Princes possessionnés d'Alsace

Princes possessionnés d'Alsace

Les princes possessionnés d'Alsace sont des princes allemands qui avaient conservé des fiefs enclavés dans le royaume de France, notamment après les annexions de l'Alsace (traités de Westphalie de 1648 et de 1679) et de la Lorraine (1766). Les traités stipulaient que ces possessions ne dépendaient pas du droit français mais de celui du Saint Empire romain germanique.
À l'époque de la Révolution française, la République voulut établir l'unité du territoire national (nous dirions aujourd'hui la continuité territoriale). Ces sujets ou princes dEmpire s'attachèrent alors à défendre légalement leurs propriétés, souvent dimportantes seigneuries, face aux initiatives révolutionnaires. Nombre de ces territoires étaient situés en Alsace.

Article détaillé : Princes possessionnés.

Sommaire

La France révolutionnaire face à l'affaire des princes possessionnés en Alsace

Il est possible de restituer le développement de laffaire en trois étapes chronologiquement identifiables :

La période 1787-1789 correspond au premier affrontement entre les princes et le gouvernement de la France, cest-à-dire la monarchie de Louis XVI en tentative dauto-réforme. La mise en place en 1787 de municipalités et d'assemblées représentatives est ressentie par les princes comme une ingérence insupportable dans les affaires de leurs fiefs alsaciens. Ils sen insurgent auprès de Necker, à lexemple du landgrave de Hesse-Darmstadt dont les officiers du comté de Hanau-Lichtenberg rédigent en 1788 une longue plainte énumérant tous les droits lésés. Cette réforme de 1787 est vécue comme le premier coup porté à une situation particulière pourtant garantie par les traités de paix et les lettres patentes du XVIIIe siècle.

Laffaire proprement dite éclate au moment de l'abolition de la féodalité, dans la nuit du 4 août 1789. Linquiétude des princes au sujet des décrets abolissant la féodalité au mépris des particularités locales de leurs domaines ne fait que grandir. Au grand dam de lAutriche de Joseph II qui se pose en conciliateur, la Prusse attise le conflit dans l'objectif de faire naître dans le monde germanique un courant aussi contre-révolutionnaire et anti-français que belliqueux et soucieux de prendre sur la France une revanche de lhumiliation du traité de Westphalie. De septembre à novembre 1789, le diplomate prussien Goertz effectue une tournée de toutes les cours princières (les princes qui ont des domaines alsaciens, ainsi que les seigneurs ecclésiastiques menacés dans leurs droits métropolitains sur lAlsace) pour les convaincre de refuser toute négociation avec les nouvelles institutions françaises et cimenter une coalition de princes germaniques contre la Révolution, en leur faisant miroiter les bénéfices quils retireraient dune défaite de la France. De son côté, lAssemblée nationale tente de se montrer aussi généreuse et bien disposée à légard des princes possessionnés que possible, notamment sous linfluence de Mirabeau et de Christophe-Guillaume Koch, luniversitaire strasbourgeois venu à Paris défendre les intérêts des protestants alsaciens, et auquel les députés font rapidement appel pour comprendre les enjeux juridiques de laffaire.

Ce nest pas tant les décrets de destruction de lAncien Régime et de la féodalité, menaçant leurs prérogatives en Alsace, qui les inquiètent que la perspective de perdre à jamais un pouvoir dorigine germanique sur la province, maintenu conjointement à une souveraineté française qui ne cesse de se renforcer au XVIIIe siècle. Laffaire des princes possessionnés est une spécificité alsacienne, non pas parce quon y trouve des princes étrangers, mais parce quà chacun de ces de domaines alsaciens est attaché un régime particulier de féodalité et de souveraineté, garanti par les traités de paix du XVIIe siècle, ces mêmes traités qui ont rattaché progressivement lAlsace à la France.

