- Dahir berbère
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Le Dahir Berbère est un décret signé le 16 mai 1930 par le Sultan du Maroc, alors sous protectorat français, visant à l’adaptation de la « justice berbère » aux conditions propres de l’époque. Son adoption suscite une réaction nationaliste d'une grande ampleur, qui constitue une étape essentielle dans le renouveau national marocain, et conduit à son retrait par la puissance coloniale.
Il reste le seul texte législatif de l'Histoire marocaine à mentionner les berberes et les arabes nominalement dans un premier temps, puis en tant qu'entité distincte l'une de l'autre. En effet jamais cette distinction n'exista par le passé dans les textes législatifs ou jurisprudentiels. Et depuis jamais il n'en fut question.
Sommaire
Motivation
Les motivations de la création du dahir berbère est une œuvre qui prend ses racines depuis fort longtemps, à commencer par la bulle papale de Grégoire XV, fondateur et organisateur de la mission de christianisation de la Barbarie, pays des infidèles. Cette mission sera représentée au Maroc par des franciscains en 1619.
- Le projet colonial s'inscrit dans la pensée de Louis Massignon : [citation nécessaire]
Reniement du berbérisme par Massignon
- « C'est une question qui a été en effet pour moi un cas de conscience à la fois religieux et scientifique, pendant les années 1909 à 1913 où le père de Foucauld, par écrit et de vive voix, me pressait de consacrer après lui, ma vie à ce mouvement tournant qui devait éliminer la langue arabe et l'Islam de notre Afrique du Nord, au bénéfice de la langue française et de la chrétienté, en deux temps :
- exhumation du tuf linguistique et coutumier primitif des Berbères ;
- assimilation par une langue et une loi (chrétienne ?) supérieures, française et chrétienne.[citation nécessaire]
- Comme tous les croyants et tous les débutants, j'étais très sympathique à cette thèse ; j'avais cru à l'assimilation franco-chrétienne de la Kabylie par le mouvement tournant du berbérisme, (…) puis j'ai vu que leur désislamisation [des Kabyles] tournerait au laïcisme maçonnique (puis à un nationalisme nord-africain xénophobe…) Martyr ne se rendait pas compte de l'ignominie de ce berbérisme, et je mis des années à m'en apercevoir et à m'en dégager » ~ Louis Massignon.
- L'application du Dahir se réalise en trois étapes.
Étape du 11 septembre 1914
Sous l'influence d'un groupe de spécialistes de sociétés montagnardes du moyen et du haut Atlas, tel Maurice Le Glay (contrôleur civil et écrivain, auquel on doit "Récits de la plaine et des monts, les sentiers de la guerre et de l'amour, la mort du Rogui" etc. récits marocains.), d'un noyau de professeurs laïcs hostiles à l'islam et de religieux en collaboration avec l'évêque de Rabat. Ce dahir avait pour but l'adaptation de la "Justice Berbère" aux conditions propres de l'époque et, de ce fait, correspondait à l'esprit de la politique inaugurée au Maroc par Lyautey quand il signa le dahir du 11 septembre 1914. La caractéristique fondamentale de cette politique consistait à préserver l'autonomie traditionnelle des Berbères, essentiellement dans le domaine juridique, en les soustrayant à la législation islamique ou "Chrâa", et en maintenant leur droit coutumier, dit `Orf ou Izref.
La résidence se mobilise pour faire appliquer son plan en faisant signer au sultan le Dahir ou texte législatif[1], qui soustrait en fait les tribu berbères à la loi islamique, reconnait pour leurs coutumes et dispose que l'appel des jugements rendus en matière pénale serait porté devant les juridictions françaises. Ce projet est initialement aussi l'œuvre de la franc-maçonnerie.[1]
Étape du 8 avril 1934
Son intitulé exact tel que le lui a donné le législateur est : "Dahir règlementant le fonctionnement de la justice dans les tribus de coutumes berbères". En application de ce dahir, l’arrêté viziriel du 8 avril 1934 organisait les tribunaux coutumiers ainsi constitués. C'était donc bien de la règlementation de la justice coutumière dont il s’agissait et rien d’autre. Il n’était nulle part dans ces deux textes question d’une quelconque entité berbère ou d’un projet de ce genre. Ce dahir dit Berbère n'est autre qu'une appellation à connotation ethnique à visée purement idéologique élaborée par une élite dans le but unique, celui de l'exclusion et de la marginalisation des imazighens.
