Déontologie du journalisme

Déontologie du journalisme

On regroupe sous le nom de déontologie du journalisme d'une part les textes approuvés par l'ensemble des syndicats de journalistes européens, comme la charte de Munich[1], et de l'autre diverses chartes propres à certains organes de presse. Quelques éléments figurent dans la Convention collective nationale de travail des journalistes.

Selon les pays, les règles déontologiques peuvent aussi bien concorder avec le droit de la presse que s'y opposer. Le principe de la liberté d'information et d'expression impose par exemple de s'opposer à toute censure, fût-elle appuyée par le droit en vigueur, ou de s'opposer à la révélation des sources, fût-elle commandée par le pouvoir.

Par ailleurs, le respect de la personne peut conduire à s'abstenir à prendre une photographie ou à écrire un article, quand bien même le droit le tolèrerait. Ces règles déontologiques sont sujettes à débats, même si la charte de Munich n'est que très rarement critiquée.

Sommaire

Définition

À la différence de professions indépendantes comme les médecins, l'éthique du journalisme concerne en grande partie des salariés. Elle ne bénéficie pas d'un code de déontologie ayant force de contrainte, mais repose sur deux textes approuvés en 1918 et 1971 par des syndicats de salariés (pigistes ou mensualisés), ou sur des chartes rédigées par les employeurs, entreprise par entreprise.

Ces règles s'appliquent à la mission du journaliste (le devoir d'informer, le respect du lecteur, l'intérêt public, le droit de savoir) et définissent sa crédibilité (indépendance à l'égard des pouvoirs politiques et économiques, respect de la vie privée, protection des sources). Elles sont fondées sur deux principes fondamentaux : la responsabilité sociale et la véracité, c'est-à-dire l'intention de ne point tromper ses lecteurs.

Pour Marc-François Bernier, alors que « la vérité, la rigueur et l'exactitude, l'intégrité, l'équité et l'imputabilité » constituent les « piliers normatifs du journalisme », la « déontologie prescrit des devoirs professionnels qui font l'objet d'un consensus pour un grand nombre de situations » [2]. Selon lui, la déontologie contribue à protéger les journalistes des manœuvres de propagande, de promotion et de désinformation.

Une autre définition est offerte par José Maria de Santes Guater, qui écrit dans El autocontrol de la información [réf. incomplète] (« L’autocontrôle de l'information ») que la déontologie : « est un groupe systématique de normes minimes qu’une activité professionnelle spécifique établit et reflète une éthique commune majoritaire de ces membres. Pour aller de l’avant, cette dernière ne peut s’opposer aux conceptions éthiques individuelles.» [réf. nécessaire]

Histoire

La question de la déontologie des journalistes est apparue avec la professionnalisation de ce métier au début du XXe siècle. En France, les organisations syndicales des journalistes ont adopté la Charte des devoirs professionnels des journalistes français à partir de 1918 puis la charte de Munich en 1971. Elles réclament l'annexion de ces chartes, dans leur intégralité, à la Convention collective nationale de travail des journalistes.

La création de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, en mai 1936, qui créé pour la première fois un statut de journaliste professionnel, pouvait laisser croire que la profession se dotait d'un organisme comparable à l'ordre des avocats, habilité à juger du respect des règles déontologiques. Le rapporteur de la loi du 29 mars 1935, le député de l’Aube Émile Brachard, affirmait alors que « l'établissement de la carte d'identité aidera puissamment à l'organisation méthodique d'une profession longtemps demeurée dans l'anarchie »[3]. La loi ne fixant finalement pas ce rôle à la commission, le texte de 1918 est resté d'actualité jusqu'en janvier 1938, date à laquelle il a été révisé et complété.

En 1971, une version modernisée, intitulée « Déclaration des devoirs et des droits des journalistes », a été adoptée par les fédérations de journalistes de la Communauté européenne, de Suisse et d’Autriche, et de plusieurs organisations internationales de journalistes. Cette charte de Munich sert de référence aux journalistes français et leurs syndicats proposent de la faire figurer en préambule de la convention collective des journalistes.

