Grippe de 1918

Grippe de 1918
Virus reconstitué de la grippe espagnole, celui qui est le plus proche par ses effets sur l'organisme du virus H5N1

La grippe de 1918, surnommée « grippe espagnole », est due à une souche (H1N1[1],[2]) particulièrement virulente et contagieuse de grippe qui s'est répandue en pandémie de 1918 à 1919. Cette pandémie a fait 30 millions de morts selon l'Institut Pasteur, et jusqu'à 100 millions selon certaines réévaluations récentes[3]. Elle serait la pandémie la plus mortelle de l'histoire dans un laps de temps aussi court, devant les 34 millions de morts (estimation) de la peste noire.

Son surnom « la grippe espagnole » vient du fait que le roi Alphonse XIII d'Espagne en fut gravement malade (en juin 1918, 70% de la population madrilène fut contaminée en l'espace de trois jours[4]), ce qui a contribué à rendre publique cette épidémie. De plus, seule l'Espagne — non impliquée dans la Première Guerre mondiale — a pu, en 1918, publier librement les informations relatives à cette épidémie. Les journaux français parlaient donc de la « grippe espagnole » qui faisait des ravages « en Espagne » sans mentionner les cas français qui étaient tenus secrets pour ne pas faire savoir à l'ennemi que l'armée était affaiblie.

Progression géographique de la grippe de 1918, montrée par les flèches.

Sommaire

Historique

Article détaillé : Pandémie de la grippe de 1918.
En décembre 1918, à Seattle, les forces de l'ordre sont équipées de masques.

Apparemment originaire de Chine, ce virus serait passé, selon des hypothèses désormais controversées, du canard au porc puis à l'humain, ou selon une hypothèse également controversée directement de l'oiseau à l'humain. Elle a gagné rapidement les États-Unis, où le virus aurait muté pour devenir plus mortel. Cette nouvelle souche est trente fois plus mortelle que les grippes communes avec 3 % des malades. Elle devint une pandémie, lorsqu'elle passe des États-Unis à l'Europe, puis dans le monde entier par les échanges entre les métropoles européennes et leurs colonies.

Elle fit environ 408 000 morts en France, mais la censure de guerre en limita l'écho, les journaux annonçant une nouvelle épidémie en Espagne, pays neutre et donc moins censuré, alors que l'épidémie faisait déjà ses ravages en France. Elle se déroula essentiellement durant l'hiver 1918-1919, avec 1 milliard de malades, et 20 à 40 millions de morts, selon de premières estimations très imprécises faute de statistiques établies à l'époque. Au début du XXIe siècle, le maximum de la fourchette reste imprécis mais a été porté à 50-100 millions, après intégration des évaluations rétrospectives concernant les pays asiatiques, africains et sud-américains.

En quelques mois, la pandémie fit plus de victimes que la Première Guerre mondiale qui se terminait cette même année 1918 ; certains pays seront encore touchés en 1919.

La progression du virus fut foudroyante : des foyers d'infection furent localisés dans plusieurs pays et continents à la fois en moins de trois mois, et de part et d'autre des États-Unis en sept jours à peine. Localement, deux voire trois vagues se sont succédées, qui semblent liées au développement des transports par bateau et rail notamment, et plus particulièrement au transport de troupes.

Cette pandémie a fait prendre conscience de la nature internationale de la menace épidémies et maladies, et des impératifs de l'hygiène et d'un réseau de surveillance pour y faire face. Il y a ainsi dans l'une des clauses de la charte de la SDN, la volonté de créer un Comité d'Hygiène international, qui deviendra finalement l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Impact médical, anomalies statistiques

Pour approfondir les propriétés médicales, voir l'article : Grippe.
Militaires de l'American Expeditionary Force victimes de la grippe de 1918 à l'U.S. Army Camp Hospital no 45 à Aix-les-Bains.
Dans tous les pays, les hôpitaux sont débordés et il faut construire des hôpitaux de campagne, ici dans le Massachusetts (29 mai 1919)

Les décès furent essentiellement de jeunes adultes, ce qui peut surprendre : les jeunes adultes sont habituellement la génération la plus résistante aux grippes. Ceci a d'abord été expliqué par le fait que cette tranche d'âge (notamment pour des raisons professionnelles ou de guerre) se déplace le plus ou vit dans des endroits où elle côtoie de nombreuses personnes (ateliers, casernes...). La multiplicité des contacts accroît le risque d'être contaminé. Cette constatation a été faite par les historiens (notamment lors de l'épidémie de choléra à Liège en 1866).

