La Princesse de Clèves

La Princesse de Clèves
La Princesse de Clèves
Édition princeps
Édition princeps

Auteur Marie-Madeleine de La Fayette
Genre Roman
Pays d'origine Drapeau de France France
Lieu de parution Paris
Éditeur Claude Barbin
Date de parution 1678

La Princesse de Clèves est un roman publié anonymement par Marie-Madeleine de La Fayette en 1678.

Il sagit dun des premiers romans danalyse de lhistoire littéraire française qui prend comme toile de fond la vie à la cour des Valois, dans les dernières années dHenri II : il peut donc être défini aussi comme un roman historique. Le souci de la vraisemblance psychologique et la construction rigoureuse inscrivent lœuvre dans lesthétique classique de lépoque et ouvrent la voie à une forme du roman moderne centrée sur létude approfondie des personnages.

Le roman marque également laffirmation en littérature de la place des femmes dans la vie culturelle du XVIIe siècle et rejoint le courant de la préciosité. Madame de La Fayette, grande lectrice de Madeleine de Scudéry, fréquentait dailleurs assidûment le salon de la marquise de Rambouillet[réf. souhaitée].

Roman fondateur, La Princesse de Clèves est évoqué comme lun des modèles littéraires qui ont inspiré Balzac ou encore Raymond Radiguet[réf. souhaitée].

Sommaire

Résumé de lintrigue

Lhistoire se déroule entre Octobre 1558 et novembre 1559, à la cour du roi Henri II.

Première partie

Mademoiselle de Chartres, jeune fille de seize ans élevée par sa mère selon de rigoureuses règles de morale et de prudence, paraît pour la première fois au Louvre. Le prince de Clèves, ébloui par sa beauté, la demande en mariage. Mademoiselle de Chartres accepte ce mariage de raison. Plus tard, la princesse de Clèves rencontre M de Nemours, un séducteur. Naît entre eux une passion immédiate et partagée, à laquelle sa mère, Madame de Chartres, avant de mourir, la conjure de renoncer : « Ne craignez point de prendre des partis trop rudes et trop difficiles, quelque affreux quils vous paraissent dabord : ils seront plus doux dans les suites que les malheurs dune galanterie. »

Le roman décrit avec beaucoup de minutie les étapes du sentiment amoureux chez les trois personnages, ses effets sur leur comportement et la lutte de la princesse pour ne pas trahir les préceptes maternels.

Seconde partie

Mme de Clèves vit en sa maison de Coulommiers. Elle apprend la mort de Mme de Tournon et est attristée de la disparition de cette jeune femme quelle trouvait belle et vertueuse. De retour de Paris, M. de Clèves lui apprend que son ami Sancerre était amoureux depuis près de deux ans de Mme de Tournon et que cette dernière lui avait secrètement promis ainsi quà M. dEstouville de les épouser. Cest seulement le jour de sa mort que M. de Sancerre apprend la perfidie. Le même jour, il connaît une douleur immense en apprenant la mort de sa bien-aimée et en découvrant les lettres passionnées que cette dernière a adressées à M. dEstouville. La princesse de Clèves est troublée par les propos que son mari a tenu à son ami Sancerre et quil lui répète : « La sincérité me touche dune telle sorte que je crois que si ma maîtresse et même ma femme, mavouait que quelquun lui plût, jen serais affligé sans en être aigri. »

A la demande de M. de Clèves, Mme de Clèves rentre à Paris. Elle ne tarde pas à se rendre compte quelle nest pas guérie de lamour quelle éprouve pour le duc de Nemours. Elle est en effet émue et pleine de tendresse pour cet homme, qui par amour pour elle, renonce aux espérances dune couronne. Si elle ne parvient pas à maîtriser ses sentiments, elle est bien décidée à tout faire pour maîtriser ses actes. Elle souhaite à nouveau fuir celui quelle aime, mais son mari lui intime lordre de ne changer en rien sa conduite.

