Général Santerre

Général Santerre

Antoine Joseph Santerre

Antoine Joseph Santerre
AntoineJosephSanterre.jpg
Naissance 1752
Paris
Décès 1809 (à 56 ans)
Paris
Nationalité France France
Profession(s) Brasseur
Autres activités Général

Antoine-Joseph Santerre, le 16 mars 1752 à Paris il est mort le 6 février 1809, est un homme politique français qui appartint au mouvement Hébertiste.

Sommaire

Un industriel fils dindustriel

Fils de Antoine Santerre, industriel, riche brasseur du Cambrésis, venu sétablir à Paris en 1747, et de Marie-Claire Santerre, Antoine-Joseph Santerre est rue du Noir - actuelle rue Gracieuse -, dans lun des immeuble familiaux. Son père sétait rendu propriétaire d' une première brasserie dite de la Magdeleine, rue dOrléans Saint-Marcel, et ayant épousé une cousine richement dotée, il sétait agrandi par lacquisition dune seconde brasserie rue Censier n°17. Le future général perdit ses parents encore enfant, et comme ses autres frères et sœurs, il fut élevé par leur sœur aînée Marguerite, aidée en cela par Jean-Baptiste Santerre et Marie-Marguerite Durand, leurs oncle et tante. Appartenant à la riche bourgeoisie parisienne, Antoine-Joseph fut admis au collège des Grassins, se passionna pour la chimie, et une fois émancipé, étant fils de maître, il exerça à son tour la profession lucrative de brasseur. Dès 1772, il acquit la brasserie du sieur Aclocque à Reuilly et dès cette époque, associé avec son frère Jean-François Santerre de la Fontinelle – installé rue Neuve-de-Berry –, il devint le principal fournisseur de bière à Paris et sa région.[1], Dans les années 1780, ils créèrent un laboratoire de recherche chimique à Sèvres, pour y développer les techniques de fabrication industrielle rapportées dAngleterre. Antoine Joseph Santerre fut un des premiers à se servir, pour la dessiccation de lorge, du coke si peu employé alors quil navait pas de nom en France : on lui donnait celui descarbilles sous lequel il fut longtemps connu. Paternaliste et jovial, Santerre, que ses ouvriers appelaient « gros père », avait dans son village de Bercy se situait lessentiel de son activité industrielle, une réputation de bon patron. Michelet écrivait à son sujet : « ...Cétait une espèce de Goliath, sans esprit, sans talent, ayant les apparences du courage, du bon cœur et de la bonhomie »

Rencontre avec le duc dOrléans

Il avait une grande passion pour léquitation à quoi il consacrait lessentiel de ses loisirs. Son écurie personnelle était considérable et il contribua au succès des premières courses de chevaux introduites dAngleterre en France. Anglophile, nhésitant pas à franchir la Manche pour ses affaires, Santerre ne tarda pas à se rencontrer avec le duc dOrléans cousin de Louis XVI qui, pour lui marquer son estime, lui octroya la charge de maître déquitation des enfants dOrléans. Un manège avait dailleurs été créé dans la salle de ce nom en sous sol des jardins du Palais-Royal. On disait que Santerre était si doué pour lart équestre quil pouvait rivaliser avec Franconi, premier du nom. Son cheval, baptisé « Sans pareil » était démesurément grand et gros, en proportion avec le brasseur qui avait lui-même un physique en proportion, très avantageux. Les relations de Santerre avec dOrléans lui permirent découler sa bière dans tous les établissements, restaurants, cafés et académies de jeux des arcades du Palais-Royal, créées en 1784, qui étaient louées par le duc dOrléans. Le Palais-Royal fut donc, dans les années qui précédèrent la Révolution française, le quartier général de Santerre qui en était une des personnalités les plus en vue. Il avait outre la passion de la bière et des chevaux, celle de largent. Riche sous lancien régime il était encore plus riche après la Révolution et lénumération de toutes ses propriétés, en région parisienne et en province, pourrait être fastidieuse. La Révolution la prodigieusement enrichi, comme Cambacérès, Joseph Fouché et autres gloires du panthéon révolutionnaire. Assez peu tranquille sur son avenir personnel, sous le Directoire, grâce à sa famille et notamment à son divorce à lamiable en lan VI avec Adélaîde Deleinte sa seconde épouse, il cherche à échapper à déventuelles confiscations et organise sa succession.

