Bataille de Gembloux

Bataille de Gembloux
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Bataille de Gembloux
Batalla de Gembloux 1578.jpg
Bataille de Gembloux, gravure de Franz Hogenberg
Informations générales
Date 31 janvier 1578
Lieu Gembloux Pays-Bas espagnols
Issue Victoire espagnole
Belligérants
Flag of New Spain.svg Monarchie hispanique Prinsenvlag.svg Armée des États
Commandants
Alexandre Farnèse
Don Juan d'Autriche
De Goignie
Forces en présence
17 000 hommes 25 000 hommes
Pertes
20 morts ou blessés 10 000 morts, blessés ou prisonniers (?)
Guerre de Quatre-Vingts Ans
Batailles
Oosterweel — Valenciennes — Rheindalen — Heiligerlee — Jemmingen — Jodoigne — Brielle;— 1er Flessingue — Malines — Goes — Mons — Haarlem — 2e Flessingue — Borsele — Zuiderzee — Alkmaar — Leyde — Reimerswaal — Mook — Lillo — Zierikzee — 1er Anvers —1er Bréda — Gembloux — 1er Deventer — Maastricht — 2e Bréda — Açores — 2e Anvers — 3e Anvers — Boksum — Zutphen — 1er Bergen op Zoom — Gravelines — 3e Bréda — 2e Deventer;— 1er Groenlo — 2e Groenlo — Turnhout — Nieuport — Ostende — L'Écluse — 3e Groenlo — Saint-Vincent (1606) — Gibraltar — 2e Bergen op Zoom  — 4e Bréda — 4e Groenlo — 5e Bréda — Matanzas — Bois-le-Duc — Abrolhos — Slaak — Maastricht — Bataille de Cabañas — Kallo — Les Downs — Hulst — Cavite —

Le 31 janvier 1578, l'armée espagnole, sous la direction du Don Juan d'Autriche et Alexandre Farnèse, dans une bataille auprès de Gembloux (en wallon Djiblou, en néerlandais Gembloers), écrasa l'armée de 16 des Dix-Sept Provinces des Pays-Bas, qui s'étaient conciliées entre elles dans la Pacification de Gand. Cette défaite accéléra la dissolution de l'unité des provinces rebelles. Peu après, Don Juan s'empara de la forteresse de Namur et, l'année suivante, le duc de Parme, Alexandre Farnèse, réussit à concilier au roi d'Espagne et son gouverneur-général, les provinces du sud-ouest : le Hainaut, l'Artois, la Flandre française et Cambrai, dans le cadre de l' Union d'Arras.

Sommaire

Le contexte

On sait que les préjugés absolutistes de Philippe II avaient exaspéré le peuple, comme le zèle de lInquisition avait renforcé lÉglise réformée; le mouvement de ceux que par dérision lon avait appelés les Gueux, samplifia et devint une vraie révolution au début de 1567. Philippe II envoya dabord aux Pays-Bas le duc dAlbe, dont la répression fut cruelle, tandis que Guillaume dOrange organisait au nord une opposition armée efficace. Le remplacement du duc dAlbe par Luis de Requeséns apporta quelque apaisement, mais à sa mort, lanarchie sinstalla; les États des principautés du sud sallièrent à Guillaume, tandis que les soldats espagnols rebellés mettaient Anvers à feu et à sang. Les choses en étaient lorsque le roi dEspagne nomma son demi-frère, don Juan dAutriche, au poste de gouverneur général des Pays-Bas. Homme de guerre, dun tempérament emporté, ce prince était auréolé du prestige de sa victoire contre les Turcs à Lépante. Sa position était pour le moins inconfortable; il dut en arrivant signer à Marche lÉdit perpétuel et concéder le départ des troupes espagnoles, puis user de charme et avaler bien des couleuvres pour être reconnu comme gouverneur et entrer à Bruxelles. Cependant, sa situation devint rapidement très délicate, car le feu de la révolte couvait toujours, attisé par Guillaume dOrange, et il dut laisser la capitale à celui-ci, à qui les États se rallièrent. Venu à Namur pour saluer la reine Margot, qui allait soi-disant prendre les eaux à Spa, don Juan sassura le château, le 24 juillet 1577, par un coup de main audacieux. La ville mosane devint ainsi par la force des choses une sorte de réduit loyaliste, allaient se retrancher les organes du pouvoir, tandis que le reste des Pays-Bas était en révolte, allant jusquà offrir son gouvernement à larchiduc Mathias, jeune frère de lempereur Rodolphe. Trois jours avant la bataille, Mathias écrivait à Philippe II, le priant de rappeler don Juan pour éviter à ses sujets de nouvelles guerresFin 1577, les États auraient alors pu sassurer sans peine tout le pays, puisque don Juan ne disposait pratiquement plus daucune troupe, dautant que le roi son frère interdit dabord à son gouverneur à Milan de lui envoyer du renfort : Philippe II espérait-il encore une issue pacifique, ou voulait-il plutôt mettre dans lembarras un frère dont les succès lui faisaient ombrage ? Toujours est-il que les révoltés tergiversèrent, se dispersant en querelles, cherchant des appuis, notamment auprès dElisabeth dAngleterre.

