Approximant de Pade

Approximant de Pade

Approximant de Padé

Le concept de l'article doit son nom à Henri Padé (1863 - 1953) un mathématicien français.

En mathématiques, et plus précisément en analyse complexe, l'approximant de Padé est une méthode d'approximation d'une fonction analytique par une fonction rationnelle. En ce sens, elle est un peu analogue à un développement limité qui approche la fonction selon les mêmes critères à l'aide d'un polynôme.

De même que les développements limités s'assemblent en une suite appelée série entière, convergeant vers la fonction initiale, les approximants de Padés sont souvent vus comme une suite, s'exprimant sous la forme d'une fraction continue dont la limite est aussi la fonction initiale. En ce sens, ces approximants font partie de la vaste théorie des fractions continues.

En analyse complexe, les approximants offrent un développement dont le domaine de convergence est parfois plus large que celui d'une série entière. Ils permettent ainsi de prolonger des fonctions analytiques et d'étudier certains aspects de la question des série divergentes. En théorie analytique des nombres, l'approximant permet de mettre en évidence la nature d'un nombre ou d'une fonction arithmétique comme celle appelée zêta de Riemann. Dans le domaine du calcul numérique, l'approximant joue un rôle, par exemple pour évaluer le comportement d'une solution d'un système dynamique à l'aide de la théorie des perturbations.

L'approximant de Padé est utilisée pour la première fois par Leonhard Euler (1707 - 1783), pour démontrer l'irrationalité de e, la base du logarithme népérien. Une technique analogue permet à Johann Heinrich Lambert (1707 - 1777) de montrer celle de π. Cette notion est développée plus systématiquement par Henri Padé (1863 - 1953) et érigée en théorie à part entière.

Sommaire

Préambule

Présentation du concept

Charles Hermite utilise ce qui est maintenant appelé un approximant de Padé pour démontrer la transcendance de e en 1873

Il s'avère utile de pouvoir approcher une fonction donnée par une suite de fonctions aisément calculables. Cette démarche est à l'origine de la théorie des séries entières consistant à approcher de plus en plus précisément une fonction analytique à l'aide de la suite de ses développements limités. La théorie associée dépasse de loin le cadre du calcul numérique. Les développements limités, puis les séries entières offrent de nombreuses possibilités comme le calcul d'une limite ou la résolution d'une équation différentielle.

La démarche de Padé est, à beaucoup d'égards, analogue à celle des séries entières. L'objectif est d'approcher le mieux possible une fonction analytique à l'aide d'une fraction rationnelle. Le mieux possible signifie ici que, pour un couple (p, q) d'entiers positifs donné la fraction rationnelle h(t) / k (t) est telle que h(t) et k (t) sont des polynômes dont le degré ne dépasse respectivement pas p et q et son développement limité colle le mieux possible à celui de la fonction f(t). En règle générale, les deux développements limités coïncident jusqu'à l'ordre p + q. Une telle fraction est un approximant de Padé de la fonction f(t).

De même qu'il est intéressant de considérer la suite des developpements limités, il est judicieux d'étudier les suites d'approximants, de plus en plus précises et convergeant vers la fonction f. Ses suites peuvent toujours s'exprimer sous forme de fractions continues. Dans le cas des polynômes, les développement limités sont indexés par un entier positif, ce qui engendre une suite naturelle : la série entière. Les approximants de Padé sont indexés par un couple d'entiers positifs, engendrant une infinité de suites possibles et complexifiant la démarche. D'autres causes rendent l'approche plus complexe. La somme, le produit, la dérivée ou la primitive d'approximant de Padé n'ont aucune raison d'être encore un approximant de Padé.

Ces suites offrent néanmoins quelques avantages que n'ont pas les séries entières. La nature arithmétique d'un nombre comme π ou la base du logarithme népérien est plus simplement mise en valeur. Les preuves de irrationalité de π et de e, comme celles de leur transcendance, se fondent naturellement sur cet outil (cf l'article Fraction continue et approximation diophantienne). Les suites d'approximants de Padé possèdent parfois un autre avantage. Certaines fonctions sont initialement définies par des séries dont le domaine de convergence est limité par la présence des pôles, comme la fonction zêta de Riemann. Une expression sous forme de suite d'approximants de Padé ne possède pas nécessairement cette faiblesse. Le caractère parfois plus vaste du domaine de convergence d'une suite d'approximants de Padé par rapport à une expression sous forme de série entière est un atout non négligeable. La physique ou l'astronomie offrent des exemples d'application. L'étude d'un système dynamique un peu complexe peut nécessiter le recours à la théorie des perturbations, les solutions sont souvent des fonctions analytiques exprimées sous forme de séries entières. Or la présence de pôles impose parfois un rayon de convergence trop petit pour permettre un calcul effectif intéressant. Ce phénomène se traduit par le besoin de calculer la limite d'une série divergente. Trouver une bonne suite d'approximants de Padé permet d'élargir le domaine de convergence, le comportement de la fonction analytique est ainsi connu sur une plus vaste étendue et le calcul effectif de la limite est possible.

Approche par la fraction continue

Article détaillé : Fraction continue.

Une fraction continue permet d'approcher un nombre réel avec une précision aussi bonne que souhaitée. Une démarche analogue peut être appliquée aux fonctions analytiques. Une fonction analytique f se développe en série entière, si t0 est un point de domaine de définition de f et t un scalaire de module strictement inférieur à r, le rayon de convergence de f au point t0, il est possible de développer f de la manière suivante : f(t0 + t) = α0 + αn1.tn1 + .... Ici, αn1 ainsi que les coefficients suivants sont choisis différents de 0. Pour cette raison, n1 n'est pas nécessairement égal à 1. Il existe une fonction analytique f1 tel que 0 soit élément de son domaine de définition et :

f(t_0 + t) = a_0 + \frac {t^{n_1}}{f_1(t)}\quad\text{avec}\quad a_0 = \alpha_0

Un traitement analogue sur la fonction f1, puis f2 montre qu'il est encore possible d'écrire la fonction f de la manière suivante :

f(t_0 + t) = a_0 + \cfrac {t^{n_1}}{a_1 + \cfrac {t^{n_2}}{f_2(t)}} = a_0 + \cfrac {t^{n_1}}{a_1 + \cfrac {t^{n_2}}{a_2 + \cfrac {t^{n_3}}{f_3(t)}}} = \cdots

Cet algorithme permet d'approcher la fonction analytique f par une fraction rationnelle. Si f est elle-même une fraction rationnelle, il existe une valeur p tel que fp soit une fonction constante et le processus s'arrète, dans le cas contraire, le processus continue indéfiniment. Cette configuration est analogue à celle des nombres rationnels pour la fraction continue.

