Orthodoxes vieux-croyants

Orthodoxes vieux-croyants

Les orthodoxes vieux-croyants, plus souvent vieux-croyants ou vieux-ritualistes, sont un ensemble de groupes qui se sont séparés de l'Église orthodoxe russe par leur refus des réformes introduites par le patriarche Nikon en 1653. De nombreux changements dans les rites et les textes mis en œuvre par Nikon visaient à uniformiser les Églises de Russie et de Grèce. Elles ont causé pourtant un schisme dans l'Église orthodoxe russe, connu sous le nom de Raskol (« schisme » en russe).

Un fragment du tableau « Boyarynya Morozova » de Vassili Sourikov qui représente la poursuite des vieux-croyants. Le personnage principal tient deux doigts croisés en haut pour indiquer que c'est la manière correcte de faire le signe de croix, à savoir avec deux doigts au lieu de trois.

Le patriarche Nikon, ayant constaté que les rites et livres liturgiques russes déviaient de la tradition gréco-byzantine, lança des réformes. Beaucoup de croyants disputèrent l'exactitude et la légitimité de ces innovations et des protestations massives, dirigées par l'archiprêtre légendaire Avvakoum Petrov et ses partisans, eurent lieu. Les réformes ecclésiastiques furent toutefois ratifiées par le concile de 1666-1667 à Moscou et leurs opposants stigmatisés en tant que schismatiques et poursuivis.

Au milieu du XVIIe siècle, il existait effectivement des différences dans les textes et les rites entre l'Église russe et les autres Églises orthodoxes. Jadis, on croyait qu'à cause d'erreurs de copistes incompétents, toutes sortes de fautes et de dérogations aux règles avaient passé dans les livres et les rites de la tradition orthodoxe russe, et l'Église russe, sur un nombre de points textuels et rituels, s'est différenciée de l'Église gréco-byzantine. Pourtant, la recherche scientifique a révélé que les différences n'avaient pas surgi de la façon susmentionnée.

Sommaire

Les règles de Stoudios et de Jérusalem

En 988, la Russie fut christianisée par les Grecs. Les missionnaires y introduisirent la règle studite, établie par saint Théodore le Studite (759 - 826), higoumène du monastère de Stoudios à Constantinople. Plus tard, dans l'Empire byzantin, cette règle fut graduellement remplacée par celle de Jérusalem, établie par saint Sabas le Sanctifié (439 - 532). La règle de Jérusalem était en fait une variante et une adaptation ultérieure de la règle studite à celles des monastères palestiniens. Les deux règles étaient fondées sur celles de saint Basile de Césarée (ca. 330 - 379) et saint Pacôme de Tabennesis (v. 292 - 348). Aux XIVe ‑ XVe siècles, deux métropolitains de Russie, Photius et Cyprien, commencèrent l’introduction de la règle de Jérusalem en Russie. Ce processus s'arrêta du fait qu'après l'Union florentine de 1439, considérée par les Russes comme trahison de l'orthodoxie, les liens avec Constantinople furent rompus et il n’y eut plus de métropolitains byzantins en Russie. La Russie, quelque peu conservatrice et isolée, n’adopta que partiellement la règle de Jérusalem, c'est pourquoi y apparut une règle hybride conservant à côté des éléments de la règle de Jérusalem ceux de la règle studite. Au milieu du XVIIe siècle, les Grecs ignoraient déjà la tradition studite et Nikon et ses partisans manquaient de connaissance de la tradition ecclésiastique. Donc les variantes dans les textes russes furent prises à tort pour des innovations ou des erreurs surgies dans le tradition russe à cause de traductions fautives ou arbitraires, tandis que c'était la règle studite qui avait conservé beaucoup d’éléments paléochrétiens et paléobyzantins. Les différences entre l'Église russe et celle de Byzance étaient dues à l'influence latine sur l'Église byzantine à la suite des croisades, l’Union florentine et la crise dans le monde grec après la chute de Constantinople en 1453, et elles aboutirent à l'adoption de la règle de Jérusalem néogrecque.