Puis Nemours dérobe sous ses yeux son portrait. Elle se tait, craignant à la fois de dévoiler publiquement la passion que ce prince éprouve pour elle et davoir à affronter une déclaration enflammée de cet amoureux passionné. Nemours qui sest aperçu que la princesse de Clèves avait assisté à ce vol et navait pas réagi, rentre chez lui, savourant le bonheur de se savoir aimé.

Lors dun tournoi, Nemours est blessé. Le regard que lui adresse alors Mme de Clèves est la preuve dune ardente passion. Puis une lettre de femme égarée et dont elle entre en possession laisse supposer que Nemours a une liaison. Elle découvre alors la jalousie.

Troisième partie

Le Vidame de Chartres, oncle de la princesse de Clèves et ami intime de M. de Nemours est lui aussi très contrarié par cette lettre. Car la lettre qua lue la princesse de Clèves et quelle croyait adressée à Nemours, d sa jalousie, lui appartenait. Et le fait quelle circule entre toutes les mains de la Cour le contrarie énormément. En effet cette lettre risque de déshonorer une femme extrêmement respectable et de lui valoir, à lui, Vidame de Chartres, la colère de la Reine qui la pris pour confident et qui naccepterait pas cette aventure sentimentale.

Le Vidame de Chartres souhaite que le duc de Nemours indique être le destinataire de cette lettre et aille la réclamer à la reine dauphine qui la maintenant entre les mains. Il lui donne pour cela un billet sur lequel figure son nom, quune amie de sa maîtresse lui a donné, et qui permettra à Nemours de se justifier auprès de celle quil aime.

M. de Nemours rend visite à Mme de Clèves et lui apprend la demande au Vidame de Chartres. Il parvient également grâce au billet que lui a donné son ami à lui prouver quil nest pas compromis dans cette aventure sentimentale. Il parvient ainsi à dissiper la jalousie de la Princesse. En présence de M. de Clèves, les deux amants, pour satisfaire une demande royale, réécrivent de mémoire une copie de la lettre qui a semé le trouble. Mme de Clèves goûte le plaisir de ce moment dintimité, mais reprend conscience de la passion quelle ressent, malgré elle, pour cet homme. Elle décide de repartir à la campagne, malgré les reproches de son mari, qui ne comprend guère son goût pour la solitude.

Elle avoue alors, les yeux remplis de larmes, quelle est éprise dun autre homme, et que pour rester digne de lui, elle doit quitter la cour. M. de Nemours assiste, caché et invisible, à cet aveu. M. de Clèves est dans un premier temps tranquillisé par la franchise courageuse de son épouse. Puis aussitôt, il commence à ressentir une vive jalousie et presse son épouse de mille questions auxquelles elle ne répond pas. Elle ne lui dévoilera pas le nom de son rival. M. de Nemours, assistant dans lombre à cette scène, reste lui aussi dans lexpectative. Le roi demande alors à M. de Clèves de rentrer à Paris.

Restée seule, Mme de Clèves est effrayée de sa confession, mais se rassure, en estimant quelle a ainsi témoigné sa fidélité à son mari.

M. de Nemours sest enfui dans la forêt et se rend compte que cet aveu lui enlève tout espoir de conquérir celle quil aime. Il éprouve pourtant une certaine fierté daimer et dêtre aimé dune femme si noble. Il commet surtout limprudence de raconter au Vidame de Chartres, lhistoire quil vient de vivre. Il a beau raconter cette histoire en termes très vagues, son compagnon devine que cette histoire est la sienne. Clèves apprend de son côté que celui que sa femme na pas voulu nommer, nest autre que M. de Nemours. Puis en raison de limprudence de Nemours, linformation devient publique. Ne sachant que ce dernier a été témoin de cet aveu, M et Mme de Clèves se déchirent en se soupçonnant lun lautre davoir trahi le secret de leur discussion. Nemours et M et Mme de Clèves que la fatalité a jeté les uns contre les autres sont alors soumis aux soupçons, remords, reproches et aux plus cruels des troubles de la passion.

