- Érinyes
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Pour la pièce d'Eschyle, voir Les Euménides.
Dans la mythologie grecque, les Érinyes (en grec ancien Ἐρινύες / Erinúes, d'ἐρίνειν / erínein, « pourchasser, persécuter »), ou parfois « déesses infernales » (χθόνιαι θεαί / chthóniai theaí) sont des divinités persécutrices. Selon Eschyle elles sont transformées en σεμναὶ / semnaì[1], « vénérables », après l'acquittement d'Oreste , occasion à laquelle Athéna aurait obtenu d'elles qu'elles devinssent des divinités protectrices d'Athènes sous le rôle de gardiennes de la justice. Plus tard, en 408, Euripide les a identifiées avec les Euménides (grec Εὐμενίδες / Eumenídes, « les Bienveillantes »)[2]
Elles correspondent aux Furies (en latin Furiæ ou Diræ) chez les Romains.
Sommaire
Ascendance
Filles de Gaïa et du sang d'Ouranos mutilé d'après Hésiode, ce sont des divinités chtoniennes. Leur nombre reste généralement indéterminé, quoique Virgile, s'inspirant sûrement d'une source alexandrine, en dénombre trois :
- Mégère (Μέγαιρα / Mégaira, « la Haine »)
- Tisiphone (Τισιφόνη / Tisiphónê, « la Vengeance »)
- Alecto (Ἀληκτώ / Alêktố, « l'Implacable »).
Épiménide, dans un fragment cité par Tzetzes, en fait les sœurs cadettes d'Aphrodite et des Moires, toutes filles de Cronos et d'Évonymé (ou Eurynomé ?), Eschyle les filles de Nyx (la Nuit), Sophocle les filles de Gaïa et de Scotos, la Ténèbre. Dans les traditions orphiques, elles naissent d'Hadès et de Perséphone (cet attachement au monde infernal se retrouve également dans l’Iliade).
Rôle
Divinités anciennes, elles ne sont pas soumises à Zeus et habitent l'Érèbe (ou le Tartare, suivant les traditions), le monde du dessous, se reposant jusqu'à ce qu'elles soient de nouveau appelées sur Terre. Malgré leur ascendance divine, les dieux olympiens éprouvent une profonde répulsion pour ces êtres qu'ils ne font que tolérer. De leur côté, les hommes les craignent et les fuient. C'est cette marginalisation et le besoin de reconnaissance qu'il entraîne qui, chez Eschyle, amènent les Érinyes à accepter le verdict d'Athéna et ce malgré leur inépuisable soif de vengeance.
Elles personnifient la malédiction lancée par quelqu'un et sont chargées de punir les crimes pendant la vie de leur auteur, et non après. Toutefois, leur champ d'action étant illimité, si l'auteur du crime décède, elles le poursuivront jusque dans le monde souterrain. Justes mais sans merci, aucune prière ni sacrifice ne peut les émouvoir, ni les empêcher d'accomplir leur tâche. Elles refusent les circonstances atténuantes et punissent toutes les offenses contre la société et à la nature tels que le parjure, la violation des rites de l'hospitalité et surtout les crimes ou l'homicide contre la famille. À l'origine, les êtres humains ne peuvent ni ne doivent punir les crimes horribles. Il revient aux Érinyes de poursuivre le meurtrier de l'homme assassiné et d'en tirer vengeance. Némésis correspond à une notion semblable, et sa fonction recouvre celle des Érinyes.
Ces divinités vengeresses hideuses ont :
- de grandes ailes ;
- des serpents pour cheveux ;
- des fouets et des torches ;
- du sang qui coule de leurs yeux.
Elles ont été comparées aux Gorgones, aux Grées ainsi qu'aux Harpies en raison de leur apparence effrayante et sombre et du peu de contact qu'elles entretiennent avec les dieux olympiens.
Elles tourmentent ceux qui font le mal. Elles les poursuivent inlassablement sur la terre en les rendant fous. Au sens large, les Érinyes sont les protectrices de l'ordre établi. Dans l’Iliade, elles ôtent la parole à Xanthe, le cheval d'Achille, et privent Phénix de descendance. Le philosophe Héraclite dit que si le soleil décidait de renverser sa course, elles l'en empêcheraient. Dans Electre de Giraudoux, elles sont représentées par trois jeunes filles cyniques et méchantes à la croissance très rapide (de petite fille à adulte en quelques jours), appelées les Trois Euménides. Elles chantent des comptines satiriques sur les personnages de la pièce et vont poursuivre Oreste jusqu'à la perte de sa raison.