Étape du 16 mai 1930
Officialisant dans le pays la justice coutumière , enracinée depuis des millénaires.
Texte intégral du Dahir berbère
Texte intégral du Dahir sultanien du 16 mai 1930 nommé "Dahir berbère" par les protégés de la France coloniale.
Louange à Dieu.
Que l’on sache par la présente, que notre Majesté Chérifienne, Considérant que le dahir de notre Auguste père, S.M. le Sultan Moulay Youssef, en date du 11 septembre 1914 a prescrit dans l’intérêt du bien de nos sujets et de la tranquillité de l’État de respecter le statut coutumier des tributs berbères pacifiées..., qu’il devient opportun de préciser aujourd’hui les conditions particulières dans lesquelles la justice sera rendue dans les mêmes tribus:
A décrété ce qui suit :
- Art. 1
Dans les tribus de Notre Empire reconnues comme étant de coutume berbère, la répression des infractions commises par les sujets marocains(1) qui serait de la compétence des Caïds dans les autres parties de l’Empire, est de la compétence des chefs de tribus. Pour les autres infractions, la compétence et la répression sont réglées par les articles 4 et 6 du présent dahir.
- Art. 2
Sous réserve des règles de compétence qui régissent les tribunaux français de Notre Empire, les actions civiles ou commerciales, mobilières ou immobilières sont jugées, en premier ou dernier ressort, suivant le taux qui sera fixé par arrêté viziriel, par les juridictions spéciales appelées tribunaux coutumiers. Ces tribunaux sont également compétents en tout matière de statut personnel ou successoral. Ils appliquent, dans les cas, la coutume locale.
- Art. 3
L’appel des jugements rendus par les tribunaux coutumiers, dans les cas où il serait recevable, est portée devant les juridictions appelées tribunaux d’appel coutumiers.
- Art. 4
En matière pénal, ces tribunaux d’appel sont également compétents, en premier et dernier ressort, pour la répression des infractions prévues à l’alinéa 2 de l’article premier ci-dessus, et en outre de toutes les infractions commises par des membres des tribunaux coutumiers dont la compétence normale est attribuée au chef de la tribu.
- Art. 5
Auprès de chaque tribunal coutumier de première instance ou d’appel est placé un commissaire du Gouvernement, délégué par l’autorité régionale de contrôle de laquelle il dépend. Près de chacune de ces juridictions est également placé un secrétaire-greffier, lequel remplit en outre les fonctions de notaire.
- Art. 6
Les juridictions françaises statuant en matière pénale suivant les règles qui leur sont propres, sont compétentes pour la répression des crimes commis en pays berbère quelle que soit la condition de l’auteur du crime(2). Dans ces cas est applicable le dahir du 12 août 1913 (9 ramadan 1331) sur la procédure criminelle.
- Art. 7
Les actions immobilières auxquelles seraient parties, soit comme demandeur, soit comme défendeur, des ressortissants des juridictions françaises, sont de la compétence de ces juridictions.
- Art. 8
Toutes les règles d’organisations, de composition et de fonctionnement des tribunaux coutumiers seront fixés par arrêtés viziriels successifs, selon les cas et suivants les besoins.
Fait à Rabat, le 17 Hijja 1348 (16 mai 1930) vu pour promulgation et mise à exécution : Rabat, le 23 mai 1930.
Le commissaire-Résident général, LUCIEN SAINT.