Santerre était un homme de clan et de réseau. Son premier réseau est celui de sa famille sur laquelle il sappuya dès le début de la Révolution quand la chance semblait accompagner toutes ses entreprises y compris les plus contestables et même les plus injustifiables comme les massacres de juillet 1791 et de septembre 1792 dont il a été limpitoyable metteur en œuvre. Par ses nombreux frères et sœurs, il sétait attaché la dévotion de beaux frères comme lavocat au Parlement Étienne-Jean Panis ou Jacques-Bon Pelletier-Descarrières qui le secondèrent, lun dans ses activités politiques occultes au sein de la Municipalité et lautre dans le blanchiment dargent et les réseaux dinfluence de la grande banque internationale.

1789 : un agent provocateur ?

Il est avéré que Santerre faisait des distributions massives et gratuites de bière au faubourg Saint-Antoine lors des journées révolutionnaires. On a ses demandes de remboursements allant de 1789 à 1792.

Ayant pris part aux journées du 14 juillet 1789, il indiqua dès le lendemain 15, avoir été nommé par le peuple commandant général du faubourg Saint-Antoine et quà la tête de quatre cent hommes, il a partagé tous les travaux du siège de la Bastille. Il prétendit aussi que sil lavait fallu, il « laurait incendiée avec de lhuile dœillet et daspic, enflammé avec du phosphore, injecté au moyen de pompes à incendie qui étaient prêtes. Il a réussi non sans risque pour lui à sauver la vie à un invalide que la multitude voulait pendre. Le comité permanent a applaudi au zèle et à lhumanité de M. Santerre. Il a confirmé les pouvoirs à lui donnés par le peuple et la invité à redoubler ses soins, sil était possible, pour ramener lordre et le calme dans le faubourg Saint-Antoine dont la tranquillité a tant dinfluence sur la tranquillité de toute la ville »[2]. Ce pouvoir que Santerre avait sur les habitants du faubourg est indiqué clairement dès cette époque. Toutes les fois que cela sera nécessaire Santerre aura la faculté « dinstrumenter » le « peuple des faubourgs » pour lequel, non seulement des tonneaux de bière, mais aussi des sommes dargent de 50 000 ou 60 000 livres seront diverses fois mises à disposition.

Le parcours de Santerre semble indiquer quau début de la Révolution, il accepta de largent de la Cour, comme en témoignent les documents de la liste civile trouvés dans larmoire de fer, et un certain nombre de reçus, après le 10 août. Les choses sont dautant plus vraisemblables quil était effectivement employé par le comte de La Marck (qui sétait chargé de retourner Mirabeau en faveur de la Cour) et quil était lennemi juré du général La Fayette, obstacle aux projets des Tuileries.

Santerre déteste tant le général La Fayette, lincorruptible commandant de la Garde nationale chargé dassurer la protection de la famille royale mais aussi celle de lAssemblée afin quelle puisse délibérer dans la sérénité, quil cherche à le discréditer, à le pousser aux « bavures » dans lexercice de ses fonctions difficiles (contenir les débordements populaires sans verser de sang). Il cherchera à lui nuire de toutes les manières possibles, faisant en cela le jeu de la cour dont le but était clairement de discréditer lAssemblée en la mettant dans lobligation de décréter des mesures autoritaires (loi martiale) face aux émeutes.

Son rôle dans laffaire de Vincennes

Les « chevaliers du poignard », une centaine de gentilshommes armés de stylets, désirant procurer la liberté à Louis XVI par la force, cherchèrent à entrer de nuit au palais des Tuileries pour lenlever et prétendument léloigner de Paris; simultanément, une émeute dont on pense quelle était destinée à créer un effet de diversion, éclata à Vincennes (village situé à lest de la capitale), et les troupes de La Fayette, gros obstacle aux projets chimériques des conseillers de Louis XVI (notamment le comte de La Marck) sy rendirent, laissant le champ libre aux chevaliers du poignard. Dans la confusion, à Vincennes, Santerre tira en direction de La Fayette, peut-être dans lintention de le tuer, atteignant son second, Desmottes[3]. Procès Desmottes/Santerre