Les forces en présence

Début décembre, don Juan, cantonné à Luxembourg, reçut enfin le renfort de quelques troupes espagnoles, trois mille fantassins et quinze compagnies de cavalerie : elles avaient emprunté la traditionnelle route dEspagne, par Milan, la Franche-Comté et la Lorraine. En quelques semaines, le gouverneur renforça alors plus sérieusement son dispositif militaire. Alexandre Farnèse, prince de Parme, arriva fin décembre à Luxembourg, après une marche forcée depuis la Lombardie; il précédait une armée de 6 000 hommes, marchant en plusieurs corps : il sagissait de troupes aguerries, formées dEspagnols et dItaliens qui avaient combattu aux confins du duché de Gênes et se réjouissaient de redorer leur blason en Flandre; sy ajoutèrent 4 à 5 000 hommes levés en Lorraine par le comte de Mansfeld. Des Wallons se trouvaient dans cette armée, originaires sans doute pour lessentiel du Luxembourg et de Namur, provinces contrôlées par don Juan. Ceci mettait le prince espagnol à la tête denviron 18 000 fantassins et 2 000 cavaliers. Ces soldats avaient mis des emblèmes religieux à leurs drapeaux, avec linscription In hoc signo vici Turcos, in hoc signo vincam et hereticos (Par ce signe, jai vaincu les Turcs, par ce signe, je vaincrai aussi les hérétiques) ; ils avaient aussi été bénis par le pape Grégoire XIII, qui voyait en eux larmée de la foi véritable envoyée combattre lhérésie et sétaient réconciliés avec Dieu avant de savancer en pays rebelle. Cette confusion entretenue à dessein entre lhérésie et linsoumission au roi dEspagne était un mensonge, car larmée des États était aussi formée pour lessentiel de catholiques et commandée par des seigneurs qui létaient tout autant. Des régiments wallons en constituaient la plus grosse part, même si sy trouvaient aussi des Français, six compagnies dAllemands et dix-sept dÉcossais et dAnglais; ceux-ci, commandés par le colonel Balfour, avaient été envoyés par Guillaume dOrange et ils étaient assez mal vus de leurs compagnons darmes en raison de leur ferveur protestante. Cette armée était dune force numérique au moins égale à larmée de don Juan; certaines sources espagnoles lui donnent même un net avantage numérique : 25 000 hommes face à 17 000. Selon Strada, larmée du roi moindre quon ne le croyait, celle des ennemis plus nombreuse, les troupes des États se grossissant sans cesse daventuriers attirés par une espérance de butin que la discipline de larmée espagnole rendait plus aléatoire. Cette question du rapport des forces est du reste secondaire, car la bataille na été menée, du côté espagnol, que par une partie réduite des effectifs et cest ce qui la rend remarquable; ensuite, les deux armées nétaient guère comparables, pas plus que leurs moyens et leur commandement. Dun côté en effet, les soldats de métier des Tercios, dont le cuir sétait durci à de multiples batailles, commandés par les capitaines les plus redoutés dEurope, des Tolède, Farnèse, Mansfeld, Martinengo, Bernardino de Mendoza ou Octave de Gonzague, tardivement mais correctement pourvus en cavalerie et en artillerie. Parmi ces noms, noublions pas la figure haute en couleurs de Cristobal de Mondragón, qui malgré son grand âgeprès de 74 ans ! –, prit part à la fameuse charge de cavalerie

De lautre côté, larmée des États, mal équipée, disparate et mal dirigée. Le comte Georges de Lalaing, seigneur de Rennenberg, qui assumait le commandement des troupes rebelles, avait rejoint la rébellion deux ans plus tôt et était devenu en 1577 stadhouder de Frise, Groningen et Drente. On la souvent décrit comme un chef sans autorité ni prestige ; lannée même de Gembloux, il allait cependant donner encore du fil à retordre aux Espagnols, leur enlevant Kampen et Deventer. Lennui, cest quau jour de la bataille, il était à Bruxelles pour assister au mariage du baron de Beersel et de Marguerite de Mérode, tryumphant chà et en grandissimes bancquetz, selon le mot de Strada dans lancienne traduction de Durier ; ly accompagnaient Philippe de Lalaing, Robert de Melun vicomte de Gand (de), commandant de la cavalerie et Valentin de Pardieu, grand-maître de l'artillerie. Strada a raillé ces généraux fuyant le rude hiver hesbignon, comme si la rigueur de la saison leur eût ôté le courage et quils ne fussent vaillants quen été.

Aux derniers jours de janvier, larmée des États était donc sous le commandement dAntoine de Goignies, seigneur de Vendege. Ce vieux capitaine avait servi sous Charles-Quint ; il avait commandé la cavalerie espagnole et participé à la campagne contre le roi de France Charles IX, avant de passer aux révoltés, comme tant dautres. Ses lieutenants avaient suivi la même voie, tels Maximilien de Hennin-Liétard, comte de Boussu (1542-1578), qui avait servi sous le duc dAlbe et Frédéric Perrenot de Granvelle, sire de Champagney, homme tellement arrogant que don Juan avait conseillé à Philippe II de le faire assassiner. Philippe dEgmont, fils aîné du supplicié de 1558 et Guillaume de la Marck seigneur de Lumey, complétaient létat-major.