Pour une raison de commodité, les notations suivantes, dites de Pringsheim sont utilisées dans cet article :

f(t_0 + t) = a_0 + \frac{t^{n_1}\mid}{\mid a_1} + \frac{t^{n_2}\mid}{\mid a_2} + \frac{t^{n_3}\mid}{\mid a_3} +\dots

Si le processus est arrété à la pième étape, on obtient une fraction rationnelle qui approche la fonction initiale f. Cette fraction rationnelle est un exemple d'approximant de Padé. Pour une raison de simplicité, dans la suite de l'article la valeur t0 est choisie égale à 0.

Fonction tangente

Pour illustrer cette démarche, considérons la fonction tangente, l'un des premiers exemples historiques[1] de fonction analytique dont des approximants de Padé sont calculés :

\tan (t) = \cfrac t{1 - \cfrac {t^2}{3 - \frac {t^2} {5 - \frac {t^2}{7 - \cdots}}}} = \frac{t \mid}{\mid 1} - \frac{t^2 \mid}{\mid 3} - \frac{t^2 \mid}{\mid 5} - \frac{t^2 \mid}{\mid 7} + \cdots

Un premier calcul, réalisé par Lambert montre l'égalité des deux développements mais il n'étudie pas la convergence, que rien ne garantit. Une analyse plus précise montre que si t n'est pas de la forme kπ + π/2, où k est un entier, le terme de droite tend vers tan(t).

Appliquons l'algorithme du paragraphe précédent au point t0 = 0. La valeur a0 est égale à 0 et n1 à 1. On obtient une première fraction rationnelle h0(t) / k0 (t) approchant la fonction tangente :

\tan(t) = 0 + \frac t{f_1(t)},\quad f_1(t) = \frac t{\tan(t)}\quad\text{et}\quad h_0(t) = 0,\; k_0(t) = 1

Il est plus simple d'exprimer f1 à l'aide des développements en séries entières des fonctions sinus et cosinus pour prolonger les calculs :

f_1(t) = \cfrac {t\cos (t)}{\sin (t)} = \cfrac {1 - \frac {t^2}2 + \cdots}{1 - \frac {t^2}6 + \cdots} = {1 - \cfrac{(1-1) + (\frac 12 - \frac 16)t^2 + \cdots} {1 - \frac {t^2}6 + \cdots}} = 1 - \cfrac {\frac {t^2}3 - \frac {t^4}{30} + \cdots}{1 - \frac {t^2}6 + \cdots} = 1 - \frac {t^2}{f_2(t)}

On obtient une nouvelle expression plus précise de la fonction tangente :

\tan(t) = 0 + \frac{t \mid}{\mid 1} - \frac{t^2 \mid}{\mid f_2(t)},\quad f_2(t) = \cfrac {1 - \frac {t^2}6 + \cdots} {\frac 13 - \frac {t^2}{30} + \cdots}\quad\text{et}\quad h_1(t) = t,\; k_1(t) = 1

Si l'expression en fraction continue est réduite au même dénominateur, et si la fraction est noté hn(t) / kn (t), Il devient possible de déterminer une expression par récurrence, puis de représenter graphiquement ces différentes approximations :

\forall n \ge 2\quad h_n(t) = (2n-1)h_{n-1}(t) -t^2h_{n-2}(t) \quad \text{et}\quad k_n(t) = (2n-1)k_{n-1} -t^2k_{n-2}(t)


Dans cet exemple, la suite des approximants de Padé, avale les pôles et fournit une approximation sur tous les nombres réels, à l'exception des pôles.

Les approximations successives permettent d'avaler les pôles de la fonction tangente. Sur les réels positifs, la deuxième approximation, en violet sur la figure, simule le premier pôle avec une asymptote à √3 au lieu de π/2. La quatrième approximation, en bleu, ne diffère pas de manière visible de la fonction tangente, en rouge sur le graphique, sur l'intervalle [0, π]. Elle possède deux pôles sur les réels positifs. La huitième approximation, en vert, colle à la fonction tangente sur l'intervalle [0, 2π] et possède 4 pôles positifs dont 3 sont visibles sur la figure. De manière plus générale, si n est un entier strictement positif et ε un réel strictement positif, la suite des approximants converge uniformément sur la réunion des intervalles [0, π/2 - ε] et [(2j-1)π/2 - ε, (2j+1)π/2 + ε] où j varie de 1 à n.

Cette capacité à avaler les pôles est l'un des attraits des approximants de Padé, d'autant plus fort que ce résultat reste valable si les fonctions sont considérées comme complexes de la variable complexe. À la différence des séries entières les approximants de Padé fournissent des informations sur la fonction tangente en dehors du disque de rayon π/2. Cette propriété est utilisée pour l'étude de la fonction zêta de Riemann. De manière plus simple, cette fraction continue est l'outil essentiel de la première démonstration de l'irrationalité de π (cf Fraction continue et approximation diophantienne).

Fonction exponentielle

Il est possible d'appliquer un algorithme un peu de même manière avec la fonction exponentielle. On peut par exemple, définir les suites suivantes, dont le rapport fournit l' approximation :

\begin{align} h_0(t) &= 1+ t,  & h_1(t) &= 6 + 4t + t^2, & h_2(t) &= 60 + 36t + 9t^2 + t^3 \\ k_0(t) &= 1, & k_1(t) &= 6 - 2t, & k_2(t) &= 60 - 24t + 3t^2\end{align}

Puis établir la formule de récurrence :

\forall p \ge 2\quad h_p(t) =(2p+1 + t) h_{p-1}(t) + (2p +1)k_{p-1}(-t) \quad\text{et}\quad k_p(t) =(2p+1 + t) k_{p-1}(t) + (2p +1)h_{p-1}(-t)

Et en déduire une expression en fraction continue :

\exp(x) = 1 + x + \frac{\frac 12x^2\mid}{\mid 1-\frac 13x} + \frac{\frac 1{36}x^2 \mid}{\mid 1-\frac 1{15}x} + \frac{\frac 1{100}x^2 \mid}{\mid 1- \frac 1{35}x} + \cdots

L'algorithme utilisé est ici un peu différent. Les numérateurs ne sont plus des constantes mais des fonctions affines. En revanche une propriété reste commune : le développement limité des fractions hp / kp à l'ordre égal à la somme des degrés du numérateur et du dénominateur est identique à celui de la fonction exponentielle.

Il existe de multiples expressions différentes de la fonction exponentielle sous forme de fraction continue. Ce qui amène une série de questions d'ordre général sur les approximations par des fractions rationnelles d'une fonction analytique. Quatre sont particulièrement importantes aux yeux de Padé : pour un couple d'entiers strictement positifs (p, q), existe-t-il une fraction continue h(x) / k(x) tel que h(x) soit un polynôme de degré p, k(x) un polynôme de degré q et tel que la fraction continue ait le même développement limité à l'ordre p + q que la fonction exponentielle ? Existe-t-il des relations de récurrence permettant de passer d'un approximant à un autre à l'aide de formules analogues à celles présentées dans cet exemple ? Ces formules de récurrence permettent-elles d'établir des fractions continues ? Enfin ces fractions continues convergent-elles vers la fonction cible ?

