Erving Goffman

Erving Goffman

Erving Goffman, né le 11 juin 1922 à Mannville, Alberta, Canada et mort le 19 novembre 1982 à Philadelphie en Pennsylvanie, est un sociologue et linguiste américain d'origine canadienne. Avec Howard Becker, il est un des principaux représentants de la deuxième École de Chicago.

Sommaire

Biographie

Goffman entreprend des études de sociologie à l'université de Toronto (1944) où il est l'élève de Ray Birdwhistell, puis à l'université de Chicago (1945) où il est l'élève de Herbert Blumer et Everett Hughes. En 1952, il part pour les îles Shetland, au nord de l'Écosse, observer la vie locale pendant douze mois. Il se fait passer pour un étudiant intéressé par l'économie agricole : en réalité, il collecte des données pour sa thèse de doctorat qu'il soutient en 1953.

Déménageant en 1954 pour Washington, accompagné de son épouse Angelica Choate et son fils Tom, Goffman décide d'aller vivre plusieurs mois parmi des malades mentaux, au sein de l'hôpital psychiatrique de Sainte-Elisabeth à Washington, pour observer la vie des reclus. Enseignant à l'université de Californie de Berkeley depuis 1958, il est nommé professeur en 1962. Entre temps, il a publié Asiles, sur base de son séjour dans la clinique de Sainte-Élisabeth, introduisant la notion d'institution totale. En 1963, il publiera Stigmate. Son épouse sombre dans la folie et se suicide en 1964.

Il se centre non sur l'individu, mais sur l'interaction, usant de métaphores didactiques. Avec La présentation de soi (la mise en scène de la vie quotidienne, tome 1), il développe la métaphore théâtrale, considérant les personnes en interaction comme des acteurs qui mènent une représentation. Dans Les Rites d'interaction, il parle de métaphore du rituel pour rendre compte des rencontres face à face.

En 1968, Pierre Bourdieu fait publier son œuvre en français aux Éditions de Minuit.

Après un séjour à Harvard, au Center for International Affairs, il occupera une chaire à l'université de Pennsylvanie où il retrouve Ray Birdwhistell de 1968 à 1982.

En 1974, il publie Les Cadres de l'expérience, s'inspirant de la métaphore cinématographique. La vie est, selon lui, composée de multiples constructions de la réalité, des cadrages, qui s'articulent les uns aux autres.

En 1981, il se remarie avec Gillian Sankoff, avec laquelle il a une fille, Alice. Il meurt le 20 novembre 1982 à 60 ans.

Concepts

Rattaché à l'École de Chicago, il s'écarte des méthodes dites quantitatives et statistiques pour privilégier l'observation participante. Ainsi pour Asiles il consacre deux années à étudier un asile. Il prend part au courant de l'ethnométhodologie et de l'interactionnisme symbolique, même s'il a toujours refusé sa filiation avec cette dernière. La difficulté d’associer formellement Goffman à l’interactionnisme symbolique découle du fait que l’œuvre de ce dernier ne se réduit pas à une analyse interactionniste. Pour lui, l'interaction sociale est guidée par le souci de ne pas perdre la face. La notion d'interaction prend une place très importante dans son œuvre.

Institution totale

Goffman définit la notion d'institution totale[1] comme « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées[2] ». Prisons, camps de concentration, asiles, couvents, mais aussi internats, orphelinats, etc. peuvent être considérés comme institutions totales (qu'on peut d'ailleurs rapprocher des institutions disciplinaires selon Michel Foucault). Celles-ci détruisent l'identité des reclus. Caractéristiques :

  • coupure du monde extérieur
  • tous les besoins sont pris en charge par l'institution
  • mode de fonctionnement bureaucratique
  • contacts entre reclus et surveillants limités
  • changement de la temporalité.

Métaphore théâtrale

La présentation de soi

Goffman, dans La présentation de soi[3], envisage la vie sociale comme une scène (région où se déroule la représentation), avec ses acteurs, son public et ses coulisses (l'espace où les acteurs peuvent contredire l'impression donnée dans la représentation). Il nomme façade différents éléments avec lesquels l'acteur peut jouer, tel le décor, mais aussi la façade personnelle (signes distinctifs, statut, habits, mimiques, sexe, gestes, etc.). Les acteurs se mettent en scène, offrant à leur public l'image qu'ils se donnent. Ils peuvent avoir plusieurs rôles, sans qu'il y en ait un plus vrai que l'autre, et prendre leur distance vis-à-vis d'eux, jouant sur la dose de respect à la règle qu'il juge nécessaire ou adéquat.

Les acteurs en représentation construisent une définition commune de la situation. Une fausse note est une rupture dans cette définition, suite à une gaffe ou un impair commis par un ou plusieurs acteurs. Cela produit une représentation contradictoire, une remise en question de la réalité commune, causant un malaise général. Pour éviter ces impairs, des techniques de protection, aussi appelé tact, sont mises en œuvre, comme les échanges réparateurs telles les excuses ritualisées, les aveuglements par délicatesse, etc.

Stigmate

La stigmatisation[4] d'un individu intervient, pour Goffman, lorsqu'il présente une variante relative par rapport aux modèles offerts par son proche environnement, un attribut singulier qui modifie ses relations avec autrui et en vient à le disqualifier en situation d'interaction. Cet attribut constitue un écart par rapport aux attentes normatives des autres à propos de son identité. Chaque individu est plus ou moins stigmatisé en fonction des circonstances, mais certains le sont plus que d'autres : tous peuvent être placés sur un continuum. Les stigmates sont d'une grande diversité, s'appliquant aussi bien à la psychologie individuelle qu'aux relations sociales d'une personne donnée : parmi eux, le passé des individus, les handicaps, les tares de caractère, l'homosexualité, l'appartenance à un groupe donné, etc.