Les approches

Sa correspondance nous apprend que don Juan se trouvait encore à Luxembourg le 18 janvier. Il était à Marche le 23 et adressait un courrier à son demi-frère Philippe II pour se plaindre du manque de vivres. La misère de ce pays est telle, écrivait-il, que si M. de Hierges tarde encore sept jours, on ne saura que devenir. Sans larmée quil a amenée, il est impossible davancer. On ne peut se fournir de lartillerie nécessaire, on na pas dargent. Que fera-t-on si lennemi refuse le combat ? La détresse est telle quil ne reste dautre décision possible. On ne peut marcher à un but certain, parce quon manque du nécessaire, artillerie, munitions, vivres et argent. Le gouverneur se plaignait aussi de lindécision du roi, qui accroît laudace des méchants et diminue celle des bons.

Les renforts arrivèrent cependant, et don Juan regagna rapidement Namur, probablement le 29 janvier ; son premier soin fut de déloger les confédérés des postes quils avaient établis aux environs de la ville, dont ils avaient dabord projeté le siège. Les premières troupes y avaient cependant déjà pris position, car une lettre dOctave de Gonzague à Philippe II, datée 24 janvier affirme quil ne faut pas sattendre à ce que les États attaquent le camp de Bouge et que sils le faisaient, ce serait pour larmée royale une occasion de remporter un succès. Certains ont assuré que don Juan navait établi que plus tard ce camp de Bouge pour protéger son armée dun retour en force des confédérés : ce document prouve le contraire et est important pour comprendre le déroulement des faits. Quant à larmée des Gueux, établie dabord à Temploux, elle était plutôt mal en point. Une maladie décimait la troupe, le moral était au plus bas et les soldats refusaient de marcher sans aller remonstrer aux États la pauvreté quil y a entre les soldats ; ils espèrent à leur retour avoir paiement et savoir ce quils feront. Strada a écrit que le 12 janvier, elle sétait déplacée vers Saint-Martin et les environs dÉmines en raison de lincommodité de la position face à la cavalerie. On verra plus loin létrangeté dun tel déplacement vers une position faible, et à une distance de lennemi réduite de moitié. Quoi quil en soit, lapproche du gros des troupes espagnoles causa quelque émoi : larmée affaiblie et privée de son haut commandement décida de se retirer à Gembloux. Trop tard pour attaquer Namur, ce qui eût pu être fait à coup sûr les semaines et mois précédents. Gembloux était aux mains des États depuis septembre 1577, leur armée ayant fait prisonnier Katterbach, commandant de la place, et sa compagnie dAllemands. Ce mouvement de retraite commença le 29 janvier après-midi, sil faut en croire la lettre du comte de Rœulx à don Juan, datée de ce jour : Oultremont sest trouvé à ceste heure vers moy me dire que ce matin, a eu deux rapports que les ennemis ont dès hier après-disner faict partir leur artillerie et bagaiges avecq leurs malades qui sont en grande quantité et tirent vers Gyblou, toutefois, quil est arrivé sept compaignies de peonniers et besongnent encore aux trenchyz. Don Juan était informé par ses espions de labsence des principaux chefs ennemis. Privé encore de lessentiel de son armée, toujours au sud de la Meuse, il lui fallait garder une certaine prudence ; il navait avec lui que six compagnies de cavalerie légère et cinq darquebusiers à cheval, avec une infanterie de mille arquebusiers et deux cents piquiers. Un régiment de Wallons gardait les bagages : sans doute étaient-ils jugés moins fiables pour combattre les leurs ; on les verra cependant entrer en scène à la fin de la bataille. En homme de guerre avisé, au soir du 30 janvier, et malgré ce faible effectif, celui quon appelait lAutrichien devait cependant penser quil y avait quelque parti à tirer de la situation

La folle journée

Le dernier dudict mois de janvier 1578, aprez que le camp desdictz Estats généraulx, soubz ledict seigneur chief général darmée comte de Lallaing, eus testé entretenu à peu dadvancement contre ledict don Jean, icelluy camp se leva dauprès la ville de Namur, environ les neuf heures du matin, tirant vers Gembloux, rapporte le chroniqueur anonyme édité par Blaes. Le gros de larmée des États ne quitta donc son campement quà laube du vendredi 31 janvier, après avoir mis le feu à ses baraquements et replié ses tentes. Lordre de la marche a été décrit dans le détail par Strada. Lavant-garde était menée par Emmanuel de Montigny et Guillaume de Heez, composée surtout des pionniers, soutenus par Villers et Fresnoy, capitaines des mousquetaires à cheval. Le comte de Boussu et le sire de Champagney commandaient le centre de la colonne, qui comptait un régiment wallon, trois compagnies de Français et treize dEcossais et dAnglais, protégeant le reste des bagages et de lartillerie. Larrière-garde devait partir enfin avec les seigneurs dEgmont, de la Marcq, composée des cuirassiers et des meilleurs soldats, groupés à larrière de larmée par peur dune poursuite ; toute la cavalerie protégeait les arrières et le flanc de larmée, commandée par le marquis dHavré, frère du duc dAarschot et par le maréchal de camp, le comte de Goignies en personne. On sétait levé tôt également dans le camp espagnol, lon avait appris le mouvement de ladversaire par deux espions entretenus chez lennemi par dOutremont. Don Juan envoya dabord quelques troupes pour reconnaître les chemins, sonder les bois proches et sassurer le contrôle des deux défilés il devrait passer pour rejoindre lennemi : deux corps de cavaliers français, espagnols et allemands partirent de Bouge par des directions différentes, lun commandé par Antoine Olivera, lautre par Octave de Gonzague. Linfanterie devait suivre la voie ainsi ouverte. Le second passage était particulièrement étroit et incommode, de sorte que la première troupe fut obligée de se déporter sur la droite : elle rejoignit ainsi la deuxième, et la cavalerie réunie alla plus avant au contact de lennemi. Entre-temps, linfanterie avait passé le premier défilé, et don Juan arriva sur une position assez élevée, commode à la fois pour voir lennemi et pour communiquer avec ses troupes. Voyant sa cavalerie suffisamment avancée, il lui envoya lordre de sarrêter.