Ces réponses, toutes positives pour la fonction exponentielle, sont l'objet de l'article détaillé. Cet exemple est choisi par Padé[3] pour introduire sa théorie.

Fragments d'histoire

Origine

Joseph-Louis Lagrange énonce une propriété sur des réduites de fractions continues correspondant à notre définition moderne d'approximant de Padé.

On place parfois[4] l'origine des approximants de Padé aux travaux d'Euler avec sa démonstration de l'irrationalité de e, la base du logarithme népérien. Il exprime[5] la fonction exponentielle sous forme de fraction continue. On peut cependant remarquer que le développement d'une réduite correspond à un polynôme et non une fraction rationnelle, cas très particulier d'approximant de Padé. Lambert donne des lettres de noblesse à cette démarche en démontrant que si t un nombre réel non nul est rationnel, alors ni tan(t), ni exp(t) ne l'est (voir à ce sujet l'article Fraction continue), démontrant par là l'irrationalité de π. L'approche reste néanmoins limitée à la recherche d'expressions sous forme de fraction continue de nombres spécifiques, Lambert ne cherche en rien à mieux connaître le comportement d'une fonction.

Joseph-Louis Lagrange (1736-1813) généralise l'emploi des fractions continues à l'analyse. Son optique est plus proche de celle de l'article. La fraction continue d'une fonction est utilisée comme un outil de résolution d'équations différentielles, il est nécessaire de réduire la fraction continue qui s'exprime alors comme une fonction rationnelle et Lagrange remarque que les développements limités de la solution et de la fraction rationnelle coïncident « jusqu'à la puissance de x inclusivement qui est la somme des deux plus hautes puissances de x dans le numérateur et dans le numérateur »[6], ce qui correspond à une définition moderne des approximants de Padé. Carl Friedrich Gauss (1777-1855) utilise les résultats de Lagrange et généralise l'usage des fractions continues au plan complexe[7]. La démarche est astucieuse, elle établit la fraction continue d'une fonction que Gauss qualifie de série hypergéométrique et qui lui permet de déterminer des approximants de Padé de nombreuses fonctions comme arctangente ou les fonctions hyperboliques, l'approche reste néanmoins empirique. Rien ne permet de déterminer de manière exhaustive toutes les fractions continues associées à une fonction analytique donnée ou même encore d'ébaucher une classification des fractions continues.

Formalisation

Bernhard Riemann met en évidence un des intérêts des approximants de Padé : ils permettent parfois de prolonger des fonctions analytiques complexes.

Une triple motivation modifie à la fois l'approche et les questions relatives à ces fractions continues un peu spéciales. La première est la conséquence des travaux de Bernhard Riemann (1826-1866). Elles mettent en évidence l'importance de l'analyse complexe, dans cet univers, les fonctions sont souvent définies par des séries entières. Or ces séries ne sont pas convergentes à l'extérieur d'un disque donné, la question du prolongement est parfois cruciale. Les approximants de Padé n'ont pas toujours cette limitation, comme le montre l'exemple de la tangente. Leur étude est naturellement « devenue à l'ordre du jour, de la légitimité de l'emploi, dans le calcul, des séries divergentes[8] ». Riemann étudie la convergence des fractions continues de Gauss[9]. Cette convergence est à la base d'une démonstration du théorème d'Apéry, prouvé en 1977 et énonçant que l'image de 3 par la fonction zêta de Riemann est irrationnel[10].

Charles Hermite (1822 - 1901), le professeur de thèse[11] de Padé, étudie la question de l'interpolation d'une fonction par une fraction rationnelle ainsi que les propriétés de fractions continues associées à l'exponentielle, ce qui lui permet de montrer la transcendance de e[12], le premier nombre démontré transcendant qui n'a pas été spécialement conçu pour une démonstration (comme ceux de Liouville). Sur la base de ces idées, Ferdinand von Lindemann (1852-1939) démontre la transcendance de π en 1882 clôturant ainsi la question millénaire de la quadrature du cercle. Ce problème, que Charles Hermite croyait hors de portée et dont il disait  : « Je ne me hasarderai point à la recherche d’une démonstration de la transcendance du nombre π. Que d’autres tentent l’entreprise; mais croyez m’en, mon cher ami, il ne laissera pas que de leur en coûter quelques efforts[13]. » était résoluble avec les techniques qu'il avait développées. Enfin, l'étude de systèmes dynamiques complexes comme ceux étudiés par Henri Poincaré (1854-1912) pour démontrer la statibilité du système solaire impose l'usage de fractions continues de type Padé[14].

Il est donc naturel que la question des fractions continues, construites à l'aide de fonctions rationnelles, soient à l'ordre du jour à la fin du XIXe siècle. Cependant, en 1890, Henri Poincaré décrit la théorie des fractions continues algébriques comme une « sorte de terra incognita » dont « la carte est encore presque blanche[15] ». Henri Padé étudie la question sous un jour nouveau. Il cherche systématiquement la fraction rationnelle dont le numérateur et le dénominateur ont des degrés respectifs ne dépassant pas les valeurs d'un couple (p, q) et qui approxime localement le mieux une fonction analytique donnée. Son travail de thèse[16], soutenu à l'Université de la Sorbonne en 1892, consiste à étudier la table de ces approximants et à en établir une théorie très générale. Il détermine les lois qui permettent de passer de cette table aux fractions continues, dont il parvient à classifier les représentants importants. En 1898, il applique sa théorie à la fonction exponentielle[3], indique comment construire toutes les fractions continues régulières de cette fonction. Avant son mémoire, seul 5 exemples étaient connus, son travail montre qu'ils ne correspondent qu'à des cas particuliers d'une triple infinités de fractions.

Une question reste encore largement ouverte, la convergence des différentes fractions continues que l'on peut construire. Thomas Joannes Stieltjes (1856-1895) est d'un apport considérable sur cette question. En 1894, il établit exactement, pour une vaste famille de fractions continues, le domaine de convergence[17], ce sont celles qui s'avèrent nécessaire pour démontrer la stabilité du système solaire étudiée par Poincaré. Cette question de la convergence est jugé suffisamment importante pour faire l'objet du Grand prix de l'Académie des sciences de Paris de 1906[18]. Son jury est composé par des grands noms de l'époque comme Poincaré ou Picard. Il est remporté par Padé qui présente « une sorte de synthèse et très large généralisation des résultats que nous venons de rappeler de Thomé, Laguerre et M. de Montessus[19] ».

Définitions et premières propriétés

Définitions

Dans toute la suite de l'article, f(t) désigne une fonction analytique en 0 et qui ne s'annule pas en 0. Le fait que cette fonction ne s'annule pas en 0 ne limite en rien la généralité des propos. Si g(t) est une fonction analytique en 0, il existe nécessairement une valeur n tel que g(t) soit égal à tn.f(t) où f est une fonction qui satisfait les hypothèses précédentes. Les lettres p et q désignent deux entiers positifs.