Laffaire du Champ-de-Mars

Le 17 juillet 1791, les Parisiens sétaient réunis au Champ de Mars, pourvu pour la circonstance dun « autel de la patrie », pour signer une pétition réclamant la déchéance de Louis XVI et linstallation de la république en France. Trompée par des rapports infidèles faisant état de désordres graves, lAssemblée constituante demanda dans la matinée à Jean-Sylvain Bailly, maire de Paris, et à La Fayette, commandant de la garde nationale, de se mettre en position sur place et de rétablir lordre. Daprès le comte de Lavitonnière, Santerre avait reçu 20 000 livres du comte de La Marck, agent secret de la cour, pour la mise à exécution de cette provocation. Son affidé, lItalien Jean-Baptiste Rotondo, recruté à cet effet avec les sieurs Cavallanti et Giles, dissimulé à proximité de lautel de la patrie « une foule de témoins » le reconnurent, devait, le moment venu, tirer en direction de La Fayette. Puis Santerre, commandant de bataillon, donne aussitôt ordre de riposter dans la direction d venait le coup de feu, cest-à-dire dans la foule.

Cette provocation de Rotondo, déjà connu pour avoir participé contre argent à tous les « coups tordus » de la Révolution[4], entraîna la fameuse riposte calculée de Santerre suivie du carnage immortalisé par un dessin de David. Santerre, malgré ses dénégations, fut accusé davoir sciemment tiré sur la foule et il fut décrété de prise de corps. Il se cacha puis, comptant sur quelques puissants appuis, réussit à se faire absoudre.

« Lexpérience ma donné à penser, écrivit plus tard le respectable Jean-Sylvain Bailly quun tel complot existait à cette époque ». Tenu pour responsable par lopinion, – un verdict entériné au Tribunal révolutionnaire siégeaient les amis de Santerre –, Bailly fut exécuté dans des conditions atroces, le 11 novembre 1793[5] La Fayette donna, quant à lui, sa démission et fut envoyé en commandement à larmée du Nord. Le service du commandement de la Garde sous linfluence de Santerre fut assuré à tour de rôle par six chefs divisionnaires.

Laffiche de justification intitulée « Aux honnêtes gens » publiée par Santerre en date du 1er septembre 1791.

Santerre et largent des Tuileries

Au Palais-Royal il reparaît, Santerre fréquente le « 129 » que dirige son beau-frère Jacques-Bon Pelletier Descarrières[6], un ancien officier de la maison du roi, assisté de la plantureuse Melle la Bacchante sa maîtresse[7]. Cet établissement de jeu est lun des plus célèbres du quartier, et réunit tous les ennemis des députés que Lamartine a nommé « Girondins » (et quon nommait alors Brissotins ou Rolandistes), cest-à-dire des membres de la future Commune de Paris issue du 10 août, des membres du club des Cordeliers et de futurs conventionnels siégeant plus tard dans la Montagne. La plupart sont acquéreurs de biens nationaux dans des proportions variables, et la maison Descarrières passe pour être le quartier général des affidés de la « bande noire ». Chez Descarrières, on trouvait aussi bien des aristocrates étrangers, souvent des gens de finances comme le comte dorigine espagnole de Andres Maria de Guzman, et des spéculateurs comme le marquis de Travanet ou encore des hommes reliés à la finance internationale comme le comte de Pestre de Séneffe. Ce sont d'ailleurs ces trois personnages qui, avec quelques autres, jouent le rôle de « banquiers » du « 129 ». Cette maison de jeu, toujours dénoncée comme repaire des ennemis de la Révolution, résistera à toutes les intempéries et sera encore en fonction sous le Directoire elle fut lasile des membres du parti « clychiste ». Cest dans ce lieu, à labri des regards indiscrets, que les révolutionnaires bon teint comme létait Santerre, qui cultivait dans les faubourgs son image de patriote, rencontrait par exemple Maximilien Radix de Sainte-Foix et son neveu Omer Talon tous les deux conseillers occultes de Louis XVI et dispensateurs prodigues des fonds secrets de la liste civile. Maximilien Radix de Sainte-Foix recruta ainsi un certain nombre dindividus pour qui la Révolution fut, avant toute chose, une lucrative opportunité. La découverte des papiers dissimulés dans larmoire de fer, le coffre fort particulier de Louis XVI, qui révéla la vénalité de certains, fut certes, une catastrophe pour eux, du moins tempérée par le fait que les témoins principaux de ces tractations secrètes avaient été exécutés le 2 septembre au cours des massacres lon tua un peu tout le monde, histoire de donner le change[8].

