- David Johnston (volcanologue)
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David A. Johnston David A. Johnston, un peu plus de treize heures avant l'éruption du mont Saint Helens en 1980.Naissance 18 décembre 1949
Oak Lawn, IllinoisDécès 18 mai 1980 (à 30 ans)
Comté de Skamania, WashingtonNationalité américaine Profession géologue et volcanologue David « Dave » Alexander Johnston, né le 18 décembre 1949 à Oak Lawn (Illinois) et mort le 18 mai 1980 dans le comté de Skamania (État de Washington, États-Unis) , est un géologue et volcanologue américain de l'United States Geological Survey (USGS). Scientifique réputé pour son enthousiasme, ses connaissances sur les gaz volcaniques et l'étude de leurs liens avec les éruptions, David Johnston est destiné à un avenir brillant. Faisant partie des principaux scientifiques surveillant les signes de réveil du volcan mont Saint Helens, il est tué dans une éruption alors qu'il se trouve dans un poste d'observation situé à dix kilomètres du mont. Il fut le premier à rapporter l'éruption en transmettant le message « Vancouver ! Vancouver ! Ça y est ! » (Vancouver! Vancouver! This is it!) : ce sont ses derniers mots juste avant qu'il ne soit emporté par le souffle latéral créé par l'effondrement du flanc nord de la montagne. Des débris de son véhicule ont été mis au jour en 1993, mais les restes de son corps n'ont jamais été retrouvés. Dans une interview publiée quelques mois avant l'éruption, Johnston déclarait à la presse que se trouver sur le mont Saint Helens à cette période était comme se tenir « debout à côté d'un baril de dynamite avec la mèche allumée »[1].
La carrière de David Johnston, bien qu'interrompue prématurément, l'a entraîné à travers tous les États-Unis : il a étudié le volcan Augustine en Alaska, le champ volcanique de San Juan dans le Colorado et des volcans éteints dans le Michigan. C'était un scientifique talentueux, dont la qualité de ses travaux, ainsi que sa personnalité enthousiaste et enjouée, lui attirèrent l'amitié et le respect de beaucoup de collègues. Après sa mort, de nombreux scientifiques lui ont rendu hommage. Johnston estimait que les scientifiques avaient le devoir de faire tout ce qui est nécessaire, y compris prendre des risques, pour protéger la population contre les catastrophes naturelles. Dans les mois qui ont précédé l'éruption de 1980, le travail qu'il a réalisé avec ses collègues scientifiques de l'USGS a convaincu les autorités d'interdire l'accès du mont Saint Helens au grand public, et à maintenir cette fermeture en dépit de fortes pressions pour rouvrir la zone : des milliers de vies ont ainsi été sauvées. La mort de Johnston est entrée dans l'imagerie populaire autour des éruptions volcaniques et de la menace qu'elles constituent pour la société, mais aussi dans l'histoire de la volcanologie. À ce jour, Johnston est l'un des deux seuls volcanologues américains tués au cours d'une éruption volcanique[Note 1].
La mort de Johnston a donné lieu à des commémorations diverses. Deux observatoires de volcans, baptisés à son nom, ont été construits à Vancouver et sur la crête où il a trouvé la mort ; un fonds commémoratif a été créé à l'université de Washington pour financer la recherche de niveau universitaire. Sa vie a été retracée dans plusieurs documentaires, films, documents fiction et livres sur les éruptions volcaniques, et son nom est inscrit sur les monuments dédiés à la mémoire des victimes de l'éruption du mont Saint Helens.
Sommaire
Biographie
Vie et carrière
David Johnston naît à l'hôpital de l'université de Chicago, dans l'Illinois, le 18 décembre 1949[2]. Ses parents se nomment Thomas et Alice Johnston[3]. La famille, qui vit à Hometown, déménage à Oak Lawn peu après sa naissance[2]. Les Johnston ont également une fille. Thomas Jonhston est ingénieur dans une entreprise locale et sa femme est rédactrice pour un journal local. David prend souvent des photos pour le journal de sa mère et rédige des articles pour le journal de son école. Il ne se mariera jamais[2].
Après ses études secondaires, David Johnston fréquente l'université de l'Illinois à Urbana-Champaign. Il prévoit d'étudier le journalisme, mais il est découragé de cette voie après de mauvais résultats lors d'un exposé important. Il est intrigué par un cours d'introduction à la géologie et change sa matière principale pour celle-ci[2]. Son premier projet est une étude géologique de la roche précambrienne qui forme la péninsule supérieure du Michigan. Là, il enquête sur les restes d'un ancien volcan : une suite de basaltes métamorphiques, un sill gabbroïque et une intrusion de gabbro et de diorite. Cette expérience est à l'origine de sa passion pour les volcans. Après avoir travaillé d'arrache-pied pour acquérir des connaissances sur le sujet[2], il est diplômé avec les « plus hauts honneurs [...] » en 1971[4],[5].