Pour Padé, la première question associée à sa théorie est : Existe-t-il une fraction continue h(x) / k(x) telle que h(x) soit un polynôme de degré p, k(x) un polynôme de degré q et telle que la fraction continue ait le même développement limité à l'ordre p + q que f(t) ? Elle amène la définition suivante :

  • Un approximant de Padé d'indice (p,q) de la fonction f(t) désigne une fraction rationnelle h(t) / k(t) tel que les degrés des polynômes h(t) et k(t) soient inférieurs ou égaux respectivement à p et q et que le développement limité à l'ordre p + q de la fraction soit identique à celui de f(t) en 0[20].

Si cette définition est souvent reprise, elle n'est pas totalement satisfaisante. Pour s'en rendre compte le plus simple est de considérer le cas où f(t) est égal à 1 + t2. Recherchons l'approximation d'indice (1,1), si a + b.t désigne le numérateur, son produit avec la fonction f(t) ne doit pas comporter de terme du deuxième degré, ce qui impose à a d'être nul. Le numérateur doit alors être égal à b.t et on obtient l'égalité suivante :

bt(1 + t^2) - bt = bt^3\;

Cependant, une fois les facteurs communs de h(t) et k(t) retranchés, on obtient pour approximant la fonction constante 1. Cet exemple montre qu'il n'existe pas d'approximant de Padé d'indice (1,1). Pour cette raison, une deuxième définition s'avère nécessaire. On ne considère plus une fraction qui approche la fonction f à l'ordre p + q, mais uniquement celle qui approxime le mieux f :

  • Les termes de fraction réduite ou réduite d'indice (p,q) de la fonction f(t) désignent une fraction rationnelle h(t) / k(t) tel que les degrés des polynômes h(t) et k(t) soient inférieurs ou égaux respectivement à p et q et tel qu'il n'existe aucune fraction rationnelle u(t) / v(t) dont les degrés de u(t) et v(t) soient inférieurs ou égaux respectivement à p et q et tel qu'il existe développement limité de u(t) / v(t) coïncidant avec celui de f(t) à un ordre supérieur au plus grand des ordres des développements limités de h(t) / k(t) coïncidant avec f(t). La réduite d'indice (p,q) est parfois notée f[p,q](t).

Premières propriétés

La définition de réduite, moins restrictive que celle d'approximant de Padé pallie l'absence de réponse positive à la première question. Les deux définitions sont relativement proches :

  • Si une fraction rationnelle est une réduite, alors il existe un couple d'indices tel que cette fraction soit un approximant de Padé d'indice ce couple.

Pour l'exemple précédent, la fonction constante 1 est la réduite d'indice (1,1) de la fonction 1 + t2. La fonction constante 1 est aussi un approximant de Padé d'indice (0,0), (1,0) ou encore (0,1). Un résultat essentiel à la théorie stipule non seulement de l'existence d'une réduite mais, sous une certaine forme aussi de son unicité :

  • Pour tout couple (p, q), il existe une réduite h(t) / k(t) d'indice (p, q) de la fonction f(t). Sous réserve d'imposer à h(t) et k(t) d'être premiers entre eux et à k(t) d'avoir un coefficient constant égal à 1, alors h(t) et k(t) sont uniques.[21]

Les analogies avec la fraction continue sont multiples, ce qui justifie un vocabulaire commun. Certains résultats ressemblent à ceux des fractions continues :

  • La fonction f(t) est une fraction rationnelle sur un voisinage de 0 si, et seulement si, il existe un couple (m, n) tel que toute réduite d'indice (p, q) tel que p soit plus grand que m et q plus grand que n soit égal à la réduite d'indice (m, n):
  • Soit u(t) et v(t) deux polynômes de degrés respectifs m et n, si la fraction rationnelle u(t) / v(t) possède le même développement limité à l'ordre m + n que la fonction f(t), alors elle est égale à la réduite d'indice (m, n).

Table de Padé

Une méthode de présentation des approximants est la table de Padé. Elle consiste en un tableau à double entrée dont la case de coordonnées p, q contient la réduite d'indice (p, q). L'article Approximant de Padé de la fonction exponentielle propose celle de l'exponentielle. Dans cet exemple, chaque case contient une fraction rationnelle distincte. Tel n'est pas toujours le cas, comme le montre la table de la fonction Arctangente / t[22] :

Table de Padé
Arctan (t)/t
\quad 0 \quad
1 \;
2 \;
3 \;
4 \;
0 \;
{\color{Blue} 1}\;
{\color{Blue} 1}\;
{\color{Red} 1 - \frac 13t^2}
{\color{Red} 1 - \frac 13t^2}
{\color{Violet} 1 - \frac 13t^3 + \frac 15t^4}
1 \;
{\color{Blue} 1}\;
{\color{Blue} 1}\;
{\color{Red} 1 - \frac 13t^2}
{\color{Red} 1 - \frac 13t^2}
{\color{Violet} 1 - \frac 13t^3 + \frac 15t^4}
2 \;
{\color{Maroon} \frac 1{1 + \frac 13t^2}}
{\color{Maroon} \frac 1{1 + \frac 13t^2}}
{\color{Plum} \frac {1 + \frac 4{15}t^2}{1 + \frac 9{15}t^2}}
{\color{Plum} \frac {1 + \frac 4{15}t^2}{1 + \frac 9{15}t^2}}
{\color{BrickRed} \frac {1 + \frac 8{21}t^2+ \frac 4{105}t^4}{1 + \frac 57t^2}}
3 \;
{\color{Maroon} \frac 1{1 + \frac 13t^2}}
{\color{Maroon} \frac 1{1 + \frac 13t^2}}
{\color{Plum} \frac {1 + \frac 4{15}t^2}{1 + \frac 9{15}t^2}}
{\color{Plum} \frac {1 + \frac 4{15}t^2}{1 + \frac 9{15}t^2}}
{\color{BrickRed} \frac {1 + \frac 8{21}t^2+ \frac 4{105}t^4}{1 + \frac 57t^2}}
4 \quad
{\color{ForestGreen} \frac 1{1 + \frac 13t^2 -\frac 4{45}t^4}}
{\color{ForestGreen} \frac 1{1 + \frac 13t^2 -\frac 4{45}t^4}}
{\color{Black} \frac {1 + \frac {11}{21}t^2}{1 + \frac 6{7}t^2 + \frac 3{35}t^4}}
{\color{Black} \frac {1 + \frac {11}{21}t^2}{1 + \frac 6{7}t^2 + \frac 3{35}t^4}}
{\color{Brown} \frac {1 + \frac {7}{9}t^2 + \frac {64}{945}t^4}{1 + \frac {10}{9}t^2 + \frac 5{21}t^4}}
5 \quad
{\color{ForestGreen} \frac 1{1 + \frac 13t^2 -\frac 4{45}t^4}}
{\color{ForestGreen} \frac 1{1 + \frac 13t^2 -\frac 4{45}t^4}}
{\color{Black} \frac {1 + \frac {11}{21}t^2}{1 + \frac 6{7}t^2 + \frac 3{35}t^4}}
{\color{Black} \frac {1 + \frac {11}{21}t^2}{1 + \frac 6{7}t^2 + \frac 3{35}t^4}}
{\color{Brown} \frac {1 + \frac {7}{9}t^2 + \frac {64}{945}t^4}{1 + \frac {10}{9}t^2 + \frac 5{21}t^4}}

