Pélasges diminiens

Pélasges diminiens

Préhellénique A

Le préhellénique A est un concept linguistique postulé suite à lanalyse de la toponymie grecque. Les noms de lieu grecs à terminaison en -nthos, -mn-, -r-, -m-, -n- et -ss- forment en effet un ensemble dont létymologie ne peut s'expliquer par le grec. On en a déduit quils devaient résulter de langues parlées antérieurement au grec ancien. La comparaison avec les langues anatoliennes de cet état antérieur de la langue grecque a conduit de nombreux auteurs à le ranger parmi elles.

Sommaire

Mise en perspective historique

Cultures néolithiques des Balkans

Pour se faire une idée de la profondeur historique dans laquelle sinscrit lhistoire de la langue grecque, un bref résumé des cultures qui se sont succédé au Néolithique dans le bassin égéen et dans les Balkans n'est pas inutile ; cette succession montre la progression des influences orientales indo-européennes sur la civilisation de l'Europe ancienne, dite « danubienne » :

Carte des cultures néolithiques vers 4500 av. J.-C.
  • 7000 av. J.-C. : culture danubienne de Starčevo-Körös/Criş
  • 5500 av. J.-C. : culture de la céramique rubanée, à lorigine de la néolithisation de la majeure de lEurope continentale, de lElbe jusquau Rhin, tandis que la Serbie connaissait la culture de Vinča ; ces deux cultures dérivaient de celle de Starčevo-Körös.
  • 4600 av. J.-C. : culture de Varna en Bulgarie, qui accumula des richesses fabuleuses peut-être en rapport avec la commercialisation du sel marin ; elle disparut vers 4200 av. J.-C.
  • 4500 av. J.-C. : culture de Cucuteni-Trypillia, qui couvrait la Roumanie et lUkraine occidentale ; son berceau se trouvait en Roumanie (Cucuteni), et son extension se fit en direction du Dniepr, jusquà Kiev, une urbanisation majeure pour l'époque a été exhumée à Trypillia.
  • 3500 av. J.-C. : culture d’, qui sétendait de lUkraine du sud-ouest à la Moldavie sur le berceau de la culture de Cucuteni-Trypillia et y développait une certaine pratique de la métallurgie ; elle incorporait des éléments indo-européens issus dUkraine orientale (culture de Seredniï Stih/Sredni Stog) et sétendit sur tout le bassin de Danube, depuis les Balkans jusquau centre de lAllemagne. Le taureau semble avoir joué un rôle essentiel dans sa religion.
  • 3300 av. J.-C. : culture de , qui sétendait en Ukraine et en Moldavie du Bug au Danube le long des rives de la mer Noire. Très largement indo-européenne, elle faisait suite à la culture danubienne de , qui remontait aussi loin que celle de Starčevo-Körös/Criş, se développa sous linfluence de la culture de Cucuteni-Trypillia, mais fut indo-européanisée dès 4300 av. J.-C.

Les substrats préhelléniques au grec ancien sont a priori à rechercher dans ces deux dernières cultures, semblent avoir séjourné les ancêtres des populations égéennes et anatoliennes de lâge du Bronze. Des population apparentées à celles dUsatovo se sont établies en Thessalie vers 3700 av. J.-C. dans la région de Dimini, près de Sesklo, occupée jusque vers 4400 av. J.-C. par des populations nettement apparentées quant à elles à la culture danubienne de Starčevo-Körös/Criş. Puis, à la fin du 4ème millénaire av. J.-C., la culture des Cyclades se développa en mer Égée en conservant de fortes parentés avec les populations de Dimini. Troie aurait été fondée dans ce mouvement, au 30ème siècle av. J.-C.

Affinités anatoliennes du « préhellénique A »

Dun point de vue linguistique, les étymologies irréconciliables avec le grec trouvent parfois des solutions satisfaisantes avec le hittite et les langues louvites. Cest en particulier le cas des désinences en -σσός et en -νθος, dont on peut retrouver des équivalents louvites sur toute la côte dAsie mineure : les suffixes -assa et -assi y sont fréquents, ainsi que les toponymes de la forme -anda-. On pense à la cité de Tarhuntassa, qui fut capitale hittite sous le règne de Muwatalli II (sans doute au Kizzuwatna bien que les ruines n'en aient encore pas été localisées à ce jour), ainsi quà la cité ionienne de Milet (Μίλητος), dont le nom louvite était Millawanda (encore que cet exemple puisse à première vue être considéré comme un contre-exemple : pourquoi, en effet, Millawanda naurait-il justement pas donné, en grec, *Μίληνθος ? Cest en fait la forme Milawata qui a prévalu, le groupe -awa- donnant en grec un "a" long devenu êta en dialecte ionien).