Johnston passe l'été qui suit dans le champ volcanique de San Juan, au Colorado, auprès du volcanologue Peter Lipman. Il y étudie deux caldeiras éteintes[2],[4]. Ce travail devient la source d'inspiration pour la première phase de ses études supérieures à l'université de Washington à Seattle, au cours de laquelle il se concentre sur le complexe volcanique d'andésites remontant à l'Oligocène du chaînon Cimmaron dans l'ouest du champ volcanique de San Juan[4],[6]. La reconstitution de l'histoire éruptive de ces volcans éteints prépare Johnston à l'étude des volcans actifs[4]. Il les côtoie pour la première fois lors d'un relevé géophysique de l'Augustine, en Alaska, au cours de l'année 1975. Lorsque la montagne entre en éruption en 1976, Johnston se hâte de retourner sur les lieux : il s'affranchit alors de son travail sur la chaîne de volcans Cimmaron en rédigeant un mémoire de maîtrise, pour ensuite se consacrer pleinement à l'Augustine, en faisant du volcan le centre de sa thèse de doctorat. Il obtiendra son doctorat en 1978 ; il y montre en particulier que le processus de dépôt des flux pyroclastiques (nuée ardente) de l'Augustine a changé au fil du temps, au fur et à mesure que leur charge en particules de pierre ponce diminuait ; que la teneur des magmas en eau, enchlore et en soufre est particulièrement élevée ; et que des éruptions ont probablement été déclenchées par le mélange souterrain de magmas visqueux de roches felsiques avec des magmas moins mafiques. Johnston frôle d'ailleurs la mort sur l'Augustine, un jour où il reste bloqué sur la montagne lors d'une éruption, après que de forts vents aient empêché son évacuation par avion[7].
Au cours des étés 1978 et 1979, Johnston conduit des études sur la couche de débris pyroclastiques qui s'est formée en 1912 lors de l'éruption explosive du mont Katmai dans la vallée des Dix Mille Fumées[4]. Les gaz volcaniques jouent un rôle très important dans le processus des éruptions volcaniques explosives. Johnston s'attache donc à l'analyse minutieuse des espèces volatiles magmatiques. Pour cela, il étudie les inclusions au sein des phénocristaux piégés dans les laves, qui fournissent des informations précieuses sur les gaz présents lors des éruptions passées, ou encore les émissions gazeuses des fumerolles encore actives. Johnston se montre très habile à la collecte d'échantillons et maîtrise parfaitement leurs différentes techniques d'analyse, entre autres la spectrométrie de masse et la chromatographie en phase gazeuse. Son travail sur le mont Katmai et d'autres volcans de la vallée des Dix Mille Fumées comme le mont Mageik ouvre la voie à sa carrière. Ses collègues se déclarent impressionnés par son « agilité, [son] courage, [sa] patience et [sa] détermination au beau milieu des fumerolles qui fusent dans le cratère du mont Mageik » [4].
Plus tard en 1978, Johnston rejoint l'United States Geological Survey (USGS), où il surveille les niveaux d'émissions volcaniques de la chaîne des Cascades et de l'arc des Aléoutiennes. Là, il contribue à renforcer la théorie selon laquelle les éruptions peuvent être, dans une certaine mesure, prédites par des changements dans la composition des gaz volcaniques[8]. Le volcanologue Wes Hildreth dira de Johnston : « À mon avis, le souhait le plus cher de [David] était que le contrôle systématique des émissions de fumerolles puisse permettre la détection de changements qui constitueraient, de façon caractéristique, les signes avant-coureurs d'une éruption... [David] voulait élaborer un modèle général du comportement des composés volatils magmatiques avant que l'explosion se produise, et développer une échelle d'évaluation des risques en corollaire »[4]. À l'USGS, Johnston évalue également le potentiel d'énergie géothermique aux Açores et au Portugal continental. Dans la dernière année de sa vie, Johnston développe un intérêt pour la santé, l'agriculture et les effets environnementaux des émissions volcaniques et anthropiques dans l'atmosphère[4].