Le 20 juin 1792, avec les habitants du faubourg Saint-Antoine, Santerre qui, ayant pris ses distances avec ses employeurs de la veille, occupe à nouveau sans en avoir le titre le commandement général de la garde nationale, laisse envahir le château des Tuileries, opération destinée à faire pression sur Louis XVI nommé « monsieur Veto ». Il navigue désormais au plus près de ses intérêts, prompt à épouser le parti du plus fort.

Daprès Jean-Louis Carro les « directeurs secrets de la révolte » qui devait conduire à la chute de la monarchie « furent choisis par le comité central des Fédérés établi dans la salle de correspondance aux Jacobins-Saint-Honoré » :

« Je fus, dit-il, adjoint à ces cinq membres, à linstant même de la formation du directoire, et quelques jours après, on y invita Fournier lAméricain, Westermann[9], Kieulin de Strasbourg, Santerre, Alexandre, etc.[10] »

Dès le 26 juillet 1792, avec Charles-Alexis Alexandre, Claude François Lazowski, François-Joseph Westermann, Claude Fournier, Santerre participait en effet à plusieurs réunions du comité insurrectionnel qui préparait la prise dassaut du château des Tuileries, qui eut lieu le 10 août 1792. Le « peuple » lui obéissait toujours, disait-on, « au doigt et à lœil », et, à la tête de son détachement de la Garde nationale, Santerre, en toute connaissance de cause, ne remplit pas la mission dinterposition qui était normalement la sienne[11]. Au contraire, il favorise le mouvement insurrectionnel qui aboutit, on le sait, à la prise du château des Tuileries et au vote à lAssemblée dun décret de déchéance du roi Louis XVI.

Devenu commandant de la garde nationale, il fut accusé par la suite par Marat et dautres, avec quelques raisons, davoir désorganisé les gardes nationaux à cheval de lécole militaire en y recrutant des aventuriers, des repris de justice - comme létait le général "exagéré" Westermann, futur massacreur de la Vendée -, des escrocs et, reconnaissait Jean-Paul Marat, « il a fait mettre au cachot les bons sujets qui demandaient quelle (la garde) fût purgée ».(B&R)

Après la prise du château et lévacuation de la famille royale, cest Santerre qui assura son transfert à la prison du Temple.

Son rôle pendant les massacres de septembre 1792

Plusieurs lettres dont celles du maire de Paris Jérôme Pétion, qui nétait pas sanguinaire, prouvent quordre avait été donné au commandant de la garde nationale Santerre de sinterposer entre les massacreurs et les prisonniers désarmés, tant à lAbbaye, à la Force, au Châtelet, à la Salpêtrière - lon écrasait la tête des prisonnières avec des bûches - quaux Carmes et dans les maisons détention visées.

Alors même que le maire Pétion lui avait déjà écrit une première fois pour quil fasse cesser les massacres, il affecta une nouvelle fois dattendre des ordres que le ministre de lIntérieur Jean-Marie Roland lui avait transmis également - tandis que le sang coulait inutilement, contribuant à salir la Révolution française dune tache indélébile. Pétion lui écrivait à nouveau :

« Je vous écris, M. le Commissaire général, relativement à la prison de la Force. Je vous ai prié dy établir un nombre dhommes si imposant quon ne fût pas tenté de continuer les excès que nous venons de déplorer. Vous ne mavez pas répondu. Jignore si vous avez satisfait à ma réquisition, mais je vous la réitère ce matin. Comme jen ai rendu compte à lassemblée nationale, jignore ce que je pourrai lui dire sur létat de cette prison... »[12].