Le 28 octobre 1790, Philippe Merlin de Douai rend son rapport au nom du comité de féodalité chargé dexaminer la question alsacienne. Ce rapport se divise en deux parties bien distinctes : la première, idéologique, démontre que lAlsace est unie à la France non pas en vertu des traités de paix, mais de la volonté du peuple de cette province, qui a envoyé ses représentants aux états généraux de 1789, autrement dit, du droit des peuples à disposer deux-mêmes, et que le contrat social qui lie désormais lAlsace à la France invalide toutes les revendications germaniques. La deuxième, pragmatique, se propose, après avoir exposé les raisons pour lesquelles la France ne doit en rien sestimer redevable dindemniser les princes lésés, dadopter malgré tout une attitude de générosité destinée à proclamer en Europe les intentions pacifiques de la France révolutionnaire. Merlin propose ainsi aux princes le versement dindemnités quoiquil ne reconnaisse absolument pas le fondement juridique de leurs réclamations, et demande à Louis XVI de prendre en charge les négociations dindemnisation. Son but a été de cacher derrière un discours de principe des concessions bien réelles, plus étendues et favorables aux princes quinitialement prévu. Cette générosité se heurte malheureusement à lintransigeance germanique face à lévocation dindemnités, même larges. La mission du chevalier de Ternant, chargé dexposer aux cours princières concernées (juin-août 1790) que les indemnités proposées sont une preuve de la bienveillance de la France à leur égard est un échec retentissant. En Alsace, Stupfel, ancien procureur fiscal à Lauterbourg dun des princes possessionnés les plus francophobes, Auguste-Philippe de Limburg Styrum, prince-évêque de Spire, démontre dans un ouvrage paru en 1790, farouchement hostile à Merlin de Douai dont il critique le raisonnement et auquel il reproche une connaissance insuffisance des réalités alsaciennes, que la conciliation des intérêts allemand, français et alsacien passe par le rejet catégorique des indemnités proposées, parce quelles le sont par une institution, lAssemblée nationale, non reconnue par les autres puissances européennes, alors que les princes ne reconnaissent toujours que le roi de France ; parce que lindemnité serait trop difficile à déterminer, et parce quau fond lAlsace est toujours liée à lEmpire dont il ne souhaite pas quelle soit distraite.

La troisième période, celle de la marche à la guerre (janvier 1791-avril 1792), voit la radicalisation des tensions dans les deux pays transformer laffaire de portée initialement locale en casus belli. Larrestation de Louis XVI à Varennes décide lempereur Léopold II à afficher son soutien à la cause de la monarchie, contre la Révolution. Le conclusum de la Diète de Ratisbonne du 6 août 1791 subordonne laffaire des princes possessionnés à la politique autrichienne. Lenvoi de ce conclusum, dans la lettre que Léopold II adresse à Paris le 3 décembre 1791, est interprété comme une rupture définitive des négociations entre la France et les princes. Face à la menace contre-révolutionnaire, les Girondins prônent la fermeté dans la négociation des indemnités, malgré les efforts de Koch et de son comité diplomatique. La montée sur le trône autrichien du belliqueux François II, le 1er mars 1792, achève de précipiter lEurope dans une guerre inévitable. Celui-ci exige le 15 avril 1792 la réintégration des princes possessionnés dans leurs prérogatives alsaciennes. Cet ultimatum provoque, le 20 avril 1792 à lAssemblée nationale, le vote à lunanimité moins sept abstentions pour la déclaration de guerre « au roi de Bohême et de Hongrie », sur proposition de Louis XVI qui, conformément à la Constitution de 1791, sest présenté devant les députés pour loccasion. Laffaire reste présente dans les esprits des belligérants pendant toute la durée du conflit, et il nest pas surprenant que le célèbre Manifeste de Brunswick du 25 juillet 1792, qui promet à Paris une répression exemplaire si le roi venait à être malmené, fasse mention de la suppression arbitraire des droits et possessions de princes allemands en Alsace comme événement préalable à lintervention austro-prussienne.