Il existe aussi des chartes déontologiques propres à certaines entreprises (par exemple en France pour Ouest-France, Le Monde et France Télévisions), qui reprennent et parfois complètent la charte adoptée par les syndicats et les représentants des journalistes.

La charte des devoirs professionnels des journalistes français de 1918

Publiée en juillet 1918 et révisée en janvier 1938, cette charte impose notamment au journaliste de « prendre la responsabilité de tous ses écrits », de « garder le secret professionnel » et de « ne pas confondre son rôle avec celui d'un policier ».

Il doit considérer la calomnie, les accusations sans preuves, la déformation des faits et le mensonge comme « les plus graves fautes professionnelles »; ne jamais se faire passer pour un autre ni « user de moyens déloyaux pour obtenir une information ». Il s'interdit d'être payé par un service public ou par une entreprise privée qui pourrait profiter de sa qualité de journaliste, de ses influences, et de ses relations. Il ne doit d'ailleurs jamais signer de son nom des publicités ni s'abriter derrière la liberté de la presse « dans une intention intéressée ».

Enfin, ses articles doivent être originaux et citer les confrères s'ils s'en inspirent.

La charte européenne des devoirs et des droits des journalistes de 1971

Article connexe : charte de Munich.

La charte de Munich adoptée le 24 novembre 1971, par tous les syndicats de journalistes européens, ce texte actualise la charte de 1938 en définissant dix devoirs et cinq droits fondamentaux.

Ses auteurs, les syndicats de journalistes, l'ont rédigée avec l'objectif qu'elle devienne opposable en droit, par une annexion à la convention collective de la profession[4]. Ils craignent que le texte ne reste qu'une déclaration, même si la jurisprudence sociale a commencé à le prendre en compte comme un code de déontologie, tant il fait autorité auprès des salariés.

Ce texte précise en préambule que « le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain » et que « la responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics »[1].

Le texte distingue d'une part dix devoirs[1] et d'autre part cinq droits, en précisant que tous concernent aussi bien les journalistes que leurs employeurs.

Parmi les dix devoirs, le respect de la vérité et de la vie privée, l'impératif de ne publier que des informations « dont l’origine est connue » ou accompagnées de réserves, l'obligation de « rectifier toute information qui se révèle inexacte », de « ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement » et de refuser les pressions comme « les consignes, directes ou indirectes, des annonceurs ».

Parmi les cinq droits cités par ce texte, la possibilité d'avoir un « libre accès à toutes les sources d’information » et d’enquêter « librement » sans se voir opposer le « secret des affaires publiques ou privées », sauf exception clairement justifiée.

Il prévoit que le journaliste salarié, mensualisé ou à la pige, puisse refuser d'accomplir un acte professionnel ou d'exprimer une opinion « qui serait contraire à sa conviction ou sa conscience ».

Menaces sur la déontologie

Plusieurs phénomènes peuvent mettre en péril les règles déontologiques du journalisme, depuis la politique rédactionnelle imposée par la direction d'une publication jusqu'à l'exigence de productivité et de rentabilité qui peut mener les journalistes à négliger certaines précautions indispensables, par exemple sur la vérification des sources ou le respect de la vie privée. Ces risques ont amené les syndicats de journalistes à réclamer en plus de l'indépendance des rédactions l'annexion automatique des chartes de déontologie à la convention collective[5].

Les intérêts privés peuvent aussi nuire à l'exercice de la profession de journaliste. Des affaires récentes, comme les perquisitions de différentes rédactions en France, ont montré que la tentation d'utiliser les journalistes comme auxiliaires de police ou de justice ne concernait pas seulement les pays non démocratiques.

La Cour européenne des droits de l’Homme a d'ailleurs rappelé à ce propos que « la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » et que « des perquisitions ayant pour objet de découvrir la source d’un journaliste constituent – même si elles restent sans résultat – un acte plus grave qu’une sommation de divulgation de l’identité de la source. »[6]. À cet égard, les dispositions de l'article 109 du Code de procédure pénale, modifiées par loi du 9 mars 2004, n'étaient pas satisfaisantes. Le projet de loi en cours d'adoption (mai 2008) devrait à la fois, mieux protéger les sources des journalistes et réglementer les atteintes pouvant y être portées par exception, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La loi accorderait également aux journalistes de nouvelles garanties en matière de perquisition[7].