Réformes sur la base de la règle néogrecque

Au milieu du XVIIe siècle, la Russie fut en guerre avec l'État polono-lituanien et l'Empire ottoman ; le tsar Alexis Ier (1629-1676) et le patriarche Nikon pensèrent qu'un grand empire orthodoxe avec Alexis comme nouvel empereur byzantin et Nikon comme patriarche de Constantinople aurait pu en peu de temps devenir réalité. Ils furent soutenus dans leurs ambitions par quelques patriarches du Moyen-Orient. Ceux-ci attirèrent l'attention de Nikon et du tsar sur les différences rituelles et textuelles entre l'Église russe et celle de Constantinople et insistèrent sur le fait que cette circonstance présentait un obstacle à l'uniformisation éventuelle de toutes les Églises orthodoxes. On décida de comparer les livres russes avec ceux de Grèce et de corriger les premiers à l'aide des originaux grecs en cas de besoin. Différents historiens placent cette tendance à l'uniformisation dans le contexte des processus géopolitiques susmentionnés et indiquent le caractère politique de cette initiative (Kapterev, 1913, 1914 ; Zenkovski, 2006[1]). Une analyse comparative des livres ecclésiastiques aurait demandé plusieurs années, mais on n'en attendit jamais les résultats.

Au lieu de comparer les livres russes et grecs, Nikon ordonna de faire de nouvelles traductions des livres liturgiques contemporains édités selon la règle néogrecque dont les traductions slaves furent adoptés aussi à Kiev. Les chrétiens orthodoxes dans l’Empire ottoman n’eurent pas le droit d’imprimer les livres ecclésiastiques et furent réduits à recourir aux typographies européennes. Les livres liturgiques que Nikon fit traduire furent, eux aussi, imprimés par les typographies des Jésuites à Rome, Venise et Paris. Ils furent non seulement imprimés mais aussi rédigés en Italie à l'aide de sources des chrétiens de l’Italie méridionale qui pratiquaient le rite byzantin. Dans ces livres se sont toutefois graduellement glissés des changements dus aux influences catholiques. Donc leur fiabilité et leur teneur orthodoxe furent mises en doute même parmi les Grecs. En Russie, un grand nombre d'opposants aux réformes de Nikon furent au courant de cette circonstance, mais leurs objections furent ignorées.

La correction indélicate des livres ecclésiastiques réalisée par Nikon fut à cause de son caractère omniprésent un défi à tout le patrimoine religieux des Russes et le moyen le plus sûr de provoquer une protestation générale : du côté de l'épiscopat, du clergé des paroisses et des monastères et des laïques, nobles comme roturiers. L'activité de la poignée de chefs du Raskol ne fut que la manifestation extrême du mécontentement général[2].

Opposition des moines du monastère de Solovetski aux réformes de 1666 (tableau de Miloradovitch, 1851-1943)

Nikon convoque deux conciles à Moscou. Au second, pour en agrandir l'autorité, il invite deux chefs d'Églises orientales : les patriarches d'Alexandrie et d'Antioche, munis des pleins pouvoirs de la part des patriarches de Constantinople et de Jérusalem. Au concile de 1666-1667, l'opinion des adeptes des réformes, selon laquelle le vieux rite russe était plutôt hétérodoxe et même hérétique, servit à ratifier les nouveaux livres et rites tandis que les vieux furent anathématisés de même que leurs adeptes. Au fond, les décisions de ce concile jetèrent le blâme sur le passé de l'Église russe. On démentit la théorie de Moscou comme « troisième Rome » : il s'avéra que la Russie, loin d'être gardienne de l'orthodoxie, n'était qu'un amoncellement d'erreurs liturgiques grossières. Pour les opposants aux réformes, la signification même de l'histoire russe en fut annulée.

Nouveaux textes et rites

Icône de Christ le Tout-Puissant datant du VIe siècle (au monastère de sainte Catherine, au désert de Sinaï, Égypte). Celui-ci est représenté bénissant. C'est le même signe de croix que font les vieux-croyants.

Les réformes concernèrent les rites aussi bien que les textes. Le signe de croix est fait désormais pas avec deux, mais avec trois doigts. Trois doigts réunis symbolisent la sainte Trinité, deux doigts étendus représentent les deux natures de Christ – divine et humaine. Les opposants du nouveau signe de croix affirmèrent que ce n'était pas la Trinité, mais le Christ qui fut crucifié et que, d’une perspective théologique, un signe de croix avec deux doigts serait plus adéquat. Dans le Credo, le Saint-Esprit « vraie source de vie » devient « source de vie » . Au lieu d’un alléluia binaire, on introduit la triple répétition de l'alléluia; les processions ne se firent plus d'après le cours du soleil pour montrer qu'on va vers le Christ, le soleil du monde, mais dans le sens opposé ; le nom de Jésus, prononcé traditionnellement comme Isous fut transformé en Iisous ; la liturgie fut célébrée avec cinq au lieu de sept hosties, etc.

