Sociologue de l'École de Chicago

Sociologue de l'École de Chicago

École de Chicago (sociologie)

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L'école de Chicago est un courant de pensée sociologique américain apparu au début du XXe siècle dans le département de sociologie de l'université de Chicago. Ce département, créé en 1892, est par ailleurs le premier département de sociologie au monde.

Sommaire

Histoire de l'École de Chicago

La première École de Chicago

La première école s'attache à étudier les relations interethniques et la délinquance dans les grandes villes aux États-Unis. Celles-ci apparaissent alors comme une sorte de laboratoire social qui permet d'étudier les nombreuses transformations des milieux urbains. Chicago accueille de nombreux immigrants de l'étranger ainsi que du sud des États-Unis. Les représentants de cette première école sont notamment William I. Thomas et Robert E. Park.

La deuxième (et troisième) École de Chicago

Après les années 1940, arrive une deuxième génération de chercheurs. Ils se consacrent plus à l'étude des institutions et des milieux professionnels. Bien que ces sociologues aient utilisé de nombreuses méthodes quantitatives et qualitatives, historiques et biographiques, ils sont reconnus pour avoir introduit, en sociologie, une nouvelle méthode d'investigation, largement inspirée des méthodes ethnologiques, qu'est l'observation participante. Celle-ci leur permet de comprendre le sens que les acteurs sociaux donnent aux situations qu'ils vivent. Les principaux représentants de cette seconde école sont notamment Erving Goffman, Howard Becker, Anselm Strauss et Freidson. Everett Hughes apparaît comme un maillon intermédiaire entre ces deux écoles.

Contributions de l'École de Chicago

La sociologie de l'École de Chicago a été fertile, elle a fortement contribué à l'étude des villes (sociologie urbaine, urbanisme et études sur les migrations), à l'étude de la déviance (criminologie), à l'étude du travail (et des métiers) ainsi que de la culture et de l'art.

Lécole de Chicago se caractérise par sa sociologie urbaine avec ses thèmes de prédilection

La ville de Chicago a connu une urbanisation extrêmement rapide qui sopérait sur fond de déracinements multiples, dextrême hétérogénéité sociale et culturelle, de déstabilisation permanente des activités, des statuts sociaux et des mentalités. Chicago devint aussi le lieu emblématique de la confrontation des origines et des cultures, ainsi que le symbole même de la délinquance et de la criminalité organisée. Pour les sociologues de son université, elle représentait un terrain dobservation privilégié ou, mieux encore, pour reprendre le mot de Park, un véritable « laboratoire social ».

Un regard intéressé et positif sur limmigration

W. I. Thomas et Florian Znaniecki ont fortement contribué à rejeter le réductionnisme biologique en montrant que le comportement des immigrants nétait pas lié à un problème de race, c'est-à-dire à un problème physiologique, mais était directement lié aux problèmes sociaux intervenus dans leur vie quotidienne. Ils affirment ainsi « la variable réelle est lindividu, pas la race ». Leur objectif est de comprendre le comportement humain, ce qui se démarque complètement des travailleurs sociaux, appelés aussi « do-gooders », qui travaillaient alors sur ces questions à des fins moralistes.

En 1918, Thomas et Znaniecki publient The Polish peasant in Europe and America. Thomas décide de faire une étude sur limmigration et lintégration en suivant un groupe dimmigrants et en étudiant leur vie dans leur pays dorigine jusquà leur arrivée sur le sol américain. Il choisit de prendre le peuple polonais, à cause de la grande richesse de documents existants à leur propos. Louvrage est composé de quatre parties distinctes :

  • Lorganisation du groupe primaire : étude de la famille polonaise traditionnelle avec ses habitudes sociales. Ils entendent par "organisation" lensemble des conventions, attitudes et valeurs collectives qui lemportent sur les intérêts individuels dun groupe social.
  • La désorganisation et la réorganisation en Pologne : lindividu nest plus fondu au sein dune famille élargie : il prend de plus en plus dimportance pour lui-même et la famille se rétrécie approchant ainsi le modèle de la famille moderne contemporaine, déclin de linfluence des règles sociales sur les individus, valorisation des pratiques individuelles. Il y a désorganisation quand les attitudes individuelles ne peuvent trouver satisfaction dans les institutions, jugées périmées, du groupe primaire. La désorganisation sociale est la conséquence dun changement rapide (changements technologiques majeurs, catastrophes naturelles, crises économiques ou politiques), dune densification de la population urbaine ou dune désertification.
  • Lorganisation et la désorganisation en Amérique : alors que le mariage reposait en Pologne, traditionnellement, avant la désorganisation, sur le respect, le mariage repose désormais sur lamour aux États-Unis.
  • Lhistoire de vie dun immigrant : Wladeck.

