L'homme aux rats

L'homme aux rats

L'analyse de « l'homme aux rats » (Ernst Lanzer) atteint de névrose obsessionnelle est l'une des cinq psychanalyses décrites par Sigmund Freud, avec celle de Dora, du petit Hans, de « l'homme aux loups » et de Schreber. Mais en marge de ces Cinq psychanalyses, Freud a laissé des notes prises au jour le jour, tout au moins pour les sept premières séances, parce qu'après ces notes ne sont plus regroupées qu'au rythme de deux ou trois fois par semaine.

Sommaire

Description du cas

En octobre 1907, Freud reçoit en analyse un jeune homme de 29 ans, Ernst Lanzer. L'analyse durera onze mois et aboutira, selon Freud, "au rétablissement complet de la personnalité du malade et à la suppression de ses inhibitions" (Payot, p. 27). Il publie son texte en 2 parties : 1ère partie : Extraits de l'histoire du cas, qui retrace rapidement les grands éléments des séances et leurs interprétations, à partir des notes qu'il avait prises tout le long de l'analyse et qui ont été conservées et publiées dans Journal d'une analyse, l'homme aux rats (PUF) 2ème partie : Éléments théoriques, qui tentent d'établir quelques remarques sur "la genèse et le mécanisme subtil des processus psychiques obsessionnels" (Payot, p. 27)

Présentation du mal

Le jeune homme se plaint d'obsessions depuis l'enfance, qui reviennent parfois après des périodes d'absences relativement longues, mais avec plus d'intensité depuis la mort de son père survenue 9 ans plus tôt et plus particulièrement depuis 4 ans. Il craint notamment qu'il arrive du mal à deux personnes qu'il aime : son père, décédé, et une dame qu'il aime et qui a rejeté son amour il y a dix ans. Ses obsessions se traduisent par des idées de mal contre ces 2 personnes, qu'il rejette alors violemment, s'imposant ensuite des interdits et des pénitences absurdes et souvent irréalisables.

Le nœud de la névrose : pulsion sexuelle et conflit avec le père refoulé dans l'inconscient

Le début de l'histoire du cas s'attarde sur les 7 premières séances puis continue par la solution qu'en donne Freud. Ainsi lors de la 3ème séance le jeune homme raconte comment lors de la mort de son père, il s'est endormi. C'est en se réveillant qu'on lui apprend que son père est décédé. Il se le reprocha. Mais "c'est un an et demi plus tard que le souvenir de son manquement ressurgit et commença à le tourmenter terriblement, au point qu'il se considérait et se traitait comme un criminel" (Payot, p. 53). Freud en profite pour l'initier à une hypothèse de la psychanalyse, celle de mésalliance entre le contenu d'une idée et l'affect qui l'accompagne du fait d'une connexion fausse : ici l'affect - se considérer comme un criminel - est trop fort par rapport à son manquement le jour de la mort de son père. Il y a une connexion fausse entre la culpabilité et son manquement. En réalité, la culpabilité "se rattache à un autre contenu qui n'est pas connu (inconscient) et qui doit d'abord être recherché" (Payot, p. 54). Ainsi Freud explique : "nous ne sommes pas habitués à ressentir en nous de forts affects sans contenu représentatif. Quand ce contenu fait défaut, nous nous saisissons d'un autre contenu qui convient plus ou moins et qui sert de substitut" (Payot p. 54). A ce moment du récit, Freud donne une très belle définition de l'inconscient : "L'inconscient, dis-je' est l'infantile, c'est-à-dire cette part de la personne qui s'est séparée dans l'enfance, qui n'a pas suivi le développement de la personne et qui de ce fait a été refoulée. Les dérivés de cet inconscient refoulé sont les éléments qui alimentent ces pensées involontaires qui constituent son mal" (Payot, p. 57).


La résistance

Or c'est cet inconscient qui expliquerait l'attitude agressive contre le père et contre laquelle le patient se défend sans cesse, affirmant qu'il n'avait pas de meilleur ami au monde. Lors de ces séances, Freud tente de lui exposer que son amour intense, voire excessif, déclaré pour son père cache une haine profonde. La résistance du patient est alors très forte et Freud la décrit en des termes très sobres : "après une période sombre et difficile dans le travail de la cure..." (Payot, p. 87). Ou un peu plus loin : "après que nous eûmes surmonté une série de résistances extrêmement dures et d'invectives très méchantes..." (Payot, p. 87). Il explique ceci par une analogie médicale : "c'est un fait bien connu que les malades trouvent une certaine satisfaction dans leur souffrance, de sorte qu'en vérité, ils résistent tous partiellement à leur guérison. Il ne doit pas perdre de vue qu'un traitement comme le nôtre progresse tout en faisant l'objet d'une résistance constante" (Payot, p. 65).