Tableau géopolitique de la Basse Alsace en 1789

Il est particulièrement difficile dévaluer la façon dont sagencent, au lendemain des traités de Westphalie, les différentes souverainetés présentes en Alsace. Cette difficulté est née des divergences dinterprétation de lobscur article 87 du traité de Münster : celui-ci reconnaît au roi de France une suprématie sur la province (supremum dominium, domaine suprême), tout en préservant aux princes dEmpire leur immédiateté (immedietas, supériorité territoriale). Dès lors, la souveraineté sur les différents fiefs alsaciens fait lobjet de longs débats, qui ne sachèveront que peu de temps avant la Révolution (1787, date le duc de Deux-Ponts reconnaît la souveraineté du roi de France sur son bailliage de Cleebourg). La France, présente dans la province, au travers de la figure de lintendant et du Conseil souverain d'Alsace, est donc contrariée dans sa souveraineté par lexistence de celle de grands seigneurs dEmpire, dont les droits quasi-régaliens sont garantis par le traité de Münster, à une époque la monarchie absolutiste ne tolère dans le royaume aucune autre souveraineté que celle du roi. Louis XIV tente de mette fin à cette ambiguïté en procédant entre 1680 et 1682 à des « réunions » de tous les domaines souverains sur lesquels le roi nexerçait que la suprématie à lui transférée par lempereur en 1648, y compris des bailliages contestés du nord de lAlsace.

Louis XIV doit cependant renoncer à son projet dès 1697, lorsque larticle 4 du traité de Ryswick rétablit la supériorité territoriale des princes possessionnés. En revanche, dès 1700, le comte de Hanau-Lichtenberg décide dentreprendre avec Louis XIV un échange de bons procédés : sa soumission à la suprématie royale contre la reconnaissance par lettres patentes de lexercice de sa supériorité territoriale et de la jouissance de ses anciens droits et revenus. Ce prince possessionné accepte ainsi de devenir non le sujet mais le vassal du roi de France, qui lassure de sa protection en reconnaissant ses privilèges particuliers. Lexercice des différentes souverainetés, royale et princières, est ainsi codifiée au XVIIIe siècle par des lettres patentes, obtenue par les princes moyennant leur « soumission », accomplie à des dates diverses selon les seigneurs, qui souvent, pour les plus francophobes dentre-eux, refusent de se prêter de bonne grâce à la prestation de serment féodal, exigé lorsque le nouveau roi Louis XV monte sur le trône en 1715. Les princes tentent le plus souvent de contourner la reconnaissance de la suzeraineté française : lexemple le plus représentatif à ce sujet est la prise de possession de la prévôté de Wissembourg, en 1719, par lenvoyé prince-évêque de Spire, qui réunit en catimini le Chapitre de léglise. Lorsque linformation arrive à Versailles, le séquestre temporaire des domaines alsacien du prince-évêque est apposé en guise de représailles.

Dautres points de discorde demeurent tout au long du XVIIIe siècle, notamment la question de la limite de lAlsace avec le duché de Deux-Ponts et le Palatinat, autrement dit celle des « bailliages contestés » en deçà de la Queich. Cette question ne trouve son règlement diplomatique quen 1786, lorsquun accord fait cession au duché de Deux-Ponts du bas-office de Schambourg en échange de la reconnaissance de la souveraineté française sur les bailliages contestés, traité éventuel qui ne devait recevoir son exécution quà la mort de lélecteur palatin, qui nest survenue quaprès la Révolution.

Ainsi, en 1789, deux conceptions juridiques, lune germanique, lautre française, demeurent parallèlement liées aux questions alsaciennes. La vision allemande est celle dun contrat féodal synallagmatique, dont les traités de paix sont les bases de la reconnaissance de la souveraineté française avec comme condition sine qua non le maintien de lintégrité des domaines et des droits régaliens des princes possessionnés. Elle relève de la certitude que le nouveau lien féodal entre les princes et le roi, codifié par lettres patentes, ne peut être rompu sans le consentement des deux parties contractantes, mais rappelle en arrière-plan le principe dinaliénabilité des composantes de lEmpire, rendant de toutes façons caduque la souveraineté française sur lAlsace et les traités, dont lapplication nest que temporaire dans lattente dun retour de lAlsace à lEmpire, irrecevables. Au contraire, le point de vue français des affaires dAlsace ne reconnaît pas cette dimension de réciprocité féodale, et considère que conformément aux lettres patentes émanées de la libre volonté du roi, les droits des princes sont conditionnés et soumis à lexercice de la souveraineté du roi qui se réserve la possibilité den changer les termes sils la contrarient, moyennant une juste indemnité. Ce duel juridique franco-allemand va retrouver tout son sens en 1789, au moment il sera question de labolition des droits régaliens des princes et de toute féodalité en France.

