Arbalète (arme)

Arbalète (arme)
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Dessin de Leonard de Vinci, aux alentours de 1500.

L'arbalète (du latin arcuballista) est une arme de jet.

Sommaire

Généralités et principes mécaniques

L'arbalète

La confection du projectile est simplifiée, sa fabrication est beaucoup moins coûteuse et il est plus facile de disposer de séries de projectiles identiques, ayant les mêmes caractéristiques balistiques. L'arbalétrier est moins encombré, les projectiles pouvant même être stockés dans l'arme, au-dessus de la corde, dans une sorte de chargeur (comme dans l'arbalète à répétition chinoise).

  • On peut bloquer la corde en position « armée » avec un dispositif mécanique, qu'on libère ensuite d'une faible pression. Ainsi, maintenir l'arme bandée ne requiert aucun effort, ce qui permet de séparer le mouvement d'armer et celui de tirer.
  • Au lieu de bander avec un seul bras, comme avec un arc, on peut utiliser divers dispositifs multiplicateurs (levier, crémaillère, etc.), utiliser les deux bras ou même la force de plusieurs hommes, et adopter des arcs beaucoup plus raides (i.e. qui offrent une force beaucoup plus importante pour un déplacement donné). Une telle arbalète sera beaucoup plus puissante, son projectile aura une plus grande portée, précision et force d'impact. En contrepartie, le tir sera beaucoup plus lent qu'avec un arc ; l'engin est parfois même trop encombrant pour un homme seul, en faisant une arme de siège ou une arme navale de peu d'utilité sur un champ de bataille terrestre.
  • La force de l'arme est fixée par le point d'ancrage, contrairement à celle d'un arc qui varie selon que l'archer tire plus ou moins sur la corde. On peut viser sans fatigue, ce qui améliore la précision (très utile à la chasse, parfois utile à la guerre). Utiliser une arbalète est beaucoup plus facile qu'utiliser un arc, ce qui simplifie l'entraînement militaire.

En contrepartie, la fabrication d'une arbalète est généralement plus compliquée et plus coûteuse que celle d'un arc, bien qu'inversement la fabrication d'arbalètes puisse être plus simple que celle d'arcs de qualité militaire (par exemple l'arme composite à double courbure, typique des archers à cheval d'Asie centrale, faite de bois, corne et tendons). La cadence de tir est aussi nettement plus faible puisqu'il faut déchausser l'arme de l'épaule, tirer la corde jusqu'à l'armé, placer une munition, se remettre en position de tir et décocher. Aussi, les très fortes puissances qu'atteignaient les arbalètes à la fin du Moyen Âge impliquaient l'utilisation de systèmes spécifiques (pieds de biche, crics, poulies (« moufle »), crémaillères, etc.) qui augmentaient encore le temps nécessaire au réarmement de l'arme. Néanmoins, il faut faire attention aux clichés comme « au Moyen Âge, un arbalétrier ne tirait que deux carreaux par minutes alors qu'un archer tirait vingt flèches » : jusqu'à 150 livres, parfois plus selon la constitution du tireur, il est possible, sans problèmes, d'armer la corde à la main (et donc sans dispositif de réarmement rapporté à l'arme), si bien que le temps de rechargement, bien que toujours plus long qu'avec un arc, reste tout à fait respectable. Un arbalétrier compétent doté d'une arme de ce type peut sans problème tirer un carreau toutes les cinq ou six secondes. Dans le cas des arbalètes de la fin du Moyen Âge, dont la majorité atteignaient 500 livres et plus et qui, de fait, nécessitaient des appareils spécifiques comme le moufle ou le cric pour les réarmer, en effet, le rechargement peut prendre jusqu'à trente secondes, mais ce n'est pas une généralité et cette vérité reste toute relative.

Le carreau

Carreau d'arbalète du XIVe siècle.

La mécanique du carreau de l'arbalète est essentiellement celle d'une flèche, avec quelques différence mineures en termes de principe, mais significatives sur le comportement balistique : une flèche se tord sous la pression de la corde, le carreau d'arbalète est suffisamment court et rigide pour ne pas avoir ce problème.