Le mont Παρνασσός pourrait trouver une étymologie hittite dans le radical parnant- qui signifiait « maison », en rapport avec le fait que cétait la demeure des dieux. De même, on a proposé dexpliquer le nom de la ville thessalienne de Γυρτώνη par une étymologie hittite : gurtaš qui signifierait « forteresse ».

Certains auteurs[1] relèvent également une assonance entre le labyrinthe (λαϐύρινθος), transcrit da-pu2-ri-to-yo en linéaire B mycénien, et les titres anatoliens labarna puis tabarna qui désignaient les rois hittites : il sagirait dune racine commune en relation avec le pouvoir du palais. Si lon ajoute que la double-hache cultuelle des Minoens, la λάϐρυς, était désignée par un mot qui, en lydien, était à peu près de même sens (et corrélé au louvite lawar- qui signifiait « briser »), létroitesse des liens entre Minoens et Anatoliens ne peut plus faire de doute. Mais dans quel sens exactement les influences se sont-elles fait sentir ? Du monde minoen vers lAnatolie sous leffet dun empire maritime conquérant qui nomma les choses et les lieux il simposa, ou bien au contraire dAnatolie vers la Crète et lÉgée sous leffet de migrations bien antérieures à lémergence de la puissance crétoise ?

Néanmoins, dans la mesure dune part le « préhellénique A » est supposé être à lorigine des toponymes grecs de racine non grecque, et dautre part ces toponymes se révèlent avoir des affinités avec lAnatolie, on en déduit que cette langue hypothétique devait également avoir de fortes affinités anatoliennes.

Autres marques anatoliennes en Grèce

Stèle de Lemnos, présentant une inscription proche de létrusque

On reconnaît quelques liens avec létrusque parmi les vocables grecs dont létymologie pose problème. Or lorigine anatolienne des Étrusques est une question débattue depuis lAntiquité. La tradition elle-même rapportait lorigine troyenne dÉnée, fondateur légendaire de Rome, dont les origines étaient historiquement étrusques. Lanthroponyme Tarchu « Tarquin » et le toponyme Tarchnal « Tarquinia » évoquent clairement le dieu anatolien Tarhu(nt(a)) du tonnerre et de la foudre. Et lunique témoignage linguistique proche de létrusque hors dItalie et des Alpes a été retrouvé à Lemnos, en face de Troie, sur une stèle portant une inscription très similaire à de létrusque. Plus convainquant encore, lart étrusque de la divination à partir des entrailles de bêtes sacrifiées, pratiqué par des haruspices détenteurs dune expertise sacrée en ce domaine, rappelait très exactement celui pratiqué par les Hittites et plus généralement par les peuples du Moyen-Orient. Mais notons que Denys d'Halicarnasse objectait déjà à son époque (la fin du 1er siècle av. J.C.) que les Étrusques devaient être un peuple autochtone : depuis lors, la question na jamais été tranchée.

Une marque plus directe de linfluence anatolienne sur, cette fois, la culture grecque peut être identifiée à travers la Théogonie dHésiode, très proche dans sa structure au « Chant de Kumarbi » du Cycle de Kumarbi de la théogonie hourrite des Hittites, un récit dont la facture même trahissait la grande ancienneté. Selon Hésiode, trois générations de dieux se sont succédé sur lOlympe : Ouranos, puis Kronos, puis Zeus ; selon les Hittites, la séquence était formée de quatre dieux, dont les trois derniers sont étroitement parallèles au récit fait par Hésiode : Alalu, puis Anu (fonctionnellement équivalent à Ouranos comme dieu du Ciel), puis Kumarbi (parallèle au Kronos des Grecs, qui trancha le sexe dUranos tandis que Kumarbi arracha avec ses dents celui d'Anu), et enfin Tešub, qui était le dieu majeur des Hourrites, dieu de lorage fonctionnellement équivalent à Zeus, dieu majeur des Grecs porteur de la foudre et du tonnerre.