Quatrième partie

Alors que la Cour se rend à Reims pour le sacre du nouveau roi, Mme de Clèves se retire à nouveau à la campagne, cherchant dans la solitude limpossible tranquillité. Nemours la suit, épié par un espion que Clèves a dépêché sur place. De nuit, Nemours observe la princesse de Clèves alors quelle contemple dun air rêveur un tableau le représentant. Il est fou de bonheur. Encouragé par cette marque damour, Nemours se décide à rejoindre celle quil aime. Il avance de quelques pas et fait du bruit. Pensant le reconnaître, la princesse se réfugie immédiatement dans un autre endroit du château. Nemours attend en vain dans le jardin, et au petit matin, il se rend dans le village voisin pour y attendre la nuit suivante.

La présence du duc de Nemours auprès de la princesse a été racontée à Clèves par son espion. Sans même laisser le temps à son interlocuteur de lui donner plus de précisions, Clèves est persuadé quil a été trahi. Il meurt de chagrin, non sans avoir fait "à la vertueuse infidèle dinoubliables adieux" et lavoir accablée de reproches.

La douleur prive la princesse de toute raison. Elle éprouve pour elle-même et M. de Nemours un véritable effroi. Elle refuse de voir M. de Nemours, repensant continuellement à la crainte de son défunt mari de la voir épouser M. de Nemours.

Le Vidame de Chartres réussit tout de même à organiser une entrevue secrète entre les deux amants. Elle le regarde avec douceur, mais lui conseille de rechercher ailleurs une destinée plus heureuse. Puis elle sort sans que Nemours puisse la retenir.

Contextualisation

Éléments historiques du roman

Les personnages de La Princesse de Clèves sont des personnages historiques, quoique quelques détails soient modifiés. Seul le personnage principal serait imaginaire ; on retrouve dans son aventure de lointains échos du procès de Françoise de Rohan. Voici quelques descriptions de personnages historiques :

  • Jacques de Savoie-Nemours (1531-1585), fils du duc Philippe de Savoie-Nemours, petit-fils du duc Philippe II de Savoie et cousin germain du roi François Ier : « Ce prince était un chef-dœuvre de la nature ; ce quil avait de moins admirable, cétait dêtre lhomme du monde le mieux fait et le plus beau. Ce qui le mettait au-dessus des autres était une valeur incomparable, et un agrément dans son esprit, dans son visage et dans ses actions que lon n'a jamais vu quà lui seul ; il avait un enjouement qui plaisait également aux hommes et aux femmes, une adresse extraordinaire dans tous ses exercices, une manière de shabiller qui était toujours suivie de tout le monde, sans pouvoir être imitée, et enfin un air dans toute sa personne qui faisait quon ne pouvait regarder que lui dans tous les lieux il paraissait. »
  • Marguerite de Valois (1523-1574), fille de François Ier, roi de France et de la reine Claude de France : « Cette princesse était dans une grande considération par le crédit quelle avait sur le roi, son frère ; et ce crédit était si grand que le roi en faisant la paix, consentait à rendre le Piémont pour lui faire épouser le duc de Savoie. Quoiquelle eût désiré toute sa vie de se marier, elle navait jamais voulu épouser quun souverain, et elle avait refusé pour cette raison le roi de Navarre, lorsquil était duc de Vendôme, et avait toujours souhaité M. de Savoie ; elle avait conservé de linclination pour lui depuis quelle lavait vu à Nice à lentrevue du roi François premier et du pape Paul troisième. »

Influences littéraires

Préciosité

Dans sa jeunesse, Madame de La Fayette fréquente les salons précieux de lhôtel de Rambouillet et de Madeleine de Scudéry. La préciosité marque encore le siècle, et linfluence de louvrage phare du courant, l'Astrée dHonoré dUrfé, se fait toujours sentir dans la littérature. Madame de la Fayette nest donc pas exempte de préciosité, lorsquelle écrit la Princesse de Clèves.

La préciosité est donc extérieure à lœuvre, puisquelle concerne Madame de Lafayette elle-même. En effet, étant une femme écrivain, elle sinscrit dans la lignée de ces précieuses lettrées, symbolisées par Madeleine de Scudéry. Une œuvre issue de la fréquentation des salons précieux et écrite par une femme porte alors la marque de la préciosité.