La cavalerie des États se trouvait alors sur une hauteur bordée de bois et de pâturages. Elle reculait prudemment, tout en provoquant les Espagnols, qui avançaient toujours. Des escarmouches sensuivirent, le théâtre du combat séloignant de linfanterie, passant du plateau à un nouveau lieu pentu, à peu de distance du précédent. Inquiet sans doute de voir sa petite armée sétirer, don Juan envoya sur la droite un corps de cuirassiers en soutien et fit fortifier sa position ; il envoya un éclaireur, qui put se rendre compte de la situation : larrière-garde de larmée ennemie pouvait gêner le mouvement de sa propre cavalerie, mais quelques régiments wallons occupaient sur laile gauche un site commode, qui pouvait embarrasser les Espagnols. Cependant, le prince de Parme avançait de plus en plus vite, acculant bientôt la cavalerie ennemie contre un ruisseau étroit et tortueux, dont les abords marécageux rendaient la traversée difficile. La situation nétait pas sans danger : larrière-garde de larmée des États était maintenant toute proche, séparée du combat par un chemin et quelques clôtures de champ disposées en guise de défense, mais très insuffisants. Un capitaine de Gonzague, du nom de Perote ou Perotti Saxoferrat, sétait bravement, mais imprudemment avancé ; craignant que cette action namène une riposte massive de l'armée adverse, Gonzague lui envoya un messager avec lordre de reculer. Le messager arriva au mauvais moment et employa le mauvais ton : indigné, parce qu'il pensait quon le traitait de lâche, Perote répondit qu'il navait de sa vie tourné le dos à l'ennemi, et que même s'il le voulait il ne pourrait pas !

Farnèse sétait entre-temps approché des lieux du combat et se rendit compte que Gonzague et Mondragon sétaient tellement avancés quils ne pouvaient sans un évident danger ramener leur cavalerie. Il eut à prendre une décision en un instant. Lennemi lui sembla hésitant, sa marche désordonnée : selon certains, on pouvait voir le tremblement de ses lances ! Alors que don Juan le réclamait à ses côtés, il décida dattaquer avec les deux escadrons encore frais quil avait sous ses ordres, à laile gauche de larmée. Il arracha sa lance à un page et montant sur un cheval plus puissant que Camillo de Monte tenait en réserve, il se retourna vers les siens et sécria : Allez au général autrichien et dites lui qu'Alexandre, à lexemple de l'ancien Romain, sest jeté dans un gouffre pour en faire sortir, par la faveur de Dieu et la fortune de la maison d'Autriche, une certaine et grande victoire ! Et les chroniqueurs de décrire, sur ces nobles paroles du héros qui allait vaincre ou mourir, les incendies martiaux qui sallumaient dans ses yeux et sa bouche

Négligeant le danger, les cavaliers suivirent son ordre et se lancèrent à leur tour dans le ravin. LHistoire a retenu le nom des officiers qui menèrent cette charge qui compte parmi les plus mémorables : ce sont, entre autres, Bernardino de Mendoza, Mondragón, Juan Baustista de Montagne, Curtius de Martinengo, Fernando de Tolède, Enrique Vienni, Alonso dArga, Georges de Macuta, Olivera. Ces charges sauvages mirent en fuite la cavalerie ennemie, qui ne pouvait faire face à de tels guerriers, possédés par le dieu Mars. La charge mena les Espagnols de lautre côté du vallon, ils rencontrèrent une large campagne et traversèrent un chemin.

Du côté des confédérés, ce fut une honteuse panique devant cette attaque inattendue et cest en vain que le jeune comte dEgmont tenta de rallier ses troupes : la course effrénée de la cavalerie en déroute la jeta sur sa propre infanterie, y sema un désordre indescriptible et la disloqua sans que les Espagnols dussent même sen mêler. Farnèse obtint de don Juan de profiter de cet avantage : les cavaliers se reformèrent et chargèrent lances baissées, ruarent dune furie su la riergarde desdictz du camp des Estatz, questoient grand partie Escochoys avecq quelques Walons et Franchoys, qui se défendirent vaillamment en leur monstrant teste, écrit un témoin. Malgré ses efforts, Goignies ne put cependant reformer son armée. Rarement, écrit un chroniqueur, on na mieux connu combien la cavalerie peut contribuer aux victoires ou déroutes des armées : tout le plateau qui sétend au sud de Gembloux fut le théâtre dun immense massacre. Trente compagnies de fantassins et quatre de cavaliers se rendirent à don Juan, terrorisées, et les Espagnols se saisirent de lartillerie et des bagages qui nétaient pas encore à labri. Montigny et Balfour tentèrent de rallier quelques troupes au sud et à lest de Gembloux, dans les jardins qui bordaient la ville. Les Écossais ne semblent pas avoir été les moins pugnaces des confédérés. La référence de lévêque Lelley aux Scoti nudi pugnantes (Écossais qui auraient combattu nus), a curieusement fait entrer cette bataille de 1578 dans la petite histoire des habitudes vestimentaires. Lhistorien britannique D.T. Dunbar en a prudemment conclu que les highlanders, à lexemple des Romains, portaient une chemise lourde et longue dont ils nouaient les pans entre les cuisses, moins par crainte du froid que par pudeur ; il ny a guère nudité propre à frapper les imaginations, mais on sen tiendra à cette pudique version par pitié pour ces valeureux Écossais en kilt soumis aux rigueurs de lhiverQuoi quil en soit, don Juan attaqua ce dernier carré, avec deux compagnies espagnoles sur la droite et des enseignes wallons sur la gauche.