Substrats et influences divers

Distribution des dialectes grecs vers 400 av. J.-C..

Des influences anatoliennes et crétoises peuvent donc être suspectées dans le grec ancien, mais aussi des racines étrangères au monde égéen qui pourraient remonter aux cultures néolithiques des Balkans. En schématisant, on pourrait se risquer à proposer un scénario fondé sur certaines affinités archéologiques relevées entre ces différentes cultures, qui remonterait à la culture de Cucuteni-Trypillia via celle de Gumelniţa-Karanovo en Bulgarie dans la seconde moitié du 4ème millénaire av. J.-C., par lintermédiaire de deux cultures du 3ème millénaire av. J.-C:

  1. la culture dUsatovo du bassin du Danube :
  2. la culture de Cernavodă sur le littoral de la mer Noire :
    • pour les futurs Éoliens partis vers le sud via la Thessalie pour atteindre lAnatolie du nord-ouest
    • pour les futurs Ioniens partis vers le sud-est puis louest via le Bosphore, le littoral égéen de lAnatolie, et les Cyclades

Ce scénario doit être compris comme une conjecture plausible parmi d'autres et n'est en aucun cas attesté[2].

Quelles quaient été les migrations en cause, les idiomes parlés par les migrants sétaient sans doute également superposés à ceux des populations égéennes autochtones du Bronze ancien, au nombre desquelles la civilisation minoenne ; cest ainsi quon retrouverait à travers les différents dialectes du grec ancien les traces éparses de ces idiomes « préhelléniques ».

Les Pélasges

Témoignages des auteurs classiques

Certains auteurs classiques identifiaient comme « Pélasges » (en grec Πελασγοί) les populations réputées avoir vécu en Grèce avant « larrivée des Grecs. » Cétait notamment le cas dHomère, qui citait, dans lIlliade, les Pélasges parmi les alliés des Troyens. Ils étaient dits venir de Larissa. Homère mentionnait aussi des Pélasges en Crète dans lOdyssée.

Hésiode évoqua également ces peuples à propos du sanctuaire oraculaire de Dodone, l'un des plus anciens de Grèce, recoupant les indications dHomère relatives au Zeus pélasgique régnant à Dodone.

Hérodote et Thucydide considéraient les Pélasges comme une population historique qui subsistait encore à leur époque, notamment à Lemnos, Imbros, Samothrace, et en Troade, ainsi dailleurs qu'en Attique parmi les Athéniens. La Thessalie et l'Argolide avaient, selon Denys d'Halicarnasse, des populations de Pélasges. Diverses autres allusions à travers la littérature grecque classique donnent une image confuse et souvent contradictoire de la présence des Pélasges dans le bassin égéen.

Peuples de la mer
N35
G1
N25
X1 Z1 Z1 Z1
N35
G40
M17 M17 Aa15
D36
N35A N36
N21
ḫȝt.w n ym

Étymologie

Létymologie du mot Pélasges demeure obscure : on a dabord rapproché Πελασγός de πελαργός « cigogne », en supposant quil sagissait de migrants qui hivernaient en Égypte. Peu convainquante, lexplication a fait place à πέλας γῆ « terre voisine », plus satisfaisante, portant le sens de « peuples des terres alentour. » Lautre étymologie intéressante, formulée par Julius Pokorny[3], part du mot πέλαγος désignant « la haute mer » pour proposer la formule « ceux de la mer », qui auraient pu être reprise littéralement par les Égyptiens dans la formule Peuples de la mer.

Données linguistiques

Traces préhelléniques en grec ancien

Bien que lexercice soit souvent délicat, on peut percevoir, à travers de nombreux noms communs du grec ancien, la trace des idiomes préhelléniques qui avaient nommé les choses de la vie quotidienne des civilisations agricoles de laire danubienne mais inconnues des semi-nomades indo-européens, ainsi que les éléments les plus typiques de la faune et de la flore méditerranéennes, par exemple :