Johnston réside alors à Menlo Park, en Californie, où se situe une branche de l'USGS, mais son travail sur les volcans l'entraîne à divers endroits de la région Nord-Ouest Pacifique. Lorsque le premier tremblement de terre secoue le mont Saint Helens le 16 mars 1980, Johnston se trouve à l'université de Washington, où il a mené son doctorat. Intrigué par l'avènement possible d'une éruption, Johnston contacte Stephen Malone, professeur de géologie à l'université. Malone, son ancien mentor lorsqu'il étudiait le complexe volcanique de San Juan dans le Colorado, est un grand admirateur de son travail[2]. Malone envoie très rapidement Jonhston près du volcan, en lui demandant d'escorter des journalistes attirés par l'événement[9]. Johnston, qui est le premier géologue parvenu sur les lieux[4], devient rapidement un meneur au sein de l'équipe de l'USGS, prenant notamment en charge la surveillance des émissions de gaz volcaniques[9].
Éruption
Article détaillé : Éruption du mont Saint Helens en 1980.Signes précurseurs
Après sa dernière éruption au milieu du XIXe siècle, le mont Saint Helens ne montre plus aucun signe d'activité. Des sismographes sont installés en 1972. Cette période de plus de 100 ans d'inactivité se termine en 1980. Le 15 mars de cette année, plusieurs minuscules tremblements de terre commencent à secouer des zones avoisinantes. En six jours, plus de 100 tremblements de terre se produisent autour du mont Saint Helens, indiquant des mouvements de magma. Néanmoins, il n'était pas possible de savoir avec certitude si ces tremblements de terre étaient précurseurs d'une éruption[10]. Le 20 mars, un tremblement de terre de magnitude 4,2 secoue la zone autour du volcan. Le lendemain, les sismologues installent trois stations d'enregistrement sismique pour surveiller le volcan[11]. Leurs mesures révèlent une considérable augmentation de l'activité sismique à partir du 25 mars. Les volcanologues de l'USGS, dont Johnston, se convainquent de l'imminence d'une éruption. Le 26 mars, plus de sept tremblements de terre de magnitude supérieure à 4,0 sont enregistrés. Le lendemain, des avertissements de danger sont émis à destination du public[10]. Le même jour, une éruption phréatique a lieu, éjectant un panache de cendres à près de 2 134 mètres dans le ciel[10].
Les signes d'activité se poursuivent au cours des semaines suivantes, excavant peu à peu le cratère, formant une caldeira adjacente et libérant de petites quantités de vapeur, de cendres et d'éjectas. À chaque nouvelle éruption, les panaches de vapeur et de cendres du volcan prennent du volume, grimpant finalement jusqu'à près de 6 000 mètres. À la fin du mois de mars, le volcan entre en éruption jusqu'à 100 fois par jour[12]. Des spectateurs se rassemblent au voisinage de la montagne, dans l'espoir d'assister à une éruption remarquable. Ils sont rejoints par des journalistes en hélicoptère, ainsi par que des alpinistes[12].
Le 17 avril, un renflement est découvert sur le flanc nord de la montagne, ce qui laisse penser que le mont Saint Helens peut produire un souffle latéral en cas d'explosion[13]. Johnston est l'une des rares personnes qui adhèrent à cette hypothèse, avec un professeur de géologie de Tacoma, Jack Hyde. Observant que le mont Saint Helens ne possède pas de fissures visibles, Hyde suggère que la pression est susceptible d'augmenter jusqu'à ce que la montagne explose. Cependant, Hyde ne faisant pas partie de l'USGS et n'ayant pas de responsabilités, son opinion n'est pas prise au sérieux[14]. Cette hypothèse s'avérera pourtant exacte : la montée de magma sous le mont Saint Helens avait dévié sur le flanc nord, créant un renflement de plus en plus grand à la surface[13].
Signes finaux
Compte tenu de l'augmentation de l'activité sismique et volcanique, Johnston et d'autres volcanologues travaillant pour la branche de Vancouver de l'USGS s'apprêtent à observer une éruption imminente. Le géologue Don Swanson, et d'autres, placent des réflecteurs autour et sur les dômes de croissance[15] et établissent les postes d'observation « Coldwater » I et II. La mesure des distances entre ces postes d'observation et les réflecteurs, effectuée par télémétrie laser, permet de suivre leur déplacement au fil du temps, et donc de mettre en évidence une déformation des dômes. Coldwater II, où Johnston rencontrera la mort, est situé à seulement 10 kilomètres au nord de la montagne. Au grand étonnement des géologues de l'USGS, le renflement se développe à la vitesse importante de 1,5 à 2,4 mètres par jour[16].
