Aristotélisme

Aristotélisme
Buste d'Aristote (Bibliothèque Mazarine, Paris).

L'aristotélisme est le nom donné à la doctrine dérivée des œuvres d'Aristote, chez le persan Avicenne et l'arabe Averroes notamment, puis progressivement adoptée aux XIIe et XIIIe siècles par la scolastique, grâce à la réconciliation de la philosophie d'Aristote et du christianisme par saint Thomas d'Aquin.

Le terme « aristotélicien » peut être employé dans le sens de « commentateur des œuvres d'Aristote » (qu'il soit aristotélicien comme Alexandre d'Aphrodise ou Averroès, ou néoplatonicien comme Ammonios, fils d'Hermias, ou Simplicios). Le mot « aristotélisme » renvoie à Aristote, tandis que le mot « péripatétisme » renvoie, plus largement, à l'école péripatétique ou péripatéticienne, qui relève d'Aristote comme de ses disciples.

Sommaire

Présentation

Ce serait faire preuve d'historicisme que de parler d'aristotélisme pour la philosophie d'Aristote à son époque (IVe siècle av. J.-C.). Il est probable également que ce terme n'était pas employé à l'époque de la grande scolastique, puisque le français n'est devenu langue officielle qu'au cours du XVIe siècle.

Le terme aristotélisme est assez souvent employé au sujet de la controverse ptoléméo-copernicienne des XVIe et XVIIe siècles, qui commença bien avant que Galilée ne commence à faire des observations avec sa lunette astronomique (vers 1609).

Dans le dialogue sur les deux grands systèmes du monde (1632), Galilée mit en scène trois personnages, dont un partisan de la représentation du monde issue d'Aristote, Simplicio, qu'il ridiculisa, car il ne comprenait pas la nouvelle représentation héliocentrique. En effet, certains éléments contenus dans les ouvrages d'Aristote, regroupés dans la métaphysique, montraient beaucoup de limites par rapport aux découvertes astronomiques des XVIe siècle et XVIIe siècles. On trouvait ainsi une représentation en monde sub-lunaire et supra-lunaire qui, dérivée des moyens d'observation du IVe siècle av. J.-C., paraissait évidemment naïve par rapport au modèle héliocentrique.

Descartes apprit la condamnation de Galilée en 1633, et renonça en 1634 à son ouvrage le traité du monde et de la lumière, pour se lancer dans un projet philosophique. Les ouvrages philosophiques de Descartes sont une critique de l'aristotélisme et de la scolastique.

Ainsi, le terme aristotélisme a pris au XIXe siècle une signification souvent très péjorative.

Il faut pourtant rappeler que l'œuvre d'Aristote est considérable, et ne comprend pas seulement la métaphysique, la physique, le traité du ciel.

Le découpage effectué au XIIIe siècle était très schématiquement le suivant :

Penseurs aristotéliciens

La pensée d'Aristote, l'aristotélisme, a suscité de nombreux penseurs et diverses écoles, dont celles-ci[1] :