Jadis, le raskol était assez souvent présenté comme résultant de la foi fanatique et fossilisée des ignorants des rituels ayant causé beaucoup de souffrance. On déclarait que les réformes ne concernaient que des points accessoires et que les vieux-croyants ne savaient pas distinguer l'essentiel du secondaire. Les vieux-croyants tiennent que, dissertant ainsi, on se fie trop à l’axiome que la forme soit toujours subordonnée au contenu.

De quelle foi aux rituels on peut parler ici ? Pour nos ancêtres des rites sont - selon Klioutchevski - l'inscription évidente de la vérité dogmatique… Les doigts sont pliés pour faire le signe de croix et voici le credo entièr, l'exposition réduite d’une confession entière. Et est-ce que l'aspiration à épargner un tel rite-symbole n’est pas naturelle ? On peut craindre que le rite, par l’altération, ne s’ébranle, ne puisse perdre la vérité de la foi habillée en cette enveloppe sacrée[3].

Beaucoup de fidèles crurent qu'avec l’anathématisation des vieux rites et textes la foi eut été touchée dans le fond. Pour les adeptes de la vieille tradition russe, les vérités de croyance, qui à partir des premiers siècles eurent trouvé leur expression dans des rituels, furent insultées. Dans l’optique des vieux-croyants pour la conservation d’un certain « microclimat », dans lequel l'homme peut sauver son âme, il est nécessaire non seulement de suivre les commandements de Christ, mais aussi de garder soigneusement la tradition ecclésiastique qui contient la force et l'expérience spirituelles anciennes ayant pris des formes diverses – extérieures, soit, mais pas accidentelles ou arbitraires.

Aucun peuple chrétien de l'Europe ne possède un sentiment aussi aigu et brûlant du Dieu dans la matière, dans les objets sacrés que les Russes. La séparation vive du pure et d'ignoble, le sacré et le profane dans la piété russe a des précédents seulement en ancien Israël avec son Arche d'Alliance (…). Comme le prototype et l'anticipation de la vie juste le peuple russe aime la vie quotidienne dans un contexte rituel et spirituel, il aime la vie quotidienne domestique aussi bien que publique dans leur aspect ecclésiale. Il aime garder tout, que dans le creuset du culte ecclésiale, qui est plein de grâce, fut transformé de terrestre et périssable en quelque chose de pure et sacrée[4].

Persécutions après le schisme

Un lestovka ou vervitsa est une vieille variante du chapelet, utilisée depuis le schisme seulement par les vieux-croyants

Le tsar et le patriarche, encouragés par quelques patriarches orientaux, jugèrent l’uniformisation de l'Église russe et d'autres Églises orthodoxes nécessaires, et les réformes furent opérées conséquemment. Le clergé dressé contre les réformes fut marginalisé ; beaucoup de prêtres furent bannis. Quelques-uns furent exécutés secrètement, comme l’évêque Paul de Kolomna. L'opposition conservatrice a rejeté ces réformes les qualifiant comme hérétiques. Les opposants les plus radicaux prétendaient qu'avec ces innovations l'Église était saisie par l’Antéchrist. Cet avis s'est répandu surtout parmi les soi-disant « vieux-croyants non presbytériens ». Sous la conduite d'archiprêtre Avvakoum, les adhérents du vieux rite s’opposèrent vivement à la hiérarchie ecclésiastique établie et aux réformes en cours. L'Église d'État laissa arrêter les opposants les plus actifs dont certains furent mis à mort, comme l'archiprêtre Avvakoum en 1682.