  • Le carreau d'arbalète est intermédiaire entre la flèche (il est plus court et plus rapide) et la balle des armes à feu (il est beaucoup plus gros, plus lourd, et plus lent).

Éléments historiques

Arbalète médiévale suisse.

En Occident, le gastrophète est l'ancêtre de l'arbalète : mais ce n'était alors qu'une arme de siège, dont le poids élevé permet de douter d'une utilisation réelle sur un champs de bataille en dehors d'un contexte de siège. Contrairement au gastrophète, l'arbalète dispose d'un système avec une détente.

Sous l'Antiquité romaine, la manubaliste est héritée du modèle des oxybèles grecs, il s'agit donc d'une arbalète à torsion. Ce modèle aurait subsisté jusqu'au Xe siècle. Le principe repose sur deux ressorts de crins ou de tendons de chaque côté du fût de l'arme, qui se tendent quand on ramène les deux branches en arrière.

Au Moyen Âge, l'arbalète est utilisée autant comme arme de chasse que pour la guerre. Méprisée par la chevalerie, elle est vue comme arme déloyale car, tuant à distance, elle ne permet pas à l'adversaire de se défendre. Ainsi, considérant que l’arbalète, qui n’exige pas une grande formation, permet à des soldats peu aguerris de tuer de loin un chevalier en armure qui a voué son existence au métier de la guerre, le clergé estime que c'est une arme immorale pour le peu de courage et de formation qu’elle exige de celui qui la manie. « Les Français la regardaient comme l'arme des lâches et refusaient de s'en servir. Avec cette arme perfide, disaient-ils, un poltron peut tuer sans risque le plus vaillant homme[1]. »

L'arbalète est frappée d'anathème et son usage est interdit en 1139 par le IIe concile du Latran et confirmée quelques années plus tard, en 1143, par le pape Innocent II, qui menaça les arbalétriers, les fabricants de cette arme et ceux qui en faisaient le commerce d'excommunication et d'anathème. Cette interdiction, par ailleurs valable uniquement pour les combats entre chrétiens, restera médiocrement observée par les princes d'Occident, malgré les efforts du pape Innocent III pour réaffirmer, en 1205, les interdits du concile du Latran II. Au XIIIe siècle, malgré l'interdiction, Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste développèrent des unités spécifiques d'arbalétriers, bien entraînées et équipées. L’efficacité de ces armes faisait de ceux qui les maniaient des soldats d'élite, très prisés, et très bien payés, ce qui leur permettait l'achat d'équipements de qualité. Les indications de l'époque font état des arbalétriers comme les troupes les mieux payées des armées occidentales, et parfois même mieux équipées que certaines classes de chevaliers. Cette arme fut aussi utilisée par les peuples orientaux durant les croisades, dans une forme similaire au modèle occidental, mais avec quelques subtilités de forme. Il existait aussi un modèle, peut-être expérimental, d'arbalète portative lance-grenades.

Durant les guerres de la fin du Moyen Âge, la France fait souvent appel à des mercenaires arbalétriers étrangers (notamment italiens, et en particulier génois), dont le tir pouvait percer une armure jusqu'à une distance de 90 à 100 mètres.

Une des victimes les plus célèbres fut Richard Cœur de Lion qui mourut de la blessure infligée par un carreau d'arbalète en 1199.

Les progrès de la sidérurgie augmentent parallèlement la robustesse des armures et la puissance de l'arbalète avec la création de l'arc en acier, au début du XIVe siècle, qui remplace petit à petit, les arcs en bois et les arcs composites (lamellé-collé : bois + tendons + corne, le tout encollé). On invente aussi un mécanisme complexe et coûteux, avec temps de rechargement de plus en plus long de 2 à 3 minutes (jusqu'à 30 minutes pour les modèles les plus puissants) comme le cric ou le treuil (appelé aussi le « moufle ») pour tendre l'arbalète. Les Italiens se distinguèrent dans la fabrication d'arbalètes particulièrement efficaces : un trait pouvait atteindre jusqu'à 350 km/h ! Cependant, à raison de deux coups par heure, elle fut peu utilisée sur les champs de bataille.