Ici, les mêmes fractions sont affichées à l'aide une couleur commune. On remarque qu'elles couvrent des surfaces carrées, à l'exception de celles de la colonne 4 car la colonne 5 est manquante. Cette propriété n'est pas spécifique à la fonction arctangente :

  • Soit h(t) / k(t) la réduite de f(t) une fonction analytique qui n'est pas une fraction rationnelle. Ici, h(t) et k(t) désigne deux polynômes premiers entre eux, de degré respectif p et q et tel que le coefficient constant de k(t) soit égal à 1. Soit ω le plus grand entier tel que le développement limité de la réduite et de f(t) coïncide à l'ordre p + q + ω. L'ensemble des indices associés à la réduite h(t) / k(t) est celui des couples (p + i, q + j) tel que i et j décrivent l'ensemble des entiers compris (au sens large) entre 0 et ω.

Dans le cas où f est une fraction rationnelle le résultat est le même, mais ω peut prendre la valeur infinie.

Fraction continue

Généralités

L'approximant de Padé est particulièrement utile sous forme d'une suite de réduites de plus en plus avancées. Une réduite est dite plus avancée qu'une autre lorsque la somme des degrés du numérateur et du dénominateur de la première est strictement plus élevée que celle de l'autre[23]. Les résultats précédents montrent qu'une réduite est plus avancée qu'une autre si et seulement si elle représente au voisinage de 0 une meilleure approximation. Ces suites représentent un peu l'équivalent d'une série entière. Une série entière peut être vue comme une suite de polynômes qui approxime localement de mieux en mieux la fonction cible, à l'image des suites d'approximants décrites dans ce paragraphe. Une manière commode de représenter une suite de cette nature est la fraction continue.

  • Soit (f[pn,qn]) une suite d'approximants de Padé de plus en plus avancées. Il existe deux suites de polynômesn) etn) tel que :
(1)\quad \forall n \in \mathbb N\quad f_{[p_n,q_n]} = \alpha_0 + \frac{\alpha_1\mid}{\mid \beta_1} + \frac{\alpha_2\mid}{\mid \beta_2} + \cdots + \frac{\alpha_n\mid}{\mid \beta_n}

Ici, l'égalité doit être prise au sens algébrique du terme. Cela signifie par exemple que la fraction (x - 1) / (x - 1) est égal à 1. En termes de fonction rationnelle, l'égalité n'est pas tout à fait exacte, la première fonction n'est pas définie en 1 alors que la seconde l'est. Cette situation est illustrée par l'exemple suivant : La fraction continue n'est pas définie au point t = 0, alors que son expression réduite l'est et vaut 0 :

\frac{1+t\mid}{\mid 1} + \frac{1+t\mid}{\mid 1} - \frac{1+t\mid}{\mid 1} = -t(1+t)

L'intérêt d'une écriture sous forme de fraction continue réside dans le fait que la suite s'exprime par une relation de récurrence. Les suites de polynômes peuvent être définies par :

\begin{align}
\alpha_0 &= h_{(p_0,0)}, & \alpha_1 &= h_{(p_1,q_1)} - h_{(p_0,0)}\cdot k_{(p_1,q_1)}, & 
\alpha_{n+2} &= k_{(p_{n+2},q_{n+2})}\cdot h_{(p_{n+1},q_{n+1})} - h_{(p_{n+2},q_{n+2})}\cdot k_{(p_{n+1},q_{n+1})} \\
\beta_0 &= 1, & \beta_1  &= k_{(p_1,q_1)}, & 
\beta_{n+2}  &= h_{(p_{n+2},q_{n+2})}\cdot k_{(p_n,q_n)} - k_{(p_{n+2},q_{n+2})}\cdot h_{(p_n,q_n)} \end{align}

Ces relations de récurrence permettent d'exprimer les réduites :

\begin{align}
h_0 &= \alpha_0, & h_1 &=\alpha_0\cdot \beta_1 + \alpha_1, &
h_{n+2} &= \alpha_{n+2}\cdot h_n + \beta_{n+2}\cdot h_{n+1} \\
k_0 &= \beta_0,    & k_1 &=\beta_1 , &
k_{n+2} &= \alpha_{n+2}\cdot k_n + \beta_{n+2}\cdot k_{n+1} \end{align}

Cette démarche est possible avec toute suite de fractions rationnelles, à condition que la suite de réduites ne soit composée que de fraction distinctes. Elle possède néanmoins une faiblesse, les expressions du numérateur et du dénominateur établies par la formule de récurrence n'ont aucune raison d'être premières entre elles, ainsi hn est un multiple de h[pn,qn] mais ces deux expressions n'ont pas de raison d'être égales. En terme algébrique, on ne dispose que de l'égalité h[pn,qn] / k[pn,qn] = hn / kn. Le numérateur et le dénominateur sont multipliés par un polynôme parasite. Il complexifie inutilement l'expression de la réduite et, pour un calcul effectif, ajoute une instabilité par l'adjonction de singularités factices.

Les calculs pour établir les différentes expressions de ce paragraphe sont les mêmes que ceux utilisées dans l'article Fraction continue.

Remarque : L'expression (1) exprime le fait que le premier terme α0 est un polynôme. Si ce terme n'est pas nul, dans une suite d'approximants de Padé, il correspond nécessairement à une expression du type h[p,0]. Toute fois, il existe des fractions continues de la forme :

\frac{\alpha_1\mid}{\mid \beta_1} + \frac{\alpha_2\mid}{\mid \beta_2} + \cdots + \frac{\alpha_n\mid}{\mid \beta_n}

Pour tenir compte de cette éventualité, on autorise, dans cet article le choix d'un terme α0 nul dans les suites d'approximants de Padé. Les mêmes formules s'appliquent et uniquement le premier terme, celui d'indice 0, n'est pas nécessairement un approximant de Padé, mais peut aussi être nul.

Fraction continue simple

Il est possible d'établir des relations de récurrence qui assurent que les expressions du numérateur et du dénominateur des réduites soient premières entre elles et interdisent l'apparition du polynôme parasite décrit au paragraphe précédent. Pour cela, il est utile d'établir une définition :

  • Une fraction continue est dite simple lorsque la suite des polynômes (αn), si n est supérieur ou égal à 1, est composée de monômes dont ni l'exposant ni le coefficient ne sont nuls et tel que la suite (βn) est composée de polynômes dont les constantes ne sont pas nulles.