Après 1685 commença une période des persécutions qui dura jusqu'en 1905 : des dizaines de milliers de vieux-croyants furent exécutés. Les opposants aux réformes étaient issus de toutes les couches du peuple russe : de la noblesse (comme la boyarine Morozova), des marchands, des artisans, des paysans et des cosaques. Se sauvant des poursuites à grande échelle, beaucoup de vieux-croyants transmigrèrent vers l'est libre, à l’Oural et en Sibérie, où l'influence de l'Église et de l’État était faible ou même absente. Au cours du XVIIe siècle, beaucoup de vieux-croyants s'enfuirent à l’étranger pour échapper aux persécutions. La plupart des émigrés s'installèrent dans des terres de l'Autriche-Hongrie, en Moldavie et Roumanie actuelles, ou encore autour des Limans de la Mer Noire, où leurs descendants, dits Lipovènes, habitent jusqu’à nos jours. En poursuivant les adhérents du vieux rite, l'Église officielle avaient recours au pouvoir d’État, ce qui seulement affermit l’opposition dans ses convictions. Les traditionalistes les plus radicaux se brûlaient collectivement ; encore davantage d'opposants des réformes furent condamnés au bûcher. L'attitude à l'égard des vieux-croyant tantôt s’adoucit, tantôt durcit. Sous le gouvernement de Pierre le Grand les persécutions s’adoucirent, mais les vieux-croyants payaient un impôt supplémentaire sur le port de la barbe. Le tsar Nicolas Ier reprit les poursuites : la législation discriminatoire envers les vieux-croyants fut renforcée et beaucoup d'églises et de maisons d'oraison furent fermées. À l’époque du tsar Nicolas Ier, on éduquait aux séminaires des missionnaires spéciaux afin de discuter avec les vieux-croyants et les persuader de se rallier à l'Église d'État. À partir du milieu du XIXe siècle, ces missionnaires publièrent beaucoup de littérature polémique sur la vieille foi et particulièrement sur les causes du raskol. En ce temps-là, le raskol et les vieux-croyants étaient présentés selon l’optique de l’Église synodale d'État, qui détint le monopole de l'information sur cette question jusqu'en 1905.

Le Raskol… «C’était la dissipation irréparable de l'énergie précieuse nationale, un malheur immense dans la vie de l'Église et du peuple, une nouvelle catastrophe intérieure dans les destins de la Russie sacrée. Il eut brisé l'âme du peuple et eut obscurci la conscience nationale. Les zélateurs de la Russie sacrée l’eurent emporté à la cachette et la clandestinité. Mais les classes officielles, ayant perdu l’instinct religieux, eurent imperceptiblement succombé aux sortilèges d’une nouvelle culture: le culture laïque occidentale sécularisée. Le schisme religieux eut entraîné le schisme de la conscience nationale, la catastrophe eut doublé et se fut compliquée. Deux Russies apparurent : l’une populaire, avec l'image de la Russie sacrée dans l'esprit et le cœur, l’autre gouvernementale, cultivée, souvent pas typiquement nationale. Cette catastrophe double eut pris au dépourvu la Russie sacrée, non préparée, comme la première catastrophe de l'invasion latine. Maintenant arriva un ennemi ou concurrent beaucoup plus puissant. C'est la sécularisation mondiale de la culture européenne ; le remplacement de la théocratie par l’anthropocratie, l’autorité du Dieu par celle de l’homme; le christianisme par l'humanisme, le droit Divin par le droit de l’homme, l’absolu par le relatif; le retrait des interdictions des idées et la volonté. Le but de la Russie sacrée fut le ciel, ici c’est la terre. Là le législateur fut le Dieu par l'Église, ici l’homme autonome par le pouvoir d'État armé de l'instruction scientifique… Pierre le Grand eut opposé à la thèse de la Russie sacrée l'antithèse de l'État laïque et de la culture laïque[5].

Vladimir Riabouchinski, un industriel vieux-croyant.

En 1905 le tsar Nicolas II signa une loi qui garantissait certaines libertés aux groupements religieux dans l’Empire russe. Grâce à cette loi, les vieux-croyants obtinrent le droit de faire des processions, sonner les cloches, organiser des communautés religieuses et bâtir des églises. Le tsar interdit de dénommer les vieux-croyants « raskolniki » (schismatiques). On appelle la période de 1905 jusqu'en 1917 « l’âge d’or de la vieille croyance ». En ce temps-là, l’Église des vieux-croyants presbytériens avait plus de cinq millions de membres, vingt diocèses et plus de deux mille paroisses. Au cours de ces douze ans, on bâtit plus de mille églises vieilles-croyantes. Quelques nouvelles églises à Moscou eurent des iconostases argentés avec des icônes de Novgorod des XIIIeXIVe siècles, données par des mécènes industriels vieux-croyants. Une bonne partie du capital industriel en Russie était à l'époque concentrée entre les mains des vieux-croyants, dont des entrepreneurs aussi connus que Morozov, Rakhmanov, Mamontov, Riabouchinski et Soldationkov[6].