Selon Thomas et Znaniecki, toutes les manifestations de la déviance ne sont pas toujours le signe dune désorganisation sociale : il peut aussi sagir de déviance individuelle. Ils distinguent la désorganisation individuelle et la désorganisation sociale. Selon Thomas, il ny a pas de lien direct entre les deux. La pathologie individuelle nest pas un indicateur de désorganisation sociale. Sil y a un processus de réorganisation sociale, un individu peut demeurer inadapté, en retrait de ce phénomène social collectif. Cest vrai surtout des individus de la seconde génération qui se trouvent touchés par la délinquance, lalcoolisme, le vagabondage, et le crime. Si ce processus de réorganisation est difficilement suivi par lindividu, cest parce quil exige de se défaire des liens anciens pour en inventer de nouveaux.

La réorganisation prend une forme mixte et passe par la constitution dune société américano-polonaise, c'est-à-dire qui ne soit ni tout à fait polonaise, ni tout à fait américaine, mais qui constitue la promesse dune assimilation des générations futures. Cest pourquoi il faut favoriser les formes sociales mixtes et provisoires, encourager les institutions qui nouent un lien de continuité avec le passé : associations, fêtes, scolarisation bilingueThomas insistait pour que les immigrants continuent de lire et parler dans leur langue pour favoriser la transition vers lassimilation. Thomas considère que lassimilation est à la fois souhaitable et inévitable. Elle requiert la construction dune mémoire commune entre le natif et le migrant passant par lapprentissage dune nouvelle langue, dune nouvelle culture et l'histoire à lécole publique. Il recommande aussi que les Américains se familiarisent avec les cultures des pays dont ils accueillent les ressortissants. Pour Thomas lassimilation est surtout un processus psychologique. Il néglige laspect politique de la question et les conditions de vie économique de limmigrant. Lassimilation sera accomplie quand limmigrant portera le même intérêt aux mêmes objets que lAméricain dorigine. On retrouve beaucoup la notion de désorganisation dans le patrimoine de lÉcole de Chicago. Cest un concept majeur dans létude de la grande ville américaine et qui implique de nombreux changements sociaux. On le retrouve notamment chez : Nels Anderson (1923) sur les travailleurs saisonniers, Frederic Thrasher (1927) sur les gangs, Harvey Zorbaugh (1929), Paul G. Cressey (1929) sur les dancings publics. Et aussi Ruth Cavan (1928) sur le suicide, Ernest Mowrer (1927) désorganisation de la famille, Louis Wirth (1926) sur le ghetto, Walter Reckless (1925).

En 1921, en décrivant le processus de désorganisation - réorganisation qui jalonne les interactions entre les groupes sociaux autochtones et immigrants, Park distingue quatre étapes, chacune représentant un progrès par rapport à la précédente :

  • La rivalité est la forme dinteraction la plus élémentaire, elle est universelle et fondamentale. Elle se caractérise par labsence de contact social entre les individus. Cette étape va entraîner une nouvelle division du travail et réduire les relations sociales à une coexistence basée sur les rapports économiques.
  • La deuxième étape est le conflit : qui est inévitable lorsquon met en présence des populations différentes. Le conflit manifeste une prise de conscience, par les individus, de la rivalité à laquelle ils sont soumis. « Dune façon générale, on peut dire que la rivalité détermine la position dun individu dans la communauté ; le conflit lui assigne une place dans la société. »
  • La troisième étape est ladaptation, Park la définit comme pouvant « être considérée telle une conversion religieuse, comme une sorte de mutation ». Ladaptation est un phénomène social, qui concerne la culture en général, les habitudes sociales et la technique, véhiculées par un groupe. Pendant cette phase, il y a coexistence entre des groupes qui demeurent des rivaux potentiels mais qui acceptent leurs différences.
  • Létape ultime après ladaptation est selon Park lassimilation, au cours de laquelle les différences entre les groupes se sont estompées et leurs valeurs respectives mélangées. Lassimilation est un phénomène de groupe, dans lequel les organisations de défense de la culture immigrée par exemple, ou les journaux en langues étrangères vont jouer un rôle déterminant.