Le lieu de ce combat a été commémoré au XVIIIe siècle par la construction de la Chapelle-Dieu, que lon voit toujours route de Mazy ; dans le mur denceinte, une pierre gravée rappelle lévénement. La résistance aurait pu se prolonger quand la réserve de poudre à canon explosa, tuant des hommes, provoquant une nouvelle panique. Montigny et Balfour, ce dernier grièvement blessé, parvinrent à senfermer dans Gembloux avec deux mille hommes et de lartillerie. Quant au reste de larmée, elle se dispersa et la poursuite dura jusquau soir, menant hommes et chevaux jusquà Wavre. Les quelques troupes débandées qui parvinrent à la faveur de la nuit à échapper au massacre se réfugièrent à Bruxelles et Grammont ; Eytzinger affirme avoir été témoin de cette fuite. Le chef de larmée des États en cette terrible journée, le maréchal de camp Antoine de Goignies, fut fait prisonnier alors quil changeait de monture. Il fut mené à don Juan, qui lui tint des propos sévères, lui montrant comment le ciel punissait ceux qui se révoltaient contre leur Dieu et leur roi ; Goignies, sans se départir dune attitude de soumission et de respect, répondit simplement quil navait jamais combattu contre Dieu

Les lieux du combat

donc cette bataille, dite de Gembloux, se déroula-t-elle au juste ? La question est loin dêtre évidente. Dabord parce que ce fut essentiellement une bataille de mouvement, et quen une journée, des troupes de cette importance occupent un large terrain, font du chemin, ensuite parce que les sources sont assez imprécises. Aucun des auteurs relatant la bataille nest explicite quant aux noms des lieux ; Strada et Eytzinger en donnent cependant une description relativement précise, le second davantage que le premier, ce qui est normal puisquil affirme sêtre trouvé dans les environs à ce moment.

Il est dabord question de deux défilés à franchir pour joindre lennemi : en partant du camp de Bouge, il devrait assez clairement sagir du fond dArquet puis de la vallée de Frizet. Cette dernière, à environ 2,5 kilomètres de Bouge, sest révélée trop étroite pour la cavalerie, qui a se déporter sur la droite : en effet, la vallée, encaissée du côté de Namur, sadoucit quand on remonte vers Vedrin. Cet obstacle franchi, don Juan établit son poste dobservation sur une position élevée, d il pouvait voir lennemi ; un lieu semble simposer : la hauteur se trouve le fort dÉmines qui, à une altitude de 190 mètres, domine relativement le terrain vers le nord-ouest et louest.

Les choses se compliquent quand on en vient à lépisode du ravin et de la charge décisive, qui est lié aux positions de larmée des États. Selon Strada, larmée confédérée sétait déplacée près dun village nommé Saint-Martin, à cinq lieues ou environ des troupes de don Juan. Il y avait en effet jadis un petit village du nom de Saint-Martin, au bord du ruisseau, un peu plus bas que la belle ferme qui en a seule conservé le nom et existait dailleurs déjà en 1578. La distance concorde, et semble exclure lautre bourg de Saint-Martin, à louest de lOrneau, situation qui aurait pourtant une logique stratégique. Le fossé fatidique qui séparait les cavaliers de Gonzague de larrière-garde ennemie aurait donc se trouver entre les deux positions. Or, ce nest pas le cas : cest à peine si les ruisseaux de Saint-Lambert et du Hoyoux forment une légère déclivité. Lautre hypothèse formée par Namêche, le fond de la Maroûle, qui samorce au sud de la hauteur dÉmines, semble aussi à exclure : cette ravine est sèche, peu pentue, et surtout ne correspond pas aux descriptions des faits, puisque ses deux côtés doivent avoir été contrôlés très tôt par les troupes espagnoles et quelle ne mène quà la vallée plus profonde du Hoyoux et non à un chemin et un vaste espace larmée confédérée aurait pu prendre position.