Pour Jérôme Pétion et les Girondins, cette inaction coupable et criminelle, était calculée, s'inscrivant de la stratégie de l'exagération révolutionnaire. Lopération tragique des massacres de septembre avait dailleurs été concertée avec Étienne-Jean Panis, le propre beau-frère de Santerre, et lami de celui-ci le graveur Antoine Joseph Sergent, qui furent tous les deux élus du peuple à la Convention. Les poursuites engagées par les Girondins contre les assassins de septembre senlisèrent quasi-systématiquement. Il fallut attendre la création de la Commission des Douze pour que sengage un début dinstruction et quapparaissent enfin des procès-verbaux permettant aujourdhui de déterminer les responsabilités principales dans lesquelles les noms de Santerre, de Panis et de Sergent apparaissent bien avant ceux de Jean-Paul Marat et de Georges-Jacques Danton, comme on lécrit généralement à tort. Aux documents darchives subsistant, sajoute un terrible rapport aux allures de pamphlet signé par Roch Marcandier, journaliste ami de Camille Desmoulins. Ce texte, généralement peu exploité par les historiens, et qui a paru sous le titre « les Hommes de proie », est le plus accablant des réquisitoires dirigé contre les auteurs des violences de septembre. Le général Santerre et son beau-frère Étienne-Jean Panis qui échappèrent à toute poursuite et moururent dans leur lit, y sont sévèrement flétris. Quant à Roch Marcandier, il paiera comme Camille Desmoulins ou Olympe de Gouges le courage quil y avait à cette époque à exprimer des sentiments dindignation et dhumanité : il devait être guillotiné avec sa femme en messidor an II.

Au cours des massacres de septembre, toutes les personnes habilitées à témoigner de la réalité des embauchages pratiqués par la cour des Tuileries avant le 10 août 1792 furent exécutées. Les plus chanceux, comme la princesse de Tarente qui échappa de justesse à la mort, Rivarol, Beaumarchais, Omer Talon ou Sémonville passèrent à travers les mailles du filet et émigrèrent par la suite.

Lemprunt des fils du roi dAngleterre

Depuis le début de la Révolution, Santerre avait été le promoteur de lexagération révolutionnaire, ainsi qu'on peut le constater dès le 14 juillet 1789 jusqu'aux massacres de septembre 1792 qu'il laisse s'accomplir sans bouger comme le constatent les lettres du ministre de l'Intérieur Roland citées plus haut. Il fut présent à lexécution de Louis XVI au mois de janvier 1793, le « général roulement » (allusion au roulement de tambour quil ordonna pour couvrir la voix de Louis XVI sur la guillotine) est de toutes les grandes « journées » révolutionnaires : mouvement populaire du 6 octobre 1789, complot dit des chevaliers du poignard, fusillades du Champ-de-mars, envahissement des Tuileries le 20 juin, assaut du 10 août, etc.).

Louis XVI le redoutait et bien à raison. Dans son ouvrage intitulé lUrne des Stuarts, Ange Pitou, qui fut mêlé de près aux événements de 1792 et 1793, a établi avec lui un parallèle troublant : « Santerre était royaliste dans son intérieur, et lambition du pouvoir lui fit accepter la place du colonel Pride, brasseur comme lui, et comme lui, le chef de la milice qui conduisit Charles Ier à léchafaud ».[13]

Beaucoup de ses contemporains et non des moindres, même Marat pour des raisons personnelles, se défiaient de lui. On a toujours supposé, Sénard l'affirme tout au moins, quil appartenait à un parti non officiellement représenté à lAssemblée, une "faction" très présente dans l'histoire de la Révolution de 1789 à 1814, le parti de lAngleterre, nébuleuse formée d'affairistes, spéculateurs, agioteurs et de banquiers internationaux plus ou moins liés à la Bande noire et d' est le mouvement Exagéré[14] . Assez bien informé, à la fois par les documents quil a rassemblés sur la fin du règne de Louis XVI, et aussi parce quil était résident français ayant fonction dambassadeur à Genève et rare défenseur de la mémoire de Robespierre, labbé Soulavie a affirmé que Santerre avait été un agent de lAngleterre depuis le début de la Révolution. Mais depuis son arrestation et la disparition de tous ses papiers lors de la perquisition de prairial an II - parmi lesquels, dit Sénart, ancien secrétaire du Comité de sûreté générale, des reçus de ses salaires que lui avait versé le cabinet britannique -, on ne dispose que dindices.