La première et la plus évidente des marques de préciosité dans la nouvelle est limportance accordée au thème de lamour, et la forme que ce dernier prend. Les salons précieux, en effet, se nourrissent de discussions sur lamour, dans le but de résoudre des cas typiques (Une femme doit-elle céder à son amant ?) Lamour est un thème central du mouvement précieux. Des problèmes de ce type se retrouvent dans lensemble de lœuvre, de manière plus ou moins explicite. Par exemple, laveu que Madame de Clèves fait de son amour pour Monsieur de Nemours à son mari est un cas typique de question précieuse : une femme doit-elle avouer quelle a un amant à son mari ? De la même façon, le comportement de Madame de Tournon pose certaines questions damour : une femme doit-elle promettre un mariage ? Une femme doit-elle épouser lhomme quelle aime ? Enfin, la situation la plus explicite de conversation précieuse est celle qui fait discuter la reine Dauphine et le Prince de Condé de lopinion de Monsieur de Nemours, qui ne veut pas que sa maîtresse aille au bal.

Autre manifestation de la préciosité, la princesse de Clèves et le duc de Nemours, qui représentent en quelque sorte lidéal précieux : beaux, intelligents et gracieux. Ils sont appelés à être au-dessus des autres humains. En somme, ils concentrent en eux toutes les qualités nécessaires à lamour idéal, lamour pur. Cela dit, lamour précieux demeure généralement malheureux, comme celui qui unit la princesse et le duc.

En effet, lamour est toujours teinté de jalousie, de tromperies. Lidéal précieux demeure un idéal, cest-à-dire quil ne peut se réaliser que dans un cadre utopique semblable à celui de lAstrée. Or, Madame de Clèves demeure irrémédiablement ancrée dans la réalité historique ; elle ne peut échapper à la jalousie. « Mais elle se trompait elle-même ; et ce mal, quelle trouvait si insupportable, était la jalousie avec toutes les horreurs dont elle peut être accompagnée. » (Deuxième Partie)

La conception de lamour précieux sillustre par ailleurs dans les valeurs défendues, au fil de la nouvelle, par divers personnages. De façon assez générale, ces valeurs reprennent celles qui sont modélisées par la Carte de Tendre. Elles constituent lidéal amoureux précieux, idéal bien entendu inaccessible.

Le poids de la préciosité dans la Princesse de Clèves se remarque également par lemploi continu dun vocabulaire précieux, vocabulaire éthéré, termes vagues, et néologismes précieux sous la forme dadverbes. Deux exemples de cet emploi du vocabulaire précieux :

  • « [...] elle loua Monsieur de Nemours avec un certain air qui donna à Madame de Chartres la même pensée quavait eue le chevalier de Guise » (Première Partie)
  • « Je crois devoir à votre attachement la faible récompense de nous cacher aucun de mes sentiments et de vous les laisser voir tels quils sont. » (Quatrième Partie)

"Ni la philosophie cartésienne, ni la morale précieuse ne nous donneront la clef du roman."[1]

Le théâtre classique

Certes, la Princesse de Clèves est influencée par son prédécesseur le roman baroque, ce qui apparaît nettement à la lecture. Néanmoins, dun point de vue formel, limpact de la dramaturgie classique sur lécriture de Mme de La Fayette est flagrant. En effet, le mariage de M. et Mme de Clèves constitue le « nœud » de lintrigue, au sens aristotélicien. Sans leur rencontre chez le bijoutier, qui intervient avant celle de M. de Nemours et de la jeune fille au bal, cette dernière naurait sûrement pas achevé sa vie aussi pieusement. Dans cette perspective, lon peut se porter à rêver dune idylle entre les véritables amants. La démonstration finale en aurait été bouleversée. Par ailleurs, laveu de la princesse constitue le « renversement » précipitant la « catastrophe ». Cette dernière, développée par Aristote dans sa Poétique, correspond au rapport du gentilhomme à son maître, M. de Clèves. À partir de cette trame, qui se retrouve dans le théâtre du XVIe et du XVIIe siècle, il semble que le dénouement soit, non pas la mort de la princesse dans la maison religieuse, ni même sa décision, lors de lentretien avec M. de Nemours, mais la mort de lépoux. En effet, le « dénouement » prend alors tout son sens. Le « nœud » est enfin dénoué : celui de lintrigue et celui du mariage, puisque la princesse nest plus liée à M. de Clèves.