Park rejette lhypothèse communément admise à lépoque selon laquelle lunité nationale exige une homogénéité raciale. Tout comme Thomas, il donne une grande place à lécole dans les étapes menant à lassimilation. (P41)
Young, qui sintéresse à lintégration des Molokans, (paysans russes faisant partie dune secte religieuse persécutés par le Tsar) voit 3 phases menant à des hybrides culturels. Il montre ainsi que le sacré sinstitutionnalise et quil devient profane au fur et à mesure que la vie communautaire se désintègre et que commence le processus dassimilation culturelle.

Dans son ensemble, lÉcole de Chicago a développé une vision optimiste de limmigration, sous la forme du concept de lhomme marginal, qui devient un hybride culturel, partageant intimement deux cultures distinctes, mais pleinement accepté dans aucune et marginalisé par les deux. Le métissage est, pour les chercheurs de Chicago, un enrichissement. Pourtant, quelques chercheurs noirs, faisant partie de la commission mixte chargée détudier les causes des émeutes de juillet - août 1919 ayant fait 38 morts, font figure dexceptions.

  • Johnson, reprend le cycle des relations ethniques de Park pour décrire les relations entre la population noire et blanche de Chicago. Il saligne sur les recommandations de Park concernant lécole mais amène des nuances. Il affirme ainsi que les enfants noirs ont des performances plus mauvaises que les enfants blancs à lécole du fait de leur environnement : parents illettrés, familles instables, mal logées, sans emploi. Il insiste surtout sur labsence totale de loisirs. Il démontre aussi que les noirs américains souffraient encore dune ségrégation informelle. (Accusés de commencer les grèves dans les usines par exemple.)
  • Brown, sinspirant lui aussi des étapes de Park, remet en cause que le conflit ne soit quune étape menant à lassimilation. Pour lui lassimilation nest jamais totalement possible entre la population noire et blanche car la culture noire est perçue comme inférieure à la culture blanche.
  • Frazier, se démarque à son tour des sociologues de Chicago, notamment en ne rejetant pas tout à fait le réductionnisme biologique. Il distingue ainsi une institution blanche et une institution noire. De plus il considère que le fait dêtre noir représente une identité à part entière : « les noirs américains pensent dabord à eux-mêmes comme noirs et seulement ensuite comme américain. » Sil reconnaît le bien-fondé de limportance de lhomme marginal en tant qu'hybride culturel, Frazier introduit en revanche la distinction entre lassimilation culturelle et lassimilation sociale. Ainsi, selon lui, la culture noire américaine ne diffère peut être pas beaucoup de la culture blanche mais de nombreuses barrières sociales à lassimilation demeurent : interdiction des mariages interraciaux, pas de droit de voteAinsi, lassimilation totale ne peut donc pas être atteinte puisquils nont pas les mêmes droits politiques et sociaux. Leur assimilation passera donc par leur lutte contre la discrimination raciale et pour légalité de leurs droits.

Létude de la criminalité illustre bien lécologie urbaine de lécole de Chicago

La sociologie de Chicago est légitimement célèbre pour ses études sur la criminalité, la déviance et la délinquance juvénile, qui sont des questions liées étroitement aux notions et concepts que nous venons de voir et qui constituent à elles seules un champ dont nous allons maintenant examiner quelques unes des œuvres principales.