Cette condition est un peu équivalente à celle qui sépare les fractions continues de nombres réels, dont les numérateurs partiels sont toujours égaux à 1 d'avec les fractions continues généralisées qui ont des numérateurs partiels quelconques. À l'image de la situation des fractions continues de nombres réels, on dispose de la propriété recherchée pour les numérateurs et les dénominateurs des réduites :

  • Si les expressions des réduites h1 et k1 d'une fraction continue simple ont une constante non nulle et sont premières entre elles, alors pour tout n strictement positif, les polynômes hn et kn ont des constantes non nulles et sont premiers entre eux.

Établir une expression utilisable d'une suite d'approximants de Padé sous forme de fraction continue est ainsi simplifié si la suite recherchée est une fraction simple. Il est indispensable de disposer d'une condition nécessaire et suffisante pour déterminer quelles suites génèrent des fractions simples.

  • Soit une suite d'approximants de Padé f[pn,qn] telle que les deux suites (pn) et (pn) soient croissantes et la suite (pn+pn) strictement croissante. La suite d'approximants forme une fraction continue simple si, et seulement si, les polynômes suivants sont des monômes :
\forall n \in \mathbb N,\; \exists a_n \in \mathbb R^*,\; \exist d_n \in \mathbb N^* \quad h_{(p_n,q_n)}\cdot k_{(p_{n+1},q_{n+1})} - h_{(p_{n+1},q_{n+1})}\cdot k_{(p_n,q_n)} = a_nx^{d_n}

Dans ce cas, les expressions des suites de polynômes (αn) et (βn) sont données par les formules suivantes :

\begin{align}
\alpha_0 &= f_{[p_0,0]}, &\alpha_1 &= h_{(p_1,q_1)} - f_{[p_0,0]}\cdot k_{(p_1,q_1)}, & 
\alpha_{n+2} &= \frac {k_{(p_{n+2},q_{n+2})}\cdot h_{(p_{n+1},q_{n+1})} - h_{(p_{n+2},q_{n+2})}\cdot k_{(p_{n+1},q_{n+1})}}{h_{(p_{n+1},q_{n+1})}\cdot k_{(p_n,q_n)} - k_{(p_{n+1},q_{n+1})}\cdot h_{(p_n,q_n)}} \\
\beta_0 &= 1, & \beta_1 &= k_{(p_1,q_1)}, & 
\beta_{n+2} &= \frac {h_{(p_{n+2},q_{n+2})}\cdot k_{(p_n,q_n)} - k_{(p_{n+2},q_{n+2})}\cdot h_{(p_n,q_n)}}{h_{(p_{n+1},q_{n+1})}\cdot k_{(p_n,q_n)} - k_{(p_{n+1},q_{n+1})}\cdot h_{(p_n,q_n)}}\end{align}

L'égalité stricte entre hn et h[pn,qn], puis entre kn et k[pn,qn] est alors garantie. Si la fraction continue recherchée ne contient pas de terme polynomial initial, il est toujours possible de fixer la condition α0 égal à 0.

Padé fraction continue simple.jpg

Il reste encore à trouver un moyen pratique pour construire une suite de réduites satisfaisant la proposition précédente. La connaissance de la structure de la table de Padé permet de répondre à ce besoin. Elle est composée de carrés ne contenant que des réduites égales. De manière formelle, soient p, q et ω trois entiers positifs tels que les couples (p, q), (p+ω, q), (p, q+ω) et (p+ω, q+ω) forment les sommets du carré contenant toutes les occurrences de l'approximant de Padé f[p, q]. C'est-à-dire que la fraction formée par les polynômes h[p, q] et k[p, q] de degrés respectifs p et q approxime la fonction f exactement à l'ordre p + q + ω. La propriété suivante permet de trouver les candidats pour la construction d'une fraction continue simple :

  • Les deux polynômes suivants sont des monômes :

h_{(p,q)}\cdot k_{(p+\omega + 1,q)} - h_{(p+\omega + 1,q)}\cdot k_{(p,q)},\quad
h_{(p,q)}\cdot k_{(p,q+\omega + 1)} - h_{(p,q+\omega + 1)}\cdot k_{(p,q)}
  • Si ω est égal à 0, le polynôme suivant est un monôme :
h_{(p,q)}\cdot k_{(p+1,q+1)} - h_{(p+1,q+1)}\cdot k_{(p,q)}

La figure de droite illustre cette situation. Toutes les cases du carré bleu contiennent la même réduite. Si l'une de ses cases est un élément de la suite des approximants de Padé et si la suivante est l'une des deux cases rouges, le numérateur partiel de la fraction continue est un monôme non nul et le dénominateur un polynôme de constante non nulle. Dans le cas où le carré se réduit à une unique case, il est aussi possible de choisir la case diagonale en bas à droite.

Fraction continue régulière

Même en imposant à la fraction continue d'être simple, il reste encore un très vaste choix de suites d'approximants disponibles. Il suffit de sauter d'un carré au carré adjaçent situé soit en bas soit à droite. À partir d'une case initiale, situé sur un bord, deux choix au moins se présentent à chaque étape et trois si la largeur du carré est égal à 1. Une nouvelle contrainte peut encore simplifier massivement les calculs :

  • Une fraction simple est dite régulière lorsque, à partir du deuxième indice, les suites de polynômes (αn) et (βn) sont de même degrés.

Une telle recherche prend tout son sens si les carrés de même réduites de la table de Padé présentent une géométrie régulière. Étudions le cas où ω, la longueur du côté d'un carré quelconque, est toujours égal à 1. Trois déplacements sont possibles : vers le bas, la droite ou en diagonale, en bas à droite, pour assurer la simplicité. Ajouter la régularité impose un déplacement précis. Il en existe de trois types différents et pour tous ces types, le démarrage de la suite se situe sur une case au bord de la table, c'est-à-dire à partir d'une réduite d'indice (p, 0) ou (0, q).