Une affaire assez peu connue des historiens mais qui fit assez grand bruit dans le monde politique, même si elle fut éclipsée par laffaire de la défection ou trahison du général Dumouriez, qui éclata au même moment, est celle dite de lemprunt des trois fils du roi dAngleterre à laquelle le général Santerre se rattache. Lorsque Jean Nicolas Pache fut nommé ministre de la guerre le 18 octobre 1792, en remplacement de Servan, il avait aussitôt contracté avec le citoyen Jean-Jacques Debeaune un gigantesque marché sur les fournitures militaires grâce à un emprunt gagé par les trois fils du roi dAngleterre, puissance dont chacun sattendait pourtant, dès cette époque, quelle allait rejoindre la coalition. Il faut savoir que Jean-Nicolas Pache, par ses origines familiales, se rattachait à la banque internationale, à la famille du maréchal de Castries, et notamment son fils – lun des principaux chefs de lémigration anglophile, dont le régiment était financé par lAngleterre –, et, par sa femme, à la famille de La Mark dAremberg (elle était la demi-sœur naturelle de lami de Mirabeau).

Si lon a de bonnes raisons pour admettre que Jean-Nicolas Pache nétait pas républicain, qu'il avait un double visage, et que sa situation, au ministère, était purement opportuniste, on sexplique mieux pourquoi il confia lapprovisionnement des armées de la République, pendant lhiver 1792-1793, à la famille royale dAngleterre, par lintermédiaire de Jean-Jacques Debeaune, le directeur dune société dite Winter & Cie, localisée dans le fief de Santerre, à Bercy. Lhistoire a montré que les fonds destinés à équiper les volontaires furent détournés, que le matériel de charroi fourni était dune qualité plus que médiocre, que les milliers de chevaux commandés et payés à Santerre ne furent pas livrés (il ne donna que quelques centaines de canassons), et que les chaussures des soldats étaient en carton bouilli[15]. À lépoque la Commune toute puissante qui couvrait lopération, laffaire fut étouffée plus ou moins sur le moment mais le sieur Debeaune, directeur de Winter et Cie, fut guillotiné un plus tard lorsque lancien maire Pache, Ronsin et Hébert furent arrêté avec une partie du mouvement exagéré.

Santerre renonça à son poste de commandant de la Garde le 17 mai 1793, au moment du bras de fer entre les Girondins et la Commune qui eut finalement le dernier mot. Par prudence, il se fit enrôler dans l'armée pour la Vendée Bouchotte lui donna un commandement. Maladresse ou inaction calculée, Santerre fut aussitôt battu à Vihiers le 17 juillet 1793.

Santerre et ses acquisitions révolutionnaires

Pendant la Révolution, le général Santerre a acheté quantité de biens nationaux, souvent sous des noms demprunt ou au nom de Adélaïde Deleinte sa femme, dont il devait divorcer le 26 nivôse an VI, de ses enfants ou neveux. Il se rendit acquéreur de biens nationaux à Paris (chapitre Notre-Dame) ou dans sa région, et notamment dans la vallée de Montmorency, au nord de Paris. Quand M. Dumetz de Rosnay, radié des listes démigration en 1804, voulut recouvrer ses propriétés et lune delle, le château dEve à Ermenonville, il saperçut quelle était une des acquisitions de Santerre. Le château et les terres de La Houssaye, situés non loin lui appartenaient aussi. Il avait des domaines au Cateau-Cambrésis et possédait en son nom le domaine de Latour-Morouard à Bauchery près de Provins quil revendit le 28 messidor an XIII, à un prix sous-évalué, à Théodore-François Santerre.