Le syndrome du lorgnon

Finalement la solution de ses obsessions s'appuiera essentiellement sur la résolution du comportement du jeune homme lors d'un exercice militaire, survenu au mois d'août précédent, et qu'il décrit lors des 2ème et 3ème séances. Lors d'une marche, il égare son lorgnon ou pince-nez. A cette même halte, l'officier lui décrit une torture chinoise particulièrement horrible, où des rats dans un pot placé sur le derrière du condamné creusent son anus. La description de ce supplice le met dans un état très agité. Il poursuit en avouant : "A ce moment me traverse l'idée que cela arrive à une personne qui m'est chère" (Payot, p. 43). Aussitôt se mettent en place des mécanismes de résistances et de défense. Au point où le soir, lorsqu'il apprend qu'il doit se rendre à la poste pour rembourser des frais de réception du pince-nez, " se forme dans son esprit une sanction : ne pas rembourser l'argent, sinon la chose se produira (le fantasme des rats se réalisera sur son père et sur la dame). Alors, conformément à un type de comportement dont il est coutumier, s'élève immédiatement en lui pour combattre cette sanction un commandement aux allures de serment solennel : "tu dois absolument rembourser au lieutenant A. les 3,80 couronnes"". Or certains obstacles extérieurs, mais aussi intérieurs, l'empêcheront de s'acquitter de sa dette qui restera une véritable obsession.

La vérité dévoilée

A la fin de l'exposition du cas, Freud expose les différents raccourcis et transferts qui expliquent cette obsession et propose la reconstitution suivante. Son père est haï suite à un châtiment terrible lors de sa prime enfance en punition à un méfait sexuel en rapport à la masturbation infantile. Cela le conduit à une certaine inhibition sexuelle : cette punition "avait laissé une rancœur contre le père et l'avait installé une fois pour toutes dans le rôle de celui qui vient troubler sa jouissance sexuelle " et même ses projets matrimoniaux (Payot, p. 94). Or le patient alors se remémore un incident que sa mère lui avait raconté et qui confirme l'hypothèse de Freud, "à son grand étonnement" : "quand il était encore tout petit [...] il dut commettre quelque mauvaise action pour laquelle son père le battit. Le petit gamin entra alors dans une fureur terrible et insulta son père pendant que celui-ci le frappait. [...]Le père ébranlé par cet accès primaire de rage s'interrompit et déclara : 'ce petit-là deviendra soit un grand homme, soit un grand criminel !' ". Le patient, après cette séance, interrogea sa mère qui confirma l'incident et rajouta que la faute avait été de mordre quelqu'un.

De là l'interprétation suivante : le patient s'identifiait au rat, qui mord, qui est persécuté par les hommes. Cette pensée, liée à l'incident lors de son enfance mais enfouie dans l'inconscient, était ravivée notamment par des mots, des signifiants qui se rapprochent du mot Rat : Ratte (acompte) et donc argent, heiraten (mariage)...

Ernest Jones

De cette analyse, Ernest Jones donne des indications dans sa biographie La vie et l’œuvre de Sigmund Freud (PUF). Alors que l'analyse de Dora avait eu lieu les trois derniers mois de l'année 1899, l'analyse de ce juriste de trente ans, Ernst Lanzer, débuta en octobre 1907 et dura onze mois. Il y a donc sept ans d'intervalle entre ces deux analyses. Jones évoque par deux fois cette analyse, dans son ouvrage.

Une première fois, dans le chapitre intitulé « Travaux techniques », une seconde fois lorsqu'il présente les travaux cliniques de Freud et donc chacune des cinq psychanalyses.

La première de ces occurrences

Dans « Travaux techniques », Ernest Jones écrit[1] :

«  [...] Si nous nous proposons d'en parler ici, c'est parce que Freud avait l'habitude de détruire les manuscrits et les notes dont il s'était servi et cela pour tous les articles qu'il publiait. Par une chance singulière pourtant, les observations au jour le jour qu'il nota chaque soir à propos de ce cas ont été sauvées, tout au moins la partie la plus importante de celles qui concernent les quatre premiers mois du traitement. Ces renseignements ont une valeur inestimable en nous fournissant l'occasion d'épier, si l'on peut dire, Freud dans son travail journalier, dans sa façon de doser ses interprétations, nous observons sa façon caractéristique de se servir d'analogies pour illustrer un argument. Nous prenons également connaissance des conjectures préliminaires destinées à lui seul, et qui pourront ensuite se trouver soit confirmées, soit réfutées et aussi du procédé expérimental utilisé dans ce travail réalisé bribes par bribes. Le coup d'œil ainsi jeté dans les coulisses offre, surtout pour le praticien, un considérable intérêt. Certains points de la technique freudienne à cette époque méritent tout particulièrement de retenir l'attention. C'est ainsi qu'il fait part à ses malades d'un plus grand nombre de détails qu'il ne le fera plus tard et qu'on a actuellement coutume de le faire. Il dit agir ainsi, non pour convaincre le sujet, mais simplement pour pousser ce dernier à lui fournir des matériaux plus significatifs. En outre, les notes inédites nous apprennent que Freud, à ce moment-là plus que par la suite, adoptait une attitude familière avec à l'égard de ses patients, ce que n'autorise plus le procédé employé depuis par les psychanalystes. À dire vrai, il n'invitait plus ses clients à déjeuner chez lui, comme il n'avait fait entre 1880 et 1900, mais partageait parfois avec eux des rafraîchissements qu'on leur apportait pendant les séances. À propos de ces collations, nous retrouverons dans ce journal d'une analyse, un fabuleux exemple des effets qu'avait eu et surtout qu'aurait pu avoir pour l'homme aux rats, pour le déroulement de cette analyse, le fait que Freud lui avait fait apporter, au cours d'une de ses séances, parce qu'il avait faim, une assiette de harengs de la Baltique. Nous verrons en effet se déployer étroitement articulé à ce que Freud avait manifesté de son désir, à ce moment-là, un magnifique fantasme que nous pouvons appeler, non sans raison, « le fantasme au hareng », comme étant l'une des variantes de son fantasme dit fondamental. Or étrangement, de ces effets, Freud ne pipe pas mot dans le texte officiel des cinq psychanalyses. Cela reste son secret et pour cause… »