Létude des cahiers de doléances alsaciens montre que la plupart des habitants de la province considèrent comme responsable de leurs difficultés et de leurs privations la fiscalité royale, dont les prélèvements, qui se superposent à des taxes seigneuriales plus nombreuses que pesantes, sont en progression exponentielle, même sils réclament plus de justice et dégalité fiscale au détriment des princes, jusque- exemptés de taxes, et qui consomment honteusement à létranger les rentes issues de leurs domaines et les revenus du labeur alsacien. Les tensions à légard des princes possessionnés, beaucoup plus perceptibles dans les cahiers antiseigneuriaux de lété 1789, se radicalisent surtout à partir de juillet, et se manifestent par de violentes exactions contre les agents seigneuriaux, notamment dans la région de lOutre-Forêt, le morcellement féodal et la densité de princes possessionnés atteint des proportions inégalées.

La Révolution a donc déclenché en 1789 une affaire lourde dantécédents géopolitiques et juridiques complexes, tout en ravivant les passions politiques de part et dautre du Rhin.

1792/1793-1801 : La réalité départementale de laffaire des princes possessionnés. Ladministration du séquestre

Le séquestre est mis en place dans le Bas-Rhin entre octobre 1792 et janvier 1793, en réponse aux difficultés quéprouvent les autorités locales à mettre en application les décrets nationaux. Les résultats économiques du séquestre sont discutables, mais son opportunité politique est incontestable puisque cest à partir de ce moment que les domaines alsaciens des princes possessionnés, autrement dit le cinquième de lAlsace, entrent dans le territoire de la République, pour nen ressortir quen 1871. Dabord appliqué en vertu des lois démigration, le séquestre est généralisé à tous les princes possessionnés en tant quennemis de la République, en 1793, grâce à linsistance du conventionnel alsacien Philippe-Jacques Rühl, qui tient régulièrement ses confrères au courant des agissements des princes , ce qui aboutit le 14 mai 1793 à la publication dun décret séquestrant les biens des princes étrangers qui navaient pas protesté contre le conclusum de la Diète déclarant la guerre à la France le 22 mars 1793. En réalité, le département du Bas-Rhin avait très largement anticipé cette décision, en arrêtant le 1er octobre 1792 le séquestre des grands domaines princiers, à la suite dune lettre que lui avait adressée le ministre de lIntérieur, le Girondin Roland, le 27 septembre 1792, conseillant lapposition du séquestre sur les biens du Landgraviat de Hesse-Darmstadt. Cette mesure est rapidement généralisée aux plus petits des princes allemands, qui voient leurs biens séquestrés, inventoriés et administrés par des receveurs à la solde de la République entre octobre 1792 et janvier 1793. Ce laps de temps correspond ainsi à la mise en place du réseau des bureaux de séquestre, animé dans les ex-seigneuries par des receveurs dont le travail est centralisé en la personne de Jean-Baptiste Bella, régisseur et receveur principal des domaines séquestrés sur les princes possessionnés, en collaboration étroite avec Thomassin, le directeur des Domaines du Bas-Rhin. Les receveurs du séquestre ne sont bien souvent autres que les anciens receveurs seigneuriaux, car la nouvelle administration estime que les personnes qui sont les mieux à même de bien gérer les recettes séquestrées sont ceux qui les administraient avant le séquestre, même si les événements militaires de la fin de lannée 1793 ne laissent pas beaucoup de ces ex-agents seigneuriaux en place.

Dès 1793-1794, ladministration comprend tout le sens de ce que Merlin de Douai proclamait dans son rapport sur la question des princes possessionnés du 28 octobre 1790 : « Il nest pas plus permis dans une convention publique que dans une convention privée, de prendre lutile, & de laisser lonéreux », en réalisant que le séquestre ne sest pas forcément effectué à son avantage financier. En effet, la difficulté de conservation de certaines propriétés (châteaux, jardins, patrimoine culturel) ainsi que lentretien des officiers seigneuriaux dont les fonctions se sont poursuivies sous le séquestre plombent les finances publiques. Pire encore, la République, qui succède aux princes à la tête de leurs anciens domaines, se trouve tenue de liquider les factures impayées et de rembourser toutes les dettes pour lever les hypothèques qui pèsent sur certaines seigneuries, comme celle dOberbronn, celle du prince de Hohenhole-Bartenstein, ou celles du duc de Deux-Ponts. Ainsi, des sommes énormes sont englouties parfois même uniquement pour payer les intérêts des capitaux empruntés. Cest donc avec un grand soulagement que le Bas-Rhin accueille en 1801 le traité de Lunéville, qui règle définitivement laffaire des domaines alsaciens, puisquà partir de toutes les demandes de remboursement et de mainlevée de séquestre sont adressées non plus au préfet du Bas-Rhin, mais à une commission chargée spécialement de ces questions, siégeant à Mayence.