- Il avait acheté un remarquable ensemble immobilier dans lEnclos du Temple, notamment la fameuse Rotonde, dans lactuel quartier de ce nompresque au pied de la tour du Temple il conduisit dabord Louis XVI le 10 août 1792 pour venir le rechercher le 21 janvier suivant –, le tout dune valeur de « 400000 » livres et dont le revenu était estimé « 26000 » livres. Son frère faisait au même moment main basse sur les célèbres "Pépinières du Roule" gigantesque ensemble, aux Champs-Élysées, provenant de la maison des princes. - Comme il avait accumulé des sommes dargent considérables, qui avaient été probablement placées en Angleterre et rapatriées au moment de la paix d'Amiens, il décida de les placer, entre autres par lachat le 22 ventôse an XIII, de la terre de Torigny, gigantesque domaine provenant de la succession des princes de Monaco[16].

Arrestation

Santerre était menacé par Maximilien de Robespierre qui avait avoir connaissance, au moment du procès des Exagérés, de ses manigances contre-révolutionnaires que ses protecteurs de la Commune de Paris ne parvenaient plus à dissimuler. Mais il fut efficacement protégé par Bertrand Barère de Vieuzac et Jean-Marie Collot d'Herbois qui, pour le soustraire à des dangers certains, le firent incarcérer et protéger comme le furent lancien maire Jean-Nicolas Pache et les siens. Par la force des choses, ses papiers avaient officiellement été mis sous séquestre, mais ils se volatilisèrent aussitôt car le dossier de Santerre est vide. Lancien agent du Comité de sûreté générale Sénart, qui a été acteur et témoin de ces manœuvres de police, a affirmé que les papiers de Santerre quil eut sous les yeux révélaient ses liens avec le gouvernement britannique. Ange Pitou, qui était lui aussi bien informé, quoique dun autre bord politique que Sénart, dit que le général roulement « fut incarcéré par ses partisans » [17] Pour le sauver, ses complices contrôlèrent en effet son arrestation de manière fort adroite et son dossier fut soigneusement expurgé des pièces compromettantes quil contenait. Il attendit donc patiemment sa libération à la prison des Carmes, sans jamais être « listé » dans le cadre des prétendues conspirations de prison que le Comité de sûreté générale, qui le protégeait, faisait dresser par ses indicateurs.

Il sortit de prison le 15 thermidor an II, très rapidement en fait par rapport aux autres prisonniers, et il soccupa de ses affaires privées.

Ses procès

À sa sortie de prison, soi-disant ruiné, abandonné par son épouse, il vivra « petitement » du commerce des chevaux pour larmée : suite à son marché passé en 1792 avec lÉtat il fut contraint de rembourser « 672500 » livres pour non livraison de matériel, cest-à-dire « 6000 » chevaux ! [18]. Et il continua de spéculer sur les Biens Nationaux.

Il avait fait partie de létat-major dAugereau, son ami denfance, et il est certain que ses intérêts personnels lengageaient à souhaiter le renversement du Directoire, même s'il na pas été compris parmi les personnalités fructidorisés. Ami du directeur Jean-François Moulin, il fut arrêté après le 18 brumaire et à nouveau relâché grâce à Fouché.

Il mourra soi-disant « ruiné », comme beaucoup de révolutionnaires qui, comme Bertrand Barère et un grand nombre de régicides, avaient transmis lensemble de leurs biens à leurs proches. Une plaque, sise au 9 rue de Reuilly, commémore son nom[19].

Plaque commémorative

Santerre dans la littérature

Antoine Joseph Santerre apparaît à de nombreuses reprises dans le Chevalier de Maison-Rouge dAlexandre Dumas. Antoine-Étienne Carro, parent et thuriféraire du général, signale une erreur dans lun de ces épisodes Dumas lui fait jouer un « rôle grossier et ridicule ».

Santerre apparaît également en ces termes dans les premières pages du Comte de Chanteleine, roman historique de Jules Verne : « La Convention, effrayée, ordonna de détruire le sol de la Vendée et den chasser les « populations ». Le général Santerre demanda des mines pour faire sauter le pays, et des fumées soporifiques pour létouffer ; il voulait procéder par lasphyxie générale. Les Mayençais furent chargés de « créer le désert » décrété par le Comité de salut public. »