Influences dogmatiques

Jansénisme

Une autre influence particulièrement prégnante dans le milieu littéraire de lépoque est celle du jansénisme de Port-Royal. Il apparaît tant dans les Réflexions ou sentences et maximes morales et réflexions diverses de Monsieur de La Rochefoucauld que dans les pièces de Racine. Madame de La Fayette, amie de Monsieur de La Rochefoucauld, fréquente également les milieux jansénistes. La Princesse de Clèves porte les marques de cette influence.

Cette influence sexprime assez simplement dans le roman par lincapacité continuelle de Madame de Clèves à exprimer correctement ses problèmes, et à les affronter. En effet, la plupart des soliloques qui ponctuent le récit posent de faux problèmes. Il ne sagit pas, par exemple, de combattre un coupable amour mais de le cacher à la Cour. Il ne sagit pas davoir été indigne envers son mari, mais davoir paru indigne à Monsieur de Nemours.

Cette mauvaise foi permanente de Madame de Clèves introduit, on le voit bien, le thème du paraître, qui domine dès louverture de la nouvelle, depuis la description de la Cour jusque dans les soliloques de la jeune femme. Rien nest ce quil semble être à la Cour, et il faut se garder des apparences : lhomme est menteur. « Si vous jugez sur les apparences en ce lieu-ci, répondit madame de Chartres, vous serez souvent trompée : ce qui paraît nest presque jamais la vérité. » (Première Partie)

Dès lors, la Cour nest quun vaste complexe de cabales et autres jeux dinfluences. La direction du pays est tout entière livrée aux passions des princes et des princesses, et la religion même est occultée par lambition de la gloire. Ainsi, à la mort du Roi, ce ne sont pas la pitié et la piété qui dominent, mais bien les jeux de pouvoir. « Une cour aussi partagée et aussi remplie dintérêts opposés nétait pas dans une médiocre agitation à la veille dun si grand événement ; néanmoins, tous les mouvements étaient cachés et lon ne paraissait occupé que de lunique inquiétude de la santé du roi. » (Troisième Partie)

Lêtre humain est dominé par des passions par lesquelles il développe ses vices. Même la plus innocente des créatures, Madame de Clèves, fait preuve de duperie lorsque lintérêt de ses passions est en jeu. Elle ment en effet à la reine dauphine à propos de la lettre de Madame de Thémines, dissimule à son mari. Certes, laveu est apparemment une preuve de transparence. En réalité, il se révèle être une stratégie de Madame de Clèves pour se tenir éloignée de la Cour. Elle prend dailleurs un ton bien impératif, lors de cet aveu, pour une femme qui a commis une faute. De plus, elle na de cesse de magnifier son courage :

« Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je le prends avec joie pour me conserver digne dêtre à vous. [...] Songez que pour faire ce que je fais, il faut avoir plus damitié et plus destime pour un mari que lon nen a jamais eu : conduisez-moi, ayez pitié de moi, et aimez-moi encore, si vous pouvez. »

— Troisième partie du livre

En somme, la vertu de Madame de Clèves nest quune façade. Comme les autres, elle dissimule, jouet de ses passions et du gouvernement de lapparence. Sa vertu même est toujours mise en scène, à limage de la vertu stoïque pour les jansénistes, comme lors du dernier entretien avec Monsieur de Nemours. Il sagit avant tout de sélever au-dessus des autres femmes.

La dernière phrase de la nouvelle est éloquente :

« [...] sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables. »

(Quatrième Partie)

Libertinage

La dernière et la plus discrète des influences exercées sur le roman est celle du courant libertin, libertinage de mœurs, jouissance sensuelle, mais également libertinage desprit, liberté prise avec les codes moraux dune époque.