On ouvrit des écoles pour les vieux-croyants où des prêtres faisaient le catéchisme aux enfants. Un institut théologique fut créé et les vieux-croyants purent librement publier des livres. Pourtant, nombre de restrictions légales restèrent en vigueur : il était toujours interdit aux vieux-croyants d’occuper des fonctions publiques et les professeurs vieux-croyants ne pouvaient pas travailler dans les écoles d'État. Pourtant, l'influence des vieux-croyants sur la société russe devint plus importante. Plus de gens se familiarisèrent avec la vieille foi, jusqu’alors pratiquement inconnue. Dans les journaux vieux-croyants, il y avait des rubriques fixes sous lesquelles on débattait des problèmes actuels dans les domaines théologique, philosophique, culturel et scientifique. Les vieux-croyants tenaient à faire partie de la société russe et à y apporter leur propre contribution. Cet « âge d’or » ne dura que douze ans, jusqu’en 1917.

Divisions parmi les vieux-croyants

Malgré les persécutions, il y avait encore assez de prêtres de la vieille ordination, quelque temps après le schisme. Puisqu'aucun évêque, sauf Paul de Kolomna, n'était resté ouvertement fidèle aux vieux livres et rites, il devint évident qu’avant peu il ne resterait aucun prêtre vieux-croyant. Deux courants surgirent pour sortir de ce dilemme : les vieux-croyants presbytériens (russe : popovtsy) et non presbytériens (russe : biezpopovtsy (sans prêtres).

Vieux-croyants presbytériens

Prêtres vieux-croyants dans le village de Liakhovo, près de Gouslitsa en Russie, mai 2008

Les vieux-croyants presbytériens représentaient l’opposition modérée et conservative et aspiraient à la continuation aussi complète que possible de la tradition ecclésiastique antérieure aux réformes. Ils acceptaient les prêtres de l'Église d'État qui abjuraient les réformes de Nikon et se joignaient aux vieux-croyants. En 1846, au cours de nouvelles persécutions sous le gouvernement du tsar Nicolas Ier, les vieux-croyants presbytériens trouvèrent un évêque grec, Ambroise, qui se rallia à la vieille foi. Ainsi on réussit à restaurer la hiérarchie avec des diacres, des prêtres et des évêques. Ce courant s'appela « la hiérarchie de Belaïa Krinitsa » (à présent Église orthodoxe vieille-ritualiste russe) du nom du monastère de Belaïa Krinitsa (alors en Autriche-Hongrie, maintenant en Ukraine). Cette Église consiste en deux Églises autocéphales sœurs, dirigée chacune par un métropolitain siégeant à Braǐla - l'Église orthodoxe vieille-ritualiste lipovène – en (Roumanie) et, depuis 1988, à Moscou. En 2000, cette église avait environ 900 000 membres étant la plus grande dénomination vieux-croyante. Quelques vieux-croyants presbytériens n'ayant pas accepté la hiérarchie de Belaïa Krinitsa (au dire des vieux-croyants non sans intrigues du côté de l'Église russe d'État qui se dressa violemment contre la naissance d'une hiérarchie vieux-croyante indépendante) continuèrent à avoir recours aux services des prêtres passés aux vieux-croyants. Ils ont été appelés pour cette raison beglopopovtsi (russe : ayant des prêtres évadés). Depuis les années 1920, ce courant presbytérien a sa propre hiérarchie, celle de l'Église vieille-orthodoxe russe, avec son siège principal à Moscou. En ce qui concerne la théologie et la structure ecclésiastique, les vieux-croyants presbytériens ne dévient pas des autres Églises orthodoxes : on garde les mêmes sept conciles œcuméniques, on a les mêmes sept sacrements et la succession apostolique.