La criminalité

Selon les estimations de Frederic Thrasher, les gangs de Chicago en 1927 représenteraient 25 000 adolescents et jeunes hommes. Cette population se regroupe dans la zone interstitielle, c'est-à-dire la zone comprise entre le centre ville (the loop) avec tous ses bureaux et commerces et la zone résidentielle des classes moyennes puis aisées. Il affirme ainsi que les gangs occupent « la ceinture de pauvreté », lhabitat est détérioré, la population change sans cesse ; ou tout est désorganisé. Le gang est alors une réponse à la désorganisation sociale. La création des gangs se fait par la création de clubs regroupant des jeunes hommes qui vont ensuite devenir des délinquants et occuper une partie du territoire quils vont sapproprier. Ces groupes sont très instables : leurs leaders changent, de nouveaux groupes apparaissent et disparaissent. Il y a plusieurs types de gangs : un gang peut chercher à se faire reconnaître une existence légitime au sein de la communauté, à la manière dun club, ou au contraire de former une société secrète. Enfin, Thrasher insiste sur une autre caractéristique du gang. Il est selon lui la manifestation de conflits culturels entre les communautés dimmigrants entre elles dune part, et entre les valeurs dune société américaine peu attentive à leurs problèmes et qui leur reste étrangère, dautre part. Traiter le problème de la criminalité consistera donc à construire, dans un monde moral et économique, un avenir et une motivation au délinquant, à stimuler son imagination dadolescent et à faire naître chez lui des ambitions.

En 1924, la guerre des gangs fait rage à Chicago et lIllinois Association for Criminal Justice décide de lancer une vaste enquête sur la criminalité. John Landesco publie un rapport en 1929, Organized crime in Chicago, dans lequel il veut démontrer quil existe un lien entre le crime et lorganisation sociale de la ville. Selon lui, « de la même manière que le bon citoyen, le gangster est un produit de son environnement. Le bon citoyen a été élevé dans une atmosphère de respect et dobéissance à la loi. Le gangster a fréquenté un quartier la loi est au contraire enfreinte constamment ».

La délinquance juvénile

Dans The Jack roller : a delinquent boys own story, Clifford Shaw étudie la situation dun jeune délinquant quil suit depuis quil a 16 ans. Lhistoire de vie est un nouveau dispositif de recherche dans le domaine de la criminologie. Shaw insiste pour que les histoires de vie soient vérifiées, croisées avec dautres données, familiales, historiques, médicales, psychologiques, scolaires bien que « la validité et la valeur dun document personnel ne dépende pas de son objectivité ou de sa véracité », ce qui importe nest pas la description objective mais précisément les attitudes personnelles. Il faut entrer dans le monde social du délinquant. Cest pourquoi le récit doit être à la 1re personne, ne soit pas « traduit » par le langage du chercheur pour garder l’« objectivité » du récit.
Dans la discussion de louvrage[réfnécessaire], Ernest Burgess explique en quoi le cas lui apparaît typique et représentatif :

  • élevé dans un quartier à risque, délinquance importante (1926, 85% des jeunes arrêtés par police viennent de ces quartiers)
  • vient dune « famille brisée » comme 36% des jeunes délinquants
  • sa « carrière » de délinquant commence avant même quil aille à lécole
  • toutes les institutions « de redressement » ont échoué (idem dans 70% des cas)
  • finit par traîner comme fugueur dans le quartier mal fréquenté de Chicago.

Shaw et Mac Kay écrivent Juvenile Delinquency and Urban Areas en 1942 ils proposent détablir uneécologie de la délinquance et du crime: ils étendent la recherche à dautres grandes villes (Philadelphie, Boston, Cleveland, Cincinnati, Richmond). Ils montrent que le développement des villes américaines sest manifesté par la création de zones dhabitat très différenciées. La criminalité est associée à la structure physique de la ville : le taux de délinquance est élevé partout lordre social est désorganisé. Le fait dhabiter certaines parties de la ville est un indicateur ou pronostic de délinquance. Ils affirment en outre quil ny a pas de relation de cause à effet entre un fort taux dimmigrés et un fort taux de criminalité : « les délinquants ne le sont pas parce quils sont fils dimmigrés ou parce quils sont noirs, mais pour dautres raisons qui tiennent à la situation dans laquelle ils vivent ». Pour comprendre et analyser les phénomènes de délinquance et de criminalité, il recommandent de prendre en compte 3 types de facteurs : le statut économique, la mobilité de la population et lhétérogénéité de sa composition, qui se manifeste par une forte proportion dimmigrants. La pauvreté, une forte hétérogénéité et une forte mobilité de la population entraînent linefficacité des structures communautaires, ce qui entraîne un affaiblissement du contrôle social, favorisant lapparition de la criminalité.