Des tiltmètres installés sur le côté nord du volcan affichent une tendance d'inclinaison nord-ouest pour ce côté nord de la montagne, et une tendance d'inclinaison sud-ouest sur le côté sud. Inquiets de l'augmentation de la pression du magma souterrain, les scientifiques analysent les gaz émis par le cratère et trouvent des traces de dioxyde de soufre. Après cette découverte, ils commencent à vérifier régulièrement l'activité des fumerolles. Aucun changement spectaculaire n'est observé. Du coup, les scientifiques optent plutôt pour l'étude du renflement et de la menace qu'il constitue pour les populations relativement proches du volcan[17]. Cette évaluation arrive à la conclusion qu'un glissement de terrain ou des avalanches dans la rivière Toutle seraient en mesure d'engendrer des lahars, c'est-à-dire des coulées de boue, en aval[13].
À ce stade, l'activité phréatique préalablement constante, devient intermittente. Entre le 10 et le 17 mai, c'est le seul changement survenu sur le flanc nord du volcan, alors que le renflement augmente toujours en taille. Le 16 et 17 mai, les éruptions phréatiques cessent complètement[17]. Le mont Saint Helens actif a alors un visage tout à fait différent de sa forme éteinte, avec désormais un renflement énorme et plusieurs cratères. Dans la semaine précédant l'éruption, des fissures se forment dans le secteur nord du sommet du volcan, indiquant un mouvement du magma vers le renflement et vers la caldeira[17].
Beaucoup de scientifiques travaillaient dans l'équipe de surveillance de l'USGS, mais c'est un étudiant diplômé, Harry Glicken, qui était en poste à Coldwater II les deux semaines et demi précédant l'éruption[18]. Le soir avant l'éruption, il est prévu qu'il soit remplacé par le géologue de l'USGS Don Swanson, afin de visiter l'université de Californie. Don Swanson, cependant, devant rencontrer un étudiant allemand diplômé qui repartait en Allemagne le 18 mai, demande à Johnston de prendre sa place, deux jours avant l'éruption. Johnston accepte sans hésitation de s'occuper de la base pour une journée[19]. Il est cependant plus conscient que la plupart de la menace d'une éruption dirigée vers le nord, car il soutient que l'éruption explosive proviendra du renflement et sera éjecté latéralement hors du volcan et non pas vers le sommet.
Ce samedi, le jour avant l'éruption, Johnston monte sur la montagne et effectue une patrouille sur le volcan avec la géologue Carolyn Driedger. Des tremblements de terre secouent la montagne. Carolyn Driedger est censée camper sur l'une des crêtes surplombant le volcan, mais Johnston l'enjoint de rentrer chez elle, et l'assure qu'il restera seul sur le volcan[20]. Alors à Coldwater II, Johnston observe le volcan pour capter d'autres signes d'une éruption[21]. Juste avant son départ, à 19 h le soir du 17 mai, 13.5 h avant l'éruption, Glicken prend une photo de Johnston assis près de la caravane du poste d'observation avec un ordinateur portable sur ses genoux, souriant[17].
Éruption
À 8 h 32[22], heure locale, le jour suivant (18 mai), un séisme d'une magnitude de 5,1 sur l'échelle de Richter secoue la région, et déclenche un glissement de terrain qui provoque l'éruption principale. En effet, en quelques secondes, les vibrations du tremblement de terre relâchent 2,7 kilomètres cubes de roche sur la partie nord de la montagne et son sommet, créant un énorme glissement de terrain. Avec la perte d'un confinement à la pression, la caldeira du mont Saint Helens commence alors rapidement à émettre de la vapeur et d'autres gaz volcaniques. Quelques secondes plus tard, le volcan entre en éruption latéralement : des coulées pyroclastiques roulent sur ses flancs à des vitesses presque supersoniques. Ces flux sont rejoints, plus tard, par des lahars[23]. Johnston transmet un dernier message à la radio « Vancouver ! Vancouver ! Ça y est ! » (Vancouver! Vancouver! This is it!) à ses collègues de l'USGS, avant d'être touché par les nuées ardentes. Quelques secondes plus tard, le signal de la radio devint silencieux[24]. L'espoir d'une éventuelle survie de Johnston est balayé par le témoignage de Jerry Martin, un opérateur radio situé bien plus au nord de la position de Johnston, et qui signale que le poste d'observation de Johnston est pris dans l'éruption. Martin déclare solennellement : « Messieurs, [...] le camping-car et la voiture [au sud de ma position] est recouvert. Je vais être pris aussi. Je ne peux pas sortir d'ici... »[25]. La radio de Martin se tait également.