En ce qui concerne le cadre juridique du séquestre des biens des princes possessionnés, la France révolutionnaire, ou plutôt le département du Bas-Rhin, a maintenu à dessein une confusion entre séquestre et confiscation, même si cette différence nimporte plus que très peu une fois que les propriétés commencent à être vendues sous lappellation générale de « biens nationaux ». En revanche, les distinctions entre procédures de séquestre ont bien plus dimportance lorsquil sagit daccorder la mainlevée dun séquestre, lorsquà partir du Directoire, les menaces extérieures ayant été écartées, les autorités estiment que certains séquestres ne sont plus dactualité. Les princes possessionnés tentent bien sûr de récupérer un maximum de leurs propriétés perdues en 1793 en faisant valoir, selon les circonstances, plusieurs arguments :

  • Premièrement, rappeler quils sont « Allemands » donc ne peuvent pas être concernés par les séquestres apposés pour raison démigration.
  • Deuxièmement, faire intervenir des membres de leur famille pour expliquer que certaines propriétés ne relevaient pas de la souveraineté du prince régnant, mais constituaient avant le séquestre des corps de biens possédés à titre « particulier ».
  • Enfin, les petits princes possessionnés peuvent essayer de démontrer quils ont été abusivement séquestrés en prouvant navoir jamais eu ni voix ni séance à la Diète de lEmpire.

Certaines mainlevées de séquestre sont obtenues, mais les quelques réintégrations qui bien souvent ne sont pas exécutées, ne concernent en aucun cas les grands domaines qui avaient à leur tête un prince possessionné souverain en 1789, et jusquen 1792, parce que ces vastes territoires sont définitivement acquis par la République en 1793, et officiellement intégrés à la France en 1801 lorsque Bonaparte profite des bouleversements géopolitiques nés de la guerre pour dédommager certains princes des pertes subies en Alsace par des villages et des domaines pris en Empire sur les principautés ecclésiastiques, ou alors par le versement de très larges indemnités, dont le landgrave de Hesse-Darmstadt détient le record en recevant de la France dix millions de florins pour la perte du comté de Hanau-Lichtenberg. Enfin, en lan XII, pour mettre fin aux dernières protestations, Napoléon propose aux petits princes possessionnés non indemnisés de choisir la nationalité française, ou la nationalité allemande, auquel cas leurs propriétés devront impérativement être vendues. En revanche, ceux qui choisiront la France deviendront citoyens français, et leurs biens ne seront plus, par définition, possédés par des étrangers. Finalement, cette possibilité pour un noble allemand de se fondre dans le corps civique français montre que cette affaire des princes dEmpire possessionnés en Alsace demeure résolument révolutionnaire, jusque dans son dénouement.

L'affaire des princes possessionnés dans l'historiographie

Laffaire des princes dEmpire possessionnés en Alsace en 1789 est mentionnée dans divers manuels et dictionnaires de lhistoire de la Révolution comme un des éléments qui décide la France à déclarer la guerre à lAutriche le 20 avril 1792. Il apparaît en réalité que cette affaire soit le prétexte de la déclaration de guerre, le casus belli, dont la généalogie est complexe. Ainsi, bien avant 1870 et 1914, lAlsace a été à lorigine de léclatement dun conflit franco-germanique, même sil convient de préciser que lEmpire ne rentre officiellement en guerre contre la Révolution quune année plus tard, en mars 1793.