Notes

  1. Il résidait à proximité de la station de métro actuelle Faidherbe-Chaligny, au début de la rue de Reuilly, une plaque rappelle aujourdhui son souvenir.
  2. résumé du procès verbal Duveyrier in Chassin, les élections et les cahiers de Paris en 1789, III, p. 545
  3. AN, 40 AP 135: procès Santerre/La fayette
  4. Sac de lhôtel de Castries, entre autres, il menaça la Fayette
  5. le supplice dura une éternité pour le condamné : arrivé au lieu de lexécution, on démonta devant lui léchafaud situé sur lactuelle place de la Concorde pour le remonter au Champ de Mars. On brûla un drapeau devant son visage. Il fut enfin guillotiné.
  6. Pierre caron, rapport des inspecteurs de police, vol VI (index)
  7. cette femme dont le nom ne nous est pas connu, passe pour avoir été le modèle de la Bacchante peinte par Élisabeth Vigée Le Brun, portrait présenté au Salon de 1785
  8. Ou emprisonnés comme Maximilien Radix de Sainte-Foix qui avait eu le temps de placer ses propres archives en lieu sûr, avec menace quelle soient révélées sil advenait quil soit guillotiné. Il est possible que, avant dêtre arrêté, Radix de Sainte-Foix les ait confiées à Dumouriez qui entra par la suite au service de lAngleterre. La stratégie savéra payante puisque Maximilien Radix de Sainte-Foix fut épargné, emprisonné en maison de santé, et que Barère de Vieuzac le protégea particulièrement et efficacement contre la colère de Robespierre
  9. Le général Westermann qui se fit remarquer par ses exagérations en Vendée recevait des susides anglais par l'intermédiaire du banquier suisse Jean-Frédéric Perregaux
  10. J.-L. Carra, Précis historique et très exact sur lorigine et les véritables auteurs de linsurrection du 10 août, slnd.
  11. Il est acquis à lhistoire que Santerre, chef de bataillon, après avoir conduit le peuple aux Tuileries, nessaya pas darrêter linvasion du Palais ; déposition de Lareinière cité par H. Taine, les origines de la France contemporaine, II, ChapV, p.205-206.
  12. Une autre lettre de Pétion à Santerre portant les mots « Si les massacres continuent, il faut semparer de ceux qui les commettront... » figurait dans le Catalogue dautographes de la collection Labédoyère. Voir aussi la lettre de Roland à Santerre et la réponse (Moniteur du 7 septembre) de Santerre à Roland.
  13. Ange Pitou, LUrne des Stuarts, p.183
  14. tous les ouvrages traitant de l'histoire financière de la Révolution et du Directoire parlent de l'influence des gens de finance sur le pouvoir exécutif et sur le pouvoir législatif. C'est extrèmement connu et étudié, mais certains historiens ne s'en sont toujours pas aperçu.
  15. C'était en quelque sorte une rééditionde l'affaire d'Espagnac qui soumissionna avec le ministre Servan pour l'approvisonnement des armées républicaines au début de la campagne de Belgique
  16. Toutes les acquisitions de Santerre, de Panis et du reste de leur famille, figurent dans une série d'actes et contrats tirés du minutier central des notaires parisiens de 1789 à 1815, source irremplaçable qui n'a pas fini de révéler tous ses secrets sur l'enrichissement des révolutionnaires, notamment ceux qui portent une responsabilité dans les massacres de septembre 1792. Voir Olivier Blanc, La corruption sous la Terreur, Paris, 1992.
  17. Ange Pitou, Prières, 1818, p.14
  18. Douarche, Les tribunaux civils pendant le Révolution, II, p.616
  19. Son inventaire après décès, AN, Minutier, Etude X, l le 12/2/1809, a de quoi séduire les âmes simples : il laisse officiellement à ses trois fils une propriété à Meaux et 10 actions de la caisse Lafarge

Bibliographie

  • Olivier Blanc, Les Hommes de Londres, histoire secrète de la Terreur, Paris, 1989.
  • Olivier Blanc, La Corruption sous la Terreur, Paris, 1993.
  • Antoine-Étienne Carro, Santerre, général de la république française, sa vie politique et privée, écrite daprès des documents originaux laissés par lui, et les notes dAugustin Santerre, son fils aîné, Paris, Ledoyen, 1847.
  • Raymonde Monnier, Antoine Joseph Santerre, Paris, Publications de la Sorbonne, 1989.

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