Il ny a quun seul lieu correspondant à ces descriptions unanimes dun ruisseau étroit aux abords marécageux, serpentant au fond dun profond ravin : cest précisément la vallée du Hoyoux, mais à environ deux kilomètres au sud de Saint-Martin, aux alentours des châteaux de la Falize et dArtet. La correspondance est même frappante, mais un problème apparaît, et de taille : cette vallée franchie, on arrive aux environs de Suarlée et Temploux, bien visibles dailleurs depuis la position supposée de don Juan, se serait donc trouvé lessentiel de larmée confédérée. Mais nest-ce pas la solution de lénigme ? Bien des arguments plaident en ce sens. Dabord, si Goignies devait en effet avoir placé une part de son armée aux environs dÉmines, position nécessaire pour protéger une retraite vers Gembloux et défendre laccès de cette place, pourquoi aurait-il déplacé toutes ses forces en un endroit si exposé et si proche de lennemi alors que plus à lest, il était protégé par les pentes de la Sambre et du Hoyoux ? Ensuite, la longueur dune retraite entamée lavant-veille et la lourdeur du dispositif ont-ils un sens vu la courte distancemoins de dix kilomètresqui sépare Saint-Martin de Gembloux, dautant quil nexistait aucune menace sur les flancs et que lancienne route de Namur facilitait la marche ? Enfin et surtout, daprès les mémoires du temps, cette bataille de Gembloux est dabord celle de Temploux. Gramaye, dans son Namurcum, se réfère au triumpho Templutensi. Lhistorien anversois a recueilli ses informations vers 1603 auprès de notables namurois : si pour ceux-ci, lépisode de 1578 était resté le triomphe de Temploux, ce nest certainement pas sans raison

Pour la suite, les choses sont plus simples : la meurtrière poursuite de larmée en déroute fut menée sur toute la largeur des champs et bosquets qui sétendent de cet endroit, larrière-garde se trouvait encore, et jusquà Gembloux, lavant-garde devait être arrivée : Bossière, Beuzet, Lonzée, jusquaux portes de la ville, lieu des derniers combats commémorés par la Chapelle-Dieu.

Le siège de Gembloux

Le soir même du 31 janvier, la ville fut investie, tandis que don Juan établissait son camp à labbaye d'Argenton, à une petite lieue des remparts. Les habitants et les soldats réfugiés se préparèrent au siège dans la fièvre que lon devine, espérant un retour de larmée des États, quon leur promit sils tenaient trois semaines : les bourgeois besoingnoient en diligence jusques aux enffans pour fortifier iceux rempars de bolewers par hors la ville, assure Strada, dans la même traduction de Durier. Gembloux redoutait un sac comme elle en avait bien connu déjà en son histoire ; selon les archives de labbaye, citées par Namêche, les religieux craignaient spécialement pour leur vie au cas la fortune des armes eût fait tomber Gembloux entre les mains du duc dAutriche.

Don Juan somma la ville de se rendre, mais les habitants répondirent fièrement quils navaient et nauraient rien de commun avec les Espagnols. Le prince fit alors venir quatre mortiers de Namur, sapprêtant au bombardement de Gembloux. Ce voyant, le 2 février, labbé comte Lambert Hancart écrivit à lAutrichien pour demander à négocier. Don Juan fit rapidement connaître ses conditions : il autorisait les religieux à rester dans la ville sil navait pas à en faire le siège et sengageait à interdire le pillage à ses soldats, les privant de ce droit traditionnel des assiégeants. Les soldats assiégés auraient la vie sauve et pourraient se retirer librement, à condition de jurer de ne plus porter les armes contre le roi, les étrangers pendant un an, les nationaux à jamais. Les premiers auraient ainsi été expulsés vers le pays de Liège, les autres envoyés dans le Hainaut. Sils faut en croire une lettre de don Juan à sa garnison de Limbourg, les soldats défendant la place auraient été au nombre de trois mille. Seuls douze prisonniers de marque seraient retenus, dont les seigneurs de Goignies, de Bailleul et de Havré, qui seraient conduits à Namur.

Une telle clémence était inattendue, et ces conditions furent immédiatement acceptées : Adrien de Bailleul en informa le colonel Mondragón. En effet, le sac fut épargné à Gembloux. Le 5 février, labbé rencontra don Juan, auprès de qui il justifia sa conduite ; le prince lécouta avec bienveillance et le laissa aller en paix en se recommandant aux prières de ses religieux. La capacité quavait Gembloux de soutenir un siège est controversée. La chronique de labbaye laisse entendre que la ville ne se serait pas rendue si facilement si elle avait eu les moyens de se défendre; les autres sources affirment généralement que la quantité darmes et de munitions que larmée y avait accumulées était considérable, et quelle suffit à approvisionner les troupes espagnoles pendant plusieurs mois. Sans doute les provisions ne devaient-elles pas être considérables, vu la grande disette qui frappait larmée des États. Dès le deux février, don Juan réclamait de nouveau par courrier le ravitaillement de son armée, mais il est vrai que Gembloux ne lui ayant pas encore été ouvert, il devait en ignorer les ressources.

Lheure des bilans

Dieu fit ainsi quune grande armée dimpies fut vaincue par une petite troupe : cest ainsi quEytzinger résume lhistoire de cette bataille, l'un des plus hauts-faits de lhistoire de la cavalerie, en effet deux mille hommes mirent en déroute une armée dix fois plus nombreuse, même si lhistorien allemand se cantonne à la version officielle et fausse dune guerre contre les hérétiques.

