Mythes Et Mythologies Politiques

Mythes Et Mythologies Politiques

Mythes et mythologies politiques

Mythes et mythologies politiques
Auteur Raoul Girardet
Genre Histoire
Pays d'origine France France
Éditeur Le Seuil
Collection LUnivers historique
Date de parution 1986
Nombre de pages 210
ISBN 2-02-009348-0

Mythes et mythologies politiques est un ouvrage de lhistorien français Raoul Girardet paru en 1986.

Sommaire

Méthodologie

Les travaux concernant lhistoire des idées politiques se consacrent presque exclusivement aux systèmes de pensées rationnels (par exemple Montesquieu, Marx). Par cette étude, Raoul Girardet a souhaité restaurer la place occupée par limaginaire dans lhistoire des idées politiques, car lui seul explique parfois la puissante attirance quont exercée les systèmes rationnels. Cependant ce travail nest pas allé sans difficultés. Il fallait dabord définir le mytheà la fois explication, fabulation, facteur de mobilisation, mais aussi mode particulier de discours, semblable au rêvepuis une méthode de travail. Enfin, il fallait tenir compte des risques dune telle entreprise, notamment le risque de simplification : en soulignant les analogies structurelles, on peut en arriver à effacer toutes les différences qui distinguent les idéologies.

Cependant, une fois ces difficultés et ces risques pris en compte, létude peut être menée, et Girardet lorganise autour de quatre thèmesla conspiration, le sauveur, lâge dor, lunitéqui sont, au fond, quatre exemples tendant à démontrer limportance fondamentale de limaginaire, du mythe, dans lévolution des idées politiques et de la société.

Ces quatre démonstrations tendent aussi à expliquer, de manière générale, comment naissent les mythes politiques. Ceux-ci apparaissent dans les périodes critiques, dans les moments de crise didentité, de malaise lié aux mutations de la société et du mode de vie. La naissance du mythe peut donc être interprétée ainsi comme le signe dun dérèglement de la société : en effet, en temps normal, les cérémonies et autres fêtes collectives suffisent à satisfaire limaginaire. Cest lorsque les tensions internes croissent que le mythe devient nécessaire, limaginaire réagissant contre des changements et un désenchantement (au sens wéberien) quil ressent comme une agression.

Les quatre mythes étudiés

Dans son introduction, R. Girardet définit sa méthode de travail, qui consiste dabord à définir les contours de la « constellation » mythologique, puis à en dégager les structures fondamentales, avant davancer des explications et des interprétations. Il présente dans louvrage quatre mythes politiques.

La conspiration

Pour définir les contours de cette « constellation », lauteur fait appel à trois récits, qui symbolisent les trois composantes dun même mythe. Le premier récit est le Discours du rabbin, document qui inspirera les Protocoles des Sages de Sion, et qui entretient lidée dune conspiration juive. Le second est un extrait du Juif errant, dEugène Sue, qui met en avant un complot jésuite. Le dernier récit est issu de Joseph Balsamo, dAlexandre Dumas, et représente la conspiration maçonnique.

Pour ces trois aspects du complot, on trouve des structures et des thèmes communs. Quil sagisse des Juifs, de la Société de Jésus, ou des francs-maçons, lidée dune organisation pyramidale, dirigée par une autorité anonyme, et dans laquelle lindividu est happé, est toujours présente. Le caractère universel de lorganisation constitue un danger pour la patrie, les conspirateurs apparaissant comme des éléments exogènes et non identifiés, exclus du corps social. Lorganisation sentoure du plus grand secret, ce qui se traduit sur le plan de limagerie par des rencontres nocturnes, dans des lieux sombres (souterrains, caves), entre des individus masqués et vêtus de noir. Lobjectif du complot est la domination du monde, la volonté de puissance des conspirateurs nayant dautres limites que lunivers lui-même. À cette fin, sont utilisés lespionnage mutuel, la trahison, et surtout la manipulation. Celle-ci consiste avant tout à susciter la désagrégation morale des êtres, la perversion de lenfance, par le biais de la femme, manipulée et destructrice. Il sagit donc dune volonté de contrôle totale, insidieuse, quon retrouve en examinant le bestiaire lié au mythe de la conspiration. Les comploteurs sincarnent dans des bêtes rampantes et visqueuses : serpent, pieuvre qui enveloppe la terre de ses tentacules, araignée, mais aussi sangsues. Au visqueux sajoute le thème du vampire, qui aspire à la fois le sang, les richesses et lâme, pour laisser des hommes et des pays exsangues. Enfin, pour lutter contre le complot, la seule arme semble être le feu, purificateur, rédempteur.