Notion ou vocable Correspondance
labeille μέλισσα, à la fois bâti sur la racine indo-européenne signifiant « doux » et qui a donné le miel (grec μέλι, génitif μέλιτος ; sanskrit madhu), mais avec une facture préhellénique suggérant dailleurs des affinités avec le sumérien giriš ; ce vocable, qui désignait des insectes à vol lent (papillon, mite), était phonétiquement et sémantiquement proche de girin, girun et gurun, qui désignaient des fruits et des fleurs (associées au miel). Au point quon peut se demander si la racine indo-européenne nest pas un emprunt précoce aux langues néolithiques du Proche- et du Moyen-Orient
lâne ὄνος (cf. latin asinus), possiblement corrélé au sumérien anše, qui désignait lâne mâle ou lonagre
larsenic τό ἀρρενικόν
la baignoire λουτήρ
le blé σῖτος, pluriel τὰ σῖτα (à rapprocher du sumérien ezinu « céréale » et še « grain »), quon désignait également dun autre mot préhellénique : πυρός (distinct du vocable désignant le feu : τό πῦρ, également sans doute préhellénique)
la bière désignée par une périphrase : κρίθινος οἶνος « vin dorge »
la brique πλίνθος
bronze, cuivre χαλκός, peut-être à rapprocher du sumérien URUDU-kala-ga « cuivre dur » ou « bronze »
le cerf ἔλαφος
le chat étrangement désigné une périphrase : / αἴλουρος, composée de αἰόλος « remuant » et οὐρά « la queue », le vocable égéen dorigine ayant par conséquent été perdu sans pour autant être remplacé par un véritable nom commun grec
la couche εὐνή, avec une connotation de lit conjugal
le cyprès κυπάρισσος
le dauphin δελφίς, génitif δελφίνος
lencens λίϐανος
lépée τό ξίφος
lesclave δοῦλος / δούλη
létain κασσίτερος
la fenêtre θυρίς, génitif θυρίδος « petite porte »
le feu τό πῦρ, génitif πυρός à rapprocher du hittite pahhur/pahhuwar, gén. pahhu(e)naš
la figue τό σῦκον
la fille θυγάτηρ, racine vraisemblablement ancienne (pré- ou proto-indo-européenne) passée également dans les langues germaniques : daughter en anglais, Tochter en allemand
le four ἰπνός, pour la cuisson des poteries
le foyer ἑστία « maison », ἐσχάρα « âtre »
la grenade ῥοιά, certainement de même origine que le linéaire A minoen RU+YA
la jacinthe ὑάκινθος
la javeline τό παλτόν
la laine μαλλός, qui évoque le linéaire A minoen MA+RU de même sens, ainsi que le sumérien bar-LU dont le sens précis était « assemblage des meilleures laines »
le laurier δάφνη
le melon σίκυα, qui désignait en général les cucurbitacées telles que la citrouille et le concombre
la menthe μίνθος
la mer θάλασσα, avec une connotation côtière, contrairement à τό πέλαγος, qui voulait dire « haute mer », sur une racine indo-européenne *plāk qui signifiait « étendue plate »
mouton, chèvre désignés ensemble par τό μῆλον
le narcisse / νάρκισσος, accentué sur lantépénultième, comme lest θάλασσα
lolive ἐλάα, à rapprocher de ladjectif étrusque eleivana « dhuile », voire du sumérien (i3-)li2 « huile fine » (mesure)
lor χρυσός
lorge τό κρῖ, αἱ κριθαί
la porte πύλη / πύλος, à rapprocher de lakkadien abullu(m) de même sens ; θύρα, passé également dans les langues germaniques : door en anglais, Tor en allemand
le roi ἄναξ ; βασιλεύς (on trouve en linéaire B la mention qa-si-re-u, à lorigine du basileus, qui semble renvoyer aux potentats locaux, nobles ou hauts fonctionnaires, tandis que wa-na-ka, à lorigine du vocable anax, semble au-dessus du basileus) ; on soupçonne la culture de Cucuteni-Trypillia d'être à lorigine du grec ἄναξ, ainsi que des mots vanakt- en phrygien, et nätäk en arśi[4], avec une métathèse, qui ont tous en commun de vouloir dire « roi » et de n'être pas de racine indo-européenne
la sardine τριχίς, génitif τριχίδος
le tamaris μυρίκη
le thon θύννος, néanmoins fréquemment rapproché du verbe grec θύειν « bondir »
le thym θύμος
le toit ὀροφή / ὀροφός, à rapprocher peut-être du sumérien ur3 de même sens
la tour πύργος, qu'on retrouve dans lindo-européen *bhergh (d lallemand burg) ainsi que dans larabe burj
la vigne ἄμπελος

Le verbe ζῆν, qui signifiait « être en vie », remontait sans doute également à une vieille racine linguistique et pourrait être rapproché dune part du verbe étrusque sval « être en vie » (sans doute corrélé à ladjectif ziva « décédé », cest-à-dire « qui a vécu »), dautre part du substantif sumérien zi qui signifiait « souffle vital », « âme », « vie » et ses variantes ti(l(a)) et tin.

