Chabag

Chabag

Colonie de Chabag

La colonie de Chabag est une colonie fondée en 1822 sur les rives de la Mer Noire par des Suisses originaires du canton de Vaud. Le tsar Alexandre Ier de Russie encourage à cette époque la colonisation de la région. La colonie va exister pendant plus d'un siècle, au bord du liman du Dniestr (lagune à l'embouchure du fleuve), vers Akkermann (de nos jours Bilhorod-Dnistrovskyï à environ cinquante kilomètres au sud-ouest d’Odessa). Les colons vaudois, principalement des vignerons y établirent une tradition viticole.

Vevey, au XIXe siècle, d'où partirent les colons

Sommaire

Contexte

Frédéric-César de La Harpe

À partir de 1813, les armées étrangères, à la poursuite des armées françaises, traversent à plusieurs reprises la Suisse en se nourrissant sur place, ce qui entraîne la famine et une grande pauvreté dans la population.

La Bessarabie, région ou se situe Chabag (de nos jours Chabo, une contraction de Acha-abag, qui signifie en turc « les jardins d'en-bas »[1]), vient d'être concédée à la Russie. Le tsar Alexandre Ier de Russie, a eu comme précepteur un vaudois, Frédéric-César de la Harpe. Ce dernier, conscient de la misère qui règne en Suisse entreprend des démarches auprès de son ancien élève, le Tsar Alexandre pour qu'il autorise la fondation d’une colonie suisse en Russie. Il fait ensuite appel à ses compatriotes vaudois pour qu'ils s'organisent en vue de la création d'une colonie en Bessarabie, où le gouvernement russe leur concède des vignes que les Turcs ont abandonnées lorsque la Russie s'est vue attribuer le territoire.

En août 1820[2], les futurs émigrants s'organisent, votent un crédit de huit cents francs et décident d'envoyer un délégué dans la région. Ils élisent Louis-Vincent Tardent[2] qui part en fin d'année pour la Russie. Visiblement conquis par les lieux, Tardent écrit à ses commanditaires, au début de 1821, les invitant à le rejoindre au plus vite pour commencer les travaux de la vigne et assurer la plantation de cultures vivrières pour la future colonie.

Les candidats à l'émigration décident par précaution d'obtenir au préalable du gouvernement russe une copie de l’ukase qui leur concède une partie du vignoble. En avril 1822[2], Louis-Vincent Tardent est de retour et assiste à l'assemblée des colons pour y rendre compte de ses observations sur le terrain. Lors de cette assemblée, la décision est prise de se mettre en route pour la Russie[2] ; cela sera chose faite en juillet 1822, lorsque 30 personnes, dont la plus jeune n'a que 18 mois partent de Vevey[3].

Description du territoire de la colonie

Le territoire de la future colonie est situé sur la rive droite du Liman du Dniestr, à cinq verstes (environ 5 kilomètres) d’Akkerman et douze de la mer Noire[2]. Le terrain sablonneux se prête bien à la viticulture. Le gouvernement met à la disposition des colons des vignes déjà prêtes, bien que peu entretenues. Les colons peuvent compter sur le produit de ces vignes et disposent d'un immense terrain pour en créer de nouvelles[2]. La steppe alentour peut être réservée à la production des céréales. Les terrains sont très plats et leur altitude n'est que de quelques mètres supérieure au niveau de la mer. Les transports y sont aisés et la ville d’Odessa qui n'est distante que de 50 verstes, offre un débouché pour la production de la colonie[2].

Privilèges et devoirs accordés aux colons

le tsar Alexandre Ier

Selon la convention signée par le lieutenant-général Insoff et le plénipotentiaire impérial pour la Russie méridionale Woronsoff, les colons se voient accorder les privilèges suivants: « 

  1. Liberté de professer la religion à laquelle ils appartiennent.
  2. Exemption d’impôt et de toute redevance pendant 10 ans.
  3. Après ces dix ans, les colons payent une rente à la couronne pendant les dix années suivantes, de 15 à 20 copecs par année pour chaque déciatine[4] de terre. Ce dernier terme expiré, cet impôt sera au niveau des autres sujets de la couronne du même lieu. Ils sont seulement exemptés de fournir des logements militaires, sauf en cas de passage de troupes. Pour ce qui concerne les autres redevances attachées au territoire, les colons sont obligés de les supporter comme les sujets parmi lesquels ils se trouvent établis, du moment que les dix premières années de leur domicile seront échues.
  4. Les colons sont dispensés du service militaire et civil. Libre à eux de s’y faire inscrire, quoique cela ne les affranchisse pas des dettes qu’ils auraient contractées envers la couronne.
  5. La restitution des subsides avancés par la couronne aux colons, se fait après les dix premières années, et se répartit sur les dix suivantes.
  6. Chaque colon reçoit gratis une portion de 60 déciatines pour sa famille.
  7. Il leur est permis de vendre leurs biens de quelque nature qu’ils soient, sans payer la douane. En outre, chaque famille a le droit d’importer une fois pour toutes des marchandises à vendre, pour la valeur de 300 roubles ; mais ces marchandises doivent lui appartenir en propre.
  8. Si un colon veut quitter la Russie, il est libre de le faire quand il lui semblera bon, pourvu qu’il paye, outre ses dettes, le total de trois années d’impôt.
  9. Il leur est permis d’établir des fabriques et métiers, de faire le négoce, d’entrer dans la classe des marchands ou dans le corps des ouvriers et de vendre leurs produits dans tous les lieux de l’empire.
  10. Si quelqu’un des colons n’obéit pas à la municipalité locale ou se livre à une conduite déréglée, il sera, après payement de ses dettes, conduit au-delà de la frontière. »[2]

