Mots empruntés

Mots empruntés

Emprunt lexical

En linguistique, et plus particulièrement en étymologie, lexicologie et linguistique comparée, on nomme emprunt lexical (ou, plus souvent, emprunt) le processus consistant, pour une langue, à introduire dans son lexique un terme venu dune autre langue. Lemprunt peut être direct (une langue emprunte directement à une autre langue) ou bien indirect (une langue emprunte à une autre langue via uneou plusieurslangue vecteur). Lemprunt fait partie des moyens dont disposent les locuteurs pour accroître leur lexique, au même titre que le néologisme, la catachrèse et la dérivation. On se reportera à larticle Lexicalisation pour dautres détails.

Sommaire

Quemprunte-t-on ?

Les langues empruntent surtout des mots appartenant aux classes lexicales « ouvertes », cest-à-dire justement celles qui contiennent un stock variable de lemmes : ce sont principalement les noms, les verbes et les adjectifs. Les classes « fermées » (pronoms, conjonctions...) ne reçoivent que rarement dajouts. Cela peut arriver cependant, notamment quand la langue donneuse est une langue de prestige. Le latin de Gaule a ainsi reçu plusieurs mots grammaticaux des langues germaniques après les grandes invasions[1].

Cependant, les classes dont on parle sont celles darrivée : en effet, il nest pas rare quune langue emprunte, par exemple, un pronom à une autre langue mais pour en faire un nom. Cest le cas de quidam, emprunté au latin. Cest, en français, un nom alors quen latin cest un pronom (« quelqu'un »).

Il faut aussi signaler le cas des calques, qui ne sont pas des emprunts de lemmes mais de sens seuls, lesquels sont traduits à la lettre dans la langue darrivée. Ainsi, le superman anglais et le surhomme français sont des calques de lallemand Übermensch. Dans les deux cas, il sagit dune traduction littérale, über signifiant « sur » et Mensch « homme ».

Les raisons de lemprunt

Plusieurs raisons expliquent lemprunt lexical. Elles ne sexcluent bien sûr pas les unes les autres.

Tout dabord, un signifiant pour un signifié nouvellement apparu peut manquer dans la langue empruntant le mot. Ainsi, quand de nouveaux animaux ou des plantes alors inconnues ont été découverts, leur nom a souvent été directement emprunté aux langues des pays qui les abritaient :

  • avocat nous vient du nahuatl auacatl, via le castillan abogado, « avocat (auxiliaire de justice) » et aguacate, « avocat (fruit de lavocatier) » (les deux mots sétant croisés), les premiers exportateurs davocats en relation avec les Aztèques ayant été les Espagnols ;
  • puma, dune manière similaire, remonte au quechua, via le castillan (pour les mêmes raisons) ;
  • café remonte à larabe قَهْوَة qahwaʰ, transmis au turc sous la forme qahve et passé en français par litalien.

En cas dinterférence linguistique, lemprunt devient très fréquent. Ainsi, le mot wassingue (serpillière) utilisé dans le français du Nord de la France est un emprunt au flamand occidental wassching, ces régions françaises étant en contact adstratique avec des pays parlant cette langue. De même, le superstrat francique a fourni un grand nombre de mots au français, parmi lesquels, par exemple, guerre, heaume ou framboise. Il ny a pas toujours de nécessité réelle à emprunter un terme étranger (serpillière et wassingue, par exemple: les peuples en contact, cependant, ne séchangent pas seulement des biens ou des idées. Des mots étrangers sont reproduits parce quils peuvent être entendus plus souvent que les mots vernaculaires.

Dautre part, la langue dun pays dominant, culturellement, économiquement ou politiquement, à une époque donnée devient très fréquemment donneuse de mots : cest le cas du français dont le vocabulaire militaire (batterie, brigade...) et la plupart des noms de grade se retrouvent dans toutes les armées européennes depuis lépoque la France était considérée comme un modèle dorganisation militaire ; cest aussi celui de litalien dans le domaine de la musique, qui a transmis des termes comme piano ou adagio. Langlais, actuellement, fournit, du fait de son importance dans ce domaine, nombre de mots concernant le vocabulaire de linformatique, comme bug ou bit, lesquels nont pas déquivalent français préexistant ; cette langue alimente aussi le vocabulaire de la gestion dentreprise (manager, staff, marketing, budget, etc.). L'emprunt - par un effet de mode - se généralise parfois à outrance, le mot emprunté n'étant parfois quun synonyme, voire moins approprié que l'équivalent pré-existant. Par exemple, utiliser poster au lieu de publier dans les forums de discussion passe souvent pour un anglicisme. En effet, le verbe poster na pas, en français la même acception que le verbe to post en anglais (ce sont des faux-amis), et le verbe publier convient très bien.