L'ampleur, la vitesse et la direction de l'avalanche et des coulées pyroclastiques qui ont recouvert Johnston, Martin et d'autres, seront décrites en détail dans un document intitulé « Chronologie et caractère des éruptions explosives du Mont Saint Helens le 18 mai 1980 » (Chronology and Character of the 18 May 1980 Explosive Eruptions of Mount St. Helens) et publié en 1984 dans une collection de l'United States National Research Council sur les recherches d'étude géophysique[26]. Dans ce document, les auteurs examinent des photographies et des images satellites pour construire une chronologie et une description de l'éruption dès ses premières minutes. Une série de six photographies chronométrées prises à partir du mont Adams, situé à 53 kilomètres à l'est du mont Saint Helens, montrent l'explosion latérale et éclairent sur l'étendue et la taille de l'avalanche et des flux. Un schéma aérien indique la position du front de la nuée ardente toutes les 30 secondes, ainsi que les positions de Johnston (Coldwater II) et Martin[26].
L'éruption est audible à des centaines de kilomètres de distance[27], mais certains, après avoir survécu à l'éruption, déclarent que le glissement de terrain et les coulées pyroclastiques étaient silencieuses lorsqu'elles dévalaient la montagne. Krau Kilpatrick, un employé du Service des forêts des États-Unis, affirme ainsi : « Il n'y avait aucun bruit, pas un bruit. C'était comme un film muet et nous étions tous dedans »[28]. La raison de ce silence est une « zone sourde » créé par le mouvement et la température de l'air et, dans une moindre mesure, la topographie locale[27].
Immédiatement après l'éruption, des sauveteurs sont dépêchés dans la région. Le pilote officiel USGS, Lon Stickney, qui a convoyé les scientifiques à la montagne, mène une première tentative de sauvetage. Il vole avec son hélicoptère sur les pentes dévastées jusqu'au poste d'observation, où il n'aperçoit que de la roche à nu et des arbres déracinés. L'aspect des lieux provoque la stupeur de Stickney, qui ne parvient pas à repérer un seul signe de la caravane de Johnston[29].
Se sentant coupable, Harry Glicken convainc trois pilotes d'hélicoptère de l'emmener survoler la zone dévastée. Cette tentative de sauvetage avorte, car l'éruption a tellement changé le paysage qu'ils ne peuvent localiser le poste d'observation emporté et enseveli dans l'explosion. Lui et son équipe repèrent cependant une voiture avec des occupants dans un camp de bûcherons, mais après avoir atterri pour tenter une évacuation, ils s'aperçoivent que « la peau des victimes, mortes, est tombée »[18]. Peu de temps après l'éruption, Don Swanson trouve le sac à dos et la parka de Johnston ensevelis sous les décombres, mais il cache sa découverte de peur qu'elle ne soit volée[30] par des profiteurs opportunistes, qui étaient déjà en train de ramasser et de vendre des souvenirs des victimes du volcan. En 1993, pendant la construction d'une extension de 14 kilomètres de la Washington State Route 504 (aussi appelée Spirit Lake Memorial Highway), des travailleurs découvrent des morceaux de la caravane de Johnston[31]. Son corps, cependant, n'a jamais été retrouvé[32].
Bilan et conséquences
Le public a été choqué par l'étendue de l'éruption, qui a abaissé la hauteur du sommet de près de 400 mètres, détruit 596 kilomètres carrés de terres boisées, et propagé des cendres dans d'autres États américains jouxtant celui du Washington[33]. La vitesse de déflagration de l'explosion latérale qui a tué Johnston, au début de 354 kilomètres par heure, a atteint jusqu'à 1 078 kilomètres par heure[27]. Cette vitesse impressionnante a surpris jusqu'aux scientifiques de l'USGS. Avec une valeur d'indice d'explosivité volcanique de 5, l'éruption plinienne a été catastrophique. Plus de 50 personnes ont été tuées ou portées disparues, dont le résident Harry R. Truman, le photographe du National Geographic Reid Blackburn[33], et bien sûr Johnston.
La catastrophe a été l'éruption volcanique la plus destructrice et meurtrière de l'histoire des États-Unis. Un total de 57 personnes ont officiellement péri et de nombreuses familles se sont retrouvées sans abri lorsque les cendres et les coulées pyroclastiques détruisirent ou enterrèrent près de 200 maisons. En plus des pertes humaines, des milliers d'animaux ont péri. L'estimation officielle de l'USGS comporte entre autres 7 000 gibiers, 12 millions d'alevins de saumon et 4 000 saumons[33].
Deux ans après l'éruption, le gouvernement des États-Unis fait don de 450 kilomètres carrés de terres pour la création du Mount St. Helens National Volcanic Monument. Cette zone protégée, qui comprend un observatoire au nom de Johnston, le Johnston Ridge Observatory, et plusieurs autres centres de recherche et d'accueil de visiteurs, sert à promouvoir la recherche scientifique, le tourisme et l'éducation[34].