Réaction marocaine
Réaction nationaliste
Avant de parvenir au Palais Royal, le texte préparé par la France devait être traduit en langue arabe. C'est ainsi que le texte échu en 1930 entre les mains d'un slaoui, Abdellatif Sbihi, qui en mesura rapidement la gravité et alerta ses compagnons nationalistes. Ils y ont vu une tentative de division du peuple marocain notamment à la lecture de l'article 6 et la volonté mal déguisée d'assimiler et de christianiser, à plus ou moins brève échéance, une composante essentielle de la population[2]. Le vendredi 27 juin 1930, l'imam Haj Ali Aouad, présida à la Grande Mosquée de Salé, à la lecture du Latif (prière pour les calamités). Roberte Rezette dans son ouvrage Les Partis politiques marocains écrit La campagne contre le Dahir berbère commença par la récitation du "Latif" dans les mosquées de Salé. C'est ainsi qu'elle alimenta les manifestations. Le 4 juillet, Rabat s'enflamme dans les mosquées sous l'impulsion de Mohamed Lyazidi et le 5 juillet à la mosquée Quaraouiyine à Fès grâce au alem Chahbi Al Qorchi avant de s'étendre à Marrakech puis Casablanca.
Réaction du Sultan
L'occupant colonial, la Résidence va rapidement réagir en exerçant de fortes pressions sur Sa Majesté le Sultan âgé de 21 ans pour qu'il condamne publiquement toutes les manifestations contre le Dahir. C'est ainsi qu'à l'occasion de la commémoration de la fête du Mouloud le 11 août 1930 un Message du sultan Mohammed V préparé par la résidence a été lu dans les mosquées, en voici le texte intégral.[2]
Pétition contre le Dahir
Cela ne suffira pas à calmer les esprits et le 28 août 1930 une centaine de nationalistes se réunirent dans la demeure de Ahmed ben Haj Mohamed Lahrech à Salé où le mufti Boubker Zniber rédigea la "pétition contre le Dahir Berbère" qui sera adressée au Grand vizir Al-moqri par une délégation slaouie. Ragallardie, la jeunesse militante marocaine se mobilisa pour alerter la presse arabe et internationale. Chakib Arsalane, effectua un bref passage au Maroc pour éclairer et instruire les nationalistes. Le Dahir Berbère, à l’origine, conçu pour diviser le peuple, cimentera et consacrera la volonté de résistance des élites marocaines contre l'occupant.
Les signataires de la pétition contre le Dahir Berbère
Mohammed ben Lamfadal Al-Alami al-Idrissi, Mohammed Al-Alami, Abdelhamid Al-Alaoui, Hicham Al-Alaoui, Mohammed ben Abdeslam Al-Alaoui, Mohammed ben Mekki Al-Alaoui, Mohammed ben Tayyeb Al-Alaoui, Mohammed Al-Aâlou, Abdallah Al-Aâouni, Bennacer ben Ahmed Aouad, Boubker ben Ahmed Aouad, Mohammed Aouad, Driss Aouad, Omar ben Ahmed Aouad, Abdallah ben Ahmed ben Baïja, Boubker ben Mohammed Bouchaâra, Thami Bouchaâra, Ahmed Bendahmane, Mohammed Bendahmane, Mohammed ben al-haj Bendahmane, Boubker Bennaghmouche, Mohammed Benmoumen, Boubker Bensaïd, Hachemi ben Omar Bensaïd, Mohammed Bensaïd, Mohammed ben Larbi Bensaïd, Mohammed ben Mohammed Berouayyal, Hussaïne ben Abdelqader Bouzid, Mohammed Chaoui, Driss Chaddadi, Boubker ben Mohammed Chmaâou, Brahim Chmaâou, Qassem ben Qassem Al-Fassi, Mohammed ben Saddiq Al-Filali, Mohammed Al-Gharbi, Abdelqader ben Mohammed Hajji, Ahmed ben Abdallah Hajji, Boubker Hajji, Mohammed ben Al-Hassan