La bibliographie sur le sujet est à la fois très abondante et très pauvre : très abondante si lon considère le nombre immense de titres consacrés à lhistoire politico-diplomatique de lère révolutionnaire, et qui ne font que mentionner brièvement laffaire ; restreinte car rares sont les ouvrages qui parlent du rôle quont joué les princes possessionnés dans le développement de la Révolution en France et en Europe. Il ny a que trois publications à mentionner à cet égard, hormis quelques articles dans des revues locales :

  • Le tome II de LEurope et la Révolution française dAlbert Sorel (Paris, Plon, 8 vol., 1885-1904), paru en 1887.
  • Louvrage de lhistorien allemand Theodor Ludwig : Die deutschen Reichstände im Elsass und der Ausbruch der Revolutionskriege, Strasbourg, Karl Trübner, 1898.
  • Larticle de Pierre Muret : « Laffaire des princes possessionnés dAlsace et les origines du conflit entre la Révolution et lEmpire », paru dans la Revue dhistoire moderne et contemporaine, première année, 1899-1900, tome premier, Paris, Georges Bellais, p. 433-456 et 566-592, qui reprend les thèses de Ludwig en les complétant par le point de vue français.

Ces trois travaux évoquent bien évidemment comment laffaire parvient à envenimer les relations internationales jusquà la déclaration de guerre en 1792, mais tous les auteurs restent étrangement silencieux sur les événements postérieurs à 1792, jusquau 9 février 1801, date du traité de Lunéville par lequel Bonaparte règle définitivement le problème.

En réalité, la période 1792-1801, pourtant riche en bouleversements politiques, correspond à un laps de temps laffaire cesse dêtre de nature diplomatique, pour sintégrer, au travers des décisions de séquestre des domaines des princes, dans le cadre administratif du département du Bas-Rhin. Par conséquent, il convient dadopter une approche départementale de laffaire, pour pouvoir comprendre ses tenants et ses aboutissants avant et après 1792. Comment est vécue et que représente la seigneurie dun prince possessionné avant 1789 ? Quelles sont les transformations juridico-politiques par lesquelles elle passe jusquen 1801, date laffaire est désintégrée du Bas-Rhin, pour être à nouveau être prise en charge par la diplomatie et les relations internationales ?

Une affaire qui fait date dans l'histoire du droit international

Il convient de rappeler que cest en 1790, à lAssemblée nationale constituante, et à propos de laffaire des princes possessionnés dAlsace, que Merlin de Douai, en fidèle disciple de Rousseau et de son Contrat social, formule pour la première fois le principe du droit des peuples à disposer deux-mêmes, un principe promis à une grande postérité et qui entend démontrer que lAlsace est française non par les traités du XVIIe siècle, mais par ladhésion de son peuple à la France et par lenvoi de ses représentants aux états généraux. Lénoncé de ce grand principe révolutionnaire permet à Merlin de proposer à lAssemblée doffrir des indemnités aux princes non pas parce quelle y est tenue, mais uniquement dans le but de mettre un terme à cette affaire, par sa seule générosité, projet qui échoue en raison de diverses récupérations politiciennes, qui conduiront à la déclaration de guerre de 1792.

Létude de cette affaire des princes possessionnés permet de se pencher sur les subtiles étapes de lintégration française de lAlsace : en sinsurgeant contre les décrets dabolition des privilèges, les princes possessionnés montrent quelle est la dernière étape de lentrée de lAlsace dans le territoire français. Cest pour cette raison quelle a eu tant de retentissement, parce que ces seigneuries possédées en souveraineté par des princes dEmpire représentent le dernier verrou politique allemand sur la province. Dès 1789, de part et dautre du Rhin, on comprend que le brisement de ce verrou signifie à court terme lirrémédiable démembrement alsacien du Saint Empire romain germanique, et cest pourquoi les réclamations des princes ne portent pas sur 1789, mais sur 1648, qui en a été la première étape et qui, paradoxalement, fonde le droit sur lequel ils sappuient pour se défendre contre les initiatives de la France révolutionnaire.

Liste de princes possessionnés en Alsace et en Lorraine

La liste de ces princes en 1789 est la suivante :

À côté de ces 18 princes dont les seigneuries sont localisées en Basse Alsace, il convient de signaler également le prince-évêque de Strasbourg, le fameux cardinal de Rohan (qui fut impliqué dans l'affaire du collier de la reine) dont les origines françaises font hésiter la Constituante à le considérer comme un prince possessionné, ainsi que des seigneurs de Haute Alsace : le duc de Wurtemberg, le prince-évêque de Bâle, et dans une certaine mesure les Grimaldi de Monaco (le duc de Valentinois).