Lemprunt peut aussi faire partie dun phénomène de mode plus général. Il nest quune des manifestations de la volonté dimiter une culture alors sentie plus prestigieuse. De tels emprunts à l'anglais sont sentis, en France et plus encore au Québec de manière normative, comme des fautes de goût ou une faiblesse dexpression. A l'inverse l'anglais soutenu est émaillé d'emprunts au français, tels rendez-vous] ou déjà-vu. Néanmoins, la plupart des emprunts redondants - à des effets de mode - ne se lexicalisent pas.

Des mots étrangers plus ou moins bien adoptés

Les mots demprunt, bien que normalement moins nombreux que les mots hérités de la langue-mère (sauf, naturellement, dans les créoles), sont extrêmement courants dans le vocabulaire des langues : cest en effet un processus inconscient que seules des entités normatives (comme lAcadémie française ou la Délégation générale à la langue française pour le français de France) peuvent vouloir retarder.

Avec le temps, des mots empruntés peuvent sêtre lexicalisés et ne plus être sentis comme des emprunts. Par exemple, le mot redingote est bien un emprunt à langlais riding-coat (« manteau pour aller à cheval »). Sa lexicalisation sexplique par son ancienneté en français (il est attesté depuis le XVIIIe siècle) et apparaît par son adaptation à lorthographe et au système phonologique du français. Nombre de mots sont danciens emprunts que seuls les spécialistes détymologie peuvent identifier comme tel.

Autre exemple: En anglais "an apron" (un tablier) est une adaptation phono-morphologique du français "un napperon" (petite nappe), l'emprunt n'est a priori reconnaissable ni par sa forme, ni par sa prononciation, ni par son sens, bien que tous trois soient essentiels dans la formation du nouveau lemme en anglais.

À titre indicatif, on peut citer les réalités de lemprunt en français (chiffres cités par Henriette Walter dans Laventure des mots français venus dailleurs:

  • sur 60 000 mots dun dictionnaire de français usuel, 8 600 sont dorigine étrangère (14,3 %);
  • si lon ne garde que les 35 000 mots dun dictionnaire de français courant, ce chiffre est ramené à 4 200 (12 %);
  • les langues dorigine de ces 4 200 emprunts sont les suivantes, pour les principales :

Il est évident que le locuteur lambda na pas conscience dutiliser si souvent des mots étrangers : tous ne lui apparaissent pas comme tel car certains, anciens dans la langue, ont été adaptés. Ceux qui, en revanche, continuent de sembler étrangers sont les mots que la langue na pas complètement assimilés, soit que leur prononciation reste trop éloignée des habitudes graphiques, soit parce quils restent dun usage trop rare ou limité. Enfin, quand il existe un synonyme vernaculaire dun emprunt étranger, il est possible que les deux cohabitent jusquà ce que lun disparaisse ou que lun des deux change de sens, de manière à éviter la redondance.

Lexpression populaire « maintenant, ce mot est dans le dictionnaire » montre bien que les locuteurs, pendant un temps, ont lintuition que tel mot nest pas légitime (il « sonne » encore « étranger ») et quil faut une autorité extérieure pour en déclarer le caractère français. En fait, le processus est inverse : les dictionnaires ne font que sanctionner lusage (quelle que soit la définition quon donne à ce terme) et le représenter. Quun mot étranger entre dans le dictionnaire ne signifie pas quil a été accepté par une minorité compétente de grammairiens qui auraient le pouvoir de statuer sur la langue (ce qui est une image dÉpinal : la langue appartient aux locuteurs et aucun décret officiel ne peut les contraindre à changer leurs usages du tout au tout) mais quil est devenu suffisamment courant pour quun dictionnaire le signale.