En fait c'est le système immunitaire de cette classe d'âge qui a trop vigoureusement réagi à ce nouveau virus, en déclenchant une « tempête de cytokines » qui endommageait tous les organes, au point de tuer nombre de malades.

On estime que 50 % de la population mondiale fut contaminée (soit à l'époque 1 milliard d'habitants), 60 à 100 millions de personnes en périrent, avec un consensus autour de 60 millions de morts. Un article dans le Lancet en 2006, réalisé par des chercheurs qui ont étudié les registres de décès de 27 pays, montre que la mortalié due à cette grippe varie d'un facteur 30 selon les régions et est corrélée au revenu économique moyen par habitant : à 10% de revenu moyen en plus par habitant correspond une baisse de 10% de la mortalité (corrélation linéaire inversement proportionnelle). Le lien entre la mortalité de cette épidémie et la pauvreté est ainsi établi[5].

Cette grippe se caractérise d'abord par une très forte contagiosité : une personne sur deux contaminée. Elle se caractérise ensuite par une période d'incubation de 2 à 3 jours, suivie de 3 à 5 jours de symptômes : fièvre, affaiblissement des défenses immunitaires, qui finalement permettent l'apparition de complications normalement bénignes, mais ici mortelles dans 3 % des cas, soit 20 fois plus que les grippes « normales ». Elle ne fait cependant qu'affaiblir les malades, qui meurent des complications qui en découlent. Sans antibiotiques (pourtant découverts depuis vingt ans par Duchesne, mais reconnus dix ans plus tard et utilisés seulement au début des années 1940), ces complications ne purent pas être freinées.

La mortalité importante était due à une surinfection bronchique bactérienne, mais aussi à une pneumonie due au virus. L'atteinte préférentielle d'adultes jeunes pourrait peut-être s'expliquer par une relative immunisation des personnes plus âgées ayant été contaminées auparavant par un virus proche.

Le virus de 1918

Les caractéristiques génétiques du virus ont pu être établies grâce à la conservation de tissus prélevés au cours d'autopsies récentes sur des cadavres inuits et norvégiens conservés dans le pergélisol (sol gelé des pays nordiques). Ce virus est une grippe H1N1.

  • Virus père, souche inconnue : virus de grippe source, à forte contagiosité mais à virulence normale qui, par mutation, donna le virus de la grippe espagnole. Le virus père ne fut identifié et suivi rigoureusement qu'à partir d'avril, et jusqu'à juin 1918, alors qu'il sévit probablement dès l'hiver 1917-1918 en Chine.
  • Virus de la grippe espagnole, souche H1N1 : virus à forte virulence apparemment apparu aux États-Unis et ayant finalement tué plus de 21 millions de personnes à travers le monde ; cette appellation inclut généralement aussi son « virus père ». Cette version plus létale sévit en deux vagues meurtrières, l'une de mi-septembre à décembre 1918, l'autre de février à mai 1919. Tous les continents et toutes les populations ont été gravement touchés.

Grâce au travail de plusieurs équipes de chercheurs, en particulier américains, il a été en 2004 possible pour la première fois de synthétiser artificiellement le virus de 1918[6].

Conséquences de la grippe espagnole

À Seattle, le poinçonneur a ordre de ne pas laisser monter les passagers non munis de masques. Durant près d'un an, les transports et l'économie de tous les pays seront affectés par les mesures d'hygiène.

Le Comité d'hygiène de la Société des Nations (SDN), ancêtre de l'OMS, a été créé suite à cette épidémie.

Victimes célèbres

Egon Schiele, Die Familie. Le peintre exécute ce tableau quelques jours avant de décéder et peu de temps après que la grippe eut emporté son épouse Edith, alors enceinte de six mois — l'enfant représenté au premier plan n'a en fait pas eu le temps de naître.

Conclusions

Sur le plan technique, ses caractéristiques pathogènes propres ne sont pas étudiables du fait de l'absence de souche virale, aucun prélèvement n'ayant pu être conservé dans un état suffisamment bon.

C'est donc seulement en étudiant la famille des grippes, dans leur ensemble, que l'on peut en comprendre ses mécanismes qui se résument à ceci :

  • une contagiosité très forte, induisant un comportement épidémique ou pandémique,
  • une variabilité forte, entraînant une virulence variable ainsi que l'inefficacité de l'immunisation d'une année sur l'autre,
  • la virulence de cette souche particulièrement grande (grave affaiblissement), ainsi que
  • ce virus affaiblit les défenses immunitaires, il n'est pas source de décès, ce sont les complications qui accompagnent la grippe qui sont mortelles en fonction du degré d'affaiblissement de l'organisme.

