- La Dame à la licorne
-
La Dame à la licorne est une tenture composée de six tapisseries datant de la fin du XVe siècle, que l'on peut voir au musée national du Moyen Âge (Thermes et hôtel de Cluny, à Paris).
Sommaire
Description
Toutes les tapisseries reprennent les mêmes éléments : sur une sorte d'île plantée de touffes de fleurs vivaces, de couleur bleu sombre qui contraste avec le fond rouge vermeil ou rose semé d'animaux et de branches fleuries arrachées à leur tronc, on voit une femme entourée d'emblèmes héraldiques, une licorne à droite et un lion à gauche, parfois accompagnée d'une suivante et d'autres animaux.
Cinq de ces représentations forment une allégorie des cinq sens symbolisés par l'occupation à laquelle la Dame se livre :
- le goût : la dame prend une dragée que lui tend sa servante ;
- l'ouïe : la dame joue de l'orgue ;
- la vue : la licorne se contemple dans un miroir tenu par la dame ;
- l'odorat : pendant que la dame fabrique une couronne de fleurs, un singe respire le parfum d'une fleur dont il s'est emparé ;
- le toucher : la dame tient la corne de la licorne ainsi que le mât d'un étendard.
La sixième tapisserie, sur laquelle on peut lire la formule « À mon seul désir » (encadrée d'initiales A et R) sur une tente, est plus difficile à interpréter.
Selon le catalogue d'une exposition consacrée aux Primitifs français au Louvre en 2004, ce serait le style du Maître d'Anne de Bretagne (Jean d'Ypres, mort en 1508, ou son frère Louis, tous deux issus d'une lignée de peintres) qui aurait inspiré les cartons des tapisseries[1].
Selon Marie-Elisabeth Bruel, docteur ès Lettres, Attachée de Conservation du Patrimoine, responsable de l’Inventaire au Conseil Général de l’Allier (Auvergne), les six tentures traditionnellement identifiées comme les cinq sens et "mon seul désir" représenteraient six des Vertus allégoriques courtoises du Roman de la Rose de Guillaume de Lorris[2], soit respectivement : Oiseuse (la Vue), Richesse (le Toucher), Franchise (le Goût), Liesse (l'Ouïe), Beauté (l'Odorat), Largesse (A mon seul désir).
A leur entrée dans les collections publiques au XIXe siècle, le bas des tapisserie était rongé par l'humidité : il a donc été retissé. La partie moderne étant tissée à l'aide de fil coloré avec des couleurs chimiques, elle a pris une teinte un peu différente de la partie originale aux couleurs naturelles.
Origines
Inspirées d'une légende allemande du XVe siècle, les tapisseries dites de « La Dame à la licorne » furent tissées dans les Flandres entre 1484 et 1500.
Débats sur l'identité du commanditaire
Le blason se trouvant sur les différentes tapisseries les ont fait attribuer à un membre de la famille Le Viste. Le consensus a conduit à admettre qu'elles avaient été commandées par Jean IV Le Viste, magistrat de haut rang d'origine lyonnaise, président de la Cour des Aides de Paris depuis 1484, mort en 1500[3]. En 1963, un érudit creusois, Maurice Dayras, remarque qu'il était difficile de l'attribuer à Jean IV Le Viste car le blason représenté en armes pleines ne respecte pas le langage héraldique et le principe de contrariété des couleurs. Jean IV Le Viste étant chef de famille depuis 1457 aurait dû avoir un blason respectant ce principe. Ce principe concerne l'emploi des émaux avec deux groupes, métaux (or = jaune, argent = blanc) et couleurs (gueules = rouge, azur = bleu, sinople = vert, sable = noir). Il ne peut y avoir sur un blason deux émaux d'un même groupe l'un à côté de l'autre. Le blason attribué à Jean IV Le Viste a deux couleurs, un bleu à côté du rouge. Dans une famille, seul l'aîné a le droit de porter les armes pleines, les branches cadettes reprennent ses armes en y apportant une brisure. Une des brisures la plus courante c'est l'inversion des émaux qui a l'avantage pour les cadets de ne pas se voir sur leur sceau. Dans son article, Carmen Decu Teodorescu[4] attribue la tenture à un membre d'une branche cadette. Dans la mesure où il n'y a que son blason, il ne devait pas être marié au moment de sa réalisation. L'auteur en déduit qu'elle a dû être commandée par Antoine II Le Viste (mort en 1534), héritier de son père Aubert Le Viste, cousin germain de Jean IV Le Viste, en 1493, rapporteur et correcteur de la Chancellerie en 1500, marié en 1510 avec Jacqueline Raguier qui a fait sa carrière sous Louis XII et François Ier. Cette hypothèse est renforcée par le fait que son blason se trouve sur la rose méridionale de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois de Paris qui a été commandé par Antoine Le Viste par un marché passé en 1532.