Tels sont les éléments structurants et les thèmes récurrents du mythe de la conspiration. Ceci défini, on peut avancer quelques explications. Si le thème du complot resurgit parfois avec tant de force, cest quil est quelquefois instrumentalisé : ainsi la conspiration jésuite réapparaît lors de toutes les grandes luttes laïques. Souvent le mythe a également des fondements factuels réels : les francs-maçons existent bel et bien. Néanmoins, si la réalité historique peut constituer un point de départ, elle nexplique pas la formidable distorsion qui existe entre la réalité et sa relecture par le mythe. Au fond, le thème du complot pourrait être considéré comme une réaction paranoïaque de la société, qui se sent menacée par les bouleversements de la modernité naissante ; le thème du complot a eu une virulence particulière au tournant du siècle. Le mythe de la conspiration est également le corollaire de la « recherche dune église », dune communauté de bien. Le complot est donc la « projection négative daspirations tacites, lexpression inversée de souhaits plus ou moins inconscients, mais toujours inassouvis. »

Le sauveur

Pour esquisser les limites de ce mythe, Girardet prend deux exemples, lun réel et lautre imaginaire. Le premier est celui dAntoine Pinay, « héros de la normalité », attaché à tout un ensemble de valeurs sociales, et appelé pour rétablir la stabilité. Le second est Tête dor de Claudel, héros de lexception, qui refuse au contraire les normes et les valeurs sociales, et amène le bouleversement et la gloire avant de chuter. Malgré leurs différences, il sagit de deux sauveurs dans lesquels sincarne un destin collectif.

La « constellation » du sauveur se structure cette fois autour de quatre types.

  • On trouve dabord le modèle de Cincinnatus, cest-à-dire celui du vieil homme expérimenté, qui, après avoir autrefois rendu service à la nation, sest retiré, et quon rappelle pour faire face à un nouveau danger. Cest un appel du présent au passé, mu par un désir de permanence et de protection. Philippe Pétain, par exemple, correspond à ce modèle.
  • On trouve ensuite le modèle dAlexandre le Grand, dont la légitimité est ancrée dans le présent immédiat, et qui connaît le temps dun éclair une gloire étincelante avant dêtre foudroyé. Ce modèle sincarne en Napoléon, et lon y retrouve aussi Tête dor.
  • Le troisième type est celui de Solon, cest-à-dire du père fondateur, dont la sagesse fait la légitimité.
  • Le dernier type est celui de Moïse, le prophète, le guide, tel Napoléon prophétisant la libération des peuples à Sainte-Hélène, ou De Gaule en 58.

Si ces quatre modèles forment des types distincts, ils permettent aussi de relever des permanences, des structures parallèles. Ainsi le « processus dhéroïsation » se découpe-t-il toujours en trois phases : lappel, lavènement, puis les relectures postérieures de laction du sauveur. De même, on peut dégager des constantes dans limagerie. Pour représenter le sauveur, on choisit des images faisant appel à la lumière et / ou à la verticalité : chêne, phare, flambeau, etc. Le thème majeur est donc celui du guide et du protecteur auquel on sidentifie, notamment par lintermédiaire du Verbe.

Les facteurs explicatifs qui justifient le passage de la réalité au mythe sont nombreux. Ce qui crée le mythe, cest dabord le besoin dun « révélateur idéologique » : le héros se trouve chargé dun certain nombre de valeurs qui lui donnent un poids nouveau, excédant son poids réel. Pour quil y ait mutation de la réalité au mythe, il faut aussi que le sauveur soit conforme aux « modèles dautorité » du pays dans lequel il intervient : ainsi Pétain avait-il lautorité morale dun instituteur, et les grades dun militaire. Lapparition du sauveur est donc conditionnée par les attentes historiques et sociales dune société donnée. Mais surtout, la création du mythe correspond à une crise de légitimité (lorsque la légitimité des institutions en place nest plus évidente), qui se mue en crise didentité (intériorisation du collectif par lindividu). Sur le plan collectif, lidentité sociale se recompose par ladhésion à quelque choseou quelquun dans le cas du sauveurde neuf, tandis que, sur le plan individuel, la reconquête de soi ne seffectue que dans la soumission à autrui, à un nouveau père. encore, la création du mythe intervient pour répondre à une crise et à une angoisse de la société et de lindividu.