Les deux figures principales de ce libertinage sont le duc de Nemours et le vidame de Chartres. Ils représentent lhomme libertin, qui peut se hisser au-dessus des conventions sociales pour vivre pleinement, jouir par les sens et par lesprit, et également être libre de toute contrainte.

Cette liberté se manifeste sous deux rapports : une liberté vis-à-vis des codes sociaux et une liberté vis-à-vis des codes moraux.

La liberté vis-à-vis des codes sociaux nest jamais plus présente que lors de laffaire dAngleterre. Le Duc de Nemours nhésite pas à rejeter toutes ses obligations diplomatiques, patriotiques, tant envers la France que lAngleterre, pour se consacrer entièrement à sa passion présente pour Madame de Clèves. Le roi (symbole de lordre social et religieux) ne manque pas dexprimer son mécontentement à ce propos.

La liberté vis-à-vis des codes moraux est particulièrement visible dans laventure du vidame de Chartres. Ce dernier nhésite pas à multiplier les liaisons, et faire de faux serments, à tromper tant la reine que Madame de Thémines, tout en entretenant une liaison avec une femme de petite vertu.

Du point de vue du libertinage de mœurs, il faut commencer par noter les fréquentes allusions aux multiples conquêtes tant de Monsieur de Nemours que du vidame de Chartres. Jouissance physique, donc, sexuelle même.

Mais le fil conducteur du libertinage de mœurs dans la nouvelle réside dans le voyeurisme continu du duc de Nemours, dont lactivité principale est dépier Madame de Clèves, de violer son intimité par le regard. A plusieurs reprises, il tire du plaisir de surprendre Madame de Clèves. « Voir, au milieu de la nuit, dans le plus beau lieu du monde, une personne quil adorait, la voir sans quelle sût quil la voyait, et la voir tout occupée de choses qui avaient du rapport à lui et à la passion quelle lui cachait, cest ce qui na jamais été goûté ni imaginé par nul autre amant. » (Quatrième Partie)

Réception de lœuvre

La réception de la Princesse de Clèves a beaucoup évolué au fil des siècles, ainsi qu'en témoigne Marie Darrieussecq dans l'interview qu'elle accorde en 2009 à Flammarion pour la nouvelle édition du roman:

« Les premiers lecteurs de Mme de Lafayette, au XVIIe siècle, le jugèrent invraisemblable: quelle épouse pense devoir informer son mari de ses tentations adultères? Au XVIIIe siècle, cet aveu, on l'a trouvé charmant. Au XIXe, immoral. Au XXe, idiot: mais qu'elle l'épouse donc, son bellâtre de cour! Et au début du XXIe, on dit qu'il ne faut plus lire ce livre[2] »

Réception contemporaine

Ce fut un très grand succès dès sa publication et lattente pouvait durer des mois pour recevoir une copie du roman. Le roman était aussi le sujet de nombreuses discussions en société et au sein des salons et néchappe pas à la critique mondaine. Le débat portait aussi sur le nom de lauteur. Ce sera loccasion de discuter la place du roman au sein de la société de lépoque.

Voici ce qu'écrit Madame de Sévigné au Comte de Bussy, au sujet de la Princesse de Clèves:

« Elle ne sera pas sitôt oubliée. C'est un petit livre que Barbin nous a donné depuis deux jours, qui me paroît une des plus charmantes choses que j'aie jamais lues. »

— Madame de Sévigné, Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis, vol. V, L. Hachette, 1862 [lire en ligne], p. 424 

Réception du XVIIIe siècle au XXe siècle

La Princesse de Clèves est évoquée comme lun des modèles littéraires qui ont inspiré à Balzac, au XIXe siècle, le personnage de Madame de Mortsauf dans le Lys dans la vallée[3]. Le Bal du comte dOrgel de Raymond Radiguet, au XXe siècle, a une intrigue similaire à celle du roman de La Fayette.

Au XXe siècle, lœuvre et son auteur, désormais popularisées par le cinéma, sont systématiquement citées dans les manuels scolaires. Le roman apparaît aux programmes des examens et concours de léducation nationale.