  • le Lycée, avec Théophraste (premier scolarque, recteur, en -322), Straton de Lampsaque, etc., jusqu'à Andronicos de Rhodes, dixième et dernier scolarque du Lycée de 78 à 47 av. J.-C. On distingue deux tendances : la tendance spéculative avec Théophraste, la tendance naturaliste avec Straton. Disciples immédiats d'Aristote : Théophraste, Héraclide du Pont (qui est très lié à l'Académie de Platon), Aristoxène (qui a des affinités avec le pythagorisme), Eudème de Rhodes, Dicéarque de Messène, Phanias, Cléarque de Soles, Callisthène, Léon de Byzance, Clytos, Ménon. Aristarque de Samos, élève de Straton et commentateur d'Aristote, a le premier, vers -280, découvert à la fois la rotation de la Terre sur elle-même et la translation de la Terre autour du Soleil (héliocentrisme).
  • l'aristotélisme platonisant : déjà Héraclide du Pont, condisciple d'Aristote auprès de Platon, est autant platonicien qu'aristotélicien ; le moyen-platonisme favorise le concordisme ; le commentateur Simplicios de Cilicie (vers 533) refuse la divergence entre Platon et Aristote ; plus tard, G. Pic de la Mirandole (De l'Être et de l'Un, 1492) affirme son concordisme Platon = Aristote. « Ce fut Ammonios d’Alexandrie [Ammonios Saccas], l’inspiré de Dieu, qui, le premier, s’attachant avec enthousiasme à ce qu’il y a de vrai dans la philosophie et s’élevant au-dessus des opinions vulgaires qui rendaient la philosophie un objet de mépris, comprit bien la doctrine de Platon et d’Aristote, les réunit en un seul et même esprit, et livra ainsi la philosophie en paix à ses disciples Plotin, Origène et leurs successeurs » (Hiéroclès d'Alexandrie, cité par Photius, Bibliothèque, p. 127, 461).
  • l'aristotélisme pythagorisant, qui veut combiner Aristote et Pythagore, dès Dicéarque de Messène (qui rompit en raison de son adhésion à la doctrine pythagoricienne de l'âme avec son maître Aristote)[2], avec le pseudo-Archytas (Sur les catégories, Ier s. av. J.-C.)
  • l'aristotélisme stoïcisant, qui veut concilier aristotélisme et stoïcisme : par ex. Arius Didyme (Ier s. av. J.-C.), le Traité du monde (Ier s.), longtemps attribué à Aristote lui-même, mais relevant du moyen-stoïcisme de Poseidonios d'Apamée
  • l'aristotélisme arabe, avec Averroès (1126-1198)
  • l'aristotélisme médiéval, avec Michel d'Éphèse (1070-1140), Abraham Ibn Daud (1110-1180), Alexandre de Halès (1185-1245), Albert le Grand (1193-1280), Thomas d'Aquin (1224-1274), Richard de Mediavilla (1249-1308), Cajétan (1469-1534), etc. « Les grands scolastiques du XIIIe siècle étaient tous aristotéliciens, mais chacun à sa manière » (Luca Bianchi)[3].
  • l'aristotélisme radical, dit « averroïsme latin », avec Siger de Brabant (1241-1284), Boèce de Dacie (1245-1284 ?) (mais Benoît Patar nie son averroïsme), Jean de Jandun
  • l'aristotélisme de Padoue, avec Cesare Cremonini (1550-1631), Pietro Pomponazzi (1462-1525), Zabarella ; cette école, à l'inverse de la scolastique, privilégie l'expérience
  • le néo-aristotélisme contemporain[4], reprise de certaines idées de la philosophie pratique d'Aristote, dont le « raisonnement pratique » (Georg H. von Wright), le communautarisme (Michael Sandel).

Commentateurs d'Aristote

Les commentateurs ont été édités en grec dans la collection Commentaria in Aristotelem Graeca (CAG), Hermann Diels dir., Académie de Berlin, Berlin, éd. Reimer, 1882-1909 ; ils sont traduits en anglais dans la collection The Ancient Commentators on Aristotle, King's College, Richard Sorabji dir., Duckworth and Cornell University Press, 1987 ss. Le premier commentateur serait, à Alexandrie, le grand savant Aristarque de Samos, vers -270, ou bien Andronicos (au Ier s. av. J.-C.). Le dernier est Jacopo Zabarella, à la Renaissance, vers 1580.