La sociologie qualitative (une épistémologie « compréhensive »)

Morris Janowitz, dans son ouvrage consacré à lœuvre de Thomas, affirme que « sil a existé une école de Chicago, elle a été caractérisée par une approche empirique qui se propose détudier la société dans son ensemble ». Cette conception de la recherche va évidemment induire des techniques particulières sur le terrain, qui seront regroupées sous lexpression de « sociologie qualitative ». Il faut, en premier lieu, préciser quil y a eu peu de réflexions méthodologiques dans la plupart des monographies de lÉcole de Chicago. Cest surtout Park, qui a été journaliste de 1891 à 1898 qui a introduit lidée de pouvoir utiliser les méthodes de lethnographie pour létude des rapports sociaux urbains.

Lutilisation des documents personnels

La première utilisation de documents personnels dans une étude sociologique fut celle de Thomas et Znaniecki, dans Le paysan polonais. Sur le plan méthodologique, il y a rupture avec les traditions antérieures : on passe pour la première fois de façon « officielle » de la sociologie en bibliothèque à la recherche sur le terrain. Ce nest pas un hasard si cet ouvrage ouvre lépoque de ce que lon désigne lÉcole de Chicago. Pour Blumer (1939), chargé par le Social Science Research Council de faire un compte rendu critique de louvrage, cette recherche nest pas une simple monographie de la société paysanne polonaise mais un manifeste scientifique à 4 visées :

  • construire une approche adaptée à la vie sociale complexe moderne
  • adopter une démarche compatible avec le changement et linteraction
  • distinguer facteurs subjectifs et leurs interactions avec les facteurs objectifs
  • disposer dun cadre théorique pour étudier la vie sociale

Cest dans ces divers objectifs que cette étude inaugure lutilisation de nouveaux matériaux : les autobiographies, les courriers personnels, les journaux intimes, les récits ou histoires de vie, les témoignages.

Appliquant un des principes de linteractionnisme, Thomas et Znaniecki décident de prendre en compte le point de vue subjectif des individus tout en produisant une sociologie scientifique, capable de distinguer et de construire théoriquement des types sociaux. Thomas veut adopter une démarche détachée, non émotionnelle, scientifique, objective des phénomènes sociaux quil étudie. Utilisation de lettres et dhistoires de vie dans le but d’« objectiver » les conditions de vie et les attitudes des personnes observées, en les étudiant en fonction de la « définition de la situation » auxquelles elles correspondent. Exemple : comportement incompréhensible des polonais aux États-Unis : tantôt ils acceptent passivement lautorité, tantôt ils considèrent que la liberté offerte par les États-Unis doit être sans limite. Pour comprendre ces comportements au premier abord incompréhensibles il faut pouvoir connaître la signification subjective que les personnes apportent à la situation. Ainsi le changement social sera compris comme le résultat dune interaction permanente entre la conscience individuelle et la réalité sociale objective.

Cest un aspect mal connu de lÉcole de Chicago que davoir été une sociologie fondée sur des sources documentaires. Park constitue un véritable fonds documentaire sur la ville. Véritable banque de données élaborée, augmentée, mise à jour qui sera utilisée par tous les étudiants voulant travailler sur la ville

Les lettres : Innovation méthodologique. Annonce passée dans les journaux polonais en Amérique pour lire les lettres reçues de Pologne (10 cents par lettre lue). Beaucoup publiées (regroupées en 50 thèmes différents). Chaque thème = introduction théorique et commentaires disséminés dans les notes.

Lhistoire de vie : Technique qui permet de pénétrer et de comprendre de lintérieur le monde des acteurs. Wladeck Wisniewski (recruté par annonce), considéré comme représentatif de limmigré polonais dorigine paysanne, écrit son autobiographie dont la véracité fut vérifiée grâce aux lettres échangées avec sa famille restée en Pologne.

Comme dans la plupart des recherches de lÉcole de Chicago, combinaison de lutilisation de documents personnels avec dautres méthodes de recueil des données, sources documentaires plus classiques au regard de lhistoire et du journalisme denquête : quotidiens, archives des églises, des institutions du travail social, minutes des procès.