Propriétaires successifs des tableaux
À la suite d'héritages successifs[5], elles passèrent des Le Viste aux Robertet, aux La Roche-Aymon, puis aux Rilhac, qui les firent transporter dans le courant du XVIIIe siècle dans leur château de Boussac. En 1835[6], le château fut vendu à la municipalité de Boussac par leur lointaine héritière, la comtesse de Ribeyreix (née Carbonnières) ; il devint en 1838 le siège de la sous-préfecture de l'arrondissement. Les tapisseries y avaient été laissées, et ceux qui eurent l'occasion de les admirer et eurent l'occasion d'échafauder les hypothèses les plus invraisemblables sur leur origine. C'est ainsi que l'on attribua leur réalisation au prince ottoman, Djem, malheureux rival de son frère le sultan Bajazet II, qui, pour échapper à la mort que lui promettait ce dernier, s'était réfugié chez les chevaliers de Rhodes. Ceux-ci l'envoyèrent en France, dans les châteaux de la famille du grand maître Pierre d'Aubusson, et il fut notamment enfermé dans la tour Zizim construite à son intention à Bourganeuf. On a pensé qu'il avait pu séjourner aussi dans celui de Boussac (ce qui n'a jamais été établi). Pour tromper son ennui, il les aurait confectionnées avec l'aide de sa suite. Le nom turc de Djem a été francisé en "Zizim". Suivant d'autres sources, tout aussi fantaisistes, ces tapisseries auraient été réalisées à Aubusson : on sait qu'il n'en est rien. En 1882, la municipalité de Boussac vendit les six tapisseries pour une somme de 25000 francs-or au conservateur de l'actuel Musée national du Moyen Âge, Edmond du Sommerard, mandaté par l'État.
Classement au titre des monuments historiques par Prosper Mérimée
Entre 1835 et 1840, l'écrivain George Sand, la « voisine de Nohant », figurait parmi les familiers de la sous-préfecture de Boussac et vit plusieurs fois ces tapisseries au château de Boussac, où elles étaient exposées dans les appartements et le bureau du sous-préfet. Elle en parle dans plusieurs de ses ouvrages[7] et dans un article publié en 1847[8]. Dans cet article, George Sand cite huit tapisseries (alors que six seulement nous sont connues). Les commentaires qu'elle ajoute à propos de ces tapisseries et de leur relation avec le séjour du prince turc "Zizim" (Djem) à Bourganeuf relèvent toutefois de son imagination fertile. Et c'est elle, très vraisemblablement, qui en signala l'existence à son éphémère amant, Prosper Mérimée, inspecteur des monuments historiques, qui visita la région en 1841 et les fit classer au titre des monuments historiques. La correspondance de Mérimée apporte une précision intéressante à propos des tapisseries : il y en existait d'autres « plus belles, me dit le maire, mais l'ex propriétaire du château - il appartient aujourd'hui à la ville - un comte de Carbonière [sic] les découpa pour en couvrir des charrettes et en faire des tapis »[9]. Reste à savoir si les tapisseries découpées faisaient partie de la tenture de la Dame à la licorne, ou s'il s'agissait d'autres tapisseries.
La Dame à la licorne dans la culture populaire
Cette tapisserie a inspiré les auteurs de divers œuvres littéraires, notamment Les Dames à la licorne de René Barjavel et Olenka De Veer ; La Belle à la Licorne, de Franck Senninger ; À mon seul désir, de Yannick Haenel, la saga en 6 tomes Les Ateliers de Dame Alix de Jocelyne Godard et La Dame à la Licorne de Tracy Chevalier. Dans ce dernier roman, paru en 1998, Chevalier retrace l'histoire imaginaire de Nicolas des Innocents, miniaturiste à la cour de Charles VIII, choisi par Jean Le Viste pour réaliser les cartons de la suite des tapisseries. À la fin du roman, Tracy Chevalier a ajouté, avec beaucoup d'honnêteté, deux pages précisant ses sources avec quelques notes (non exemptes d'erreurs) sur les origines et l'histoire de ces tapisseries[10]. Dans les films adaptés des romans Harry Potter, plusieurs tapisseries de la série ornent les murs de la salle commune des élèves de la maison Gryffondor[11]. Dans la série de romans et le dessin animé japonais Gundam Unicorn, on peut apercevoir de façon très explicite la tapisserie de la Dame à la Licorne, exposé dans le château de la Fondation Vist. Il est également fait mention de la citation À mon seul désir.
