Jean Coatanlem

Jean Coatanlem
Jean Coatanlem
Surnom Le Roi de la mer
Naissance 1455
Près de Morlaix
Décès 1492 (à ~ 37 ans)
Lisbonne
Origine Breton
Allégeance Drapeau breton (Kroaz du) Duché de Bretagne
PortugueseFlag1485.svg Royaume de Portugal
Arme Corsaire
Grade Amiral

Yann Coatanlem, Jehan Coetanlem selon l'orthographe de l'époque (Coat an Lem signifie Bois du Saut), sieur de Kéraudy en Plouezoc'h, est un corsaire breton, né près de Morlaix vers 1455. Il fut surnommé le Roi de la mer d'après son titre d'amiral du Portugal. Nicolas Coatanlem est son neveu.

Sommaire

Biographie

Extraction familiale[1]

Il est peut-être le petit-fils d'un fermier de la région de Morlaix figurant sur la liste des producteurs de crées[2] de cette ville en 1408, Henry de Quoitanlem. Vraisemblablement, c'est le père de ce dernier qui, sans doute suffisamment enrichi dans cette production de lin, fit en 1407 une donation pour la reconstruction gothique entreprise au nom du Duc Jean de Notre Dame de la Fontaine, qui est devenue par la suite, en 1618[3], la chapelle du Carmel de Morlaix. Ces donations se faisant habituellement à l'occasion d'une succession et l'inscription sur le registre des toiliers datant de l'année suivante, la séquence est plausible.

Son prénom de Jehan peut également avec vraisemblance laisser supposer qu'il était le filleul, donc probablement le neveu comme c'est la coutume en Bretagne, de Jehan Coëtanlem, noble recensé au cours de l'enquête de réformation de 1448, habitant comme feu son père la terre de Bourret en Plougoulm dans le Mihiny de Léon.

Si le père de ce parrain léonard est bien le Henri de Quoitanlem inscrit à Morlaix, la noblesse de la famille remontrait donc à l'acquisition d'un domaine seigneural à Plougoulm. L'acquisition de telles terres obligeaient les roturiers, qui en étaient devenus propriétaires, au service militaire autrefois rendu par les anciens propriétaires nobles. Ils paraissaient dès lors comme "annobliz" dans les montres. Cette hypothèse de l'origine de cette famille importante au plan de l'histoire locale permet d'expliquer qu'elle ne figure pas dans l'enquête de réformation de 1427.

La roture, apparente dans le métier du grand-père, n'exclut pas une noble origine. Les cadets n'avaient souvent pas les moyens de se maintenir. En effet, le sénéchal Jehan de Lezmaez rappelait dans son enquête du 4 décembre 1483 que le père du sieur Coetanlem de Keraudy, notre corsaire, était proche parent du seigneur de Bourouguel en Plouigneau, ce qui semble indiqué un cousinage plutôt qu'une alliance avec les descendants de Thomas Le Rouge, seigneur du Bourouguel, capitaine arbalétrier du roi de France en 1419. Le titre de sieur signifie que le domaine est un domaine seigneurial sans droit d'y exercer la justice, alors que le titre de seigneur des Bourouguel correspondait a minima à un droit de basse justice.

Coatanlem a donc toutes les chances d'être un patronyme inventé, comme beaucoup d'autres, à la fin du XIVe pour désigner une branche cadette de la famille Le Rouge, seigneur de Bourougel dans le Trégor. La question de l'origine noble a animé la vie sociale de la famille Coetalem jusqu'après la Révolution et paraît, pour des raisons tant fiscales que sociales, avoir jouer un rôle déterminant dans le déroulement de la vie du corsaire, en particulier le masque militaire donné à une activité commerciale.

Cadet à la recherche de la fortune

À vingt ans, il se fait corsaire du roi de France, Louis XI, qui lui prête un capital de deux cents livres pour acheter une nef espagnole réformée[4], le duc de Bretagne François II n'encourageant pas lui-même les courses en mer, surtout de la part de la petite noblesse la plus éloignée. Le Duc n'accordait ses brefs, autorisations de commercer, qu'aux marchands qui s'engageaient à naviguer en convoi de mer et à payer une taxe. S'engager auprès de l'ennemi du Duc s'était donc d'abord échapper à un impôt qui constituait une part essentielle du revenu du duché[5]. L'opération entre un petit gentilhomme bas-breton et la cour de France a été rendu possible par le traité de Caen signé le 23 décembre 1465, consolidé le 10 septembre 1468 par le traité d'Ancenis, entre ces souverains pour mettre un terme à la guerre du Bien Public et a pu être favorisé par Tanguy IV du Chastel, seigneur de Trémazan et à ce titre gouverneur de droit de la citadelle de Brest. Celui-ci avait en effet acquis par le premier de ces traités le titre de Grand Ecuyer du Roi et comme seigneur d'une ascendance plus prestigieuse était moins en cour auprès de son suzerain que de l'adversaire politique de ce dernier. Par le second traité, Louis XI rattachait la Normandie, reprise à son frère Charles de France, au domaine royal direct, contestant, grâce au port de Dieppe principalement, la suprématie sur mer de François II.