Plus dun cinquième des domaines de la mosaïque territoriale alsacienne en 1789, intégrée en différentes étapes au royaume de France par les traités de Westphalie et de Ryswick, est possédé par des princes qui vivent la plupart du temps outre-Rhin, se trouve lessentiel de leurs seigneuries, bien quils disposent en Alsace de magnifiques châteaux (le château de Senones du prince de Salm-Salm, celui du landgrave de Hesse-Darmstadt à Bouxwiller, ou encore du prince de Hohenlohe-Bartenstein à Oberbronn) ou hôtels particuliers à Strasbourg (celui du landgrave de Hesse-Darmstadt ou des ducs de Deux-Ponts rue Brûlée, celui du prince de Hohenlohe-Bartenstein rue des Frères).

Bibliographie

  • Frank Attar, La Révolution française déclare la guerre à lEurope, Paris, Complexe, Collection « La mémoire des siècles », 1992.
  • Émile Bourgeois, Manuel historique de politique étrangère, 1932.
  • Jean-Luc Eichenlaub, « Les sources de lhistoire de lépoque révolutionnaire) en Alsace », Revue dAlsace, tome 116, « LAlsace au cœur de lEurope révolutionnaire », p.369-380.
  • Dagobert Fischer, « Histoire de lancien comté de Saarwerden », Revue dAlsace t.6, 1877, p. 103-124, 177-206, 331-268, 475-503. et t.7, 1878, p. 101-126, 244-264, 378-400, 487-524.
  • Daniel Fischer, La France révolutionnaire face à l'affaire des princes d'Empire possessionnés en Basse Alsace, mémoire de maîtrise sous la direction du Pr. Jean-Michel Boehler, Strasbourg, 2004.
  • François Gendron, article « Princes possessionnés » in François Gendron, Albert Soboul, Jean-René Suratteau (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, P.U.F., 1989, p. 863-864.
  • F.-C. Heitz, LAlsace en 1789 : Tableaux des divisions territoriales et des différentes seigneuries de lAlsace, Librairie F.-C. Heitz, Strasbourg, 1860.
  • René Hombourger, « Les vaines démarches des princes électeurs rhénans possessionnés en Alsace et en Lorraine », Mémoires de lAcadémie nationale de Metz, CLXIXe année, Série VII, tome 1, Metz, 1988, p. 87-100.
  • Friederich Köllner, Geschichte des vormaligen Nassau-Sarbrückschen Landes und seiner Regenten, Sarrebruck, Heinrich Arnold, 1841.
  • Roland Marx, Recherches sur la vie politique de lAlsace prérévolutionnaire et révolutionnaire, Strasbourg, Istra, 1966.
  • Pierre Muret, « Laffaire des princes possessionnés dAlsace et les origines du conflit entre la Révolution et lEmpire », paru dans la Revue dHistoire moderne et contemporaine, première année,, tome premier, Paris, Georges Bellais, p. 433-456 et 566-592.
  • Theodor Ludwig, Die deutschen Reichstände im Elsass und der Ausbruch der Revolutionskriege, Strasbourg, Karl Trübner, 1898.
  • Daniel Peter, « Lattitude des princes possessionnés en Alsace du Nord au début de la Révolution », Outre-Forêt, no 73, 1991, p. 25-28.
  • Charles Serfass, Oberbronn, lancienne seigneurie, Drulingen, Scheuer, « Reflets de lhistoire en Alsace du Nord », 2003.
  • Albert Sorel, LEurope et la Révolution française, Paris, Plon, 8 vol.
  • Robert Steegmann, Les cahiers de doléances de la Basse Alsace : textes et documents, Société savante dAlsace et des régions de lEst, éditions Oberlin, 1990.
  • Jürgen Voss (dir.), Deutschland und die Französische Revolution (colloque franco-allemand de lInstitut de lHistoire de lAllemagne de Paris à Bad Homburg, 29 septembre2 octobre 1981), Munich, Artemis Verlag, 1983.

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