Lâge dor

Le mythe de lâge dor se définit par tout un ensemble dimages un peu nostalgiques. Ce sont « les temps davant », les bons vieux temps vécus ou historiques (la Grèce antique par exemple), qui sopposent à une déchéance caractéristique du temps présent. Cet attachement aux temps anciens se caractérise par le souci de conserver des traces de ces époques (collections, retour cyclique des modes).

Le premier élément structurant du mythe de lâge dor est lattention portée à la « pureté des origines ». Pour ce qui est des courants de pensée, on cherche à retrouver lesprit des pères fondateurs (« premier » socialisme, etc.). Pour ce qui est de la société elle-même cest létat de nature qui est recherché, état de nature à limage dun Éden avant la faute, lorsque ni maladies ni travaux ne venaient entacher la vie de lhomme. Il y a donc une sorte de culte de linnocence, du primitif, du naturel, auquel sajoute le rejet de la culture, considérée comme une dégénérescence, idée entretenue, entre autres, par Rousseau. Le second point de convergence est le culte porté aux grandes époques du passé, telles lAntiquité ou la période médiévale, considérées comme des modèles à la fois sociaux et politiques. Enfin, le dernier élément structurant semble être lattachement lié, cette fois, non à une époque, mais à un modèle social qui est le modèle rural : à la ville corruptrice, sale, délétère, empoisonnée par largent, sopposent les valeurs de la terre (imagerie et thème repris par Pétain), solide et authentique. Il y a une condamnation de la civilisation et du profit que lon retrouve chez des hommes aussi divers que Rousseau, Proudhon, Drumont, ce qui démontre la puissance unificatrice de ce mythe.

Parmi les facteurs explicatifs, on trouve cette fois encore linstrumentalisation politique, plus ou moins consciente. Lattachement à certains éléments du passé détermine une vision correspondante du présent et de lavenir. Ainsi, la mise en valeur du Moyen Âge, au début du XIXe siècle, nest-elle pas sans rapport avec la Restauration. Cependant, comme toujours, les facteurs politico-historiques ne suffisent pas à expliquer la transformation dune réalité en mythe. Cest dans le malaise ressenti face à la société moderne quil faut chercher lorigine de la mythologie de lâge dor. Lavènement dune nouvelle société a occasionné une perte de repères : les noyaux de solidarités communautaires, clos sur eux-mêmes, qui caractérisaient la société rurale, ont été brisés (regret des fêtes de village unificatrices). La crainte liée à la perte de ces refuges, ajoutée aux nostalgies individuelles (souhait du retour à lenfance), vient nourrir le mythe de lâge dor, à chaque fois que les accélérations du progrès viennent menacer les équilibres anciens.

Lunité

Le mythe de lunité se définit par opposition au thème de la pluralité. Le premier pose, comme condition sine qua non du bonheur, lunité et la communauté, lesquelles sincarnent dans les banquets, les fêtes collectives, et aussi des expérimentations sociales comme les phalanstères. Pour les défenseurs de la pluralité (Benjamin Constant, entre autres), cest la liberté individuelle qui prime toutes les autres valeurs. Cest donc dans cette opposition que sest construite la nébuleuse mythologique de lunité.

Le mythe de lunité se structure autour des objectifs que ses défenseurs semblent sêtre fixés. Le premier de ces objectifs semble être la « reconstitution des fondements moraux et religieux de la politique », qui passe par une réunification du temporel et du spirituel, nécessaire pour ressouder la société. Cette unification a des issues fort différentes, selon quelle est orchestrée au bénéfice du politique (cest la société civile de Rousseau) ou du théologique (selon les théories de Joseph de Maistre). Mais ce qui prime, par-delà cette différence de résultat, cest la finalité commune, et les volontés similaires dunité. La mystique de lunité sorganise également autour du thème de la patrie. Il sagit alors pour ses partisans de montrer que lunité est préexistante à lunification effective du payset à la Révolution française, qui en est linstigatrice réelle –, et quelle doit être défendue coûte que coûte, ce qui explique limportance que revêt la frontière dans limaginaire politique collectif.

encore, le mythe répond à un malaise sociétal, fort proche de celui qui motive le mythe de lâge dor. On retrouve la crainte dune rupture du tissu social, provoqué par la spécialisation de chacun (séparation du clerc et du savant), la peur dun affrontement entre des valeurs autrefois unies. Ce sont les effets délétères de la société moderne, de lindividualisme et du progrès qui sont une fois de plus mis en cause. Mais il y a dans le mythe de lunité une charge supplémentaire de religiosité , une identification à Dieu, qui est Un.

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