Postérité
Sciences
David A. Johnston, connu par ses amis sous le diminutif de « Dave », est commémoré par ses collègues scientifiques et par le gouvernement américain. Connu pour sa diligence et sa nature particulière, il est décrit comme « un scientifique exemplaire » dans un éloge de l'USGS, ainsi que « sincère et sans affectation, avec une curiosité et un enthousiasme contagieux »[8]. Johnston a été prompt à « dissiper le cynisme » et à croire que « l'évaluation minutieuse et l'interprétation » étaient la meilleure approche pour son travail[8]. Une notice nécrologique sur Johnston signale qu'au moment de sa mort, il avait été « parmi les jeunes volcanologues de file dans le monde » et que son « enthousiasme et sa chaleur [...] manqueraient au moins autant que sa [valeur] scientifique »[35]. Andrew Alden, son collègue, a déclaré que Johnston avait un grand potentiel, et qu'il « avait beaucoup d'amis et un avenir brillant »[36]. Suite à l'éruption, Harry Glicken et d'autres géologues de l'USGS ont dédié leur travaux à Johnston[30].
Parce que Johnston croyait être en sécurité au poste d'observation de Coldwater II, sa mort a marqué ses amis et collègues. Cependant, la plupart des personnes, dont les membres de sa famille, ont affirmé qu'il est mort en « faisant ce qu'il voulait faire »[3]. Sa mère a déclaré dans une interview peu après l'éruption : « peu de gens peuvent faire ce qu'ils veulent vraiment faire dans ce monde, mais notre fils l'a fait. [...] Il nous dirait qu'il n'a jamais pu devenir riche, mais qu'il faisait ce qu'il voulait. Il voulait être proche si l'éruption avait lieu. Dans un appel téléphonique pour la fête des Mères, il nous a dit que [c'est une chose] que peu de géologues [ont la] chance de voir »[3]. Stephen Malone a convenu que Johnston était mort en faisant ce qu'il aimait et a déclaré qu'il « était très bon dans son travail »[9].
Le rôle de Johnston dans l'étude du volcan dans les semaines qui ont précédé l'éruption a été reconnu en 1981, dans le cadre d'un rapport de l'USGS intitulé The 1980 Eruptions of Mount St. Helens, Washington :
« Parmi les nombreux contributeurs de données, aucun n'est plus essentiel à la reconstruction systématique des événements de 1980 au mont Saint Helens que David Johnston, à la mémoire duquel ce rapport est dédié. Dave, qui a été présent à travers toute l'activité jusqu'à l'éruption [...] et qui y a perdu la vie, a produit bien plus que des données. Ses idées et son attitude soigneusement scientifiques ont été cruciales pour l'ensemble des efforts, et ils servent encore comme modèle pour nous tous. »
— R. L. Christiansen et D. W. Peterson, Chronology of the 1980 Eruptive Activity[37].
Johnston a en effet été parmi les premiers volcanologues sur le volcan lorsque les signes éruptifs sont apparus et, peu après, il a été nommé responsable de la surveillance des gaz volcaniques. Bien qu'analyste attentif, Johnston croyait fermement que les scientifiques avaient pour mission de prendre ce risque afin de prévenir la mort de civils. Il a donc choisi d'être présent sur le site dans des conditions qu'il savait dangereuses. Lui et plusieurs autres volcanologues empêchèrent les gens de venir à proximité du volcan durant les quelques mois d'activité pré-éruptive et combattirent avec succès les pressions pour rouvrir la zone au public[8]. Leur travail a limité le nombre de morts à quelques dizaines d'individus, au lieu des milliers de personnes potentiellement présents dans la région si elle n'avait pas été fermée[8].
Depuis la mort de Johnston, son domaine d'étude, la prédiction volcanologique, a considérablement progressé et les volcanologues sont maintenant capables de prévoir les éruptions en se basant sur un certain nombre de signes précurseurs qui se manifestent entre quelques jours et plusieurs mois à l'avance[38]. Les géologues sont aussi en mesure désormais d'identifier les motifs caractéristiques des ondes sismiques qui révèlent une activité magmatique anormale[39]. En particulier, les tremblements de terre longs et fréquents indiquent que le magma monte à travers la croûte terrestre. Les volcanologues peuvent également repérer les émissions de dioxyde de carbone, qui sont un indicateur du taux d'alimentation du magma. Les mesures de déformation de la surface en raison d'intrusions magmatiques, comme celles qui ont été menées par Johnston et les autres scientifiques à l'USGS aux avant-postes Coldwater I et II, ont progressé en précision. Les réseaux de surveillance des déformations du sol autour des volcans sont désormais basés sur des technologies multiples : des radars interférométriques à synthèse d'ouverture (InSAR), des vérifications par GPS, des sondages en microgravité par lesquels les scientifiques mesurent le changement dans le potentiel gravitationnel ou l'accélération suite aux intrusions du magma et de la déformation en résultant, la déformation des matériaux, des inclinomètres, etc. Bien qu'il reste encore du travail à faire, cette combinaison d'approches a considérablement amélioré la capacité des scientifiques à prévoir les éruptions volcaniques[38].