Théonymes grecs dorigine préhellénique

Les noms de la plupart des dieux grecs, notamment ceux du Δωδέκαθεον (les douze dieux de lOlympe), relèvent dune étymologie obscure qui laisse soupçonner des origines prégrecques :

  • Ἑστία (Hestia) était la première fille de Kronos et Rhéa, déesse du foyer domestique et des liens familiaux. Il sagissait manifestement dune déesse ancienne profondément ancrée dans les traditions populaires égéennes, dont le culte était demeuré fervent malgré la grande discrétion de cette divinité au sein du panthéon olympien. Son principal centre cultuel était Delphes, le foyer des Grecs. Dès lépoque classique il ne restait plus aucun récit particulier à son sujet, si tant est quil y en ait jamais eu.
  • Περσεφόνη (Perséphone) était fille de Déméter ; dans le panthéon olympien, son père était Zeus. On lappelait également Korè (Κορή), cest-à-dire « jeune fille », et on trouvait aussi les variantes Περσέφασσα et Περσέφαττα. Les Romains la découvrirent en conquérant les cités éoliennes et doriennes de Cicile elle était connue sous le nom Προσερπίνα, de sorte quelle passa en latin sous le nom Proserpine.[5]
  • Ἥρα (Héra) était sœur aînée de Zeus, conçue dans le panthéon olympien comme son épouse. Létymologie de son nom est obscure, éventuellement à rapprocher du sanskrit svar signifiant « ciel » via la forme *Ϝήρα. Son culte était ancien et semble remonter la déesse-mère minoenne. Les deux premiers temples majeurs construits au 8ème siècle par les Grecs à leurs dieux étaient les Héraïons dArgos et de Samos, qui faisaient suite, au moins à Samos, à des constructions plus modestes qui constituaient une exception dans le monde grec, les autels voués à Héra étant enclos dans des édifices fermés dès les années 800 av. J.-C. alors que les autels grecs étaient traditionnellement installés au grand air. Les Grecs firent dHéra une déesse des liens conjugaux essentiellement jalouse des aventures sexuelles de Zeus, un rôle qui semble sans rapport avec sa place très élevée dans le panthéon hellénique et qui pourrait signifier quHéra était « avant les Grecs » une déesse majeure, absorbée par les Achéens et les Ioniens « à leur arrivée » en Égée, et quelque peu déchue dans le contexte de la civilisation hellénique.
  • Ἀθηνᾶ (Athéna ; ionien : Ἀθήνη) était fille de Zeus et de Métis. Cétait la déesse de la sagesse, des artisans, de la stratégie et des opérations militaires. Létymologie de son nom, lié à Ἀθῆναι, est inconnue. Son culte devait remonter à lâge du Bronze, si on en croit des tablettes en linéaire B trouvées à Knossos qui évoquent a-ta-na po-ti-ni-ya, ce qui pourrait signifier Ἀθηνᾶ πότνια « Athéna la puissante », ou encore Ἀθηνῶν πότνια « Maîtresse dAthènes ». De même, lexpression a-ta-no dyu-wa-ya pourrait signifier « Divine Athéna » autant que « Athéna (fille) de Zeus » construit avec un adjectif ou un génitif.[6]
  • Ἥφαιστος (Héphaïstos) était fils de Zeus et dHéra. Létymologie obscure de son nom suggère quHéphaïstos serait à lorigine un dieu préhellénique ; dans lîle de Lemnos, il est considéré comme lancêtre des Κάϐειροι, des divinités chtoniennes préhelléniques. Son culte était lié à celui dAthéna, pour qui il avait forgé la plus grande partie de son armement et que, selon une tradition archaïque, il avait tenté de violer.
  • Ἀφροδίτη (Aphrodite) était fille de Zeus et de Dioné. Son culte semble provenir du Proche-Orient, la déesse Aštorith des Phéniciens, connue au Moyen-Orient comme Astarté, était issue en droite ligne de lIštar babylonienne, elle-même issue de lInanna suméro-agadéenne. Létymologie de son nom est en fait peu claire, dans la mesure le passage dAštorith à Ἀφροδίτη nest pas évident du point de vue linguistique. Une étymologie populaire rapproche Ἀφροδίτη de Ἀφρός, « lécume », son nom signifiant alors « Donnée par lécume », ce qui serait en rapport avec la tradition pré-olympienne selon laquelle Aphrodite serait née de limpact dans la mer des organes génitaux dOuranos émasculé par Kronos, selon un mythe archaïque relaté par la Théogonie dHésiode et qui rappelait fortement la théogonie hittite de lâge du Bronze ; étant née des organes génitaux dOuranos, il était clair quAphrodite devait porter en elle toute la sexualité de lunivers et quelle était donc la déesse de la copulation.
