Coopératives Longo Maï

Coopératives Longo Maï

La coopérative Longo Maï (de la formule provençale exprimant un souhait « que ça dure longtemps »[1]) est une coopérative agricole d’idéologie alternative, laïque, rurale et anticapitaliste, fondée en 1973, à Limans (Alpes-de-Haute-Provence), qui a essaimé en réseau depuis.

Sommaire

Histoire

Dans la foulée de Mai 68, des jeunes issus des groupes étudiants autrichiens Spartakus, réfugiés en Suisse suite à des affrontements avec les groupes néonazis, se lient aux étudiants suisses du groupe Hydra[2],[3],[4] ou Hydra7 selon Humanisme pur[5]. Ces étudiants menaient de nombreuses actions militantes contre l’Église, l’armée, les dictatures, en faveur des réfugiés, des ouvriers, etc., et soutenaient à Schirmeck les ouvriers souhaitant reprendre leur usine en autogestion[5].

Grâce à une collecte de fonds, ils achetèrent un domaine de 270 ha à Limans[3] près de Forcalquier dans les Alpes-de-Haute-Provence pour y implanter, en 1973, une communauté rurale auto-gérée[3] d’inspiration anarchiste créée à Bâle lors d'un Congrès fondateur. Le groupe n'avait pas pu en effet s'installer dans un pays germanophone à cause de la forte opposition des gouvernements suisse, allemand et autrichien[5]. La colline où elle s’installe, Zinzine, n’a qu’une ferme en ruine, Grange-Neuve, et un pigeonnier pour les abriter[5]. Dotée à l'origine d'un statut de SCOP (Société coopérative de production), elle passe ensuite à un statut mixte mêlant Groupement foncier agricole, coopérative et EARL (Exploitation agricole à responsabilité limitée).

Le programme de la communauté est formulé par Roland Perrot, qui déserta durant la guerre d'Algérie et connaissait personnellement Giono et son expérience de commune libre au Contadour dans les années 1930[5] ; il s’inspire des idées fouriéristes[3], tout en incluant l’antimilitarisme et le pacifisme, l’anticapitalisme, l’absence de représentants politiques et l’égalité entre hommes et femmes[3]. Le fonctionnement se base sur l’autosubsistance, la vie commune, les productions artisanales et agricoles, la gestion commune de l’énergie, de l’eau et l’absence de salaires, ainsi que le respect de l’environnement (gestion économe de l’eau, par exemple)[2],[6].

À partir de 1976, les membres recherchent des terrains et achètent des maisons et immeubles divers, ce qui suscite des réactions hostiles chez les habitants des environs.

Les coopératives Longo Maï ont organisé diverses campagnes de solidarité internationale, notamment en faveur des résistants aux dictatures[2],[6] :

  • l'accueil de 2 000 exilés chiliens, menacés par le putsch de Pinochet, dans des communes suisses ;
  • des actions de solidarité avec les Indiens Guaranis au Paraguay ;
  • le soutien des opposants du Nicaragua en lutte contre le dictateur Somoza, notamment par la création d’une coopérative de réfugiés nicaraguayens au Costa Rica, encore active aujourd’hui pour la défense de la petite paysannerie[3] ;
  • la création du Comité européen de défense des réfugiés et immigrés (CEDRI) ;
  • du Forum civique européen (FCE) pour le soutien des processus de démocratisation des pays de l’Est ;
  • le soutien au Syndicat des ouvriers de la campagne (SOC) qui défend les travailleurs saisonniers sans papier en Andalousie (El Ejido) ;
  • le soutien à la création d’une coopérative à Madagascar[3] ;
  • une campagne en faveur de l’opposant portugais Otelo de Carvalho[7] ;
  • des actions diverses en Afrique[7].

Établissements

Dix coopératives Longo Maï fonctionnent en réseau[8],[6] :

  • en France :
  • à Ulenkrug, Mecklembourg, en Allemagne ;
  • le Hof Stopar à Eisenkappel en Carinthie, en Autriche (17 ha plus 25 ha loués, élevage de brebis[5]) ;
  • la ferme le Montois dans le Jura suisse (12 ha, élevage d’oies et de brebis[5]) ;
  • à Oujgorod, en Transcarpathie, Ukraine, avec une école de français dans les années 1990[7] ;
  • au Costa Rica.

Le siège de la coopérative est à Bâle, d’où sont organisées les campagnes de collecte de dons (environ cinq millions de francs annuels dans les années 1990)[3] pour 10 MF de dettes.

La coopérative a créé plusieurs médias de communication[8] :

  • la radio libre Radio Zinzine : fondée en 1981 et nommée d’après la colline où s’est établie la communauté, fréquemment menacée d’interdiction d’émission. Elle est affiliée à la Fédération européenne des radios libres[5]) ; la radio édite un hebdomadaire, L'ire des chenaies (4 p. A4)
  • une agence de presse, l’Agence indépendante d'information (AIM)[3], à laquelle collaborent une centaine de journalistes[7] ;
  • le journal Archipel, journal du Forum civique européen (8p. A4);
  • elle édite également quelques livres.

