiam
    • Appel à la terreur : « Si vous maintenez votre point de vue, il y aura des conséquences... »
    • Appel à la flatterie : « Un homme comme vous ne peut pas défendre un tel genre de position ! »
    • Argumentum ad populum (aussi appelé la « raison de la majorité ») : « Dieu doit exister puisque la majorité des humains y croient depuis des millénaires. » Variante : « La France représente moins d'un pour cent de la population mondiale et ne peut donc avoir aucun rôle significatif. » (L'Athènes de Périclès représentait bien moins d'un pour cent de la population de son époque, et son modèle nous influence encore aujourd'hui ; Sparte, bien plus puissante à la même époque, n'a pas laissé de trace culturelle durable.)
    • Argumentum ad misericordiam ou "Appel à la pitié".
    • Appel au ridicule (ridiculisation des arguments de l'opposant pour les rendre plus facilement réfutable) : « Si la théorie de l'évolution était vraie, cela voudrait dire que mon grand-père est un gorille »
    • Argumentum ad odium (Le fait de rendre odieux/inacceptable les arguments de l'opposition à travers une présentation à connotation péjorative).
    • Deux faux font un vrai : « Et alors ? D'autres personnes font bien pire. »
    • La raison des bons sentiments.
  • Argumentum ad antiquitatem Argument qui prétend que la tradition détient les bonnes réponses.
  • Argument par la foi : « C'est forcément vrai, puisque c'est écrit dans tel ou tel livre sacré. »
  • Argumentum ad ignorantiam (l'ignorance)[8] : « Je ne peux pas expliquer ce que ce témoin a vu dans le ciel, donc cela doit être un vaisseau spatial extraterrestre visitant notre planète. » Variante « Je ne peux expliquer comment la vie sur terre est apparue, alors c'est sûrement Dieu qui l'a fait. »
  • Argumentum ad baculum (aussi appelé la « raison du plus fort »).
  • Argumentum ad crumenam (aussi appelé la « raison du plus riche ») : « Ce n'est pas ce minable même pas assujetti à l'ISF qui va me donner des leçons pour conduire ma vie. » (voir Ésope, Épictète...)
  • Argumentum ad lazarum (aussi appelé la « raison du plus pauvre ») : « La classe ouvrière se bat avec le réel tous les jours et est seule à connaître la réalité du pays. La dictature du prolétariat est donc l'unique solution. »
  • Argumentum ad nauseam (aussi appelé avoir « raison par forfait ») : « Avez-vous lu les 38 000 références que je viens de vous citer ? Non ? Eh bien je considère alors que vous n'avez rien à apporter à ce débat. »
  • Petitio principii (aussi appelé « argument circulaire » ou « régression à l'infini ») : « Mon frère n'aime pas les épinards, et c'est heureux pour mon frère, car s'il les aimait, il en mangerait ; or il ne peut les supporter. »[9]. Variante : « Les serpents venimeux sont utiles, car sans eux, on ne pourrait fabriquer le sérum immunisant contre leur venin. »
  • Rupture de la corrélation.
    • Plurium interrogationum (aussi appelé « multiplier ou compliquer les questions »).
    • Faux choix (aussi appelé « blanc ou noir ») : « Les énergies marémotrices et géothermiques sont propres, donc écologiquement acceptables ; si elles sont écologiquement acceptables, elles sont donc forcément renouvelables. Si vous contestez cette conclusion, vous êtes un partisan du lobby nucléaire. »
    • Fausse objection pour éviter d'évoquer une vraie raison : « C'est trop cher. », « Il faut que j'en parle à ma femme. », pour ne pas dire : « Je n'ai que faire de votre camelote et vous commencez sérieusement à m'ennuyer. »
    • Concentration de l'argumentatoire sur une partie des arguments motivant la prise de position.
    • Refus de la corrélation (attention : une corrélation n'implique pas nécessairement une causalité. Ainsi, les ventes de dentifrice sont corrélées aux ventes de préservatifs ; celles de Coca-Cola aux lunettes de soleil ; les ventes de whisky en Écosse y sont corrélées au revenu des pasteurs, et cela ne signifie pas que les pasteurs boivent le produit des quêtes. Cela indique simplement que quand leurs ventes sont bonnes, les Écossais ont les moyens de donner un peu plus à leurs pasteurs.).
    • Supprimer la corrélation.
  • Équivocation.
  • Confusion entre le tout et la partie.
    • Prendre la partie pour le tout : « X a voté Machin, Machin est pour telle réforme, donc X est partisan de cette réforme. »
    • Diviser excessivement.
  • Généralisations invalides.
    • Échantillon non représentatif : « Depuis mon compartiment de train, j'ai pu constater sur un échantillon de soixante-dix passages à niveau que tous sans exception ont leurs barrières fermées. »
    • Généralisation abusive (aussi appelé « déduction hâtive », « manque de représentativité de l'échantillon ») : « Les Anglais sont trilingues : oui, j'ai rencontré un anglais qui parlait trois langues. »
    • Généralisation excessive, également nommée dicto simpliciter.
    • Manipulation statistique : « Ce test de la maladie X est fiable à 99%, il se révèle positif pour vous, donc vous avez la maladie X. » (En fait, si la maladie X touche une personne sur 100 000, un test « fiable à 99% » donnera 1000 positifs là où il n'y a qu'un vrai malade, et donc un test positif laisse encore 99,9 % de chance de ne pas avoir la maladie en question Théorème de Bayes#« Faux positifs » médicaux).
  • Manipulation des probabilités : « Lancez trois pièces : deux sont forcément du même côté, soit pile, soit face. La troisième a une chance sur deux d'être également de ce côté-là ; donc il y a une chance sur deux que les pièces soient toutes les trois du même côté. »
  • Le déshonneur par association / l'honneur par association : « Vous êtes végétarien ? Tiens, comme ce salaud de Lormier ! Ce ne doit pas être un hasard. », « Je ne suis pas un imbécile, je suis douanier. »[10]
  • Ignoratio elenchi (aussi appelé « conclusion excessive »).
  • Le postulat indémontrable.
  • Argumentum ad temperantiam (appelé aussi le « juste milieu »).
  • La raison par la théâtralité.
  • Réductionnisme : « L'homme est formé de composants matériels régis par la causalité, donc la seule façon efficace d'analyser les actions humaines consiste à s'appuyer sur la causalité. » (En fait, on obtient des modèles toujours plus simples, et utilisables, en s'appuyant au contraire sur les notions de motivation et de but.)
  • La raison de la Nature ou génétique (qui méprend la cause ou l'origine d'une chose pour l'essence ou la chose elle-même) : « L'amour, parce qu'il découle de l'instinct sexuel, n'est autre que le désir de copuler. »
  • Négation de la preuve.
  • Aucun bon écossais.
  • La raison des émotions.
  • La solution parfaite.
  • Non causa pro causa.
    • Post hoc, ergo propter hoc (aussi appelé « confondre synchronicité et causalité ») : « J'ai bu une tisane, grâce à cela, mon rhume a disparu le lendemain. »
    • Simplification excessive de la causalité.
    • Les rapprochements excessifs.
    • La combinaison de faits sans liens directs (amalgame).
    • Renversement de la causalité.
  • Le chiffon rouge.
  • Réification (ou hypostase) (transposition d'un concept abstrait comme objet concret) : « Il n'y a pas de démocratie dans ce pays, il faudrait y importer un peu de la nôtre. »
  • Pente savonneuse (prétention qu'un compromis donné doit être refusé car il amorcerait un cercle vicieux) : « Si vous rétablissez la pêche de cette espèce de poisson, la tendance se généralisera bientôt aux autres variétés protégées, puis aux tortues, et par la suite aux grands mammifères marins, et la biodiversité de nos océans sera en grave danger. »
  • L'homme de paille (formulation d'un argument facilement réfutable puis l'attribuer à son opposant) : « Vous ne voulez pas mettre au point ce programme de construction de porte-avions, je ne comprends pas pourquoi vous voulez laisser notre pays sans défense. » (La proposition « je suis contre la construction d'un porte-avions » a été détournée en « je suis contre la défense de mon pays », argument beaucoup plus facile à mettre en défaut).
  • Sophismes d'ambiguïté.
  • Sophisme de composition : croire que ce qui est vrai pour le tout est vrai pour les parties ou, inversement, que ce qui est vrai pour l'une des parties s'applique aussi aux autres.
    • Vol de concept : utiliser un argument C pour réfuter A alors que, pour que C existe, A devait déjà exister : « Je ne sais pas écrire (alors que vous êtes en train de me lire). »