  • Ἄρης (Arès) était fils de Zeus et dHéra. Cétait le dieu de la violence et des combats sanglants. Son culte pourrait remonter à lâge du Bronze, si lon en croit les références en linéaire B à Ἐνυάλιος, qui était, à lépoque classique, une épithète courante du dieu Arès ; létymologie des vocables Ἐνυάλιος et du théonyme Ἄρηςest est dailleurs inconnue. Le sacrifice nocturne dun chien à Enyalios fut assimilé par les Spartiates à un culte à Arès. Les Grecs estimaient quArès était originaire de Thrace. La tradition rapporte quArès était lamant régulier dAphrodite, bien quelle fut mariée à Hépaïstos, et Hélios-qui-voit-tout avertit ce dernier quil était cocu ; Héphaïstos en fut passablement contrarié et conçut un filet magique pour emprisonner les deux amants enlacés lun contre lautre, et convia tous les autres dieux à venir les contempler : Arès en fut tellement humilié quil se retira en Thrace. Dans lIliade, Homère indique par ailleurs quArès combattit les Achéens aux côtés des Troyens.
  • Ἑρμῆς (Hermès) était fils de Zeus et de Maïa, une Pléiade fille dAtlas. Son centre cultuel majeur en Grèce était situé à Phénéos, en Arcadie. Son culte remontait à lâge du Bronze, comme latteste la mention de son nom dans des tablettes en linéaire B trouvées à Pylos. Cétait primitivement un dieu ithyphallique des frontières, associé aux pierres dressées ou aux pieux en bois bornant les routes ou les frontières. On retrouve cet aspect phallique dans la relation semble-t-il ancienne dHermès avec Aphrodite, faisant dHermès la contrepartie masculine de la déesse de la copulation quétait à lorigine Aphrodite ; en outre certaines traditions faisaient dHermès le père de Pan (Πάν), ainsi parfois que de Priape (Πρίαπος, détymologie également inconnue), plus connu pour être le fils dAphrodite et de Dionysos (parfois dAdonis). On notera dailleurs quaux yeux des Grecs, Hermès et Aphrodite étaient des dieux plus ou moins associés à lOrient, par les voyages pour le premier et par sa naissance pour la seconde.
  • Διόνυσος (Dionysos, également Διώνυσος, plus tardivement appelé Βάκχος voire Ἴακχος avec une connotation mystique) était fils de Zeus et de Sémélè, fille de Cadmos. La tradition grecque elle-même est confuse et singulièrement compliquée quant à la naissance et aux origines de ce dieu[7], ce qui témoigne sans doute aussi de la difficulté quil y eut dincorporer Dionysos dans le panthéon hellénique. Dionysos semble avoir incarné les valeurs sociales à lexact opposé de la guerre aux yeux des Grecs, et on le disait volontiers efféminé. Le théonyme Dionysos a toujours été considéré, même à lépoque classique, comme formé de la racine nominale de Zeusιός) accolée à un groupe final -νυσος qui était peut-être dorigine préhellénique. La forme Bacchus dérivait de la racine *Ϝαχ qui signifiait « crier ».
  • Ἄρτεμις (Artémis) était fille de Zeus et de Léto. Elle naquît sur le mont Κύνθος à Délos, île que Zeus avait créée spécialement pour flotter sous le niveau de la mer afin quHélios-qui-voit-tout ne puisse rapporter cette naissance à Héra. Ses attributs étaient larc et la flèche dargent, ainsi que le cyprès et le cerf. Elle était vénérée avant tout à Délos, ainsi quà Ephèse, elle était assimilée à la « Dame dEphèse », une divinité dAsie mineure adoptée par les Ioniens. Il semble quelle ait été primitivement Πότνια θηρίων « Maîtresse des animaux », comme le laissent penser les représentations archaïques la montrant brandissant un léopard et un cerf, parfois un léopard et un lion.
  • Ἀπόλλων (Apollon) était frère jumeau dArtémis, donc fils de Zeus et de Léto. Il était le lendemain de sa sœur jumelle. On relèvera que des cunéiformes louvites mentionnaient Ap(p)alun(i)as en relation avec la cité de Wilus(iy)a, ce qui établirait, dès lâge du Bronze, un lien entre Apollon et Troie, lien qui serait alors confirmé par Homère dans lIliade puisquApollon a combattu les Achéens aux côtés des Troyens, notamment en leur envoyant des flèches infectées avec la peste. Lépithète λυκηγενής accolé à Apollon pourrait également renforcer ce lien, selon le sens quon lui donne : «  en Lycie » (dans ce cas le parallèle avec la Dame dÉphèse assimilée à Artémis, sœur dApollon, complète ce tableau anatolien) ou bien « générateur de lumière » en rapport avec son aspect solaire.