Linnovation de Thomas et Znaniecki, en matière méthodologique, sarrête  : pas dutilisation dinterviews ou dobservations. En accord avec sa conception « naturaliste » de la sociologie, Thomas considérait que linterview était une manipulation de linterrogé par lenquêteur. Cependant, il acceptait de recueillir les témoignages dinformateurs comme les travailleurs sociaux.

Les émules de la démarche initiée par Thomas

Sutherland et le voleur professionnel

Il utilise le principe de linteractionnisme, c'est-à-dire quon comprend ce que font les individus en accédant de lintérieur à leur monde particulier et il sagit dabord de décrire les mondes particuliers des individus dont on veut comprendre les pratiques.

Sutherland semble avoir eu lintuition de lusage que lon peut faire de la réflexivité dans lanalyse sociologique. Sutherland, en faisant décrire son enquêté transforme son informateur en assistant de recherche. Par la description quil fait de son monde, il devient un ethnographe réflexif du monde dans lequel il vit. On a devant nous pas seulement le sujet empirique tel quil se présente au lecteur mais aussi le sujet analytique, c'est-à-dire celui qui nous montre comment il analyse sa vie quotidienne afin de lui donner sens et afin de pouvoir prendre des décisions en fonction du contexte.

Parce quil sagit dun témoignage, Sutherland est conscient du danger scientifique s'il veut fonder sa recherche sur ce seul matériau, donc il soumet le manuscrit à 4 voleurs professionnels et 2 anciens détective. Étudiant des voleurs, il ne peut donc évidemment pas participer à leurs actions. Vu que les thèmes majeurs de lÉcole de Chicago sont limmigration et la délinquance, lobservation participante peut parfois être difficile à faire.

Shaw et The Jack-Roller

Dans la préface de The Jack-Roller, Burgess compare la fonction de lhistoire de vie dans létude de la personnalité des individus avec celle du microscope dans les sciences naturelles. Les 2 techniques permettent de ne pas sen tenir à la surface des phénomènes et de pénétrer leur réalité cachée. « Comme un microscope, lhistoire de vie permet détudier en détail linteraction entre les processus mentaux et les relations sociales ».

Conscient des problèmes de lhistoire de vie, il faut tester leur véracité par dautres sources complémentaires. Burgess dit en effet quil se méfie de cette méthode tant quelle na pas été lobjet de minutieuses vérifications, notamment sur le plan de la représentativité des données recueillies.

Le travail de terrain est également à la base de la recherche empirique caractéristique de lÉcole de Chicago

Le mythe de lobservation participante

Quand on fait référence à lÉcole de Chicago on pense tout de suite à son innovation méthodologique qui sapproche le plus de la sociologie qualitative : lobservation participante. Il nest pas étonnant quon retrouve chez les sociologues de Chicago la posture méthodologique dobédience interactionniste qui prend en effet toujours appui sur diverses formes dobservation participante. Patricia et Peter Adler distinguent 3 grandes catégories de positions de recherche sur le terrain :

  • rôle « périphérique » : le chercheur est en contact étroit et prolongé avec les membres du groupe mais ne participe pas (soit en raison de croyances épistémologiques, soit parce que moralement il sinterdit de participer aux actions délinquantes, ou parce que ses propres caractéristiques démographiques ou socioculturelles len empêchent).
  • rôle « actif » : le chercheur prend un rôle plus central dans lactivité étudiée. Participation active, prend des responsabilités, se conduit avec les membres du groupe comme un collègue.
  • rôle de membre complètement « immergé » : le chercheur a le même statut, partage les mêmes vues et les mêmes sentiments, poursuit les mêmes buts. Fait lexpérience des émotions

Il est abusif demployer le terme dobservation participante pour le simple fait daller sur le terrain. Park insistait pour que le scientifique observe mais ne participe pas, il recommandait une attitude détachée. Position qui peut paraître surprenante si on considère que lÉcole de Chicago a été le modèle théorique et méthodologique de lobservation participante. Park réagissait ainsi en réaction au courant dominant précédant dans la sociologie naissante dalors : lenquête sociale. Selon Park, il fallait que la sociologie se professionnalise en se détachant de lattitude dominante des « do-gooders ».

Selon Lee Harvey, sur les 42 thèses soutenues en sociologie à Chicago (1915-1950), 2 seulement (après 1940) ont employé lobservation participante « complète » (rôle à temps plein dans la communauté étudiée), 6 ont impliqué le chercheur dans un temps partiel, les autres (2/3) nont pas utilisé la moindre technique dobservation.