Notes et références
- Musée du Louvre, Catalogue de l'exposition Primitifs français, Paris, 27 février 2004-17 mai 2004)
- Marie-Elisabeth Bruel, "La tapisserie de la Dame à la Licorne, une représentation des vertus allégoriques du Roman de la Rose de Guillaume de Lorris", Gazette des Beaux-Arts, décembre 2000, p. 215-232.
- On trouve dans les dessins de la collection Gaignères une reproduction de sa dalle funéraire en cuivre qui se trouvait dans l'église des Célestins de Paris : Cy gist noble homme messire Jehan Viste en son vivant chevalier, seigneur d'Arcy-sur-Loire, conseiller du roi notre sire et president des generaulx sur le fait de la justice des aides a Paris, lequel trespassa le lundy premier jour du mois de juing l'an mil cinq cents, priez Dieu pour l'ame de luy.
- Société Française d'Archéologie Carmen Decu Teodorescu, La Tenture de la Dame à la Licorne. Nouvelle lecture des armoiries, p. 355-367, dans bulletin monumental, tome 168-4, année 2010,
- En 1926, Henry Martin avait démontré que la Tenture était arrivée au château de Boussac par la branche cadette des Le Viste et non par la branche aînée.
- ISBN 2711820947), p.66. Fabienne Joubert, La Tapisserie médiévale, Paris, 1987, (
- Jeanne (1844), Autour de la Table (1862), Journal d’un voyageur pendant la guerre (1871)
- L'Illustration, 3 juillet 1847 (cité dans George Sand, Promenades dans le Berry, éd. Complexe, 1992 (préface de Georges Lubin), pp. 94-101) Voir notamment
- Prosper Mérimée, Correspondance, Paris, Le Divan, 1943 (édition Parturier), tome III, année 1841, p. 94
- (en) T. Chevalier Voir
- Anecdotes et références pour Harry Potter à l'école des sorciers - SciFi-Universe.Com [SFU]
Bibliographie
- Bruel (Marie-Élisabeth), "La tapisserie de la Dame à la Licorne, une représentation des vertus allégoriques du Roman de la Rose de Guillaume de Lorris", Gazette des Beaux-Arts, décembre 2000, p. 215-232.
- Erlande-Brandebourg (Alain), La Dame à la licorne, Paris, éd. des Musées nationaux, 1989, 83 p., bibliogr.
- Erlande-Brandebourg (Alain), La Dame à la licorne, (nouvelle édition revue et augmentée), avec des photos de Caroline Rose, Paris, Aveline, 1993, 226 p., bibliogr.
- Sutherland Lyall, La Dame et la Licorne, Parkstone Press, Londres, 2000, (ISBN 1-85995-514-2).
- Pierre Lassalle, "Les Mystères de la Dame à la Licorne", 2008, éd. Terra Lucida, (ISBN 978-2-9532110-0-9).
- Emmanuel-Yves Monin, "Le Message des Tapisseries de la Dame à la Licorne", 1979 (3e édition 1990). Point d'Eau. Ce livre est en français d'un côté et de l'autre en anglais.
- Georges Sauvé Le sourire retrouvé de la Dame à la Licorne "Les débuts d'un jeune fonctionnaire sous la république des Ducs". Édition du Hameau 2005.
- La Dame à la Licorne et au Lion : pièce de théâtre (1979) http://e.y.monin.free.fr/pages%20livres/theatre/licorne.html
- Arnaud (André), dans Galerie des Arts n° 209 d'Octobre 1981, numéro spécial Magie de la tapisserie. Mary Tudor – Suffolk, troisième épouse de Louis XII et sœur d'Henry VIII, qui fut reine de France d'août à décembre 1514, est-elle la mystérieuse Dame ? http://www.premiumorange.com/tapisseries-licornes/
- Tracy Chevalier, "la Dame à la Licorne", Quai Voltaire, 7 rue Corneille 75006 PARIS-ISBN 2-7103-2628-0, dépôt légal : avril 2004
traduit de l'anglais par Marie-Odile Fortier-Masek
Voir aussi
- Copie de Maurice Sand de quelques scènes des Tapisseries découvertes par sa mère George Sand: in "L'Illustration", Mars à Août 1847 ; Tome 9, page 276.
Articles connexes
Liens externes
- Galerie des tapisseries sur le site du Musée du Moyen Âge aux thermes de Cluny
- L'intertextualité oeuvre d'art / oeuvre littéraire dans The Lady and the Unicorn
- Portail des arts
- Portail du monde équestre
Catégories :- Musée national du Moyen Âge
- Tapisserie
- Représentation des animaux dans l'art médiéval
- Licorne
Wikimedia Foundation. 2010.