Langues tokhariennes

Langues tokhariennes
Langues tokhariennes
Période Ier millénaire ap. J.-C.
Région bassin du Tarim
Classification par famille
Plaque en bois avec inscriptions en Tokharien. Koutcha, Chine, Ve ‑ VIIIe siècles. Musée National de Tokyo.


Les langues tokhariennes ou Agni-Kuči sont des langues indo-européennes qui furent parlées et écrites dans le bassin du Tarim au premier millénaire de notre ère. Il est possible qu'elles remontent dans la région au début du second millénaire avant l'ère chrétienne, mais sans preuve définitive.

Elles disparaissent avec l'arrivée des peuples turcophones (en particulier les Ouïghours), au IXe siècle.

Sommaire

Découverte

Sur les manuscrits ramenés du bassin du Tarim par les expéditions européennes et japonaises au début du XXe siècle, il y avait une langue inconnue qui fut d'abord appelée la « langue I ». Le turcologue allemand F. W. K. Müller lui donna en 1907 le nom de tokharien.

En 1908, les indianistes Émile Sieg et Wilhelm Siegling prouvèrent son caractère indo-européen. Un peu plus tard, l'orientaliste français Sylvain Lévi publia les premières traductions de textes. Le déchiffrement n'avait guère posé de problème, car le tokharien était noté avec une écriture d'origine indienne, la brāhmī. De plus, on disposait de documents bilingues tokharien-sanskrit.

Description

Les documents les plus anciens datent du VIe ou peut-être du Ve siècle, mais pour l'essentiel, ils remontent aux VIIe et VIIIe siècles. S'ils sont rédigés sur du papier, invention venue de Chine au début de notre ère, leur présentation est de type indien.

En fait, il n'y a pas une seule langue, mais deux, qui furent initialement appelées tokharien A et tokharien B. Dans la région de Koutcha, seuls des manuscrits en tokharien B ont été trouvés, c'est pourquoi cette langue est aussi appelée le koutchéen. L'essentiel des manuscrits en tokharien A provient de la région de Karachahr, plus précisément des ruines d'un grand complexe monastique qui se trouve à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de cette ville, sur le site de Chortchouq. Dans cette région, se trouvait autrefois un royaume appelé Agni dans les textes sanskrits. Le terme d'agnéen peut donc être utilisé pour désigner le tokharien A. À Chortchouq, on a aussi trouvé des manuscrits en koutchéen. Enfin, des textes en koutchéen et en agnéen proviennent de différents sites de la région de Tourfan.

Le koutchéen et l'agnéen sont des langues étroitement apparentées, mais elles sont trop différentes pour être mutuellement intelligibles par leurs locuteurs. Il y a autant de différences entre elles qu'entre l'italien et le roumain. Il est instructif de mettre en parallèle deux phrases en agnéen et en koutchéen qui sont de même signification :

  • Agnéen : wiki-wepiñcinäs shpät konsan āyäntwan mäśśunt tämnäshtr-än
  • Koutchéen : ikañcen-wacen shuk kaunne mrestīwe kektsenne tänmastär-ne

Elles sont extraites d’un texte qui semble décrire le développement du fœtus et elles signifient : « La vingt-deuxième semaine apparaît sa moelle ».

Une des caractéristiques majeures du tokharien est l'inexistence des occlusives sonores et aspirées : les trois séries d'occlusives g, d, b ; gh, dh, bh et kh, th, ph de l'indo-européen commun (langue mère de toutes les langues indo-européennes) ont été réduites à la seule série k, t, p. Les Tokhariens ne pouvaient donc pas prononcer correctement le nom de Bouddha : ils disaient Poutta. Ils ont créé une voyelle, transcrite par la lettre ä, qui était assez proche du i. Les mots tokhariens ont été raccourcis : « cheval » se dit *ekwos en indo-européen commun, yakwe en koutchéen et yuk en agnéen. Le phénomène est plus prononcé en agnéen qu'en koutchéen, parce que la seconde de ces langues a évolué plus lentement que la première. Voici les noms de nombres en indo-européen commun, puis en agnéen et en koutchéen :

Indo-européen Agnéen Koutchéen Français
1 *sem-s sas she un
2 *dwō(w) wu wi deux
3 *tréyes tre trai (ou tarya) trois
4 *kwetwores śtwar śtwer quatre
5 *pénkwe päñ piś cinq
6 *s(w)eks shäk shkas six
7 *septm shpät shukt sept
8 *oktō(w) okät okt huit
9 *néwm ñu ñu neuf
10 *dékm śäk śak dix

Histoire de la langue

La langue Agni-Kuči donne quelques indications sur le passé de ce peuple. « Elle s'est séparée si tôt des autres Indo-Européens qu'il faut songer [... à] la première moitié du IVe millénaire [avant notre ère][1] ». « Un élément intéressant est que les Agni-Kuči, après avoir quitté le groupe initial dont ils faisaient partie (avec les Germains, Italo-Celtiques, Macro-Baltes), ont voisiné avec les ancêtres des Anatoliens, comme le prouve tout un vocabulaire commun [...]. Puis ils ont voisiné, et même cohabité, avec les ancêtres des Grecs, comme le révèle l'abondance et la précision des isoglosses qui unissent ces langues. En particulier, il y existe un mot, d'origine non indo-européenne, pour le « roi ». [...] Les Agni-Kuči ont quitté les steppes européennes certainement bien avant le IIe millénaire avant J.-C.[1] ».

L'originalité linguistique des Tokhariens tend donc à montrer l'ancienneté de leur migration vers l'est, ce qui renforce l'hypothèse d'une installation ancienne dans le bassin du Tarim, où de fait on trouve des momies de type européen dès 1 800 avant notre ère.

Notes et références

  1. a et b Bernard Sergent, Les Indo-Européens, 1995, éditions Payot & Rivages, page 410.

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