Les avis sont partagés sur le bilan humain de cette journée du 31 janvier 1578. Pirenne, à lencontre de toutes les sources contemporaines, estime que cette bataille fut peu meurtrière. Namêche affirme que la majorité des victimes nétaient pas des soldats, mais cette foule de gens de peu, femmes et enfants qui suivaient habituellement les troupes, à lencontre desquels massacres et viols se commirent indistinctement. Les références au massacre de Gembloux et à une boucherie épouvantable sont pourtant la norme chez les historiens proches de lévénement, et la réputation des terribles Tercios espagnols rend ces rapports plus que plausibles. La chronique de Gembloux fait état de 7 000 tués et 1 000 prisonniers, outre 1 500 soldats réfugiés dans la ville et qui furent ensuite libérés ; dautres sources font état dune perte totale de 10 000 hommes pour larmée des États, et constatent quon vit rarement si peu de soldats verser tant de sang en si peu de temps. Galliot se cantonne prudemment entre les extrêmes et parle de 3 000 hommes morts sur place et dun plus grand nombre faits prisonniers. Par contre, les sources sont presque unanimes sur un bilan de quelques morts, une petite dizaine seulement pour certains, vingt selon don Juan, du côté espagnol ; un seul des cavaliers du prince de Parme aurait même perdu la vie dans la fameuse charge qui décida du sort du combat ! On ne saura évidemment jamais la réalité. On connaît la tendance de tous les belligérants du monde à minimiser leurs pertes et à grossir celles de ladversaire : sans doute la vérité est-elle quelque part en-deçà ou au-delà de ces bilans extrêmes, selon que lon considère lun ou lautre des belligérants.

La noblesse belge était en nombre à la bataille de Gembloux, qui reste dans les annales de bien des familles. Certains y périrent, tels Emmanuel de Montigny ou Claude-Herman de Ghoor, châtelain de Hombourg, tué par lexplosion de poudre ; dautres furent faits prisonniers, comme Adrien et Antoine de Bailleul, qui servaient en qualité de colonels, se retirèrent dans Gembloux et se rendirent après ce siège qui nen fut pas un.

Une bataille aussi singulière a fait naître bien des soupçons de trahison. Dans les provinces révoltées, la nouvelle du désastre a suscité des blâmes amers à lencontre des officiers de larmée des États : on les accusa de tiédeur à leur cause, de déloyauté envers leur propre drapeau, on critiqua dans le meilleur des cas des fautes dues à la jeunesse et à linexpérience. Le fait que la plupart des officiers aient servi lEspagne peu de temps auparavant, comme bientôt le ralliement des mécontents wallons à Philippe II, ne pouvaient évidemment que nourrir la suspicion des indéfectibles à la cause du Taciturne. On accusa le comte de Lalaing, commandant en chef absent au jour de la bataille, dêtre de mèche avec don Juan et davoir arrangé avec lui la retraite à Mons du reste de la cavalerie confédérée. Eytzinger défend lhonneur dun homme qui avait été jadis son camarade détudes à Louvain, partageant pendant presque six ans avec lui la table du même professeur, le jurisconsulte Jean Ramus : Je ne croirai pas une chose pareille, en raison de la grande noblesse de sa famille, remarquable et toujours digne de louanges, famille que lon désignait en français sous ce surnom révélateur deLalaing sans reproches ; aussi, je pense que la victoire en cette guerre est revenue à lAutrichien par le courage plutôt quautrementOn a dit aussi, et Guillaume dOrange laurait affirmé, que lexplosion de poudre sous les murs de Gembloux, nétait pas accidentelle, mais due à la trahison du général dartillerie Valentin de Pardieu, seigneur de la Motte, qui passait pour un opportuniste prêt à se vendre au plus offrant. Il a en tout cas été prouvé que ce Pardieu, qui allait bientôt être un des principaux artisans de la réconciliation avec lEspagne, entretenait depuis décembre de lannée précédente une étroite et secrète correspondance avec don Juan.

Reproches et soupçons dun côté, congratulations de lautre. Don Juan dut pour la forme réprimander Alexandre Farnèse davoir ainsi risqué sa vie, lui rappelant que le roi l'avait envoyé aux Pays-Bas en tant que général et non que soldat. Le prince de Parme ne put que répondre quil ne pensait pas que celui qui navait fait dabord ses preuves comme soldat pût assumer la charge de capitaine, ce qui lui valut bien sûr les applaudissements et les vivats des troupes. On raconta que l'amitié entre don Juan et Farnèse était telle quils envoyèrent séparément un courrier à Philippe II, chacun attribuant à lautre tout le mérite de la victoire. Et en effet, on a conservé le courrier de Farnèse indiquant à son roi et aux Grands dEspagne ses amis que Dieu lui avait donné la victoire par les mains et la prudence de Jean dAutriche et quelle lui était due après Dieu ; que comme les ennemis lavaient éprouvé dans le combat grand et courageux capitaine, ils lavaient éprouvé doux et favorable vainqueurOctave de Gonzague ne fut pas le plus discret ni le plus désintéressé des épistoliers. Depuis Argenton, le lendemain du combat, il sadressait à Philippe II : il espère, écrit-il, que cette victoire sera le prélude de beaucoup dautres, que le Roi pourra châtier ceux qui lont mérité et les réduire à lobéissance et signale à tout hasard que Gonzaga a exercé dans cette opération le commandement de la cavalerie. Le lendemain, à Gembloux, il reprenait la plume pour faire léloge de don Juan, protester de son dévouement et signaler que sur ordre du gouverneur, il allait se rendre dans différentes villes des Pays-Bas pour y notifier les intentions royales. Il insistait sur lenvoi rapide de provisions et recommandait Mondragón et Olivera à la bienveillance royale. Gonzague pouvait compter sur lappui de don Juan. Dans une lettre au ministre Antonio Perez, celui-ci signalait que pour la première fois que Gonzague avait exercé sa charge, il lavait fait de façon digne déloge et méritait que le roi lhonore ; à Argenton, le 6 février, don Juan faisait à Philippe II une relation détaillée de la bataille, sinquiétait des autres théâtres dopérations, demandait de nouveaux renforts italiens et réclamait la nomination définitive de Gonzague à la tête de la cavalerie, vu sa conduite et sa popularité dans la troupe.