En étendant la liste aux demi-dieux et aux héros on pourrait ainsi multiplier les exemples. On ne retiendra ici que le nom du légendaire roi Μίνως de Crète, ainsi que celui de la double-hache cultuelle des Minoens ( λάϐρυς, génitif : τῆς λάϐρυος), en français labrys, dont dérive le labyrinthe, λαϐύρινθος.

Toponymes grecs sans doute préhelléniques

Les toponymes (et théonymes) ayant un thème en -σσός (voire en -ττός) accentué sur la désinence et précédé dune voyelle longue (, η, , , ω), en -μνος de genre féminin accentué sur lantépénultième et souvent précédé dune voyelle longue (, η, , , ω), et en -νθος (à linstar du labyrinthe, λαϐύρινθος) accentué sur lantépénultième et souvent précédé des voyelles α, ι ou υ, remontaient vraisemblablement à une ou plusieurs couches linguistiques préhelléniques non indo-européennes, tels que :

  • Ἄκανθος (Acanthe, ville de Chalcidique),
  • Ἁλικαρνασσός (ionien Ἁλικαρνησός ; Halicarnasse, ville de Carie),
  • Ἐπίδαμνος (Épidamne, ville dÉpire, aujourdhui Durrës, en Albanie, également appelée Δυρράχιον),
  • Ἐρύμανθος (Érymanthe, montagne sacrée dArtémis),
  • Κάλυμνος (Kalymnos, île du sud-est égéen),
  • Κέρινθος (Kérinthe, ville dEubée),
  • Κνωσσός (bien que la forme classique soit Κνωσός ; Knossos, ville de Crète),
  • Κόρινθος (Corinthe, ville du Péloponnèse),
  • Κύνθος (mont Kynthos de lîle de Délos, dans les Cyclades, naquirent Artémis et Apollon),
  • Λῆμνος (Lemnos, île du nord-est égéen),
  • Λυκαϐηττός (Le mont Lycabette, en Attique),
  • Μήθυμνα (Méthymne, villes de Crète et de lîle de Lesbos),
  • Μύρκινθος (Myrkinthos, ville de Thrace occidentale),
  • Ξάνθεια (ou Ξάνθη ; Xanthè, ville de Macédoine orientale),
  • Ξάνθος (Xanthe, principale ville de Lycie, également connue sous le nom d'Arñna ; ladjectif ξανθός, « jaune », était distinct car accentué différemment),
  • Ὄλυνθος (Olynthe, ville de Chalcidique),
  • Παρνασσός (classique Παρνασός ; mont Parnasse, en Phocide),
  • Πέρινθος (Périnthe, ville de Thrace orientale proche de Byzance, autrefois Héraclée, aujourdhui Ereğli),
  • Προϐάλινθος (Probalinthos, village dAttique),
  • Ῥέθυμνος (Rhéthymne, ville de Crète),
  • Τῖρυνς (mais qui se déclinait en τῆς Τίρυνθος au génitif ; Tirynthe, ville du Péloponnèse),
  • Ὑάκινθος (Hyacinthe, une divinité préhellénique occultée par Ἀπόλλων jadis associée à lalternance des saisons)
  • Ζάκυνθος (Zante, île de la mer Ionienne).