Fraction continue régulière de type I
Fraction continue régulière de type II

Pour le premier type, on démarre soit par une descente, soit par un déplacement à droite, puis la suite suit une trajectoire en escalier, illustrée sur la figure de gauche et composée d'une alternance régulière de déplacements une fois vers la droite puis une fois vers le bas. La fraction continue est composée d'un numérateur réduit à un monôme du premier degré et d'un dénominateur égal une constante. Par exemple, pour la fonction exponentielle, Lagrange démarre par la réduite d'indice (1, 0) et obtient, en suivant la trajectoire illustrée en rouge, le résultat suivant :

\exp(t) = 1 + \frac{t\mid}{\mid 1} - \frac{\frac 12 t \mid}{\mid 1} + \frac{\frac 16t \mid}{\mid 1} - \frac{\frac 16t \mid}{\mid 1} + \frac{\frac 1{10}t \mid}{\mid 1} - \frac{\frac 1{10}t \mid}{\mid 1} + \frac{\frac 1{14}t \mid}{\mid 1} - \frac{\frac 1{14}t \mid}{\mid 1}+\cdots

Le type II correspond à la figure de droite. Il suppose un déplacement constant soit vers le bas, soit vers la droite. Le numérateur est toujours un monôme de degré 1, mais cette fois, le dénominateur est un polynôme de degré 1. La première fraction continue historique, constituée par des approximants de Padé est de cette nature. Elle est l'œuvre d'Euler et prend la forme suivante :

\exp(t) = \frac{1\mid}{\mid 1} - \frac{t \mid}{\mid 1+t} - \frac{\frac 12t \mid}{\mid 1+ \frac 12t} - \frac{\frac 13t \mid}{\mid 1+\frac 13 t} - \frac{\frac 14t \mid}{\mid 1+\frac 14t} - \cdots

Elle représente la suite illustrée en vert. Les réduites ont pour numérateur les différents développements limités de la fonction exponentielle et pour dénominateur 1. Pour cette raison, on a longtemps cru que ce type de fraction continue n'était qu'une exception[24]. Il existe pourtant une infinité de fractions continues de cette nature, pour chaque fonction analytique, sous reserve que chaque carré soit de côté 1. Il suffit de choisir une case quelconque situé au bord de la table, puis de se déplacer d'un cran à chaque étape, soit vers la droite si la case initiale correspond à une fraction, soit vers le bas si elle correspond à un polynôme.

Fraction continue régulière de type III

Le troisième type est celui utilisé comme exemple dans cet article pour la fonction exponentielle. Le numérateur est un monôme de degré 2 et le dénominateur un polynôme de degré 2. Un exemple est donné par une fonction issue du logarithme :

\log \frac{1+t}{1-t} = \frac{2t\mid}{\mid 1} - \frac{\frac 13 t^2 \mid}{\mid 1+\frac 13 t^2} - \frac{\frac 35t^2 \mid}{\mid 1+ \frac 35t^2} - \frac{\frac 57 t^2 \mid}{\mid 1+\frac 57 t^2} - \frac{\frac 79t^2 \mid}{\mid 1+\frac 79t^2} - \cdots

Il existe une exception possible à ce type. Il arrive que le monôme dominant dénominateur se simplifie systèmatiquement, ce qui est le cas pour l'exemple donné à propos de la fonction tangente. La tangente est aussi différente car les carrés de la table de Padé ont un coté de longueur 2 et non 1. Cette nouvelle géométrie engendre des relations de récurrence différentes. Pour l'exemple choisi, les déplacements forment une progression en escalier, on trouve les points (1,0), (1,2), (3,2) ... Avec des cotés de longueur 2.

Les démonstrations associées à ce paragraphe se trouvent dans l'article Approximant de Padé de la fonction exponentielle. Si l'article traite exclusivement d'une fonction particulière, la logique décrite est générale aux tables de Padé régulières dont les carrés sont tous de côtés 1. Le raisonnement se généralise simplement pour les tables régulières dont les carrés sont de côtés 2.

L' approche consistant à construire la fraction continue à l'aide d'une relation de récurrence est plus simple que celle des divisions successives, par inversion de séries entières comme le faisait Lambert, méthode que Padé qualifie de fort pénible[25].

Convergence

Structure du domaine

L'un des attraits de l' approximant de Padé est sa capacité à avaler les pôles d'une fonction analytique. La question de la convergence est, en conséquence, particulièrement cruciale. Elle est néanmoins difficile. Ce paragraphe se limite à présenter une méthode[26] permettant de mettre en valeur un élément structurel du domaine de convergence, dans le cas d'une fraction continue simple.

Une technique analogue à celle utilisée pour les fractions continues fournit l'égalité :

\forall n \in \mathbb N \quad \frac {h_{(p_{n+1},q_{n+1})}(t)} {k_{(p_{n+1},q_{n+1})}(t)} - \frac {h_{(p_{n},q_{n})}(t)} {k_{(p_{n},q_{n})}(t)} = \frac{(-1)^n \prod_{k=1}^{n+1} \alpha_k(t)}{k_{(p_{n+1},q_{n+1})}(t)\cdot k_{(p_{n},q_{n})}(t)}

Le numérateur du terme de droite est un monôme dont les puissances sont croissantes avec n, on peut l'écrire aνn+1.t νn+1. Le dénominateur est une suite de polynômes que l'on note dn+1(t). Avec ces notations, on en déduit l'expression :

f_{[p_n,q_n]}(t) = h_{(p_0,0)}(t) + \left(f_{[p_{1},q_{1}]}(t) - f_{[p_{0},0]}(t)\right) + \cdots + \left( f_{[p_{n},q_{n}]}(t) - f_{[p_{n-1},q_{n-1}]}(t)\right)= h_{(p_0,0)}(t) +\sum_{i=1}^n \frac {a_{\nu_n}}{d_n(t)}t^{\nu_n}

On obtient une expression de la nième réduite sous forme d'une série entière dont chaque terme est divisé par un élément d'une suite de polynômes. Supposons que la suite de polynômes (k[pn,qn]) converge uniformément vers une fonction nécessairement continue k, soit H son domaine de convergence oté des racines de k et D le disque de convergence de la série entière de terme général a k.t k (soit il existe une valeur n tel que k soit égal à νn+1 et a k est égal à aνn+1 soit il n'y en a pas et a k est défini comme nul).

Sur l'intersection de D et de H, la fraction continue converge. Ainsi, si un pôle a été attrapé par la suite de polynômes (k[pn,qn]) il est devient un racine de k. La fraction continue est à même d'avaler ce pôle s'il est contenu dans le disque D. Par défaut, il n'existe aucune raison pour que la série entière de terme général a k.t k ait le même rayon de convergence que celui du développement en 0 de la fonction analytique f(t). Il est logique que les pôles de la fonction analytique ne représente plus une barrière infranchissable pour la fraction continue.

Illustration par l'exemple de la fonction tangente

Modifions un peu les conventions utilisées précédemment pour assurer un dénominateur de constante égale à 1 :

\forall n \ge 2\quad h_n(t) = h_{n-1}(t) -\frac {t^2}{(2n-1)(2n-3)}h_{n-2}(t) \quad \text{et}\quad k_n(t) = k_{n-1} -\frac {t^2} {(2n-1)(2n-3)} k_{n-2}(t)

Les fractions sont les mêmes à un facteur multiplicatif du numérateur et du dénominateur, qui ne modifie donc pas ses valeurs. Elles sont maintenant normalisées. Avec les notations du paragraphe précédent, on a :

\forall n \in \mathbb N \quad a_{2n} = \left( \prod_{i=1}^n \frac 1{2i-1} \right)t^{2n}\quad\text{et}\quad a_{2n+1} = 0

Il suffit de remarquer que i est majoré par 2i - 1 pour conclure que cette série est majorée par le développement en série de exp(t2), la série considérée ici est en conséquence uniformément convergente sur tout bornée de C (l'ensemble des nombres complexes) et converge sur C tout entier.