  • les commentateurs aristotéliciens s'appellent Aspasios (début du IIe s.), Alexandre d'Aphrodise, Thémistios (actif entre 349 et 385), le pseudo-Alexandre. Le plus important, par sa rigueur scientifique, reste Alexandre d'Aphrodise (actif entre 198 et 209), strictement aristotélicien, anti-platonicien, qu'on appelle "le second Aristote". Du Ier s. av. J.-C. jusqu'au début du IIIe s. ap. J.-C., l'exercice scolaire principal est l'explication de texte. Les cours de Plotin consistaient avant tout dans l'explication des textes de Platon et d'Aristote, étudiés à l'aide des textes des commentateurs antérieurs : Aspasios, Alexandre d'Aphrodise, Adraste pour Aristote[5].
  • les commentateurs néoplatoniciens sont Porphyre de Tyr (qui, après 300, platonise Aristote), Jamblique et son disciple Dexippe (vers 330), Ammonios, fils d'Hermias (néoplatonicien, actif vers 475-515), Asclépios de Tralles (disciple d'Ammonios, fils d'Hermias, vers 515), Simplicios de Cilicie (vers 535), Jean Philopon (qui critique et christianise, vers 530), Élias (vers 540).
  • les commentateurs arabes sont Avicebron (mort en 1070), Avicenne (980-1037), Averroès (1126-1198). Avicenne combine platonisme, aristotélisme, islam. Averroès, dénommé en Occident "Le Commentateur", insiste, à l'inverse, sur les aspects matérialistes et rationalistes d'Aristote.
  • le grand commentateur juif est Maïmonide (1135-1204)
  • les commentateurs byzantins écrivent en grec. Eustratius (1050-1060 ou 1120) est platonicien, chrétien, opposé aux lectures arabes d'Aristote. Michel d'Éphèse (1040-1138) reprend les commentaires d'Alexandre d'Aphrodise.
  • les grands commentateurs du Moyen Âge chrétien sont Albert le Grand (1193-1280) et son disciple Thomas d'Aquin (1225-1274). Aubenque a montré que le concept d'analogie de l'être utilisé par Thomas d'Aquin était une reconstruction qui ne se trouvait pas dans Aristote.

Bibliographie

  • Fritz Wehrli (édi.): Die Schule des Aristoteles. Texte und Kommentare. 10 Hefte und 2 Supplemente. Bâle, éd. Schwabe, 1944-1960, 2. Aufl. 1967-1969. T. I : Dikaiarchos [Dicéarque de Messène], 1944. T. II : Aristoxenos, 1945. T. III : Klearchos [Cléarque de Soles], 1948. T. VI : Lykon und Ariston von Keos, Bâle et Stuttgart, 2e éd. 1968. T. VII : Herakleides Pontikos, 1953. T. VIII : Eudemos von Rhodos, 1955. T. IX : Phainias von Eresos, Chamaileon, Praxiphanes, Bâle et Stuttgart, 2eéd. 1969. T. X : Hieronymos von Rhodos, Kritolaos und seine Schüler, Bâle et Stuttgart, 2eéd. 1969. Supplément I : Hermippos der Kallimacheer (Hermippe), Bâle et Stuttgart, 2e éd. 1974. Supplément II : Sotion, Bâle et Stuttgart, 1978.
  • (en) R. Sorabji, The Philosophy of the Commentators 200-600 AD, Duckworth, 2004 (Cornell, 2005).
  • (en) R. Sorabji (dir.), Aristotle Transformed: The Ancient Commentators and their Influence, Duckworth and Cornell University Press, 1990.

Notes

  1. Dictionnaire des philosophes, Encyclopaedia Universalis/Albin Michel, 1998, p. 1617.
  2. H. Flashar, Die Philosophie der Antike. Ältere Akademie-Aristoteles-Peripatos, in Fr. überweg (dir.), Grundriss der Geschichte der Philosophie, t. III, 1983, p. 535-540.
  3. Luca Bianchi, « Les aristotélismes de la scolastique », in Bianchi et Randi, Vérités dissonantes. Aristote à la fin du Moyen Âge, trad., Fribourg et Paris, 1993, p. 1-37.
  4. Monique Canto-Sperber, Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale, PUF, t. 2, p. 1458-1466.
  5. Pierre Hadot, Études de philosophie ancienne, Les Belles Lettres, 1998, p. 30.


Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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