Notes et références

  1. Ilya S. YABUKOVICH, de Berkeley
  2. C'est notamment le scénario évoqué par J. Faucounau dans Les origines grecques à l'âge de bronze, l'Harmattan, Paris 2005 ; l'auteur est par ailleurs davantage connu pour son « déchiffrement » du disque de Phaistos, qui a laissé la communauté scientifique plutôt sceptique, ainsi que pour ses positions très en pointe par rapport à la « théorie proto-ionienne. »
  3. Indogermanisches Etymologisches Woerterbuch : rechercher sur les numéros de pages.
  4. Également applelé tourfanien ou tokharien A
  5. La tradition rapporte que Perséphone fut enlevée par Hadès, dieu des enfers, qui lenferma dans le monde des morts ; sa mère Déméter la chercha partout, laissant la terre dépérir au point que lhumanité fut sur le point de succomber à la famine, de sorte quHélios-qui-voit-tout informa Déméter de lendroit se trouvait sa fille ; Hadès ne la laissa partir quà la condition quelle passe chaque année dans les enfers autant de mois quelle avait avalé de graines des grenades quil lui avait fait malicieusement manger, soit trois, quatre ou six selon les traditions ; privée sa fille la moitié de lannée, Déméter nassurait plus la fertilité de la nature, ce qui expliquait lexistence de mois dhiver.
  6. Athéna était souvent qualifiée de γλαυκώπις, « aux yeux luisants », ce qui évoque la chouette ( γλαῦξ), qui était son emblème. On la disait également Παρθένος car ele était réputée vierge et sans compagnon ; une tradition archaïque rendait compte dune tentative de viol dAthéna par Héphaïstos qui aurait laissé tomber son sperme par terre donnant naissance à un bébé qui devint le serpent Erichthonios. Παλλάς Ἀθηναίη faisait référence à Pallas, sœur dAthéna et déesse guerrière, issue dune tradition pré-olympienne selon laquelle Athéna serait ou bien née près dun lac appelé Triton, tradition plutôt marginale, ou bien, selon la tradition la plus courante, née dun père appelé Triton, fils de Poséidon, d lépithète τριτογένεια. Athéna était traditionnellement opposée à Poséidon, contre lequel elle fut choisie par les Athéniens pour protéger leur cité après quelle y eut créé un olivier ; cest également elle qui protégea Ulysse après que Poséidon leut condamné à errer sur la mer.
  7. La naissance de Dionysos se déroula en deux temps, car Héra approcha Sémélè enceinte sous forme dune vieille femme pour la faire douter de lidentité du père de son enfant ; Sémélè demanda alors à Zeus de lui apparaître sous sa forme divine pour dissiper ses doutes, ce quil refusa de faire pour ne pas la tuer car aucun mortel ne pouvoir survivre à la vision dun dieu. Mais Sémélè insista et Zeus finit par lui céder, tuant immédiatement la mère de son enfant. Zeus récupéra Dionysos sous forme fœtale dans le corps de Sémélè et lintroduisit dans sa cuisse pour quil y termine sa gestation ; Dionysos naquît ainsi de la cuisse de Zeus. Une autre tradition en faisait le fils de Perséphone, qui fut dévoré, à peine , par des Titans envoyés par Héra : Déméter, Athéna ou Rhéa (la tradition est très variable à ce sujet) réussit toutefois à récupérer le cœur du bébé, que Zeus introduisit dans le ventre de Sémélè pour quil sy régénère : ainsi Dionysos était «  deux fois ». Cette naissance originale inspira un culte particulier sous forme de mystères initiatiques.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Walter BURKET : La tradition orientale dans la culture grecque, Macula, Paris 2001
  • Iaroslav LEBEDYNSKY : Les Indo-européens - Faits, débats, solutions, Errance, Paris 2006
  • Claude MOSSÉ, Annie SCHNAPP-GOURBEILLON : Précis dhistoire grecque, Armand Colin, Paris 2003
  • Annie SCHNAPP-GOURBEILLON : Aux origines de la Grèce - XIIIe-VIIIe siècles avant notre ère, Les belles lettres, Paris 2002
  • Bernard SERGENT : Les Indo-européens - Histoire, langues, mythes, Payot & Rivages, Paris 1995


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