Tragédie d'Eschyle
Les Euménides d'Eschyle, troisième pièce de L'Orestie, s'ouvrent au seuil du temple d'Apollon à Delphes, où les Érinyes ont poursuivi Oreste, le fils matricide à qui Apollon a commandé de venger son père Agamemnon assassiné par sa mère Clytemnestre. À la première représentation, cette tragédie provoque une véritable terreur chez les spectateurs. Les Érinyes forment le chœur. Les images qui nous sont parvenues nous les montrent tenant des torches et des fouets, souvent coiffées de serpents.
Tout ce qui intéresse les Erinyes est de poursuivre le fils matricide pour lui infliger des tourments sans fin. Il n'est question pour elles ni de juger, ni de trouver des circonstances atténuantes au jeune homme. Mais Apollon veille sur Oreste qu'il a dirigé vers son temple de Delphes, où prendre un bref de repos. De là, il lui conseille d'aller chercher sa délivrance auprès d'Athéna. Les Érinyes arrivent à la suite d'Oreste à l'acropole d'Athènes où Athéna obtient qu'elles reconnaissent son autorité pour instruire l'affaire et prononcer un jugement. Cependant Athéna estime l'affaire trop grave pour la juger seule. Surtout, il s'agit d'un arbitrage entre deux générations de dieux : celle, ancienne, les Erinyes et celle, moderne, de Apollon.
Oreste est ensuite présenté devant un tribunal composé de onze citoyens et Athéna ; il lui donne raison. Mais il reste encore à résoudre la question de la vocation des Erinyes : que vont-elles devenir si un fils matricide peut leur échapper, quand poursuivre les crimes de sang est toute leur raison d'être ? Athéna leur propose alors de changer de vocation, et de devenir les Semnai (« Vénérables »), déesses bienveillantes d'Athènes. Après une longue hésitation, elles acceptent.
Les Euménides ferment L'Orestie, la grande trilogie d'Eschyle sur la justice, prix d'Athènes en 458 avant JC, seule trilogie du théâtre grec arrivée intacte jusqu'à nous. Les Euménides ont été représentées à Athènes précédées des deux autres pièces de l'Orestie : Agamemnon et Les Choéphores (et suivies d'un drame satirique perdu) au moment où Athènes inventait le jury d'assises pour juger les crimes de sang, 55 ans avant qu'Euripide reprenne la situation dans une pièce isolée intitulée Oreste.
Culte
On leur sacrifiait des moutons noirs, et des libations de νηφάλια / nêphália, mélange de miel et d'eau.
Il y a en Arcadie un endroit qui possède deux sanctuaires consacrés aux Érinyes. Dans l'un des deux, elles portent le nom de Μανίαι / Maníai (Mania, celles qui rendent fou). C'est en cet endroit que, vêtues de noir, elles assaillent Oreste pour la première fois. Non loin de là, raconte Pausanias, se trouve un autre sanctuaire où leur culte est associé à celui des Charites (« déesses de la rémission »). C'est en ces lieux qu'elles purifient Oreste, vêtues de blanc. Après sa guérison, il offre un sacrifice expiatoire aux Mania.
Sources
- Apollodore, Bibliothèque [détail des éditions] [lire en ligne] (I, 1, 4).
- Cicéron, De la nature des Dieux [détail des éditions] [lire en ligne] (III, 46).
- Eschyle, Euménides [détail des éditions] [lire en ligne], Prométhée enchaîné [détail des éditions] [lire en ligne] (v. 516), Agamemnon [détail des éditions] [lire en ligne] et Les Sept contre Thèbes [détail des éditions] [lire en ligne].
- Euripide, Oreste [détail des éditions] [lire en ligne].
- Hésiode, Théogonie [détail des éditions] [lire en ligne] (v. 185), Les Travaux et les Jours [détail des éditions] [lire en ligne] (v. 803).
- Homère, Iliade [détail des éditions] [lire en ligne] (IX, 455-457 ; XV, 170 ; XIX, 259 ; XXI, 380).
- Nonnos de Panopolis, Dionysiaques [détail des éditions] [lire en ligne] (X, 97).
- Ovide, Métamorphoses [détail des éditions] [lire en ligne] (VI, 430-431 ; VIII, 482 ; IX, 410 ; X, 46).
- Pausanias, Description de la Grèce [détail des éditions] [lire en ligne] (VIII, 34).
- Sophocle, Œdipe à Colone [détail des éditions] [lire en ligne].
- Virgile, Énéide [détail des éditions] [lire en ligne] (VI, 250 ; XII, 844 et suiv.).
Notes
- Eschyle, les Euménides, 1041.
- Timothy Gantz, Early Greek Myth: A Guide to Literary and Artistic Sources, p832.
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- (en) Harry Thurston Peck, Harper's Dictionary of Classical Antiquities, Harper & Brothers, New York, 1898 [lire en ligne]
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