Un crime de guerre ?

Don Juan fut-il vraiment le doux et favorable vainqueur, que décrivit Farnèse ? Bien des sources font état dune exécution massive de prisonniers. Galliot, citant Chappuis et Strada relate la chose avec le recul du temps : Quelques centaines de ceux-ci, qui furent reconnus avoir quitté le service du roi, furent pendus à Namur, non pas tant néanmoins pour leur désertion, que pour avoir peu de temps auparavant, par une cruauté inouie, inhumainement mutilé quelques soldats de la garnison de Namur, quils avoient fait prisonniers & leur coupant les oreilles & les doigts, & leur tranchant la tête à leur capitaine. Eytzinger, contemporain et proche des faits, et que lon ne peut certainement pas taxer de sympathie à la cause des vaincus va dans le même sens : Six cents soldats furent faits prisonniers, qui furent tous menés à Namur et exécutés par pendaison, après que ces troupes les premières eussent avec grande cruauté coupé les oreilles, le nez et les doigts des mains de tous les soldats de don Juan quelles avaient capturés. Outre ces sources déjà citées, les Description et figures des affaires du Pays bas de Baudartius, publiées en 1616, précisent quil y eut aussi trois cens soldats emmenez, qui par trentaines & quarantaines furent jettez en la Meuse.

Une lettre de Jean de Croy à don Juan datée du 2 février 1578, prouve en tout cas que des ordres furent donnés en ce sens et que la garnison de Namur eut des scrupules à les exécuter : Le sr de Billy ma dit que V.A. a commandé que lon jeta les prisonniers ennemis qui sont en cette ville en la rivière. Encore quil soit gentilhomme croyable, jai toutefois différé de le faire jusquà ce que aurai lettre particulière de Votre Altesse pour ce quelle mavait dict, parlant dicelle, que lon les renverrait du costé de la France avec une blanche verge aux mains.

Il semble bien donc bien que le supplice ait eu lieu, ce que confirme Maxwell, biographe de don Juan, qui se base sur les rapports de Tassis, conseiller du gouverneur, qui y aurait assisté. Linsistance même de don Juan dans ses courriers sur sa mansuétude à légard des prisonniers paraît suspecte. Ainsi, la lettre à lévêque de Liège datée du 3 février (cf. cadre hors-texte) ; ou, deux jours plus tard, deux courriers envoyés dArgenton, dans lesquels le gouverneur écrit à Jean de Croy : les prisonniers seront conduits aux lizières de France et au comte de Mansfeld : Comme la déroute des ennemis faite le dernier du mois passé sont demeurés en vie et prisonniers sept cent cinquante, tant Français, Anglais, Ecossais, jai donné charge pour délivrer le pays de tels garnements iceulx être conduitz par les Ardennes vers St-Hubert et entrer aux lizièrs de France par Mouson. Ces lettres sont cependant postérieures à la reddition de Gembloux, dont la garnison fut en effet libérée, mais il ne sagissait plus alors dinspirer la terreur à lennemi ; cette mansuétude vise dailleurs surtout des troupes étrangères, et plus seulement des déserteurs de larmée espagnole.

Les lendemains de Gembloux

La bataille de Gembloux inversa pour un temps le cours de la guerre. Au bruit de la défaite de ses troupes, le reste de larmée coalisée se replia précipitamment sur Anvers, don Juan séjournait encore à Argenton le 8 février, le 12 il était à Namur, mais le 19 il se trouvait à Heverlee, près de Louvain, entreprenant de reprendre les villes de Brabant et de Hainaut. Il ne parvint pas cependant à pousser fort loin ses avantages. Menacé de toutes parts, non seulement par larmée des États reformée, mais aussi par les troupes françaises du duc dAnjou, anglaises de la reine Élisabeth et allemandes du comte palatin Jean-Casimir, il senferma dans le camp fortifié de Bouge et lança à son demi-frère Philippe II des appels désespérés. Sur les hauteurs de Namur, il néchappa pas à lépidémie de typhus qui ravageait le camp et mourut le 1er octobre, à lâge de trente et un ans, abandonné par son demi-frère et roi, que lon a dit jaloux des succès militaires du vainqueur de Lépante et de Gembloux. Le 6 janvier 1579 à Arras, alors que la guerre séternisait, les Wallons catholiques signaient la paix avec Alexandre Farnèse. Ce revirement de ceux quon appela les mécontents, lassés quils étaient aussi du fanatisme des révoltés calvinistes, a une valeur symbolique : ce fut lamorce de la scission des Pays-Bas entre le Sud catholique et le Nord protestant, car Guillaume dOrange y riposta en rassemblant de son côté lUnion dUtrecht ; ce fut aussi le début de la reconquête des provinces rebelles par lEspagne. Les Pays-Bas étaient pour toujours coupés en deux.

Voir aussi

Sources


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Bataille de Gembloux de Wikipédia en français (auteurs)

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