Hajji, Mohammed ben Mohammed Hajji, Tahar ben Abdeslam Hajji, Mohammed ben Al-Harraq, Abdallah Al-Hassouni, Mohammed Benaâchir Al-Hassouni, Mustapha ben Mohammed Al-Hassouni, Driss Jaïdi, Ahmed ben al-faqih Al-jariri, Abdallah J'ghalef, Mohammed Laâlou, Ahmed ben Haj Mohammed Lahrech, Boubker ben Ahmed Lahrech, Ahmed ben Mohammed Maâninou, Mohammed ben Ahmed Maâninou, Mohammed ben Ahmed Mallah, Abdelkrim Al-Malqi, Boubker Al-Malqi, Mohammed Al-Malqi, Mohammed ben Ali Al-Masaîdi, Ahmed ben Lamfaddal Al-M'kinsi, Driss ben Mohammed, Mohammed ben Lakbir Al-Moqaddam, Abdelhaq M'rini, Boubker Al-M'rini, Mohammed Al-M'rini, Mohammed ben Ahmed Nejjar Laqrbi Nejjar, Abdelqader Al-kadiri, Boubker El Kadiri, Abderrahmane Qandil, Lakhdar Qandil, Mustapha Qandil, Mohammed ben Larbi Riffi, Ahmed Sabounji, Boubker ben Abdallah Sabounji, M'hammed Sabounji, Mohammed ben Abdallah Sabounji, Mohammed ben Ahmed Sabounji, Hachemi Saleh, Boubker Sbihi, Larbi Sbihi, Mohammed ben Hachemi Sbihi, Ahmed ben Mohammed Safiani, Bennacer ben Mohammed Safiani, Tayyeb ben Abdallah Saffar, Ali ben Ali Talbi, Boubker Talbi, Mohammed ben Ahmed Talbi, Hassan Trabelsi, Mohammed ben Brahim Trabelsi, Ahmed ben Mohammed Tiyyal, Tayyeb Tiyyal, Abbas ben Mohammed Zniber, Abdelmajid ben Mohammed Zniber, Ahmed Zniber, Boubker ben Tahar Zniber, Larbi ben Boubker Zniber, Mohammed ben Abdelhadi Zniber, Omar ben Ahmed Zniber, Benaâchir Zouaoui.
Réflexions sur le Dahir dit Berbère
Les manifestations pacifiques propagées à travers le pays grâce à l'appel au "latif" relayé par la Pétition du 28 aout 1930 constituent la première réaction nationaliste organisée contre l’occupant et conduira la France au retrait du Dahir Berbère. Nombreux s’accordent aujourd’hui à reconnaitre que cet important épisode historique et le recul de la France a conforté les nationalistes et constitue l’acte fondateur de la prise de conscience politique qui conduira une dizaine d’années plus tard à la signature le 11 janvier 1944 d’une nouvelle Pétition, cette fois appelée « Manifeste de l'indépendance ». Les signataires de la pétition contre le Dahir Berbère sont les symboles des marocains libres. Tous font partie du panthéon marocain : grands résistants avant l'heure de l'indépendance. L’abrogation du dahir dit berbère devient un thème de revendication du nationalisme dont toutes les organisations, embryonnaires dans les milieux citadins et jusque là sans contact entre elles, vont se rapprocher. Pour la première fois sont offertes, à ceux qui se veulent conducteurs d’hommes, des masses populaires prêtes à les suivre ; en effet une atteinte à la religion est alors une idée-force capable de tirer de sa passive indifférence la population.
Voir aussi
- Un dahir est l'équivalent d'une Loi. Dans le cas présent le texte de loi fut préparé par l'administration française du protectorat qui l'avait fait signer au très jeune sultan du Maroc.
Notes et références
- Dossier spécial sur le dahir chérifien du 16 mai 1930 qui est nommé dahir berbère par les protégés de la France coloniale
- Les Trente Glorieuses ou l'Age d'Or du Nationalisme Marocain 1925-1955 de M'hammed Aouad et Maria Awad
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