Vieux-croyants non presbytériens

Groupe de Lipovènes fillipoviens (1895)

L'opposition radicale se composait des groupements non presbytériens. Ces éléments plus extrémistes, parmi lesquels les sentiments eschatologiques et anticléricaux étaient répandus antérieurement aux réformes, croyaient que la vraie Église orthodoxe n’existait plus sur terre à cause de l’Antéchrist, à savoir le patriarche Nikon (plus tard aussi : Pierre le Grand). Ils prétendaient qu'avec l’Église tous les sacrements avaient cessé d'exister, eux aussi. C'étaient notamment les adeptes de ces courants radicaux, convaincus que la fin des temps était arrivée, qui se livraient au feu. Ils affirmaient que quiconque n'adhérait pas à leur doctrine, ne priait pas Dieu mais l'Antéchrist ; donc les vieux-croyants non presbytériens s'en tiennent aux doctrines radicales n’ayant rien à voir avec l’Église orthodoxe. Les non presbytériens se sont dissous, formant des courants et des sectes innombrables, dont la plupart a disparu depuis longtemps. Les courants non presbytériens les plus importants sont les « Pomors », les « Théodosiens », les « Filippoviens » et la communauté des « Tchassovennyïe ». Ils s’assemblent dans des maisons d'oraison et des sacrements il ne reste que le baptême et la confession.

Coreligionnaires (Iedinovertsy)

À partir de 1801, quelques communautés vieilles-ritualistes se sont placées sous la juridiction de l'Église orthodoxe russe, tout en gardant les rites anciens. Ces communautés sont appelées « coreligionnaires » et normalement ne sont pas regardés comme des Vieux-croyants proprement dits. Aux États-Unis, plusieurs paroisses orthodoxes vieilles-ritualistes russes sont rattachées à l'Église orthodoxe russe hors frontières. Un évêque leur est consacré. Il porte le titre d'Évêque d'Érié, Pennsylvanie, Défenseur du Vieux rite.

Études scientifiques

Le métropolite Ambroise (1791-1863)

Dans les cercles académiques, jusqu'au milieu du XIXe siècle, domina l'opinion que le rite russe ancien avait été corrompu par des erreurs des copistes incompétents et que les réformes du patriarche Nikon, pour cette raison, étaient absolument légitimes. Plus tard divers savants – historiens ecclésiastiques, byzantinologes, liturgistes et notamment théologiens – entreprirent des recherches sur les causes du schisme. Leurs investigations, utilisant les sources se trouvant dans les archives, ont démontré la fausseté de la théorie de la corruption de la vieille tradition russe orthodoxe (leurs constatations sont présentées ci-dessus au chapitre Les Règles de Stoudios et de Jérusalem). Parmi ces chercheurs étaient, entre autres, les professeurs A.A. Dmitrievski, N.F. Kapterev, A.V. Kartachov et l'historien ecclésiastique renommé E.E. Goloubinski; tous membres de l’Académie des sciences de Russie; Goloubinski et Kapterev furent professeurs à l’Académie ecclésiastique de Moscou de l’Église d'État. Ces savants ont montré que les anciens textes, ainsi que les anciens rites, remontent aux très vieilles sources gréco-byzantines. Les conclusions mentionnées ci-dessus ont fait sensation dans les cercles académiques. Elles furent toutefois contestées par les conservateurs laïcs, dont C.P. Pobiedonostsev, procureur-général du Saint Synode, et le haut clergé de l’Église d'État; beaucoup de publications sur ce sujet furent censurées ou interdites jusqu'en 1905.

Toute l’histoire officielle-séminaire du raskol des vieux-croyants et des accusations à propos de ce schisme imaginaire est un mensonge total, sauf quelques exceptions minimes. La position ordinaire officielle de nos théologiens sur ce schisme fut que le Raskol est un produit de notre bêtise nationale et un manque d'instruction. (…) Au fond, la lutte par le gouvernement avec les vieux-croyants fut la lutte avec les libertés civiles; mais les missionnaires la réduiront habilement aux discussions seulement sur l'alléluia, sur le signe de croix, sur les inclinations; ils triomphèrent sur ses adversaires seulement par la voie de la calomnie sur eux. Des documents historiques originaux sur les vieux-croyants eurent ouvert par professeur N.F. Kapterev et en 1889 il commença à les publier, mais la publication fut interdite par Pobiedonostsev, et ils ne parurent qu’en 1911. (…)[7].