En fait, École de Chicago = peu denquête directement sur le terrain, surtout matériau biographiques (récits dindividus). Il est sans doute souhaitable de rectifier le mythe selon lequel lÉcole de Chicago serait le modèle de lobservation participante malgré son caractère novateur incontestable sur le plan méthodologique. École de Chicago = berceau dune variété dapproches empiriques, en particulier dans la sociologie urbaine pratique. Elle inaugure lenquête directe auprès dindividus (différence avec lère spéculative de la sociologie du 19°).

  • Thrasher : dans son enquête auprès de gangs a récolté des données qualitatives (enquête auprès des journalistes, policiers, barmen, hommes politiques locaux…) mais cela ne peut pas être considéré comme une observation de première main, il na pas participé à la vie de la communauté.
  • Létude des sans-abri, Nels Anderson, (1923) implique une forme dobservation participante : il occupe une chambre dans un petit hôtel ouvrier du quartier des hobos. Il ny allait que le week-end. Sinon, il était bohème, dormait dehors, et se déplaçait de la même façon... Pendant 15 ans, il a eu une vie de hobos. Il reçoit une aide privée pour étudier les « SDF », pas dépaysé par le quartier dans lequel il mène sa recherche. Familiarité. Il procède également à un travail classique de documentation qui lui permet de se pencher sur son passé. Interviews informelles. Il na pas pris le rôle dun hobo, son père était un hobo et lui-même l'a été pendant très peu de temps durant sa jeunesse. mais cest aussi sa rencontre avec des hobos dans une institution de travail social dans laquelle il travaillait qui la poussé à cette recherche.

Au fondement de ce mythe de lobservation participante à Chicago réside peut-être une confusion dans les termes. On parle tantôt de sociologie qualitative, de sociologie descriptive ou dethnographie. Lethnographie est considérée comme un terme équivalent à lapproche naturaliste, qui chercherait à mettre en avant des significations (pas seulement des recherches des causes).

Lexpression dobservation participante est souvent employée à la place « dethnographie », alors que lentretien ou lobservation non participante relèvent de la sociologie qualitative.

Lobservation participante est un dispositif particulier de recherche au sein de lethnographie, mais elle implique que le chercheur joue un rôle pour comprendre de lintérieur leur vision du monde et la rationalité de leurs actions. Progressivement lobservation participante en est venue à désigner un style de recherches qualitatives sur le terrain, et non une technique particulière.

Une méthodologie multiple

Dans chaque étude, plusieurs méthodes sont employées. Entretiens non structurés et récits de vie dominent mais on trouve aussi des observations, des documents personnels, données recueilliesZorbaugh : plans, cartes de ville, données recensement, documents historiques, rapports municipaux, travail social. Interviews d'individus divers : contacts informels avec des journalistes, des avocats, des infirmières... Sur le terrain il procède par bloc dhabitations, relève le prix des meublés, loyers, fait du porte à porteà Ethnologie sociologique complète. Linterview : techniques dinterview pas encore bien différenciées. Pas de réflexion méthodologique élaborée. Lidée dun rôle spécifique de lintervieweur, de la nécessité dune formation napparaît pas encore. La distinction méthodologique entre la simple conversation et la passation dun questionnaire nest pas encore bien établie. Anderson ne fait pas des interviews mais il a des conversations informelles. Il sinterroge sur la technique qui permettra dengager la conversation avec un inconnu, remarque que quand on sassoie à côté de quelqu'un et que lon pense à voix haute la conversation sengage bien.