Goffman classe ces stigmates dans deux catégories différentes : les stigmates visibles et invisibles. Les premiers caractérisent les attributs physiques et les traits de personnalité directement apparents lors du contact social, les seconds regroupent toutes les facettes de l'individu difficilement décelables lors d'un contact visuel avec celui-ci. L'acteur va donc tout mettre en œuvre afin de cacher ce stigmate ou en tout cas d'éviter qu'il ne constitue un malaise chez son public. Goffman nomme contacts mixtes[5] les interactions à risques entre normaux et stigmatisés. Le risque de fausse note y est théoriquement plus élevé.

L'auteur met toutefois en garde ses lecteurs contre le risque de prendre trop au sérieux cette métaphore.

Métaphore du rituel

La face le terme employé par Goffman pour désigner la valeur sociale positive qu'une personne revendique effectivement à travers une ligne d'action que les autres supposent qu'elle a adoptée au cours d'un contact particulier, explique Goffman dans Les Rites d'interaction. En interaction avec d'autres, la règle fondamentale que doit respecter tout individu est de préserver sa face et celle de ses partenaires. C'est la condition de possibilité de toute interaction, car la face est essentielle, sacrée en un sens. Différentes stratégies individuelles de figuration viennent garantir le respect de sa face et celle d'autrui, évitant de les compromettre : il s'agit de ce que l'on appelle le " tact " , les règles de savoir-vivre ou encore la diplomatie. Des échanges réparateurs viennent rétablir l'ordre lorsqu'un incident a eu lieu : le(s) fautif(s) s'excuse(nt), le public lui pardonne, afin de retrouver un équilibre.

Dans toute interaction, un certain niveau d'engagement est requis, ainsi qu'un soutien à l'engagement des autres. Cet engagement peut être défini par le maintien d'une attention intellectuelle et affective pour l'objet officiel de l'interaction. Il n'est pas facile à maintenir, mais si c'est le cas, l'interaction est joyeuse, elle marche.

Métaphore cinématographique

L'ouvrage Les Cadres de l'expérience ne se limite pas aux interactions, mais traite de l'expérience. Goffman emprunte la notion de cadre à l'anthropologue Gregory Bateson. Toute expérience, toute activité sociale, se prête, selon lui, à plusieurs versions, ou cadrages. Ceux-ci entretiennent des rapports les uns avec les autres. Ils fixent la représentation de la réalité, orientant les perceptions, et influencent l'engagement et les conduites. Normalement, ils passent inaperçus et sont partagés par toutes les personnes en présence.

Erving Goffman distingue :

  • Les cadres primaires. Est primaire un cadre qui nous permet, dans une situation donnée, d'accorder un sens à tel ou tel de ces aspects, lequel autrement serait dépourvu de signification. Parmi eux, les cadres naturels impliquent l'action de forces ou de lois de la nature et les cadres sociaux sont le fait d'actions ou d'intentions humaines.
  • Les cadres transformés, s'ils sont modalisés sont des transformations qui ne se cachent pas. Par contre, s'ils résultent d'efforts délibérés destinés à désorienter l'activité d'un individu ou d'un ensemble d'individus sans que ceux-ci s'en rendent compte, on parlera de fabrication. Celle-ci peut être bénigne ou abusive.

Ces transformations et modalisations de cadre peuvent se superposer les unes aux autres : on parle alors de premier, deuxième, etc. degré. Certains cadrages présentent des ambiguïtés, la signification de la situation étant peu claire, le comportement à adapter à leur égard étant difficile à prévoir. Des erreurs de cadrage, c'est-à-dire des malentendus, peuvent également survenir : le cadrage semble clair, mais il oriente néanmoins les perceptions et comportements des personnes dans un sens qui se révèle par la suite reposer sur des prémisses fausses. On appelle rupture de cadre le moment, souvent pénible, où l'individu se rend compte qu'il a perçu la situation de manière erronée : la culture même de nos croyances s'en trouve subitement bouleversée.

Bibliographie sélective

Ouvrages

  • Communication conduct on an island community (1953) - thèse de doctorat
  • The Presentation of Self in Everyday Life (1959)
  • Asylums (1961)
  • Stigma (1963)
  • Interaction Ritual: Essays on Face-to-Face Behavior, New York: Pantheon Books (1982)
  • Forms of Talk, Philadelphia: University of Pennsylvania Press (1981)

Articles

  • « The Interaction Order », American Sociological Review, 48: 1–17 (1983)

Principaux ouvrages traduits en français

Ouvrages sur Erving Goffman

Ouvrages de vulgarisation

Notes et références

  1. Erving Goffman (trad. Liliane et Claude Lainé), Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979 (ISBN 2707300837) .
  2. Erving Goffman (trad. Liliane et Claude Lainé), Asiles. Études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus. p.41, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979 (ISBN 2707300837) .
  3. La Présentation de soi, Éditions de Minuit, coll. « Le Sens Commun », 1973
  4. Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, 1963 ; traduit de l'anglais par Alain Kihm, Éditions de Minuit, coll. « Le Sens Commun », 1975
  5. Ibid., p.23-30

Liens externes


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