Situation actuelle

Boris et Gleb, les premiers saints russes. Icône du XIVe siècle de l'école de Moscou. Les vieux-croyants ne reconnaissent que les saints canonisés antérieurement au schisme de 1666-67. Ils ont aussi leur propres saints du temps plus tardif.

Le schisme dans l'Église russe existe jusqu'à présent. Les vieux-croyants n'ont pas moins souffert des bolcheviks et de leur politique anti-religieuse et anti-ecclésiastique militante que les autres Églises et communautés religieuses de l'Union soviétique. Dans les années 1920 et 1930, des confiscations, arrestations, fausses accusations, exécutions et la détention dans des camps de concentration devinrent un phénomène général. En Russie, après la Révolution et en particulier après l'introduction de l’économie planifiée et la collectivisation de l'agriculture, peu a survécu des vieux-croyants et de leur héritage. Ce qui avait pu se développer sous le régime de tsars, malgré l'oppression, fut sans défense contre l'anéantissement de la culture russe sous le gouvernement soviétique. Non seulement des milliers d'églises et de maisons de prières furent ravagées, mais des éléments sociaux traditionnellement vieux-croyants par excellence furent complètement détruits pendant les soixante-dix ans du régime soviétique. Avant la Révolution, il y avait environ quinze millions de vieux-croyants en Russie, en 2000 leur nombre est d'environ un million. En 1971, l'Église russe orthodoxe du patriarcat de Moscou révoqua l’anathème sur les vieux rites et livres et déclara qu'ils sont salutaires d'une manière équivalente. Cela n'a pas conduit au rapprochement substantiel des orthodoxes « nouveau-ritualistes » et les vieux-croyants, parce que pour les vieux-croyants la position d'équivalence des vieux et des nouveaux rites et textes est inacceptable. Dans l'Église russe orthodoxe, l'attitude aux vieux-croyants reste ambivalente : il y a ceux qui apprécient les vieux-croyants et ceux qui leur reprochent l'insoumission aux décisions de la hiérarchie ecclésiastique à cause d'une telle divergence « mineure » comme des changements des textes et des rites. Depuis le début du XXIe siècle, les deux confessions poursuivent toutefois le dialogue.

Références

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  2. Kartachev A.V. «Essai sur l'histoire de l'Église russe». 2 livre, Moscou, 1991 (Paris 1959)
  3. Évêque Mikhaïl (Semionov), « Apologie de la vieille croyance », journal "Tserkov", Moscou, 2002, 4-5, page 19 (caractères gras de l’auteur); (V.O. Klioutchevski (1841 - 1911) : historien russe)
  4. Kartachev A.V. « Le sense de la vieille croyance », Paris 1924; on cite du journal « Tserkov » Moscou, 1992-2, page 18
  5. Kartachev A.V. « « La Russie sacrée » dans les destinées de Russie » , Cours pour la connaissance avec la Russie, Paris 1938 // Essai sur la Russie sacrée, Moscou 1991 (Paris 1956)
  6. Kirillov I.A. « La vérité de la vieille croyance », Barnaoul, 2008, page 376. ISBN 978-5-901605-07-3
  7. Andreï Oukhtomski « Lettres sur la Vieille croyance » (1923-1925), on cite « Apologie du vieux croyance » rédacteur B.P. Koutouzov, Мoscou 2006, Distanciation : la vieille croyance par les yeux des non-vieux-croyants. Pages 64, 65

Bibliographie

Icône de vieux-croyants représentant le Jugement dernier (XIXe siècle)
En français
  • Le seul ouvrage en français intégralement consacré au Raskol est la monumentale thèse de Pierre Pascal, Avvakum et les débuts du Raskol, EPHE, Mouton & Co, 1963.
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En anglais
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  • Кутузов Б.П. Церковная «реформа» XVII века, Москва, 2003 / Koutouzov B.P. La réforme de l'Église au XVIIe siècle, Moscou, 2003
  • Молитвенник. Издание старообрядческой архиепископии, Москва, 1985 / Livre de prières, éditions de l'archevêché vieux-ritualiste, Moscou, 1985.
  • Старообрядческий церковный календарь. Издание старообрядческой митрополии, Москва, 1992 / Calendrier vieux-ritualiste, éditions de l'archevêché vieux-ritualiste, Moscou, 1992.

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