Il faut attendre pratiquement la fin des années 1950 pour voir apparaître, à linstar de la sociologie quantitative qui a très vite produit des réflexions méthodologiques sophistiquées, des débats sur les méthodologies de type qualitatif en usage dans la sociologie. La suprématie de lÉcole de Chicago prit fin avec la rébellion de 1935 au sein de la Société américaine de Sociologie il y eut une utilisation grandissante des techniques de recherche quantitative. Ces techniques de quantification étaient déjà présentes à Chicago. James Field y enseignait les statistiques dès 1908 (dans le département déconomie politique et Small encourageait les étudiants à y aller). En 1927, Field meurt et est remplacé par W.Ogburn qui quitte son poste de Columbia. Ogburn était favorable aux histoires de vie mais pour lui elles étaient utiles pour constituer des hypothèses quil sagissait de tester statistiquement. Burgess en 1928 suit son cours. La tendance majoritaire dans la sociologie de Chicago demeurait certes les études qualitatives de terrain et les études de cas mais les statistiques ne faisaient pas seulement lobjet dun enseignement, elles étaient mises en œuvre dans des enquêtes sur labstention aux élections par exemple ou dans les recensements. Emploi par Burgess de statistiques simples. En 1927 il rapproche les statistiques et les études de cas : « Les méthodes des statistiques et de létude de cas nentrent pas en conflit entre elles ; elles sont en fait complémentaires. Les comparaisons statistiques et les corrélations peuvent souvent suggérer des pistes pour la recherche faite à laide de létude de cas, et les matériaux documentaires, en mettant au jour des processus sociaux, mettront inévitablement sur la voie dindicateurs statistiques plus adéquats. Cependant, si lon veut que la statistique et létude de cas apportent chacune leur pleine contribution en tant quoutils de recherche sociologique, il faut leur garantir une égale reconnaissance et fournir loccasion à chacune des 2 méthodes de perfectionner sa technique propre. Par ailleurs, linteraction des 2 méthodes sera incontestablement féconde ».

Conclusion

Thomas et Znaniecki (Le paysan polonais ...) et Samuel Stouffer (The American Soldier, 1949) sont très représentatifs des deux grandes tendances de la sociologie américaine du début du XXe siècle et en marquent chacun une étape : lun inaugure une série de recherches qualitatives et de publications qui constituent le patrimoine de lÉcole de Chicago ; lautre marque la fin de la période précédente et représente le tournant quantitativiste de la sociologie américaine. Stouffer représente un tournant dans lhistoire de la sociologie dans la mesure elle est la première tentative de modélisation mathématique de la vie sociale. A partir de 1940, la sociologie américaine connaîtra un développement considérable des techniques quantitatives sous limpulsion des contrats détudes financés par larmée américaine. Les chefs de file de lUniversité de Columbia (dont Robert Merton et Paul Lazarsfeld, directeur des enquêtes) ont renforcé leur prestige et leur pouvoir, exerçant ainsi progressivement un « impérialisme » théorique et méthodologique. Ainsi lécole fonctionnaliste, fortement implantée à Columbia et Harvard commença à exercer sa domination (voire sa censure comme y fait allusion H.Becker en 1986).

Cette montée en puissance de la sociologie quantitative coïncida avec lextinction de la deuxième génération de chercheurs à Chicago : Burgess prend sa retraite en 1951, Wirth meurt en 1952 et Blumer part en 1952 à Berkeley.

Bibliographie

  • Yves Grafmeyer, L'École de Chicago, P.U.G., Grenoble, 1978, Champs Flammarion, 2004
  • Yves Grafmeyer et Isaac Joseph (éd.), L'école de Chicago - naissance de l'écologie urbaine, Aubier, Paris, 1990 [1ère édition : Les éditions du Champ Urbain - CRU, 1979]
  • Ulf Hannerz, Explorer la ville, Éditions de Minuit, Paris, 1983
  • Alain Coulon, L'école de Chicago, PUF (collection Que sais-je ?), Paris, 1992
  • Jean-Michel Chapoulie, "L'étrange carrière de la notion de classe sociale dans la tradition de Chicago en sociologie", in Archives européennes de sociologie, mai 2000, vol. 41, n° 1, pp. 5370
  • Jean-Michel Chapoulie, La tradition sociologique de Chicago, Seuil, Paris, 2001
  • Jean-Michel Chapoulie, « La tradition de Chicago et l'étude des relations entre les races » in Revue européenne des migrations internationales, 2002, vol. 18, n° 3, pp. 924
  • Suzie Guth, Chicago 1920 - aux origines de la sociologie qualitative, Tétraèdre, Paris, 2004
  • Jean Peneff, Le goût de l'observation, Éditions La découverte, Paris, 2009. ISBN 9782707156631

Voir aussi

Articles connexes

Sociologues de l'École de Chicago

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