La Croaz zuff (orthographe de l'époque), bannière de Bretagne, ne pouvait être arborée que par les navires armés dans le duché souverain auquel elle garantissait une forme de monopole. Les marchandises, pour y échapper, devaient appartenir à une marque obtenue par l'affréteur, c'est-à-dire que leur vente devait être garantie par une autorisation appelée bref, scellée avec la marque du prince ou lettre de marque.

Le roi s’intéressait aux questions maritimes depuis le temps qu'il avait été Dauphin où il fréquenta Guillaume de Cazenove. Ce cadet de Gascogne servit les intérêts de son roi comme corsaire sévissant contre les navires castillans et avait reçu la charge de vice-amiral de France[6] durant l'exercice de laquelle il mit à mal la flotte flamande. C'est peut-être dans la maison de cet intime, à Gaillarbois entre Paris et Rouen, où se retrouvaient les corsaires en négociation avec l'amirauté, que le roi rencontra Coatanlem.

La période est celle d'un boum économique, la flotte bretonne acquérant peu à peu en cette fin du XVe siècle une position dominante dans le trafic atlantique[7]. En sus de l'exportation du blé et de chevaux, du transport croissant de vins de Bordeaux et de La Rochelle, le port de Morlaix profitait spécifiquement du développement du manufacturage du lin. Les crées du Léon étaient très recherchés pour la qualité de leur tissage jusqu'au Portugal pour faire des voiles, concurrentes des poldavys de Locronan, et pour leur blancheur pour servir de linge. Les accords commerciaux passés avec l'Angleterre en 1476 ont porté l'exportation par le seul port de Morlaix de ces pièces d'à peu près un mètre de large à près d'un million de mètres pour la seule année 1480[8], trois fois moins que cent ans plus tard. Coëtanlem suit la voie que suivent ses confrères bourgeois, les Quintin, Le Bigot, Forget, Le Lagadec, Guyngan.

La coutume bretonne, suivie même par les Rohan, princes du Léon, permettait à un gentilhomme de déroger aux obligations de son ordre et de participer, moins par ses mains que par son capital, à des activités économiques, souvent maître de forges, orfèvre, maître verrier, armateur... Le temps de cette vie de bourse commune, les privilèges étaient suspendus, les nombreux cadets des prolifiques familles bretonnes constituant ainsi une noblesse dormante. Le commerce de gros ne faisait pas dormir la noblesse. L'affrètement dès qu'il se résolvait par une vente au détail soumettait donc Coetanlem à l'impôt foncier des roturiers, le fouage, alors que l'activité de course, toute militaire, l'en dispensait. Les cargaisons saisies par le corsaire sur les navires anglais et flamands permirent de rembourser rapidement le trésor royal et de fonder une société d'armement de cinq corsaires et une barque[4].

Le sac de Bristol

Devenu riche armateur et capitaine de ses navires, il se livra à la course aux dépens des bateaux cabotant près de la Bretagne sans le Croaz zuff, spécialement, malgré le traité anglo-breton de 1481, contre les Anglais, tout à la fois principaux clients (45 % des exportations), concurrents et anciens occupants du Léon durant le guerre de Cent Ans qui avaient encore détruit l'abbaye de Fineterre en 1462.

Son navire amiral s'appelait La Cuiller, mais plusieurs autres navires étaient, selon les moments, sous ses ordres, comme le Singe, la Figue, le Sainte-Marie de Penmarc'h, le Barque de Morlaix, le Picard[9]. L'escadre de Coatanlem se composait de cinq à dix bateaux de 150 à 250 tonneaux, escortée d'un grand nombre de barques de 30 à 80 tonneaux[10].

En 1484, les armateurs de Bristol, pour le contrer, envoyèrent dans la baie de Morlaix trois navires de guerre que Coatanlem réussit à vaincre, malgré un effectif cinq fois moindre et un seul navire, après six heures de combats et deux heures de trève[11]. En représailles, il conduisit aussitôt son escadre restée au port piller Bristol et prendre en otages ses notables. L'affaire mit dans l'embarras le duc François II de Bretagne qui, dans un jeu d'équilibre de plus en plus délicat entre la France et l'Angleterre, voulait préserver la paix avec celle-ci. L'exploit naval, qui servait les intérêts commerciaux de ses sujets, fut récompensé par un titre de chevalier et l'absence de lettre de course visant les ports, qui faisait du sac de Bristol un acte de piraterie, fut sanctionné par un exil doré.