Désignation de l'emprunt suivant la langue d'emprunt
Langue Nom de l'emprunt
(en) anglais anglicisme
(fr) français gallicisme
(la) latin latinisme
(el) grec hellénisme
(de) allemand germanisme
(es) espagnol hispanisme
(it) italien italianisme

Des mots adaptés

Adaptations phonologiques

En passant dune langue à une autre, les mots sont susceptibles dêtre adaptés phonétiquement, dautant plus quand ces mots sont empruntés indirectement. En effet, les systèmes phonologiques des différentes langues ne coïncident que très rarement. Or, limport de nouveaux phonèmes est un phénomène rare et, au moins, très lent. Par exemple, le mot arabe cité plus haut, قَهْوَة qahwaʰ, ne se prononce pas ainsi en français, langue qui ne connaît ni le [q] ni le [h]. Les francophones, empruntant le mot, ont transformé le [q] en [k], qui lui est relativement proche pour une oreille non entraînée ([q] pouvant passer pour un allophone de /k/ en français, mais pas en arabe). Quant au [h], il est tombé car aucun phonème proche nexiste en français. De même, dans un mot anglais comme bug [bɐg], le son [ɐ], absent du français, sera le plus souvent adapté en [œ], le mot étant alors prononcé [bœg].

Les adaptations phonétiques peuvent rendre le mot emprunté méconnaissable quand les deux systèmes phonologiques impliqués sont très différents. Le japonais, par exemple, emprunte énormément à langlais. Or, la structure syllabique du japonais exige des syllabes ouvertes (se terminant par une voyelle ; une nasale est cependant aussi possible: cest pour cette raison que, si sofā reste reconnaissable (sofa), sābisu (service) lest déjà moins. Pire encore, il faut bien connaître la phonologie japonaise pour reconnaître derrière miruku le mot anglais milk (le japonais nayant pas de phonème /l/, il le remplace par un /r/ qui, dans cette langue, peut être considéré comme un allophone). On peut aussi signaler le cas des emprunts au sanskrit faits en chinois et en japonais. Ces emprunts, motivés par le fait quil nexistait pas de termes préexistant pour désigner des réalités propres au bouddhisme, par exemple, ont subir des adaptations importantes pour être lexicalisés : le mot bodhisattva devient en japonais bosatsu et en chinois púsà [pʰusa] (écrit 菩薩 dans les deux langues).

Dune manière générale, avant quun mot emprunté ne soit complètement lexicalisé, il existe souvent des locuteurs pour savoir le prononcer dune manière plus ou moins « correcte », cest-à-dire plus ou moins proche de sa prononciation originelle. Il existe donc un flottement : le mot français sweat-shirt est prononcé le plus souvent [switʃœʁt] mais [swɛtʃœʁt] par les locuteurs connaissant langlais. De toute manière, le mot est un emprunt bancal, puisque dans la langue de départ, le même vêtement est nommé sweater. Avec le temps, ces divergences de prononciations ont tendance à sestomper.

Enfin, il faut tenir compte de la graphie du mot : si, en sadaptant, un mot garde sa graphie originale (comme sweat), il est évident que les locuteurs risquent de le prononcer en suivant les règles de lecture propres à leur langue ou celles supposées des mots étrangers. Si, en français, on entend plus souvent [swit], cest bien parce que le digramme ea ne renvoie à aucune règle de lecture précise dans cette langue (sauf après un g). Or, pour un locuteur lambda, ea, comme ee, est décodé [i] (par contamination avec des mots passés en français ou connus par ailleurs, comme beach-(volley), beatnik ou encore teasing).

Adaptations grammaticales

Dautre part, en passant dune langue à lautre, un mot étranger nest plus morphologiquement analysable. Par exemple, le singulier taliban est en fait un pluriel persan d'un mot arabe, celui de طَالِب ṭālib. Ce qui peut prouver que la lexicalisation fonctionne est que le mot adopté respecte les règles grammaticales de la langue empruntant : ainsi, taliban, qui est censé être un pluriel en arabe, sécrit talibans au pluriel français. De même, touareg est le pluriel de targui. Pourtant, dire un targui / des touareg passe, au mieux, pour une bonne connaissance de la langue arabe, au détriment de la grammaire française, au pire pour du pédantisme ; un touareg / des touaregs est bien plus courant, dautant plus quand on sait que dautres mots, plus anciens, ont subi un traitement analogue : chérubin est un pluriel en hébreu (en fait, le pluriel de ce mot se termine par -im) mais il nexiste pas de singulier *chérub en français (au contraire de lallemand ou de langlais). Or, si certains clament quil faut dire un targui / des touareg, aucun ne veut imposer un chérub / des chérubin. Ladaptation grammaticale fait quun mot emprunté devient souvent immotivé, inanalysable. De fait, il sera parfois adapté dans la langue receveuse à partir dune forme fléchie ou grammaticalement marquée pour donner naissance à un nouveau terme non marqué.