Fonctionnement de la communauté

La communauté s’administre en coopérative auto-gérée. Tous les biens financiers sont mis en commun. Les ressources propres de la communauté sont l’élevage, la production céréalière et maraîchère ; elle pratique elle-même ses coupes de bois. La filature de laine est alimentée par l’hydroélectricité ; la chaleur est fournie par l’énergie solaire[8]. Chacun travaille, les changements de tâches sont possibles, le dimanche soir, une réunion a lieu pour organiser un peu la semaine (équipes, réunions, projets, présentation des nouveaux-venus). Cependant, le travail s’organise entre des groupes constitués par affinités et par compétences[5]. À la fin des années 1990, elle abriterait 200 adultes et une centaine d’enfants, répartis entre deux grandes fermes et un hameau[8], ces membres étant d’une quinzaine de nationalités différentes[5].

À Limans, elle possède 280[2],[6] à 300 ha, dont 80 labourables. Elle utilise l’eau de la rivière. Les matériaux de construction utilisés sont la pierre locale et la brique crue[8]. La coopérative vend des produits agricoles bruts, mais aussi transformés : vêtements, conserves et cosmétiques, plus rémunérateurs[6]. Elle gère un village de vacances, au hameau des Magnans[5] (ouvert à tous), un camping destiné à ses activités[8]. Ces activités lui fournissent environ la moitié de ses revenus, l’autre moitié provenant de collectes de dons et de subventions[10].

La coopérative est soutenue par une association basée à Bâle, qui collecte des fonds. Le budget annuel de l’ensemble des collectivités est estimé à plusieurs dizaines de millions de francs suisses à la fin des années 1990[5], Le Monde indiquant un montant de recettes de 5 millions en 1996[7]. La coopérative de Limans dépend à environ 50 % de ces aides et subventions, la moitié de ses besoins étant couverts par sa propre production (années 2000)[10]. Après des dépenses excessives les premiers temps, couvertes par des emprunts (32 millions de francs suisses de dettes en 1979[7]), l’association a assaini les comptes, augmenté les collectes de dons et remboursé ses dettes dans les années 1980-1990[9] (dette de 9 millions en 1995[7]).

Des fêtes, ouvertes à tous, rassemblent la communauté[5] :

  • la fête des moissons ;
  • la nuit du 4 août, en commémoration de la nuit du 4 août 1789 (abolition des privilèges) ;
  • la fête de Radio Zinzine, début juillet ;

Controverses et critiques

La coopérative a constitué un patrimoine immobilier important dans les années 1980 : outre des domaines agricoles assez vastes, elle possédait des gîtes ruraux et un appartement à Paris qui servait de point de chute[5]. Ces achats et les premiers contacts peu diplomatiques avec les élus locaux ont creusé un fossé avec les habitants des environs, ce qui a modifié les pratiques dans les implantations suivantes, mieux préparées. De même, le militantisme (appels à la désobéissance civile, l’accueil de réfugiés, y compris d’Europe de l'Est et de déserteurs), provoquent l’hostilité des gouvernements qui luttent parfois activement contre les coopératives :

  • plusieurs procès pour outrage à l’État autrichien, qui échouent ;
  • traquenard mis en place par la police allemande ;
  • arrêté d’expulsion du territoire français, annulé par le Conseil d'État en 1979. Cet arrêté provoque un débat dans les médias, qui amène des visites et le recrutement de membres français, puis une campagne de presse hostile se déclenche en 1979-1980[5].

Le fondateur, Roland Perrot, aurait eu des pratiques autoritaires ; les membres auraient été exploités : le travail serait dur et non-rémunéré directement, la coopérative serait surveillée et défendue contre des intrusions ; la nourriture distribuée serait insuffisante. Prévensecte accusa même la coopérative de pratiquer la mise en propriété commune des enfants (par refus de l’autorité parentale), la coopérative aurait eu une école privée interne. Cependant, les règles communes très strictes sont assouplies en 1982[11].

Les règles de fonctionnement furent l'objet de critiques de la part de groupes de surveillance des sectes, notamment le rapport parlementaire de 1996. La coopérative n’a cependant aucune activité religieuse ou assimilable, et œuvre dans les domaines politique et économique seulement, selon Maurice Duval[12],[11]. Le journal conservateur Le Figaro considérait également la coopérative comme une secte[3].