Bibliographie

  • Aristote, Les Réfutations sophistiques.
  • Aristophane, Les Nuées. Oeuvre dans laquelle on ridiculise les sophistes et où les personnages utilisent des raisonnements invalides mis en évidence dans cet article.
  • John Stuart Mill, Système de logique. Le titre complet de l'ouvrage (volumineux) est : « Système de logique déductive et inductive. Exposé des principes de la preuve et des méthodes de recherche scientifique ». Pierre Mardaga, éditeur, Bruxelles, 1988. Livre 5. Les sophismes, page 294 à 413.
  • Schopenhauer, La Dialectique éristique, parfois publiée sous le titre « L'Art d'avoir toujours raison ».
  • F. Van Eemeren R. Grootendorst, La nouvelle dialectique pragmatique sophismes argumentations
  • Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique, Paris, PUF, coll. « Premier Cycle », 1994 (2e édition corrigée), 242 p.
  • Bruno Couillaud, Raisonner en vérité - Analytique, dialectique, Rhétorique, sophistique, Paris, F.-X. de Guibert, 2007 (2e édition corrigée), 553 p.

Notes et références

  1. Initiation à l'argumentation
  2. sophisme présenté par Woody Allen, dans Destins Tordus, ed. Robert Laffont, p. 46).
  3. John Stuart Mill, « Système de Logique. Livre 5. Les sophismes. », dans Système de logique déductive et inductive, Pierre Mardaga éditeur, Bruxelles, 1988, page 308.
  4. John Stuart Mill. Ibid, op. cit. page 341.
  5. John Stuart Mill. Ibid, op. cit. page 356.
  6. John Stuart Mill. Ibid, op. cit. page 357.
  7. John Stuart Mill. Ibid, op. cit. page 386.
  8. argument to ignorance (argumentum ad ignorantiam)
  9. Madame Robert, Nino Ferrer
  10. Le Douanier, Fernand Raynaud

Voir aussi

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Voir « sophisme » sur le Wiktionnaire.

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