Malgré la mort de volcanologues dans d'autres éruptions postérieures, au mont Unzen et au Galeras, les méthodes de prédiction semblables à celles utilisées par Johnston ont permis aux scientifiques d'acquérir l'autorité nécessaire à l'évacuation des habitants résidant près du volcan Pinatubo, ce qui a évité des milliers de morts[36]. Le travail de Johnston et sa mort font désormais partie de l'histoire. Avec Harry Glicken, il est l'un des deux volcanologues américains à avoir trouvé la mort au cours d'une éruption volcanique[40]. Glicken, sauvé in extremis par Johnston qui le remplaça au poste d'observation de Coldwater II peu avant l'éruption du mont Saint Helens[18], est mort onze ans plus tard au mont Unzen, en 1991, quand une coulée pyroclastique l'a touché, lui et plusieurs autres personnes dont Maurice et Katia Krafft[40],[41].
Commémorations
En hommage à David Johnston, deux arbres ont été plantés à Tel Aviv[7], en Israël, et un centre communautaire dans la ville natale de Johnston a été rebaptisé Johnston Center. Ces actions ont été rapportés dans les journaux pour le premier anniversaire de l'éruption en mai 1981[7],[42].
Pour le deuxième anniversaire de l'éruption, le bureau de l'USGS à Vancouver, qui avait été définitivement établi après l'éruption de 1980, a été renommé David A. Johnston Cascades Volcano Observatory (CVO) en sa mémoire[43]. Cet observatoire volcanique est l'un des principaux responsables de la surveillance du mont Saint Helens et il a aidé à prédire toutes les éruptions du volcan entre 1980 et 1985[44]. En 2005, lors d'une journée porte-ouverte, le hall du Centre d'Observation Volcanique comportait un affichage et une peinture en mémoire de Johnston[45].
L'université de Washington où Johnston avait effectué ses recherches de maîtrise et de doctorat a mis en place un fonds commémoratif, connu comme le David A. Johnston Memorial Fellowship for Research Excellence. Il facilite l'accès aux études supérieures dans ce qui est maintenant le département des sciences terrestres et spatiales. Au moment du premier anniversaire de sa mort, le fonds avait dépassé les 30 000 dollars. Depuis le lancement du fonds, un certain nombre d'étudiants ont reçu des bourses et récompenses au fil des ans [7],[46].
Suite à l'éruption, la zone où était situé le poste d'observation de Coldwater II a été préservé et, finalement, un observatoire a été construit et dédié à Johnston. Il a ouvert en 1997[47]. Situé à un peu plus de 8 kilomètres du flanc nord du mont Saint Helens, le Johnston Ridge Observatory (JRO) permet au public d'admirer le cratère ouvert, les vestiges de l'éruption de 1980, dont un vaste terrain de basalte, et les signes de la nouvelle activité du volcan. Faisant partie de la Mount St. Helens National Volcanic Monument (« Monument national du Mont Saint Helens »), le JRO a été construit pour 10,5 millions de dollars et contient des équipements de surveillance. Visité annuellement par des milliers de touristes, il présente aussi un théâtre, une salle d'exposition, et propose des visites[48].
Plusieurs monuments publics comportent le nom de Johnston, inscrit dans la liste des victimes connues de l'éruption. Parmi ces monuments se trouve une grande table incurvée de granite située à une zone d'observation à l'extérieur du JRO et inaugurée en 1997, et une plaque au centre des visiteurs de Hoffstadt Bluffs qui a été dévoilée au sein d'un bosquet commémoratif en mai 2000[49].
Représentation
L'histoire et la vie de Johnston sont relatées dans plusieurs documentaires, films et docufictions autour de l'éruption. Des documentaires tels que The Eruption of Mount St. Helens! (1980) ont été réalisés la même année que l'éruption, tandis qu'un film a été tourné l'année suivante, et sa sortie programmée pour coïncider avec le premier anniversaire de la catastrophe. L'histoire du mont Saint Helens et de Johnston continue d'être racontée dans les documentaires et les reconstitutions plusieurs décennies après l'éruption.