En contre-partie les colons prêtent le serment suivant :

« Nous jurons d’être fidèles à Sa Majesté l’empereur, autocrate de toutes les Russies, ainsi qu’à la communauté d’Achabag dont nous sommes membres, d’en procurer l’avantage et profit, d’en supporter toutes les charges, lorsque nous serons requis, et d’être fidèles dans toutes gestions qui pourraient nous être confiées dans cette communauté. »[2]

Histoire de la colonie

En juillet 1822, le convoi composé de deux familles comptant treize et six enfants ainsi que de six célibataires[2] part de Vevey pour un périple de quelques 2 500 kilomètres à travers l'Europe. Ils arrivent à ce que l'on nomme encore Achabag, de son nom en turque qui signifie « jardin d'en bas »[2], le 29 octobre 1822[2]. Les colons délimitent leurs terres et la police d’Akkerman donne l'ordre aux Russes qui habitaient le territoire de la colonie de partir. En 1823, les récoltes sont médiocres et de nouveaux colons, trois célibataires et deux familles dont six enfants, arrivent de Suisse[2]. À cause de cette mauvaise récolte, les colons sont contraints d'emprunter 1 400 roubles qu'ils garantissent par un assignat[2], en 1824. Cette année là, il n'arrive qu'un seul nouveau colon et les vendanges sont bonnes.

De nouveaux groupes, familles et célibataires arrivent de Suisse et jusqu'en 1829 la colonie se développe. C'est alors que frappe la peste, sans doute ramenée par les armées russes après la Guerre russo-turque. Dans toute la région, la mortalité est énorme, Chabag n'y fait pas exception. De nouvelles familles arrivent cependant en 1830 et prennent la relève des morts pour les travaux de la vigne et des champs. On trouve parmi eux des tuteurs pour les orphelins laissés par la peste. Jusqu'en 1843, ce sont des colons venus majoritairement de Suisse alémanique qui arrivent à Chabag. Parmi eux, cependant, un vaudois, évangéliste qui va devenir le premier pasteur de la colonie, François-Louis Bugnion (1822 - 1880). Il parvient à convaincre les colons de bâtir et d'entretenir une école, une bibliothèque et une église. La prospérité de la colonie s'en trouve singulièrement accrue jusqu'en 1871 lorsqu'une loi sur les colonies agraires abrogea les privilèges qui leur avaient été accordés par le tsar[5]. De nombreux colons quittent alors Chabag. Les autres continuent leur travaux à la vigne et soignent leur vins. Après la Révolution d'octobre, le traité de Versailles, en 1919, concède Chabag à Roumanie[5]. Les conditions de vie se dégradent à Chabag, le prix du vin s'effondre.

Seconde Guerre mondiale et exode

Allié avec Staline par le Pacte germano-soviétique de 1939, Hitler considère à juste titre, la Roumanie, comme une puissance hostile, et l'été 1940, après l'effondrement de la France, l'oblige à rendre la Bessarabie à l'URSS. En juin 1940, les Russes rentrent dans Chabag. Par la suite, Hitler et la Garde de fer renversent le roi de Roumanie et le remplacent par le maréchal Ion Antonescu. Lors de l'Opération Barbarossa, Antonescu engage la Roumanie aux côtés de l'Allemagne en juin 1941 pour récupérer la Bessarabie. Mais il ne se contente pas de cela : il fait occuper par l'armée roumaine la Transnistrie (une partie de la Podolie ukrainienne), il s'y livre à des atrocités et il envoie l'armée roumaine au massacre jusqu'à Stalingrad. L'armée Rouge reprend le contrôle de la Bessarabie en août 1944. Les Soviétiques se lancent alors dans une campagne de persécution contre les ex-Roumains de Bessarabie[5]. Le maire de Chabag, originaire de Suisse est envoyé en déportation avec d'autres habitants[5]. Certains parviennent à fuir par leurs propres moyens ou avec l'aide de l'ambassade suisse. D'autres passent entre les mailles du filet soviétique et restent à ce que l'on nomme désormais Chabo, où il perpétuent la tradition viticole jusqu'à nos jours.

Dans la littérature

L'histoire de la colonie a inspiré à Annick Genton, son roman, paru en 2008, Les vignerons de la Mer Noire[6] dans lequel elle raconte le périple de ces familles vaudoises sur les deux mille cinq cents kilomètres qui les séparaient de leur « Eldorado ».

Notes et références

vue satellite du liman du Dniestr
  1. Les souvenirs de Boris Mange, Suisse de Sibérie sur swissinfo.ch. Consulté le 1 février 2009
  2. a , b , c , d , e , f , g , h , i , j , k , l , m  et n Gander, 1908
  3. Les Suisses en Russie (15) sur Tribune de Genève, 1997. Consulté le 1 février 2009
  4. La déciatine, mesure de superficie, 2400 sajènes carrés soit 109,25 ares (un peu plus d’un hectare)
  5. a , b , c  et d Baron, Tribune de Genève
  6. Annick Genton, Les vignerons de la mer Noire : De Lavaux à Chabag, Cabédita, Yens sur Morges, 2008 (ISBN 9782882955326) 

Bibliographie

46°08′01″N 30°22′45″E / 46.13361, 30.37917

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