Dune manière similaire, le castillan dAmérique du Sud, en situation adstratique avec langlais, nhésite pas à adapter ses emprunts : to rent (« louer ») devient naturellement rentar, to check (« vérifier ») donne checar au Mexique. De sorte, les termes empruntés peuvent être facilement fléchis. On remarque dailleurs la prédominance de certains types plus réguliers de flexions dans ladaptation de termes étrangers. Par exemple, la quasi totalité des verbes importés en français le sont en suivant le premier groupe (verbes en -er à linfinitif), le plus facile à conjuguer : kidnapper ou rapper en sont des exemples (et cest dailleurs le même principe pour le rentar castillan).

Comme on la vu précédemment avec ladaptation phonologique, les emprunts qui ne sont pas encore parfaitement lexicalisés vont entraîner des dédoublements : tel mot étranger va pouvoir être fléchi dans le respect de sa langue de départ (sil létait) ou bien dans celle darrivée. Lon constate par exemple des listes de pluriels irréguliers dans de nombreuses langues dEurope (il suffit de lire celle, impressionnante, proposée par larticle de la Wikipédia anglophone consacrée au pluriel anglais). Encore une fois, si respecter la pluralisation de départ est la marque dune certaine culture linguistique, cest aussi une atteinte à la cohérence de sa langue. Les débats sont très houleux, pour le français, entre les tenants des pluriels étrangers ou francisés. La petite liste suivante montrera que la volonté de garder la pluralisation étrangère est souvent une mauvaise idée :

  • pluralisation italienne : scenario / scenarii, spaghetto / spaghetti ou graffito / graffiti, etc., au lieu de la pluralisation française : scénario / scénarios, spaghetti / spaghettis ou graffiti / graffitis, etc. ;
Notons quen italien le pluriel de scenario nest pas *scenarii mais scenari car l'accent tonique est sur le a. Le doublement du i est donc une hypercorrection.
  • pluralisation latine : maximum / maxima, papyrus / papyri, forum / fora, etc., au lieu de maximum / maximums, papyrus / papyrus, forum / forums, etc. ;
  • pluralisation grecque : topos / topoï, kouros / kouroï, korê / koraï, etc., au lieu de topos / topos, kouros / kouros, korê / korês, etc.

La liste pourrait être allongée à lenvi car ces pluriels « irréguliers » ne sont pas les seuls, loin de . Il est pourtant aisé de plaider en faveur dune francisation complète. En effet, si lon voulait être cohérent, il faudrait aussi considérer les pluralisations suivantes :

  • de litalien : une pizza / des pizze (prononcé « pizzé »), une chipolata / des chipolate (en réalité la graphie correcte en italien serait cipollata/cipollate), une diva / des dive, un raviolo / des ravioli ;
  • du latin : un opus / des opéra, un géranium / des gérania, un abdomen / des abdomina ;
  • du grec : un problème / des problémata, un côlon / des côla, un titan / des titanes, un narthex / des narthekes.

On le voit : garder la pluralisation étrangère ne se fait que dans les cas les règles le permettant sont simples. Dès quelle demande une meilleure connaissance grammaticale de la langue concernée, elle est abandonnée. De plus, les termes absorbés par le français depuis longtemps sont tellement lexicalisés quils napparaissent plus comme étrangers. Si lon voulait être cohérent, il faudrait aussi les fléchir comme ils létaient dans la langue de départ. Pire, que dire des termes empruntés à des langues exotiques comme le nahuatl ? Faut-il exiger que le pluriel de coyote soit cocoyoh ? De même pour les langues isolantes : un thé / des thé serait plus cohérent.

Bref, la lexicalisation grammaticale permet déviter ces écueils et ces incohérences.