Dans le film St. Helens (1981), l'acteur David Huffman interprète Johnston, rebaptisé pour l'occasion « David Jackson ». L'histoire est romancée et en partie fictive : le personnage du film est impliqué dans une histoire d'amour, et est tué par l'explosion tandis qu'il se tient sur le sommet de la montagne. Les parents de Johnston ont vivement critiqué le film. Sa mère s'élève contre le fait qu'il dépeigne David « [...] comme un casse-cou plutôt que d'un scientifique prudent », lui inventant même un côté « rebelle » avec « des antécédents de problèmes disciplinaires »[24]. Pour elle, leur personnage romancé ne possède pas « une once de David en lui »[24]. En outre, elle souligne que de nombreux faits autour des événements, comme les dernières paroles de leur fils, ont été déformés. Les parents de David ont menacé de poursuivre en justice la production en arguant que la mémoire de leur fils était dégradée. Avant la sortie du film pour le premier anniversaire de l'éruption, trente-six scientifiques qui connaissaient Johnston ont signé une lettre de protestation. Ils ont notamment écrit que « la vie de Dave était trop méritoire pour nécessiter des embellissements fictifs » et que « Dave était un scientifique superbement consciencieux et créatif »[50]. Don Swanson, un géologue de l'USGS qui était l'ami de Johnston et qui, en raison d'autres engagements, avait convaincu Johnston de prendre sa place au poste de Coldwater II le jour de l'éruption[19], croyait qu'un film basé sur la vraie vie et les exploits de Johnston aurait été un succès en raison du caractère de son ami[50].
Plusieurs documentaires et docufictions ont couvert l'histoire de l'éruption, y compris avec les images d'archives et des dramatisations de l'histoire de Johnston. Il s'agit notamment de Up From the Ashes (1990) par KOMO-TV, un épisode de la série La Minute de vérité (2005) diffusée par le National Geographic Channel[51] et un épisode de la série Face au danger (2006) diffusée sur la BBC et Discovery Channel.
Principales publications
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- (en) David A. Johnston, Volcanic gas studies at Alaskan volcanoes, United States Geological Survey (U.S. Geological Survey Circular n°C 0804-B, pages B83–B84), Reston, 1979. (ISSN 0364-6017)
- (en) David A. Johnston, Revision of the recent eruption history of Augustine Volcano; elimination of the "1902 eruption", United States Geological Survey (U.S. Geological Survey Circular n°C 0804-B, pages B80–B84), Reston,1979. (ISSN 0364-6017)
- (en) David A. Johnston, Onset of volcanism at Augustine Volcano, lower Cook Inlet, United States Geological Survey (U.S. Geological Survey Circular n°C 0804-B, pages B78–B80), Reston, 1979. (ISSN 0364-6017)
- (en) David A. Johnston, Volatiles, magma mixing, and the mechanism of eruption of Augustine Volcano, Alaska, Université de Washington (thèse), Seattle, 1978.
- (en) David A. Johnston, Volcanistic facies and implications for the eruptive history of the Cimarron Volcano, San Juan Mountains, SW Colorado, Université de Washington (thèse), Seattle, 1978.
Bibliographie
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- (en) Richard V. Fisher, Out of the Crater: Chronicles of a Volcanologist, Princeton University Press, 2000 (ISBN 0-691-00226-6) [lire en ligne]
- (en) Stephen L. Harris, Fire Mountains of the West: The Cascade and Mono Lake Volcanoes, Mountain Press Publishing Company, 1988 (ISBN 978-0-87842-220-3)
- (en) Richard L. Hill, Volcanoes of the Cascades: Their Rise and Their Risks, Globe Pequot, 2004 (ISBN 0-7627-3072-2)
- (en) Rosaly Lopes-Gautier, The volcano adventure guide, Cambridge University Press, 2005 (ISBN 0-521-55453-5) [lire en ligne]
- (en) Frank Parchman, Echoes of Fury: The 1980 Eruption of Mount St. Helens and the Lives it Changed Forever, Kent Sturgis, 2005 (ISBN 0-9745014-3-3) [lire en ligne]
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Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « David A. Johnston » (voir la liste des auteurs)
Notes
- Harry Glicken, qu'ironiquement Johnston avait remplacé au poste d'observation le jour de l'éruption du mont Saint Helens. Glicken est mort en 1991, avec plusieurs autres personnes dont Maurice et Katia Krafft, au cours d'une éruption du mont Unzen. Le second volcanologue américain est
Références
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- (en) Associated Press, « Plaque dedication rekindles memories », Eugene Register-Guard, 20 mai 2000
- Frank Parchman, Echoes of Fury, p. 206
- (en) Seconds From Disaster – Mount St. Helens Eruption, National Geographic Channel. Consulté le 28 avril 2010
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