Le cric d'arbalète est connu de nos jours, de façon erronée, sous le nom de « cranequin ». À l'origine, ce mot désignait l'arbalète et non le mécanisme destiné à la tendre mais l'erreur a perduré. Les cranequiniers étaient les utilisateurs (à pied ou à cheval) de ce type d'arbalète.

Les arbalètes, comme les arcs, ont pratiquement disparu lorsque les armes à feu, plus facile d'emploi, demandant moins d'entraînement, et aussi beaucoup moins chères, devinrent l'équipement de base du fantassin. Des utilisations marginales restent néanmoins attestées jusqu'à des époques très récentes.

Un témoignage historique

L'arme décrite par l'historienne byzantine Anne Comnène (1083-1148)

« La tsangra (arbalète en grec) est un arc barbare (étranger), absolument inconnu des Grecs (Byzantins). Il ne se tend pas (l'arc), […] celui qui tend cet instrument de guerre, particulièrement puissant, doit se tenir pour ainsi dire à la renverse et appuyer fortement les deux pieds sur les demi-cercles de l'arc, tandis que des deux mains, il tire à soi la corde avec grand effort. En son milieu se trouve une rainure semi-cylindrique qui touche à la corde elle-même, elle est un peu près de la dimension d'un trait de grande longueur et va de la corde jusqu'au milieu de l'arc (arbalète) : c'est par là que sont lancés des traits de toute sorte. Aussi bien, les traits qu'on y place, sont-ils très courts, mais très gros et munis au bout d'une redoutable armature de fer. Du fait de la projection, rendue violente par la corde et par toute la force déployée, les traits ne rebondissent pas en arrière de l'endroit où ils sont venus frapper […] mais traversent un bouclier, perforent une cuirasse de fer épais, et poursuivent leur vol de l'autre côté.
C'est à ce point qu'est violente et irrésistible la force de tels traits.
Ce trait a déjà transpercé une statue de bronze : venant à frapper le rempart d'une grande ville, ou bien il a disparu enfoncé dans l'épaisseur du mur.
Telle est l'action de la tsangra, action réellement diabolique ; celui qui est atteint par l'un de ces coups est bien malheureux, car il meurt subitement sans même sentir le coup, tant il est violent[2]. »

Arbalètes inventoriées

Gastrophète grecque

En France, sept arbalètes ont été répertoriées par l'Inventaire général du patrimoine culturel :

L'arbalète moderne

Arbalète moderne de compétition.

Les arbalètes modernes ont profité des progrès des arcs modernes : matériaux composites, arcs à poulie. À titre d'illustration, voici les caractéristiques techniques d'une arbalète de chasse moderne :

  • Puissance : 150 livres (i.e. la force exercée pour maintenir l'arme bandée, qui est aussi celle qui sera appliquée au projectile, correspond à celle d'un poids d'environ 75 kg, soit 700 newtons ; la dénomination « puissance » et sa mesure en « livres » sont traditionnelles en archerie, bien qu'il s'agisse d'une force et non d'une puissance)
  • Vitesse initiale : 102 m/s (env. 350 km/h)

Certaines arbalètes modernes ont des particularités qu'on ne trouvait pas ou peu au Moyen Âge mais qui existaient déjà, pour certaines, durant l'Antiquité. On a trouvé notamment le principe de « l'articulation sur ressorts » : au lieu d'un arc flexible dont l'élasticité permet d'emmagasiner l'énergie qui propulsera la munition, ce sont des ressorts qui joueront ce rôle, l'arc (rigide, donc) n'ayant plus comme utilité que d'offrir un bras de levier pour tendre ces ressorts et un support pour placer la corde. On trouvait déjà ce principe durant l'antiquité, notamment sur le « scorpion », grosse arbalète montée sur affût utilisée principalement par l'armée romaine. On notera aussi des systèmes de réarmement rapide de la corde comme sur le modèle « commando » de la marque Barnett, où l'arbrier se « casse » en deux niveaux d'une bascule (à la manière des fusils de chasse), ce qui a pour effet de tirer vers l'arrière des crocs qui emportent avec eux la corde. Lorsque le mouvement inverse est opéré (on « referme » l'arbrier), la corde reste en arrière, maintenue par la noix (ou la pièce du mécanisme équivalente), tandis que les crocs repartent en avant de l'arbrier pour laisser la corde suivre sa course naturelle durant le tir. L'adjonction d'un système de poulies, d'un palan ou d'un quelconque système de démultiplication des forces permettra par ailleurs de diminuer l'effort que doit offrir le tireur pour réarmer son arbalète par rapport à un système de réarmement classique.