L'absence d'antibiotique (qui n'aurait pas stoppé la maladie virale mais seulement les complications bactériologiques) fut également déterminante.

Enfin, en ce qui concerne les conséquences, l'élément essentiel est la prise de conscience de la menace biologique à l'échelle mondiale, qu'une épidémie débutant en Chine pouvait finalement menacer la population des É.-U., de l'Europe, et de l'ensemble des États du monde. Il s'ensuivit la création -par la SDN- d'un organisme de Santé et de surveillance médicale mondiale, qui devint plus tard l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Il est aussi à noter, vu le cycle de réapparition des épidémies de grippe mortelle s'espaçant, au maximum constaté, de 39 ans, la dernière datant de 1968, l'OMS prévoit « statistiquement » l'apparition d'une pandémie de grippe mortelle d'ici 2010 à 2015. Voilà pourquoi, depuis quelques années, un certain nombre d'études sont soudainement consacrées au virus de la grippe espagnole, certaines visant à en récupérer des souches intactes, tangiblement étudiables, pour permettre l'édification de défenses adéquates. Cela explique aussi la mobilisation rapide et énorme, en 2009, pour le début de pandémie de grippe porcine, dite grippe A. La grippe aviaire (H5N1) cristallise ainsi non seulement des risques médicaux tangibles mais aussi des peurs bien plus abstraites.

La pandémie de 1918-1919 a été, avec 30 millions de morts selon le consensus généralement admis[7], la première grande pandémie de l'ère moderne. Elle est l'une des plus grandes pandémies humaines, comparable en nombre de victimes à celles de la peste et du sida. Ce dernier continue cependant à tuer au-delà des 24 millions de victimes déjà comptabilisées.

Fictions

  • Britain and the 1918-19 Influenza Pandemic: A Dark Epilogue, par Niall Johnson. Routledge, London and New York 2006. ISBN 0-415-36560-0
  • Edward Cullen, l'un des personnages centraux de la Saga Twilight était mourant de la grippe espagnole en 1918 juste avant de devenir vampire.
  • The First Horseman de John Case, où le gourou d'une secte s'empare du corps de mineurs enterrés dans le permafrost d'une île du cercle Arctique, y extrait le virus de la Grippe Espagnole, et par génie génétique le rend plus difficile à détecter par le système immunitaire.
  • Contagion, de Robin Cook, Le Livre de Poche 1995, thriller "épidémiologique" où il est question de bioterrorisme, notamment en lien avec la grippe espagnole de 1918.
  • ReGenesis, série télévisée canadienne. La grippe espagnole est l'arc scénaristique de la première saison.
  • The Event, série américaine par Nick Wauters. La grippe espagnole est réactivée à partir d'un corps infectée retrouvé dans le sous-sol sibérien en vue d'éradiquer l'espèce humaine.

Références

  1. http://www.cdc.gov/ncidod/eid/vol12no01/05-0979.htm
  2. http://www.fas.org/programs/ssp/bio/factsheets/H1N1factsheet.html
  3. Johnson N.P., Mueller J. « Updating the accounts: global mortality of the 1918-1920 “Spanish” influenza pandemic. », Bull Hist Med., printemps 2002, 76(1), p. 105-15. Citation : « This paper suggests that it was of the order of 50 million. However, it must be acknowledged that even this vast figure may be substantially lower than the real toll, perhaps as much as 100 percent understated. » Résumé.
  4. Un dossier personnel sur la grippe espagnole
  5. (en) Christopher JL Murray et coll., « Estimation of potential global pandemic influenza mortality on the basis of vital registry data from the 1918—20 pandemic: a quantitative analysis », dans The lancet, vol. 368, no 9554, 23 décembre 2009, p. 2211-2218 [texte intégral] 
  6. (fr) Des chercheurs reconstituent le virus de la grippe espagnole de 1918, Institut de l'information scientifique et technique, 21 septembre 2009. Mis en ligne le 21 septembre 2009, consulté le 24 septembre 2009
  7. 21 millions selon l'Institut Pasteur, 50 millions selon l'OMS. Le consensus actuel se situe plutôt aux environs de 30 millions. Voir ici.

Articles connexes

Liens externes

Sur les autres projets Wikimedia :

http://www.ibiblio.org/hyperwar/AMH/XX/WWI/Navy/rep/SecNav-1919/Misc/BuMed.html#table9
http://history.amedd.army.mil/SpecialFtrs/1918flu/ARSG1919/ARSG1919InfectDisStatDis.htm


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