La seconde occurrence

La seconde occurrence se trouve dans le second tome de la biographie de Freud[2]. Ernest Jones présente donc l'histoire analytique de l'Homme aux rats. « S'appuyant sur l'exposé condensé et assez fragmentaire d'un cas difficile, Freud y étudie longuement la structure particulière de l'état déconcertant d'une névrose obsessionnelle. Il émet l'avis que, pour la connaissance des processus inconscients, l'étude de cette névrose est bien plus instructive que celle de l'hystérie. » L'analyse débuta donc le 1er octobre 1907. Elle dura onze mois. « [...] Le résultat, écrit Jones, en fût brillant, le malade put, par la suite, réussir aussi bien dans sa vie que dans son travail ». On peut retrouver les premiers comptes-rendus de cette analyse dans les Minutes psychanalytiques de Vienne, volume I. Au bout d'un mois de traitement, le 6 et le 30 octobre, Freud présente ce cas, au cours des soirées analytiques du mercredi. On peut retrouver le procès verbal de ces séances rédigées par Federn. Il reparle le 20 novembre, de l'extraordinaire façon de prier de cet analysant. Le 22 janvier, le symptôme du lorgnon. Le 8 avril, il décrit et analyse magistralement sa grande obsession des rats, celle qui lui a donné son nom. Il le présente enfin au congrès de Salzbourg le 27 avril 1912 où il fournit d'amples détails personnels sur le cas, plus librement qu'il n'eut pu le faire dans un rapport publié. À propos de son intervention à ce congrès, Jones indique également que Freud parla d'abondance pendant plusieurs heures, emporté par l'intérêt pour son sujet[3] :

«  [...] Assis au bout de la longue table autour de laquelle nous étions réunis, il parlait de sa voix basse mais distincte, comme dans une conversation. Il commença à huit heures du matin et nous l'écoutâmes avec une attention profonde. À onze heures il s'arrêta en suggérant que nous en avions assez. Mais nous étions tous si intéressés que nous insistâmes pour qu'il continuât, ce qu'il fît jusqu'à une heure. Celui qui est capable de tenir un auditoire suspendu à ses lèvres pendant cinq heures de suite a certainement des choses utiles à dire. Toutefois nous étions plus charmés encore par son extraordinaire don d'exposer nettement un sujet que par la nouveauté de ce qu'il disait. »

Bref, il y a du transfert. Chacun boit ses paroles et reste suspendu à ses lèvres. Freud était sorti de son isolement. Jones évoque également les commentaires théoriques dont Freud accompagne et complète cette histoire clinique :

« [...] Les capacités analytiques de Freud se manifestèrent plus que jamais dans l'élucidation de ce cas. Sa délicate et ingénieuse interprétation, sa compréhension des processus psychiques les plus complexes avec leurs jeux subtils de mots et d'idées, ne peuvent manquer de susciter l'admiration et ont rarement été surpassés dans ses autres travaux. »

De façon comparative, ce que Freud écrivait dans son journal et ce qu'il en a retenu dans le texte officiel des cinq psychanalyses, occulte le rôle que la mère de l'Homme aux rats jouait dans sa névrose.

Notes et références

  1. La vie et l'œuvre de Sigmund Freud (volume II) – « Les années de maturité », PUF, p. 244
  2. sous le titre « Exposés de cas », page 279
  3. page 44 volume II de la biographie

Bibliographie

  • Sigmund Freud, L'Homme aux rats : un cas de névrose obsessionnelle, suivi de Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense, Paris, Payot, coll. "Petite Bibliothèque Payot", 2010 ((ISBN 2228905542))
  • Cinq Psychanalyses (Dora, L'homme aux Loup, L'homme aux rats, le petit Hans, Président Schreber), traduction révisée, PUF Quadrige, 2008 (ISBN 2-13-056198-5)
  • Sigmund Freud L'Homme aux rats : Journal d'une analyse (1909), PUF, 2000 ((ISBN 2130511228))
  • Ernest Jones, La vie et l'œuvre de Sigmund Freud (trois tomes), PUF-Quadridge, rééd. 2006 (T1 : (ISBN 2130556922) ; T2 : (ISBN 2130556930) ; T3 : (ISBN 2130556949)





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