Usages

  • L'arbalète est encore utilisée comme arme, dans des sociétés de tir d'agrément (Nord de la France, Belgique, Pays-Bas...). Cependant, contrairement à l'arc, le tir à l'arbalète n'est pas un sport olympique. On distingue alors deux disciplines :
    • l'arbalète Match (tir à 10 mètres et 30 mètres)[8] ;
    • l'arbalète Field (tir à 10, 18, 35, 50 et 65 mètres)[9].
  • La chasse à l'arbalète est techniquement possible, mais parfois interdite (notamment en France)[10], car une arbalète est puissante, silencieuse et compacte ; ainsi, pouvant facilement être utilisée de l'intérieur d'un véhicule, c'est une arme idéale pour le braconnage.
  • De plus, dans des circonstances où la discrétion prime sur la portée et la puissance de l'arme (arme particulièrement adaptée aux combats en forêt), elle peut faire partie de la panoplie des corps militaires d'élite. Ainsi, certaines armées actuelles utilisent encore l'arbalète dans les unités commandos pour éliminer discrètement les sentinelles ennemies, pratique adoptée par les commandos français.
  • L'arbalète a aussi quelques usages pratique en construction, pour le lancement, dans certains cas particuliers, de la cordelette légère qui servira à tirer des câbles (arbalète ou fusil lance-amarre).
  • Certains artistes de cirque ou de music-hall utilisent l'arbalète, dans une version plus complexe des numéros de lanceurs de poignards.
  • L'arbalète désigne aussi l'arme employée en chasse sous-marine où la propulsion de la flèche est assurée par des élastiques puissants appelés « sandows ».

Hors d'Occident : au Japon

Arbalète à répétition à la fin du XVIe siècle.

Selon Thomas Louis et Tommy Ito, l'arbalète à flèche est apparue au Japon au VIIe siècle, équipant, pour l'essentiel, l'infanterie. Au cours du XVIe siècle, elle aurait été l'arme exclusive de certaines unités d'archers.
Elle fut utilisée sur les champs de bataille autant sous sa forme portative qu'en tant qu'arbalète de siège projetant des pierres (oyumi). Cette dernière disparut au début du XIIe siècle[11].

Notes et références

Notes

  1. Pierre Jean-Baptiste Legrand d'Aussy
  2. Anne Comnène, Alexiade, X, VIII, 6, Les Belles Lettres, Paris, 2006.
  3. Notice no IM67002675, sur la base Palissy, ministère de la Culture
  4. Notice no IM67002676, sur la base Palissy, ministère de la Culture
  5. Notice no IM67002677, sur la base Palissy, ministère de la Culture
  6. Notice no IM68003092, sur la base Palissy, ministère de la Culture
  7. Notice no IM47000977, sur la base Palissy, ministère de la Culture
  8. (de) Site winzeler.ch
  9. (fr) Site pirineos.fr
  10. Le nouveau régime des armes et la chasse sur le site de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. L'arbalète est classée en 6e catégorie et est interdite formellement à la chasse par arrêté ministériel en date du 15 février 1995 (Journal officiel du 7 mai 1995) modifiant l'arrêté ministériel du 1er août 1986
  11. Les Samouraïs, le code du guerrier, Rome, Gremese, 2008

Liens connexes

Sur les autres projets Wikimedia :

  • La légende de Guillaume Tell, relatant l'utilisation d'une arbalète
  • Chu ko nu, l'arbalète à répétition inventée par les Chinois

Wikimedia Foundation. 2010.

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