L'amirauté du Portugal

Pour éviter d'avoir à indemniser ses victimes, Jean Coatanlem convint d'aller avec ses équipages se mettre au service du roi du Portugal, Jean II, contre les Barbaresques. Le 22 août de cette année, le roi avait éliminé ses derniers opposants, se consacrant désormais pleinement à l'exploration maritime. Il nomma le Breton, qui n'avait pas trente ans, grand amiral du pays, c'est-à-dire de la première flotte militaire mondiale de l'époque. La transaction fut probablement négociée par la cour de Louis XI, où le corsaire avait déjà trouvé des appuis. Le père de Jean, Alphonse V, avait déjà bénéficié des services maritimes de la France, alliée du Portugal contre la Castille, pour retrouver son trône en 1477 après la déconvenue de ToroJean, alors prince impétrant, avait combattu aux côtés des troupes françaises. Il est donc possible que le roi du Portugal ait connu le corsaire à cette date.

Le développement de la société morlaisienne fut confié à Nicolas Coatanlem, qui était le fils de son frère aîné mais n'était plus jeune que d'une quinte d'années seulement. Son nouveau titre d'amiral en fit très probablement un des experts consultés sur le projet Buscar el Levante por el Poniente (Atteindre le Levant par le Ponant) présenté cette même année à Jean II par Christophe Colomb, projet qui ne fut pas agréé par la commission des mathématiciens saisie, alors même que le traité de Tordesillas arrêté le 7 juin consacrait le monopole du Portugal sur la Guinée et le désintéressait définitivement de l'exploration maritime vers l'ouest. La tâche de l'amiral était précisément de consolider le contournement du Maroc dans le trafic de l'or du comptoir d'Elmina que le roi avait fait fortifier trois ans plus tôt pour marquer l'avènement de son règne.

Sous son gouvernement furent conduites les expéditions à la recherche du royaume du Prêtre Jean de Diogo Cão, qui avait découvert précédemment le Congo, de Bartolomeu Dias, qui franchit le Cap de Bonne-Espérance et de Pêro da Covilhã qui rétablit par la Méditerranée le contact avec le royaume chrétien du Négus. Il meurt, n'ayant pas atteint la cinquantaine, dans son palais de Lisbonne en 1492 avec le titre de Roi et Gouverneur de la Mer[12] assez semblable à celui d'Amiral de la mer Océane qu'obtiendra à son tour du roi d'Aragon Christophe Colomb.

Bibliographie

Liens internes

Références

  1. H. de Langle, Ces Messieurs de Morlaix, t. II, Société Nouvelle Mémoire & Documents, Versailles, 1998, Ces Messieurs de Morlaix.
  2. Toiles de lin fabriquées dans les régions de Morlaix et de Landerneau, voir http://linchanvrebretagne.org/patrimoineethistoire_histoire_crees.html
  3. Présentation du Carmel de Morlaix.
  4. a et b Y. Brekilien, Histoire de Bretagne, p. 203, Hachette, Paris, 1977, ISBN 2-01-003235-7.
  5. J. Cornette, Histoire de la Bretagne et des Bretons I, p. 380, Seuil, Paris, 2005, ISBN 978-2-7578-0995-2.
  6. M.J. de Bourrousse de Laffore, Nobiliaire de Guienne et de Gascogne III, p. 215, Dumoulin, Paris, 1860, Nobiliaire de Guienne et de Gascogne III.
  7. J. Cornette, Histoire de la Bretagne et des Bretons I, p. 379 à 382, Seuil, Paris, 2005, ISBN 978-2-7578-0995-2.
  8. G. Minnois, Nouvelle histoire de la Bretagne, p. 369, Fayard, Paris, 1992 (ISBN 2-213-03017-0).
  9. Mémoires de l'Académie des sciences, lettres et arts d'Arras, année 1908, consultable http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5533348t/f262.image.r=Guimiliau.langFR
  10. Mémoires de l'Académie des sciences, lettres et arts d'Arras, année 1908, consultable http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5533348t/f264.image.r=Guimiliau.langFR
  11. Y. Brekilien, Histoire de Bretagne, p. 204, Hachette, Paris, 1977, ISBN 2-01-003235-7.
  12. H. Waquet et R. de Saint-Jouan, Histoire de la Bretagne, coll. Que sais-je ?, n° 147, p. 72, PUF, Paris, 1943.

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