Adaptations sémantiques

Suite à l'emprunt, les mots peuvent changer de sens, dautant plus quand les langues sont génétiquement éloignées[réfnécessaire]. Généralement, le sens dans la langue receveuse sera plus restreint que le sens dans la langue donneuse[2].

Si lon reprend lexemple du taliban français, on constate que le Petit Robert le définit comme un « membre dun mouvement islamiste militaire afghan prétendant appliquer intégralement la loi coranique ». Or, en arabe, le terme renvoie simplement à lidée d’« étudiant en théologie ». Le mot taliban a en effet été importé en français quand les événements en Afghanistan ont fait connaître ce mouvement islamiste composé dextrémistes religieux. En arabe, le mot ne connote cependant pas de telles notions négatives et ne se limite pas à la désignation des seuls Afghans.

Parfois, cest parce que le mot emprunté a évolué dans la langue darrivée que le sens originel sest perdu, exactement comme le font des mots hérités (ainsi, du terme hérité latin rem, « quelque chose », on arrive au français rien). On peut par exemple citer, parmi de très nombreux exemples, le cas de truchement qui, initialement, signifiait bien « traducteur intermédiaire servant dinterprète entre deux personnes », sens qua bien le mot arabe à lorigine, soit تُرْجُمَان turǧumān. En évoluant en français, le terme en est venu, actuellement, à désigner principalement un intermédiaire, rarement humain, dans lexpression par le truchement de.

Dautre part, beaucoup de faux-amis trouvent leur explication par un emprunt ayant subi une adaptation sémantique. Ainsi, le citronfromage danois nest pas un fromage au citron mais une crème sucrée au citron. Le danois, en empruntant des termes français qui ne renvoient pas à des équivalents danois précis, a donné à fromage un sens quil na pas, sauf, peut-être, dans fromage blanc. Dune manière similaire, le journey anglais signifie « voyage ». Il vient bien du français journée. Il faut comprendre « un voyage durant une journée » pour saisir les raisons de ladaptation.

En conclusion, on ne doit donc pas perdre de vue quun mot emprunté arrive parfois vierge de ses connotations, voire de sa dénotation de départ : la langue qui emprunte, ne saisissant souvent quune partie du champ sémantique, elle lui garde (ou donne) un signifié parfois très éloigné, le spécialisant (taliban : étudiant en théologieislamiste afghan) ou le réduisant à lun des constituants de sa dénotation (truchement : traducteur intermédiaireintermédiaire).

Aussi, les mots quune langue (A) emprunte à une autre (B) sont révélateurs des clichés que possèdent les locuteurs de A sur ceux de B : ainsi, ce sont principalement des termes liés aux relations amoureuses et à la mode que les Japonais ont emprunté aux francophones, lesquels, lorsquils ont repris des mots issus de diverses langues d'Afrique, ont surtout récupéré des termes dénotant la sauvagerie, le caractère primaire, la musique dans ce quelle a de rythmé et dendiablant. Cest, du reste, le sujet dun ouvrage consacré à cette question, Toutes les Suédoises sappellent Ingrid, de Patrice Louis (Arléa, Paris, 2004).

Adaptations graphiques

On traitera ici des cas dans lesquels un mot est emprunté à une langue utilisant la même écriture que celle de la langue qui emprunte : pour le passage dun mot arabe au français, par exemple, entre seulement en ligne de compte la prononciation et non la graphie. En effet, ce sont les sons quon a transcrits et non les graphèmes.

Deux grands types de langues se distinguent, lors de lemprunt :

  • les langues qui, comme le français, gardent lorthographe du mot étranger (exception faite des éventuels signes diacritiques n'existant pas en français) ;
  • les langues qui adaptent la prononciation du mot à ses habitudes graphiques.