Ces critiques ont pu servir de justification à des descentes de police, mais aucune n’a réussi a trouver d’élément matériel étayant ces accusations[3]. La plus importante descente est celle du 29 novembre 1989 (deux cent CRS et gendarmes mobiles, avec renforts de la DST et survols en hélicoptères[5]), à la demande du gouvernement allemand : le matériel radio est cassé, une seule personne arrêtée est relâchée dans la journée[5]. Ce jour-là, les Renseignements généraux locaux ont refusé de participer à la descente[7]. La communauté est aujourd’hui mieux acceptée ; elle a aussi évolué dans ses pratiques, l’amour libre (la vie de couple était interdite) et la famille élargie, de rigueur dans les années 1970[3], ne sont ni plus ni moins pratiqués actuellement que dans la société environnante ; cet aspect de mise en commun des enfants peut être relativisé, car la coopérative a très activement milité pour la réouverture de l’école de Limans, les adolescents sont envoyés au collège de Forcalquier ou au lycée de Digne[5]. Ces accusations de moins en moins bien étayées, ont donné lieu à des procès, dont le dernier fut gagné en 1995 par Longo Maï[13].

Opposants et soutiens

Liste d’opposants :

Soutiens[7] :

Voir aussi

Publications

  • Jacques Berguerand, « Longo Maï : de la ferme à l’engagement politique », et de Marc Ollivier, « Une expérience internationale de recherche autogérée : les ‘chercheurs de survie’ du réseau ‘Longo Maï’ », publié dans l’ouvrage collectif Produire de la richesse autrement : usines récupérées, coopératives, micro-finance,… les révolutions silencieuses, PubliCetim n°31, octobre 2008, éditions du CETIM, Genève. (ISBN 978-2-88053-069-3)
  • Gilbert-François Caty, Les Héritiers contestés : Longo Maï et les médias d'Europe, Anthropos ; [réf. incomplète]
  • Eaubonne, Françoise d', Vingt ans de mensonge ou la baudruche crevée, éditions de Magrie, 1994
  • Beatriz Graf, Longo Maï  : révolte et utopie après mai 68. Vie et auto-gestion dans les coopératives européennes, Thésis, 2006
  • Perrot, Roland, « Longo Maï, nomades et sédentaires du IIIe millénaire », in Les Nouveaux espaces politiques (dir. Georges Labica), L'Harmattan, 1995, p. 111-127
  • Luc Willette, Longo Maï, vingt ans d'utopie communautaire, Syros, Paris, 1993, (ISBN 978-2-86738936-8)
  • Béatrice Graff, Longo maï, révolte et utopie après 68, Vie et autogestion dans les Coopératives Européennes, Thesis verlag, 2006, (ISBN 3-908544-83-1).

Liens internes

Liens externes

Notes et Références

  1. Macao, Cotignac, Région, Provence, Littérature et…fantaisie !, [1], consulté le 4 mars 2009
  2. a, b, c et d Julie Duchâtel, Les coopératives Longo Maï en France : autogestion et solidarité internationale, en ligne [2], publié en juillet 2008, consulté le 4 mars 2009
  3. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l et m Estelle Nouel, Longo Maï une communauté agricole, [3], publié en 1999, consulté le 4 mars 2009
  4. Ingrid Carlander, À Longo Maï, réussites et tâtonnements, Manières de Voir no 103, février-mars 1979 ; article initial : Les irréductibles de Longo Maï, Le Monde diplomatique, mars 1996. p 78
  5. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l, m, n, o, p, q et r Michel Bernard, Les coopératives Longo Maï, en ligne [4], publié en 1995, consulté le 4 mars 2009
  6. a, b, c, d et e Julie Duchâtel, « Les coopératives Longo Maï en France : autogestion et solidarité internationale », Dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale, publié en juillet 2008, consulté le 24 novembre 2010
  7. a, b, c, d, e, f, g, h et i Ingrid Carlander, À Longo Maï, réussites et tâtonnements, Manières de Voir no 103, février-mars 1979 ; article initial : Les irréductibles de Longo Maï, Le Monde diplomatique, mars 1996. p 80
  8. a, b, c, d, e et f Réseau français des écovillages, Longo Mai, en ligne [5], consulté le 4 mars 2009
  9. a et b Ingrid Carlander, À Longo Maï, réussites et tâtonnements, Manières de Voir no 103, février-mars 1979 ; article initial : Les irréductibles de Longo Maï, Le Monde diplomatique, mars 1996. p 79
  10. a et b Puck, Une mise en pratique de l’autogestion dans le secteur agricole depuis 35 ans, No Pasaran, en ligne [6], publié en 2008, consulté le 4 mars 2009
  11. a et b Prévensectes, Notice Longo Maï, consultée le 4 mars 2009
  12. Maurice Duval, « Le discours anti-secte comme support de l'idéologie néolibérale », CICNS, consulté le 4 mars 2009.
  13. Sectes info

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Coopératives Longo Maï de Wikipédia en français (auteurs)

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