Réception au XXIe siècle

La conjoncture politique française des années 2007-2009 redonne une certaine notoriété au titre du roman. En effet, en tant que candidat à lélection présidentielle, Nicolas Sarkozy avait ironisé sur la présence de lœuvre au programme de loral du concours dattaché dadministration[4]. Des voix sélèvent dans lopposition de droite, ces propos sont perçus comme une atteinte au patrimoine culturel de la France[note 1] et dans lopposition de gauche[5]. Les remarques du candidat et du président sont en général peu commentées dans lactualité[5]. En revanche elles sont exploitées par le mouvement dopposition à la politique universitaire de Valérie Pécresse, les enseignants envoyant à lÉlysée des exemplaires du roman. Dans les manifestations, des pages sont lues au mégaphone. Une parodie circule pendant le mois de février 2009, qui commence ainsi :

«  La magnificence et léconomie nont jamais paru en France avec tant déclat que dans les dernières années du règne de Nicolas premier. Ce prince était galant, mobile et amoureux ; quoique sa passion pour la vitesse eût commencé il y avait plus de vingt ans, elle nen était pas moins violente, et il nen donnait pas des témoignages moins éclatants[6]. […]  »

En mars 2009, à loccasion du Salon du Livre de Paris, un badge Je lis La Princesse de Clèves est distribué à linitiative de lObservatoire du livre et de lécrit en Ile-de-France[7].

En 2010, La Princesse de Clèves est au programme de lépreuve de Lettres commune aux Écoles Normales Supérieures dUlm et de Fontenay-Saint-Cloud.

Adaptations

Cinéma

Littérature

Notes et références

Notes

  1. « Il y a lécole lenseignement de la Princesse de Clèves encourt un sarcasme comme celui qua instillé lan dernier M. Sarkozy à Lyon quand il sest exclamé quil était inutile de chercher les problèmes de la France quand on savait que lon enseignait encore Mme de Lafayette » Paul-Marie Coûteaux, « Discours prononcé au rassemblement du Palais des Congrès de la Porte Maillot à Paris, le samedi 31 mars 2007 »

Références

  1. Voir Alain Niderst, Mme de Lafayette : Romans et nouvelles, éd. Garnier, 1970, p. xxxviii, introduction.
  2. Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves, Flammarion (GF), 2009, 362 p. (ISBN 978-2-0812-2917-4), p. VIII 
  3. Anne-Simone Dufief, « Introduction au Lys dans la vallée », La Comédie humaine, Omnibus, Paris, 1999, p. 203 (ISBN 2258051177)
  4. Pascal Riché, Nicolas Sarkozy kärcherise encore la princesse de Clèves, Rue 89, 24 juillet 2008
  5. a et b Philippe Val, « La princesse de Clèves expulsée ! », dans Charlie-Hebdo, 16 avril 2008 
  6. Jean-Philippe Grosperrin, « Rions un peu : "Mme de Pecqueresse et M. de Sarquise" »
  7. Observatoire du livre et de lécrit en Ile-de-France

Annexes

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Bibliographie

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  • Jean de Bazin de Bezons, Qui a écrit « La Princesse de Clèves » ? : étude de lattribution de « La Princesse de Clèves » par des moyens de statistique du vocabulaire, Paris, Nizet, 1970.
  • Jean de Bazin de Bezons, Vocabulaire de « La Princesse de Clèves », Paris, Nizet, 1967.
  • Henry Pierre Blottier, Catherine Vandel-Isaakidis, « La Princesse de Clèves », Paris, Bordas, 1991.
  • Mercédès Boixareu, Du « Savoir damour » au « dire damour » : fonction de la narration et du dialogue dans « « La Princesse de Clèves » » de Madame de Lafayette, Paris, Lettres modernes, 1989.
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  • Jean Baptiste Henri Du Trousset de Valincour, Lettres à Madame la Marquise sur le sujet de la « Princesse de Clèves », Paris, Flammarion, 2001.
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  • Denise Werlen, Madame de La Fayette, « La Princesse de Clèves », Rosny, Bréal, 1998.
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