Le français appartient au premier type : les emprunts de football (de langlais) et de handball (de lallemand) se sont faits dans le respect de la graphie originelle. Les locuteurs se doivent donc dapprendre lorthographe et la prononciation de ces mots, qui ne respectent pas les habitudes des autres mots. Ainsi, le premier sera dit /futbol/, le second /hãdbal/. Langlais suit un même principe, allant même jusquà conserver les signes absents de son alphabet : il est fréquent que voilà ou déjà vu soient écrits avec leurs accents, alors que langlais ne les utilise normalement pas. Les langues de ce types sont généralement celles dotées dune orthographe complexe car ancienne et peu réformée. Ladaptation graphique y est quasi nulle : la tâche dapprentissage de lorthographe est dautant plus difficile. Plus préoccupant, des phénomènes de contamination apparaissent : de nombreux Français prononcent épizootie (normalement /epizooti/) « à langlaise » : /epizuti/, habitués quils sont à ce que le digramme dorigine anglaise oo soit rendu par /u/ alors que, dans ce mot, le radical zoo est emprunté au grec ancien ζῷον / zỗion, qui nous donne zoologique.

Dans le second type, on peut compter le castillan et le turc. Dans la première langue, le mot football est rendu de manière transparente par fútbol, dans la seconde par futbol. Dans ce cas, ladaptation graphique permet aux locuteurs de prononcer ou écrire directement le mot sans avoir à connaître des règles de prononciation (après adaptation phonétique) dune autre langue.

Les allers-retours et les croisements

On pourrait conclure en signalant que le terme d'emprunt est mal choisi : une langue nemprunte pas un mot étranger mais le prend. Il ny a pas de restitution et la langue qui subit lemprunt ne perd rien. Ses locuteurs nont même pas forcément conscience des emprunts en question. Pourtant, il existe des cas intéressants dallers-retours entre les langues. Sachant combien les emprunts font subir aux mots des modifications phonétiques et sémantiques importantes, ces cas méritent examen.

On peut illustrer un tel aller-retour avec le nom français budget [bydʒɛ], emprunté au XVIIIe siècle à langlais budget [’bʌdʒɪt], qui lavait lui-même pris à lancien français bougette /budʒetə/, au sens de « petit sac de cuir » (diminutif de bouge), le nom record, emprunté à langlais à la fin du XIXe siècle, lequel lavait pris au français recorder (« se rappeler », dérivé de cœur, à rapprocher d’« apprendre par cœur ») au XIIIe siècle, ou encore le mot tunnel en français, emprunté à langlais au XVe siècle, laquelle langue lavait elle-même emprunté au français tonnelle au Moyen Âge. Dans les deux premiers cas, il est notable que ni bougette ni recorder nexistent plus dans le lexique français actuel et que seuls les emprunts à langlais les y ont préservés de manière indirecte (dautant plus indirecte que le record est un nom quon ne peut plus rattacher à un verbe).

Quant aux croisements, ce sont des emprunts dont létymologie est complexe parce quelle fait appel à plusieurs mots différents qui sinfluencent les uns les autres, parfois par étymologie populaire. Par exemple, asticoter vient dune forme ancienne dasticoter (aussi tasticoter ; testicoter en picard), emprunt à lallemand Dass dich Gott... « Que Dieu te... », formule préparatoire à un juron. Au départ, le mot signifiait « parler allemand » puis « contester » et « jurer ». Cest par croisement avec dasticot, juron de même origine obtenu par métanalyse, et astiquer quon obtient la forme sans consonne initiale, asticoter, peut-être aussi par influence de estiquer, du néerlandais steken « piquer ».

Notes

  1. Maurice Grevisse et André Goosse, Le Bon Usage, De Boeck-Duculot, Bruxelles, 2008, 1 600 p. (ISBN 2-8011-1404-9) , § 153, a
  2. Ibid., § 153, c

Bibliographie

  • On consultera avec intérêt divers dictionnaires étymologiques, comme le Dictionnaire étymologique de la langue française de Bloch et Wartburg ou celui dAlain Rey et, pour langlais, le Concise Oxford Dictionary of English Etymology (édité par T. F. Hoad aux Presses universitaires dOxford) ;
  • de nombreux ouvrages de vulgarisation dHenriette Walter traitent de cette question, dont Laventure des langues en Occident, Le français dans tous les sens, Honni soit qui mal y pense ou Laventure des mots français venus dailleurs, entre autres ;
  • pour des analyses plus détaillées, Létymologie anglaise de Paul Baquet, collection « Que sais-je ? », 1652 (Presses universitaires de France), et Toutes les Suédoises sappellent Ingrid de Patrice Louis (Arléa) permettent de sinitier aux principales problématiques que lemprunt soulève.

Voir aussi

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