La suite des dénominateurs de la fraction continue converge manifestement vers la fonction cosinus.

Il suffit alors de vérifier que la suite des dénominateurs n'a pas tendance à se rapprocher de zéro en dehors des pôles de la fonction tangente. Le graphique ci-dessus laisse supposer que cette suite converge bien vers la fonction cosinus. Un calcul plus subtil permet de vérifier que cette convergence à lieu sur tout le plan complexe et est uniforme sur tout compact. La suite (vn(t)) converge donc vers son carré.

Soit R un nombre réel strictement positif choisi le plus grand possible et ε un nombre réel positif choisi le plus petit possible. Soit D le domaine égal au disque fermé de rayon R auquel on a retranché les disques ouverts de centre (2.j+1).π / 2, ici j est un indice décrivant l'ensemble des entiers. Sur D la suite des approximants de Padé est normalement convergente. Il suffit, pour s'en convaincre de remarquer que la fonction cos(t)2 n'a pas de racine sur le compact D et qu'elle est continue, en conséquence il existe une constante strictement positive 2.c tel que le module de cos(t)2 soit toujours supérieur à 2.c. Il existe un rang N tel que toute fonction de la suite (vn(t)) d'indice supérieur à N est, en module, supérieur à c sur D. Il suffit alors d'appliquer le raisonnement du paragraphe précédent en remplaçant le couple (p0, 0) par (pN, qN).

Ce raisonnement montre que la série est majorée par celle de terme général 1/c. a2nR2n qui est convergente.

Voir aussi

Notes

Références

  1. Johann Heinrich Lambert Mémoire sur quelques propriétés remarquables des quantités transcendantes circulaires et logarithmiques Mémoires de l'Académie des Sciences de Berlin, 17 1761 pp 265-322
  2. M. Serfati Fragments d'histoire des mathématiques. T. 4. Quadrature du cercle, fractions continues et autres contes APMEP Paris 1992
  3. a  et b H. Padé Mémoire sur les développements en fractions continues de la fonction exponentielle Annales scientifiques de l'École Normale Supérieure Sér. 3 pp 395-426 (1899) Lire en Pdf
  4. C'est par exemple le cas chez Padé : Sur les fractions approchées d'une fonction par des fractions rationnelles Annales scientifique de l'E.N.S. 3ième série tome 9 p 38 1892
  5. L. Euler Introductio in Analysin Infinitorum t I §§ 368-373 1748 (réédition Birkhäuser Basel 1980 (ISBN 3764314079))
  6. J. L. Lagrange Sur l'usage des fractions continues dans le calcul intégral Nouveaux mémoires de l'Académie royale des sciences et Belles lettres de Berlin 1776
  7. C. F. Gauss Disquisitiones generales circa seriem infinitam ... Commentationes societatis regiae scientiarum Gottingensis recentiores, 2 1813
  8. H. Padé Mémoire sur les développements en fractions continues de la fonction exponentielle Annales scientifiques de l'École Normale Supérieure Sér. 3 p 395 (1899) Lire en Pdf
  9. B. Riemann Sur le développement du quotient de deux séries hypergéométriques en fraction continue infinie 1863 Œuvre de Riemann p 424 2ième édition 1873 Lire sur Gallica
  10. T. Rivoal Séries hypergéométriques et irrationnalité des valeurs de la fonction zêta de Riemann Journal de théorie des nombres de Bordeaux tome 15 N° 1 2003 pp 351-365 (2003)
  11. Voir par exemple Henri Eugène Padé par le site historique de l'Université de St Andrew
  12. C. Hermite Sur la fonction exponentielle Compte rendu de l'Académie des sciences p 18 (1873) lire sur Gallica
  13. Lettre écrite à Carl Wilhelm Borchardt : C. Brezinski Histoires de sciences : Inventions, découvertes et savants l'Harmattan p 14 2006 (ISBN 2296003508)
  14. Voir par exemple H. Poincaré méthodes nouvelles de la mécanique céleste 3 vol Gauthier-Villars Paris 1892-1899
  15. H. Poincaré Notice sur Halphen Journal de l'Ecole Polytechnique 60ième cahier pp 137-161 1890
  16. H. Padé Sur la représentation approchée d'une fonction par des fractions rationnelles Thèse de Doctorat présentée à l'Université de la Sorbonne 1892
  17. T. J. Stieltjes Recherches sur les fractions continues Annales de la faculté des sciences de Toulouse 1894 Lire sur Gallica
  18. Voir par exemple Eugène Henri Padé par le site historique de l'Université de St Andrew
  19. ce texte est extrait du mémoire qui remporta le prix : H. Padé Recherches sur la convergence des développements en fractions continues d'une certaine catégorie de fonction Annales scientifique que l'E.N.S 3ième série tome 24 1907 p 341-400 Lire en Pdf
  20. Cette définition est par exemple choisie par Wolfram dans sa page sur les approximants de Padé par E. W. Weisstein
  21. Cette proposition, ainsi que la définition de réduite correspond au choix de Henri Padé dans son article Sur les fractions approchées d'une fonction par des fractions rationnelles Annales scientifique de l'E.N.S. 3ième série tome 9 pp 3-93 1892
  22. Cet exemple est choisi par Henri Padé : Sur les fractions approchées d'une fonction par des fractions rationnelles Annales scientifique de l'E.N.S. 3ième série tome 9 p 16 1892
  23. H. Padé Mémoire sur les développements en fractions continues de la fonction exponentielle Annales scientifiques de l'École Normale Supérieure Sér. 3 p403 (1899)
  24. Heine Handbuch der Kugelfunctionnen Tome I p. 266 1878
  25. H. Padé Sur les fractions approchées d'une fonction par des fractions rationnelles Annales scientifique de l'E.N.S. 3ième série tome 9 p 39 1892
  26. Elle provient de l'article :H. Padé Sur les fractions approchées d'une fonction par des fractions rationnelles Annales scientifique de l'E.N.S. 3ième série tome 9 p 50 1892
  27. On en trouve une version sur : M.Gouy G.Huvent A. Ladureau Approximants de Padé Irem de Lille

Liens externes

Bibliographie

  • Jean-Étienne Rombaldi, Interpolation & approximation, analyse pour l'agrégation, Vuibert, 2005
  • (en) C. Brezinski & M. R. Zaglia, Extrapolation Methods: Theory and Practice, North-Holland 1991 (ISBN 0444888144)
  • (en) G. A. Baker & P. Graves-Morris, Padé Approximants Encyclopedia of Mathematics and its Applications N° 59 2nd Ed 1996 (ISBN 0521450071)
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