La résolution du Conseil de l'Europe « relative à l'éthique du journalisme »

En 1993, le Conseil de l’Europe a adopté la résolution 1003 « relative à l'éthique du journalisme »[8] sous la forme de plusieurs principes éthiques qui « devraient être appliqués par la profession à travers l'Europe ».

Le texte insiste dans l'article 7-16, sur le rôle du pouvoir politique et des entreprises de presse dans l'exercice de la liberté d'information. Il constate que les responsabilités du journalisme procèdent de trois niveaux : éditeurs, propriétaires d'entreprises de presse et journalistes, et qu'il ne suffit pas de garantir la liberté des médias, mais aussi de sauvegarder et protéger la liberté à l’intérieur de ceux-ci.

Les journalistes sont appelés à respecter la vie privée des individus et la présomption d'innocence, à n'obtenir des informations que « par des moyens légaux et moraux », à rectifier automatiquement et rapidement toutes les informations fausses ou erronées, à éviter toute connivence avec le pouvoir politique qui nuirait à l'indépendance et l'impartialité de leur profession, à ne pas avoir pour objectif principal d'« acquérir du prestige et une influence personnelle ».

Cette résolution souligne aussi qu'« il faut exiger du journaliste une formation professionnelle adéquate » et que, « pour assurer la qualité du travail du journaliste et son indépendance, il faut garantir à celui-ci un salaire digne et des conditions, des moyens et des instruments de travail appropriés ».

La résolution 1003 reste cependant une recommandation, le Conseil invitant les médias à « s'engager à se soumettre à des principes déontologiques rigoureux » et suggérant de « créer des organismes ou des mécanismes d'autocontrôle composés d'éditeurs, de journalistes, d'associations d'utilisateurs des médias, de représentants des milieux universitaires et de juges »

Le rôle de l'Unesco

Le 21 novembre 1983, l’Unesco, avec la collaboration d’organismes internationaux de journalistes professionnels, approuve un Nouveau Code International de l’Éthique Journalistique, réalisé à partir d'une enquête menée dix ans plus tôt sur les codes d'éthique professionnels des représentants de la presse de 48 pays[9]. Le document de travail, publié en 1974 sous le titre de Collective Consultation on Codes of Ethics for the Mass Media[10], ne prétendait pas être un code d’éthique, mais plutôt un recensement des principes déontologiques et journalistiques, classé par ordre décroissant selon la répétition de ceux-ci dans les réponses reçues. Cette étude a été à l’origine de nombreuses études sur les codes d’éthique journalistique.

En 1978, l'Unesco organise une série de réunions et de consultations d’organisations de journalistes au Mexique et à Prague. Suite à ces rencontres, en novembre 1983, l’Assemblée Générale de l'Unesco rédige un code d'éthique qui rencontre un succès mitigé. Le Bureau de la Fédération internationale des journalistes (FIP) estime en effet que le code de l'Unesco n'apporte rien de plus que « les deux textes approuvés par la FIP (Bordeaux, 1954, et Munich, 1971), lesquels sont suffisants. Néanmoins, le Bureau ne s’oppose pas à une discussion avec l’OIP (Organisation Internationale des Journalistes) et avec les organisations internationales en matière de déontologie ».

Une dernière réunion, le 21 novembre 1983, divise les associations : destinée à évoquer la déontologie des journalistes et leur protection lors de missions dangereuses, elle s'orientait vers l’augmentation de la responsabilité sociale et morale qui pèse sur les épaules du journaliste. Le texte intitulé « Principes déontologiques de base de l’éthique du journalisme » a cependant été signé, sans qu'on puisse aujourd'hui en mesurer la portée.

Code déontologique de la presse pour les enfants

En France, la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse[11] se proposait de réagir contre l'influence de certaines bandes dessinées importées de l'étranger pendant l'entre-deux-guerres et contre l'ambiance de désordre née de la Deuxième Guerre mondiale.

La loi disposait que « les publications, périodiques ou non, qui par leur caractère, leur présentation ou leur objet apparaissent comme principalement destinées aux enfants et adolescents ne doivent admettre aucune illustration, aucun conte, aucune chronique, aucun épigraphe, aucune insertion qui présente favorablement le vandalisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine ou quelconque acte qualifié de crime ».

La Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à la jeunesse, instituée pour veiller à la bonne application de la loi, émit l'opinion qu'il était nécessaire de « réhumaniser les personnages, de les valoriser intellectuellement et moralement, de faire intervenir émotions et sentiments de sympathie, de représenter la valeur du travail, de la famille, y de céder la place à la vie honnête, au bonheur et à la joie »[réf. nécessaire].

Une charte déclarative

Selon Sabrina Lavric, docteur en droit à l'université de Nancy, dans son article « Déontologie journalistique, simple formule magique ? », « le constat suivant s'impose : si par déontologie, on désigne la norme dont l'irrespect produit une sanction par les « pairs », on doit, en matière de journalisme, conclure à son absence… ». S'il existe bien une charte qui expose des principes comme celui de vérité ou de respect des sources mais que cette charte « est purement déclarative et dépourvue de toute sanction organisée par la profession (la « juridiction de ses pairs » qu'elle évoque n'existe pas) ». Selon S. Lavric, « l'absence d'un véritable code déontologique masque peut-être le problème majeur de la profession : celui de la connivence - avec les « capitaux », le « pouvoir », l'audience - et, in fine, celui de la - subtile - ligne de partage entre journalisme et communication… »[12].

Une telle critique se fonde essentiellement sur une conception juridique de la déontologie: elle reproche l'absence de « juridiction des pairs », ainsi que de « sanction organisée », c'est-à-dire des critères qui permettent de distinguer le droit de la morale. La déontologie des journalistes serait alors davantage une forme de morale, n'engageant que la conscience individuelle et collective, qu'un code normatif contraignant, prévoyant des sanctions pour assurer son effectivité réelle. Construire une juridiction des pairs conduirait ainsi à une forme de judiciarisation de la déontologie de la presse.

On peut alors se demander si l'établissement d'un tel « pouvoir judiciaire » au sein de la presse n'irait pas lui-même à l'encontre de la déontologie de la profession? Le caractère individualiste de la profession ne s'oppose-t-il pas à la création d'un tel ordre (au double sens d'Ordre des journalistes et d'ordre normatif du journalisme) ? Sinon, qui faut-il considérer comme journaliste, et donc comme relevant de cette juridiction hypothétique? Les pigistes sans carte de presse, le « journalisme citoyen » ou amateur, relèveraient-ils de la juridiction des organes de presse établis? Bref, si la sanction organisée présuppose une organisation judiciaire (ou para-judiciaire) de la sanction, serait-ce au sein de la corporation des journalistes, n'est-ce pas là prendre le risque de soumettre les journalistes à une forme de pouvoir à laquelle leur déontologie leur demande d'échapper? A l'inverse, sans une telle organisation, ne court-on pas le risque, comme l'indique S. Lavric, d'en rester à une simple déclaration formelle sans effectivité réelle?

Notes et références

  1. a, b et c http://www.journalistes-cfdt.fr/charte-1918/charte-de-munich.html
  2. Marc-François Bernier, Ethique et déontologie du journalisme, Presses de l'Université de Laval, Québec, 2004
  3. Rapport Brachard N° 4516 remis à la Chambre des députés - 1935 [PDF]
  4. http://www.snj.fr/article.php3?id_article=314
  5. Intersyndicale des Journalistes
  6. Liberté d'expression & protection des droits de la personnalité en matière de presse - Droit français et droit européen, 2006 [PDF]
  7. Les syndicats professionnels comme le SNJ ou la CFDT, par exemple, restent néanmoins critiques [1]
  8. Résolution 1003 (1993) relative à l'éthique du journalisme
  9. Porfirio Barroso Asenjo, Códigos deontológicos de los medios de comunicación, Ediciones Paulinas Editorial Verbo Divino, Madrid, 1984
  10. (en) Collective Consultation on Codes of Ethics for the Mass Media - Unesco House, 21 janvier 1974 [PDF]
  11. Loi du 16 juillet 1949
  12. L'article de Sabrina Lavric

Voir aussi

Lien externe


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